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Section 2. Le nécessaire encadrement de l’opportunité des poursuites

II. Le souple encadrement français de l’opportunité des poursuites

Le système de l'opportunité peut donc paraître meilleur au moins à condition que les critères d'appréciation soient précis. Car le risque qu'il présente est que les décisions du ministère public puissent être inspirées soit d'un favoritisme personnel, étranger à l'intérêt

155 Nsereko, supra note 145 à la p 130.

156 Guide du SPPC, supra note 146 à la section 2.3 aux pp 6-8. 157 Lafontaine, supra note 148 à la p 73.

collectif, soit, pire encore dans un système où le ministère public est hiérarchiquement subordonné au pouvoir politique, à des considérations de clientélisme politique158.

Nous allons voir que le droit français n'est pas le plus à même de répondre aux inquiétudes de la professeure Rassat. En effet, ce n'est pas par l'édiction de critères précis que le législateur a choisi de palier le danger de subordination du ministère public, mais plutôt par une loi encadrant le principe hiérarchique.

La table alphabétique du Code de procédure pénale français renvoie à l'article 40 lorsque l'on recherche la notion d' « opportunité des poursuites ». En effet, cet article issu d'une loi de 1985159 énonce simplement : « Le procureur de la République reçoit les

plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner »160.

L'article suivant nous indique tout de même que pour que le procureur de la République dispose de ce pouvoir d'opportunité il faut que161 :

- Les faits portés à sa connaissance constituent une infraction ; - L'identité et le domicile de l'auteur de l'infraction sont connus ;

- Aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l'action publique162.

À part ces indications, aucun critère n'est donné par ce Code pour guider le procureur qui a désormais le choix entre trois options : la poursuite, le classement sans suite ou la mise en œuvre d'une procédure alternative aux poursuites. Notons qu'en raison de la particularité du contentieux étudié, le procureur a plutôt deux options puisqu'il est difficile

158 Michèle-Laure Rassat, Procédure pénale, 2e ed, Paris, Ellipses, 2013 à la p 379 [Rassat, Procédure

pénale].

159 Loi n°85-1407 du 30 décembre 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale et de droit pénal,

JO, 31 décembre 1985, 15505.

160 Pour Éric Mathias, il n'existe aucune consécration législative du principe de l'opportunité des poursuites,

laquelle serait seulement la conséquence de la diversification de la pratique du classement sans suite, ce qui a obligé le ministère public à apprécier l'opportunité des poursuites. Il considère que l'article 40 alinéa 1 consacre seulement le principe du classement sans suite : Eric Mathias, Les procureurs du droit. De

l’impartialité du ministère public en France et en Allemagne, Paris, CNRS Editions, 1999, à la p 70. Dans le

même sens : voir Rassat, Procédure pénale, supra note 148 à la p 379. Au contraire, des auteurs tels que Jean Pradel sont partisans d'une consécration législative du principe de l'opportunité des poursuites : Jean Pradel, « Opportunité ou légalité des poursuites ? Aperçus sur quelques législations d’Europe » (1991) RPDP 9, à la p 15.

161 Art 40-1 C proc pén.

162 Cela renvoie aux hypothèses d'abrogation de la loi pénale, d'amnistie, ou encore d'écoulement d'un délai de

d'envisager une alternative aux poursuites pour de tels crimes internationaux. En outre, la majorité des affaires sont des crimes, l'information judiciaire – ou instruction préparatoire – est donc obligatoire ; le procureur s'il décide de poursuivre devra alors saisir un juge d'instruction par un réquisitoire introductif. Notons tout de même qu'en droit français, il existe des délits de guerre, or en matière délictuelle, l'ouverture d'une information judiciaire n'est pas obligatoire163. Les professeurs Guinchard et Buisson nous expliquent alors que « le législateur laisse au procureur de la République la faculté de n'engager la poursuite que pour certains dossiers de la procédure qu'il détermine en fonction de paramètres qui, normalement tirés de la politique criminelle qu'il a la charge d'appliquer, ont été fixés spontanément ou sur instructions du garde des Sceaux »164.

Sur la question du rôle du ministre de la Justice dans l'engagement des poursuites, et à la lumière du statut du ministère public, il convient de préciser que des évolutions récentes ont eu lieu. En effet, la loi du 25 juillet 2013165 a eu pour finalité d'empêcher toute ingérence du garde des Sceaux dans le déroulement des procédures pénales. L'article 30 du

Code de procédure pénale dispose désormais :

Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.

A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales.

Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles.

Chaque année, il publie un rapport sur l'application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales adressées en application du deuxième alinéa. Ce rapport est transmis au Parlement. Il peut donner lieu à un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Dès lors, avec cette impossibilité de donner des instructions dans des affaires individuelles, il semble que dans son pouvoir d'opportunité des poursuites et donc dans sa décision de poursuivre un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, le procureur français dispose d'une totale indépendance face au pouvoir exécutif, et ce,

163 Art 79 C proc pén.

164 Serge Guichard et Jacques Buisson, Procédure pénale, 10e ed, Paris, Lexis Nexis, 2014 à la p 858

[Guichard et Buisson].

165 Loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du

ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique, JO 26 juillet 2013,

contrairement à son homologue canadien puisque le procureur général est ministre de la justice166. Cette affirmation doit toutefois être relativisée par le principe hiérarchique qui

place le procureur de la République sous l'autorité du procureur général, lequel reçoit des instructions générales du ministre de la Justice.

Existe-t-il en France des critères guidant le ministère public dans sa décision d'engager des poursuites pour ces « cores crimes » ? Où trouver de telles indications ? Contrairement au Canada, et malgré l'existence d'un rapport sur l'application de la politique pénale exigé depuis la loi de 2013, ce dernier n'est pas public167. Lors de l'examen du projet

de loi, le Sénat a supprimé le principe, pourtant adopté par l'Assemblée nationale, de la publicité de ce rapport. La Commission des lois avait adopté l'amendement CL1 qui préconisait une telle publicité, celle-ci pouvant être encadrée « dès lors qu'elle portera atteinte à la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique ou au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou des investigations préliminaires à de telles procédures ». Toutefois, l'article 30 du Code de procédure pénale n'a pas été modifié en ce sens.

En France, c’est donc moins l’établissement de critères guidant à proprement parler l’opportunité des poursuites que la mise en œuvre de la compétence universelle pour les crimes relevant du Statut de Rome168 qui empêche au procureur d’avoir un large choix à sa

disposition. Toutefois, comme nous le verrons dans la section suivante, cela est tout de même limité par le fait que les victimes ne peuvent déposer de plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction, chose qui en temps normal permet de contrôler l'opportunité des poursuites du ministère public.

Le choix de confier un pouvoir discrétionnaire au procureur dans l'engagement des poursuites a également été pris par des pays européens tels que l'Angleterre, le Pays de Galles, la Belgique, les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark et l'Allemagne – avec appel

166 Voir infra à la p 49.

167 Assemblée nationale, Rapport n°1230 de M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC fait au nom au nom de la

commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (n° 1227), modifié par le Sénat, relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique (9 juillet 2013).

possible devant une juridiction, de la décision de refus en Angleterre Pays de Galles, et au Pays-Bas et avec un recours administratif en Allemagne, en Norvège et au Danemark169.

Notons que le pouvoir discrétionnaire du procureur devant les juridictions internationales est beaucoup plus limité que devant les juridictions nationales170. De la

même manière, à la CPI, le pouvoir du procureur est plus limité que devant les juridictions

ad hoc171. Dans tous les cas, l’important est que ce pouvoir discrétionnaire d’opportunité

des poursuites soit exercé de manière indépendante, ce qui est d'autant plus nécessaire que le Canada et la France ont fait le choix d'accorder au procureur un monopole de la poursuite des génocides, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.

169 Sénat, Rapport n°326 de M. Patrice Gélard fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la

législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale (14 mai 2008) à la p 61.

170 Nsereko, supra note 145 à la p 135. 171 Ibid à la p 138.

Chapitre 2. Le consensus en faveur de l'attribution du monopole des