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Essai de modélisation et hypothèses de recherche

2.1. L’imprégnation territoriale

L’imprégnation territoriale «exprime l'intensité des liens tissés avec les autres acteurs du territoire » (Marchesnay, 1998 ; Marchesnay et Messeghem, 2001). Cette dimension est liée à la notion d’encastrement (Granovetter, 1985 ; 2000) et peut s’apprécier par les liens socio-économiques noués au niveau du territoire et avec le terroir, notamment les PME locales, mais pas seulement. Elle a donc une résonnance spatiale. L’enseigne montre aux PP dont ses clients comment une MDD par un positionnement « terroir » peut être à la fois perçuecomme congruente avec des catégories très diverses, mais aussi avec les origines géographiques et culturelles associées à ces catégories (Aurier et Fort, 2005). Le développement de réseaux et l’appui d’autres structures bien établies dans le territoire constituent deux moyens pour établir la crédibilité de l’organisation et faciliter ainsi son accès à d’autres ressources et à de meilleures informations. Plusieurs travaux mobilisent le concept d’encastrement de Granovetter (1985), notamment ceux de Jack et Anderson (2002) montrent l’effet bénéfique de l’ancrage dans le territoire d’implantation sur le processus entrepreneurial. L’appui d’organisations reconnues permet d’obtenir la confiance de l’environnement. Sans compter que la participation à ces réseaux reconnus permet à l’enseigne de bénéficier de la légitimité de ces derniers par identification (Dowling et Pfeffer, 1975). Mais il ne faut pas omettre de considérer l’ensemble des acteurs du champ organisationnel, faute de quoi l’adhésion sera reconsidérée et la légitimité remise en cause, limitant l’accès au marché (Suchman, 1995). Les contestations ou guerres institutionnelles au sein des champs organisationnels (Hoffman, 1999) sont aussi des moyens visant à déstabiliser et à changer les pratiques sociales, voire les catégories d’acteurs qui les composent (Maguire et Hardy, 2009) ou plus stratégiquement

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d’attaques de challengers (Delacour et Leca, 2011). D’où la nécessité de bien définir les contours et dessins des frontières de l’arène (imprégnation territoriale).

La définition issue de l’ISO 26000 considère que « l’ancrage territorial est le travail de proximité proactif d’une organisation vis-à-vis de la communauté […] Il vise à favoriser les partenariats avec des organisations et des parties prenantes locales et à avoir un comportement citoyen vis-à-vis de la communauté ». Pour Pivot (1998), la conscience de l’appartenance à un territoire est aussi une source de références communes (passé professionnel, traditions et coutumes…). Cette proximité géographique est ainsi proche de l’imprégnation territoriale, puisque l’une et l’autre sont à la base d’un construit social et économique en termes : (1) d’image commune par la valorisation de produits de terroir, la mise en valeur d’un savoir-faire collectif traditionnel (Légitimité traditionnelle) ; (2) de maillage du territoire, de relations de proximité, comme les liens avec les organisations / acteurs immédiats géographiquement proches (Zimmermann, 1995 ; 1998) ; (3) de sources de solidarité entre les acteurs de cet espace. Elle rejoint en cela la légitimité de liens (linkage legitimacy) de l’entreprise de Baum et Oliver (1991). Les liens tissés avec les autres acteurs au sein de l’arène sont le résultat de relations de proximité constituant un attribut de la réussite du partenariat.

2.1.1. Proximité de liens et légitimité de proximité

La proximité organisée est alors au cœur d’un système créateur de normes, de valeurs et définitions pour l’ensemble des partenaires de l’échange et des parties prenantes. Elle permet une maîtrise des coûts, une amélioration de la qualité et du fonctionnement des échanges (Srivastava et Singh, 2010) et surtout la crédibilité de l’organisation dans son champ organisationnel. L’encastrement territorial mesure l’engagement des acteurs dans un espace construit défini et situé. Les réseaux partenariaux, les relations d’alliances favorisent les échanges de ressources, de savoirs et d’informations et contribuent à acquérir de la légitimité d’imprégnation territoriale.

L’identification des liens avec les acteurs immédiats proches géographiquement renvoie à la légitimité de proximité de Jobert (1998), de Zimmerman (1995 ; 1998). De même, l’identification des liens avec les acteurs sociaux très légitimes du territoire définit la légitimité de liens de Baum et Oliver (1991). Dans les deux cas, c’est un moyen de se conformer aux règles et/ou aux représentations symboliques de l’environnement et de renforcer sa légitimité d’imprégnation territoriale. Les activités institutionnalisées sont des

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actions socialement légitimées, prises loin de toutes considérations économique ou sociologique (Oliver, 1997). Ces mobilisations de proximité mêlent donc les problématiques de la territorialité et de la citoyenneté au sein de cet espace de vie collective (champ organisationnel territorial), et pose la question sur la répartition territoriale des bénéfices et des coûts, la répartition équitable des charges, ou encore si les acteurs proches bénéficieront d’une forme de protection ou de compensation et que cette question respecte l’égalité des citoyens. Les enjeux de proximité permettent souvent de repenser les liens entre le local et le global (Jobert, 1998). A la légitimité territoriale de l’enseigne, les consommateurs conjuguent une légitimité de proximité.

2.1.2. Le concept d’encastrement territorial

L’enseigne de distribution, par la mise en avant des produits de terroir, contribue à valoriser les entreprises territoriales et les savoir-faire localisés. Elle permet aux entreprises locales de se positionner plus dans une logique d’organisation centrée sur la construction sociale et spatiale de la qualité. Il s’agit, pour elles, de conserver et de mettre en exergue l’image d’un produit traditionnel adapté aux valeur et goût des consommateurs. Pour l’enseigne de distribution, l’encastrement territorial (Granovetter, 1985, 2000 ; Johansson et al., 2002) constitue le mode de mobilisation des ressources matérielles et immatérielles48 et se confond avec encastrement relationnel et culturel, du fait que la dynamique d’encastrement territorial est souvent indexée sur les relations sociales et culturelles. Pour Hess (2004), l’encastrement territorial mesure l’engagement des acteurs dans un espace, selon trois formes :

(1) L’étendue de l’ancrage d’un acteur dans son territoire : les acteurs se trouvent encastrés dans le sens où ils absorbent - et dans certain cas sont contraints par - des activités économiques et les dynamiques sociales qui existent alors.

(2) L’ancrage réseau, les réseaux d’acteurs organisés indépendamment de leur ancrage local : cet encastrement comporte un volet relationnel et un volet institutionnel, soit l’ensemble des relations d’un individu ou d’une firme avec d’autres acteurs (la mobilisation du capital relationnel du territoire - Razafindrazaka, 2009) d’une part, et d’autre part qui inclut tous les acteurs du monde des affaires mais aussi institutionnels (organisations gouvernementales et ONG).

48 L’ancrage territorial est une ressource immatérielle valorisable à travers des actions ad hoc (Louzzani ; 2013) et concerne le capital humain (Savoir-faire, compétences …), le capital structurel interne qui améliore l’efficience organisationnelle, et le capital structurel externe comme la capacité de l’organisation à valoriser ses relations avec ses PP (Edvinsson et Sullivan, 1996 ; Edvinsson et Malone, 1999).

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(3) L’encastrement social qui prend en compte l’origine de l’acteur, son capital social, ses représentations, ses normes et valeurs qui façonnent à la fois ses actions individuelles et collectives. Il reflète aussi « les représentations que le système des affaires se fait du cadre institutionnel et régulateur qui affecte et en partie détermine le comportement des acteurs » (Hess, 2004).

Ainsi, aux effets de la proximité géographique, il convient d’adjoindre les effets de la proximité organisée et ses dimensions cognitives (partage d’un même système de représentations), sociales (valeurs, normes), institutionnelles (partage de lois, de règles de jeu institutionnel). Le capital social ainsi formé par la combinaison relation/structure permise par les différentes proximités facilite les actions des dirigeants (Saleilles, 2006). De ce processus émerge une légitimité contextuelle acceptée qui souligne la connexion indissoluble de l’acteur avec son cadre sociétal (Becker, 2000).

De récents travaux s’intéressent à l’impact des liens entre encastrement territorial et détection des opportunités d’affaires par le dirigeant (Korsgaard et al., 2011). La lecture par la sociologie économique met en évidence que l’individu cherche à maximiser ses intérêts économiques mais également des intérêts sociologiques liés au besoin d’appartenance à un groupe et au besoin de reconnaissance. Ces deux dimensions interagissent et influencent les comportements des acteurs (Granovetter et Swedberg, 1992 ; Ferrary, 2010). Ainsi, la force des liens sociaux et un réseau dense facilitent l’émergence d’une communauté porteuse de normes sociales et d’une culture. Cet écosystème territorial dans lequel se meut la grande distribution se caractérise donc par des exigences sociales et culturelles auxquelles celle-ci doit se conformer afin d’être légitime. Elle s’engage dans un processus de « production-distribution » et de justification pour maintenir et développer sa légitimité d’imprégnation territoriale lui permettant d’exercer une activité de production-distribution MDD de terroir et de bénéficier d’un avantage concurrentiel.

La revue de littérature conforte notre réflexion sur l’opportunité de l’ancrage du distributeur au sein de son territoire, sur l’idée sous-jacente selon laquelle la capacité à résoudre les problèmes, à accéder aux meilleures ressources et informations, à développer sa compétitivité en répondant aux attentes des PP et ce de façon collective, résulte d’approches sociologiques et institutionnelles de groupes d’acteurs, autrement dit de propriétés réticulaires (réseaux) soutenant la pérennité des organisations.

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