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Section 1. Le Réseau génocide européen comme modèle de spécialisation régionale

A. La genèse du Réseau génocide européen

L’histoire de la construction européenne est un amoncellement d’outils de coopération dans divers domaines dont celui de la justice pénale et la sécurité intérieure310.

Afin de coordonner au mieux les relations entre les autorités des différents États membres, le Conseil de l’UE a créé le Réseau judiciaire européen (ci-après RJE) – également appelé Réseau européen des points de contact – par l’action commune 98/427/JAI311. Comme son

nom l’indique, il encourage les États de l’UE à désigner des points de contact nationaux ayant pour rôle de jouer les intermédiaires afin de faciliter la coopération judiciaire entre les États membres.

Les divers développements de ce mémoire ont pu nous montrer les bienfaits de la spécialisation des poursuites, le Conseil de l’UE l’a bien compris en organisant une spécialisation du RJE. Cette spécialisation a eu pour prémisse l’adoption du Statut de Rome par tous les États membres de l’UE qui était exigée par la position commune 2001/443/PESC concernant la coopération avec la CPI312 et dont le considérant 4 dispose :

« les crimes qui relèvent de la compétence de la Cour préoccupent tous les États membres, qui sont déterminés à coopérer pour prévenir ces crimes et mettre un terme à l’impunité de leur auteur ». Les Pays-Bas ont, quelques mois plus tard, adopté une initiative visant la création d’un réseau européen de points de contact en ce qui concerne les personnes

310 Pour un historique de la construction du droit pénal européen : voir Daniel Flore, Droit pénal européen.

Les enjeux d’une justice pénale européenne, 2e ed, Bruxelles, Larcier, 2014, part 1 ch 2 aux pp 25-42 [Flore]. 311 CE, Action commune 98/427/JAI du 29 juin 1998 adoptée par le Conseil sur la base de l'article K.3 du

traité sur l'Union européenne relative aux bonnes pratiques d'entraide judiciaire en matière pénale, [1998]

JOUE, L 191 à la p 1 [Action commune RJE].

312 CE, Position Commune 2001/443/PESC du 11 Juin 2001 concernant la Cour pénale internationale, [2001]

responsables de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre313. C’est en

application de cette initiative que dès 2002, le Réseau génocide européen a été créé par la décision 2002/494/JAI314. En effet, le considérant 10 de cette décision indique

expressément que « [p]our engager une coopération étroite, il y a lieu que les États membres prennent des dispositions pour que des points de contact centralisés et spécialisés puissent communiquer directement entre eux » [nous soulignons].

C’est sur la base de ce considérant, mais surtout de la décision 2003/335/JAI315, que

la France a mis en place le Pôle spécialisé crimes contre l’humanité, crimes de guerre. Ainsi, les points de contacts du Réseau génocide européen en France sont les magistrats du TGI de Paris316, ainsi que l’OCLCHGCG317. Bien entendu, la spécialisation de ceux-ci ne

peut être que bénéfique au Réseau génocide européen. Toutefois, tous les États membres de l’UE n’ont pas créé d’unité spécialisée. Dans ce cas, les points de contacts nationaux sont « des autorités judiciaires ou d'autres autorités compétentes ayant des responsabilités spécifiques dans le cadre de la coopération internationale, soit en général, soit pour certaines formes graves de criminalité »318.

L’affirmation de la place de l’UE et de ses États membres dans la lutte contre l’impunité des auteurs de grands crimes internationaux a été rappelée par le Conseil européen dans le Programme de Stockholm en 2010319, ainsi que par le Conseil de l’UE

dans la décision 2011/168/PESC320.

313 CE, Initiative du Royaume des Pays-Bas en ce qui concerne les personnes responsables de génocide,

crimes contre l’humanité et crimes de guerre, [2001] JOUE C 295 à la p 7.

314 Décision Réseau génocide, supra note 48 à la p 1.

315 Dont l’article 4 dispose : « Les États membres déterminent s'il y a lieu de créer ou de désigner, au sein des

services répressifs compétents, des unités spécialisées spécifiquement chargées des enquêtes et, le cas

échéant, des poursuites pénales concernant les crimes en question. » [nous soulignons] : CE, Décision

2003/335/JAI du Conseil du 8 Mai 2003 concernant les enquêtes et les poursuites pénales relatives aux génocides, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre, [2003] JOUE, L 118 à la p 12.

316 Delphine Carlens, « The French specialized war crimes unit » (2013) 10 EU Update on International

Crimes 4.

317 Activité Office central, supra note 119 à la p 12. 318 Action commune RJE, supra note 311 à l’art 2.1.

319 Le programme de Stockholm fournit une feuille de route pour le travail de l’UE dans le domaine de la

justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 2010-2014. Le Conseil européen y invite les institutions de l’UE à « à continuer de soutenir et de promouvoir l'action de l'Union et des États membres contre l'impunité et à continuer de lutter contre les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre; à cet égard, à encourager la coopération entre les États membres, les pays tiers et les juridictions internationales dans ce domaine, en particulier la Cour pénale internationale (CPI), et à développer les

Il est intéressant de relever que depuis 2011, le Secrétariat du Réseau génocide européen – et de manière plus large celui du RJE - est intégré au sein d’Eurojust. Une telle organisation se justifie pleinement au regard de la mission de cette « agence de l’Union »321

énoncée à l’article 85 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne322.

Actuellement, tous les États membres de l’UE ne font pas partie du Réseau génocide européen puisque seulement douze États ont désigné un point de contact national. Il faut y ajouter les États observateurs du Réseau que sont la Norvège, les États-Unis, le Canada et la Suisse323 qui ont un rôle similaire aux points de contacts nationaux. Le Réseau organise

également la liaison avec des représentants de la Commission européenne, d’Eurojust, de la CPI et des tribunaux internationaux ad hoc, du Comité international de la Croix-Rouge, d’Interpol, et des organisations de la société civile. Grâce à ce « rôle pivot »324, le Réseau

génocide européen est devenu un interlocuteur incontournable lors de toute poursuite nationale en matière de grands crimes internationaux.