• Aucun résultat trouvé

La spécialisation de la poursuite du génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre : étude comparée des systèmes canadien et français

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La spécialisation de la poursuite du génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre : étude comparée des systèmes canadien et français"

Copied!
133
0
0

Texte intégral

(1)

La spécialisation de la poursuite du génocide, des

crimes contre l’humanité et des crimes de guerre

Étude comparée des systèmes canadien et français

Mémoire

Maîtrise en droit

Florie Trichet

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université de Toulouse I Capitole

Toulouse, France

Master (M.)

(2)

Résumé

Le présent mémoire propose une analyse comparée des systèmes canadien et français relativement à la poursuite des crimes internationaux. Ces deux États ont adapté leur législation et mis en place, à des années d’intervalle, des unités spécialisées dans la poursuite de ces crimes. De telles poursuites portant sur des faits commis dans un État étranger plusieurs années auparavant, des questions principalement liées à leurs coûts ou aux impacts sur les relations internationales sont prises en compte par l’autorité nationale que ce soit au stade de la décision d’engager des poursuites ou ensuite lors de l’exercice de celles-ci. Ce mémoire se propose donc d’étudier les diverses mesures qui ont été prises par le Canada et par la France dans l’organisation de la spécialisation de leurs poursuites tout en composant avec les difficultés inhérentes à la nature des crimes commis. Les questions de l’existence d’un modèle commun et des évolutions à envisager permettront de nous guider dans les développements de cette étude.

(3)

Table des matières

Résumé ... ii

Table des matières ... iii

Liste des abréviations ... v

Remerciements ... vii

Introduction ... 1

Chapitre préliminaire. La mise en place d’unités spécialisées dans la poursuite des crimes internationaux ... 12

Section 1. Le Programme sur les crimes de guerre au Canada ... 12

I. Une mise en place précoce ... 12

A. L’élaboration de la compétence canadienne pour juger les criminels internationaux ... 12

B. La création du Programme sur les crimes de guerre ... 15

II. L’action du Programme sur les crimes de guerre ... 17

A. Le strict encadrement des missions du Programme ... 17

B. Le Canada : chef de chef de file mondial dans le traitement des crimes internationaux ... 20

Section 2. Le Pôle spécialisé crimes de guerre, crimes contre l’humanité en France ... 22

I. Une mise en place tardive ... 23

A. L’existence de nombreux précurseurs législatifs ... 23

B. L’organisation d’une spécialisation législative et opérationnelle ... 26

II. L’action du Pôle spécialisé crimes de guerre, crimes contre l’humanité ... 31

A. Un Pôle consacré à la poursuite des criminels internationaux ... 31

B. Un Pôle au centre de nombreux partenariats ... 33

Conclusion du chapitre préliminaire ... 36

TITRE 1. LA SPECIALISATION DANS LE DECLENCHEMENT DES POURSUITES ... 37

Chapitre 1. Le consensus en faveur du système de l’opportunité des poursuites38 Section 1. L’impossible poursuite nationale de tous les crimes internationaux ... 38

Section 2. Le nécessaire encadrement de l’opportunité des poursuites ... 40

I. Le strict encadrement canadien de l’opportunité des poursuites ... 40

II. Le souple encadrement français de l’opportunité des poursuites ... 43

Chapitre 2. Le consensus en faveur de l'attribution du monopole des poursuites48 Section 1. Un pouvoir exorbitant confié au procureur ... 48

I. Une attribution du monopole des poursuites assumée et justifiée ... 49

A. La poursuite subordonnée au consentement personnel et écrit du procureur général du Canada 49 B. La poursuite subordonnée à la requête exclusive du ministère public en France ... 51

II. Les garanties inhérentes au statut du procureur comme tempérament au monopole des poursuites 53 Section 2. L’éviction des victimes dans l’engagement des poursuites ... 56

I. Un statut spécial non conforme à la tradition juridique française ... 56

II. Un statut spécial inadapté aux réalités de la justice pénale internationale ... 60

(4)

TITRE 2. LA SPECIALISATION DANS L’EXERCICE DES POURSUITES ... 65

Chapitre 1. L’actuel consensus en faveur d’un dialogue entre les acteurs ... 66

Section 1. L’organisation d’une collaboration entre acteurs internes ... 66

I. Les enquêtes au Canada : un système de common law face aux crimes internationaux ... 67

II. Les enquêtes en France : un système civiliste face aux crimes internationaux ... 70

Section 2. L’organisation d’une collaboration avec des acteurs externes ... 73

I. La difficile collaboration avec les autorités locales ... 73

A. La conclusion d’accords bilatéraux comme cadre juridique favorisant le dialogue ... 74

B. La persistance de défis concernant les investigations sur place ... 78

II. L’essentiel relais des institutions internationales ... 81

Chapitre 2. Les perspectives d’avenir de la spécialisation des poursuites ... 85

Section 1. Le Réseau génocide européen comme modèle de spécialisation régionale ... 85

I. La France et le Réseau génocide européen ... 86

A. La genèse du Réseau génocide européen ... 86

B. L’action du Réseau génocide européen ... 88

II. Les potentialités d’un Réseau génocide américain ... 92

A. La coopération régionale comme palliatif aux inconvénients des mesures d’immigration au Canada ... 92

B. La difficile coopération panaméricaine en matière de crimes internationaux ... 95

Section 2. La spécialisation universelle des poursuites : entre nécessité et utopie ... 98

I. Les poursuites nationales face aux lacunes du principe de complémentarité ... 98

II. Les initiatives en faveur d’une convention internationale pour les « cores crimes » ... 101

Conclusion du Titre 2 ... 105

Conclusion générale ... 106

Index ... 108

(5)

Liste des abréviations

ACAT ... Action des chrétiens pour l’abolition de la torture AG ... Assemblée Générale

AJ pénal ... Actualité Juridique Pénal

ASFC ... Agence des services frontaliers du Canada ASF Canada ... Avocats sans frontières Canada

ASIL ... American Society of International Law Art ... Article

c ... Chapitre

Can Crim L Rev ... Canadian Criminal Law Review

Can YB Intl L ... Canadian Yearbook of International Law CCJI ... Centre canadien pour la justice internationale C cr ... Code criminel

CESEDA ... Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du

... droit d’asile

CFCPI ... Coalition Française pour la Cour pénale

... internationale

CIC ... Citoyenneté et immigration Canada CIJ ... Cour internationale de Justice Cons. cont. ... Conseil constitutionnel Cour ass ... Cour d’assises

C pén ... Code pénal

CPI ... Cour pénale internationale C proc pén ... Code de procédure pénale Crim LF ... Criminal Law Forum Crim LQ ... Criminal Law Quarterly D ... Recueil Dalloz

DDHC ... Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ed ... Édition

FIDH ... Fédération internationale des droits de l’Homme Global J Pol & L Research ... Global Journal

GRC ... Gendarmerie royale du Canada HWR ... Human Rights Watch

Intl Community L Rev ... International Community Law Review Intl Crim Just R ... International Criminal Justice Review Intl Crim L R ... International Criminal Law Review Intl J Proc L ... International Journal of Procedural Law IRJS ... Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne JCP G ... Semaine juridique - Édition générale

J Intl Crim Just ... Journal of International Criminal Justice J Intl L & Intl Rel ... Journal of International Law and International

... Relations

JO ... Journal Officiel de la République française JOUE ... Journal Officiel de l’Union Européenne LC ... Loi du Canada

(6)

LCHCG ... Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de

... guerre

LIPR ... Loi sur l’immigration et la protection des Réfugiés LRC ... Lois révisées du Canada

Mil L Rev ... Military Law Review

Minn J Intl L ... Minnesota Journal of International Law Naval L Rev ... Naval Law Review

OCLCHCG ... Office central de lutte contre les crimes contre

... l’humanité, les génocides et les crimes de guerre OÉA ... Organisation des États américains

OFPRA ... Office français de protection des réfugiés et

... apatrides

ONG ... Organisation non gouvernementale para ... Paragraphe

PUF ... Presses Universitaires de France

QPC ... Question prioritaire de constitutionnalité Rev fr dr constl ... Revue Française de Droit Constitutionnel RJE ... Réseau judiciaire européen

RPDP ... Revue Pénitentiaire et de Droit Pénal RQDI ... Revue Québécoise de Droit International RSC ... Revue de science criminelle

RTNU ... Recueil des traités des Nations Unies SC ... Statuts du Canada

SEI ... Service d’entraide internationale

SPPC ... Service des poursuites pénales du Canada Sri Lanka J Intl L ... Sri Lanka Journal of International Law TGI ... Tribunal de grande instance

TMI ... Tribunal militaire international TPI ... Tribunal pénal international

TPIR ... Tribunal pénal international pour le Rwanda TPIY ... Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie TSSL ... Tribunal spécial pour la Sierra Leone

UE ... Union européenne

(7)

Remerciements

Je tiens tout d’abord à exprimer toute ma reconnaissance aux directeurs de formations canadien et français qui ont conçu un magnifique partenariat entre les Université Laval et Toulouse 1 Capitole, et qui m’ont ainsi permis de faire partie de la première cohorte de ce parcours bi-diplômant. Cette expérience enrichissante m’a offert la possibilité de rédiger le présent mémoire dont le sujet m’a passionné.

Je tiens ensuite à remercier madame la professeure Fannie Lafontaine qui a accepté de diriger mon mémoire et qui a su m’offrir de l’autonomie tout en me guidant grâce à ses remarques pertinentes.

Enfin, je souhaite remercier ma co-directrice de mémoire en France, madame Amane Gogorza qui, malgré la distance, a été présente dès le début de mes recherches et a su m’offrir un soutien jusqu’à la fin de la rédaction.

(8)

Introduction

La perpétration de crimes internationaux est d’une triste actualité. Toutes les régions du monde sont touchées, que ce soit en Syrie1, au Burundi2, en Côte d’Ivoire3, ou en

Colombie4 – pour ne citer que ces quatre pays – où la question de la poursuite de crimes

contre l’humanité et crimes de guerre se pose. Or, dans la majorité des cas, les États dans lesquels de telles exactions sont commises ne sont pas aptes à poursuivre les responsables, que ce soit parce que ceux-ci font partie du gouvernement au pouvoir ou encore en raison de la destruction de leur appareil judiciaire. Dès lors, il est nécessaire que des organes tiers prennent le relais afin de lutter contre l’impunité et ainsi exprimer des valeurs de justice universelle.

C’est ainsi que, récemment, des États comme le Canada5 ou la France6 ont exercé leur

compétence juridictionnelle pour poursuivre des personnes soupçonnées d’être impliquées dans le génocide rwandais. Toutefois, avant de pouvoir poursuivre des étrangers ayant commis des crimes dans un autre État et ayant fait des victimes étrangères, ces deux pays ont dû adopter, d’une part, une législation assortie de règles de compétence particulières et, d’autre part, une spécialisation des acteurs de la poursuite afin de garantir l’efficacité de celles-ci. Ce mouvement de spécialisation est l’issue d’un long et laborieux processus entamé à la suite des exactions commises durant la Seconde Guerre mondiale.

1 Le Monde, « La France ouvre une enquête pour « crimes contre l’humanité » en Syrie », Le Monde (30

septembre 2015), en ligne : <http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/09/30/la-france-ouvre-une-enquete-pour-crimes-de-guerre-contre-la-syrie_4777628_3218.html>.

2 Le Monde, « Burundi : ouverture d’un examen préliminaire à la CPI sur les récentes violences », Le Monde

(25 avril 2016), en ligne : <http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/04/25/cpi-la-procureure-ouvre-un-examen-preliminaire-sur-les-recentes-violences-au-burundi_4908229_3212.html>.

3 Le Monde, « L’ex-première dame ivoirienne Simone Gbagbo sera jugée pour crimes contre l’humanité », Le

Monde (21 avril 2016), en ligne :

<http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/04/21/l-ex-premiere-dame-ivoirienne-simone-gbagbo-sera-jugee-pour-crimes-contre-l-humanite_4906452_3212.html>.

4 Cour pénale internationale, « Situation en Colombie – Rapport intérimaire », (novembre 2012), en ligne :

<https://www.icc-cpi.int/iccdocs/otp/OTP-COLOMBIE-Rapport-Int%C3%A9rimaire-Novembre%202012.pdf>.

5 Voir R c Mungwarere, 2013 ONCS 4594 ; Munyaneza c R, 2014 QCCA 906.

6 Affaire Simbikangwa, Cour ass Paris, 14 mars 2014, [non publié] ; Affaires Ngenzi et Barahira, Cour ass

(9)

En effet, l’exercice de ce rôle de relais se heurte à diverses difficultés découlant de l’essence même du droit pénal international7. Comme le rappelle Cherif Bassiouni8, cette

matière fait intervenir « trois courants idéologiques : 1) l’intérêt mutuel des États à la coopération internationale, 2) le protectionnisme de la souveraineté nationale, et 3) l’impulsion des valeurs humanistes et humanitaires ». Les premier et troisième courants expriment l’idée d’une nécessaire entraide entre les États pour lutter efficacement contre des actes ayant une dimension transnationale, entraide justifiée par une volonté de lutte contre l’impunité et de promotion de valeurs universelles. Au contraire, le deuxième courant exprime la méfiance et les difficultés politiques à s’immiscer dans les affaires d’un pays tiers. En outre, il explique la prédominance du « principe territorial »9 d’après lequel

l’État où les faits ont été commis est le plus à même de juger les responsables. Cela se comprend, d’abord parce que ce sont ses lois et donc son autorité et son ordre public qui ont été bafoués, mais également pour des questions pratiques et procédurales. L’exercice des poursuites est d’autant plus facilité que les victimes, les témoins et les preuves matérielles sont présents sur place. Aucune barrière linguistique ou culturelle ne peut être opposée aux enquêteurs. En outre, des poursuites limitées à son propre territoire permet des économies budgétaires substantielles pour le pays qui les exerce.

Cette primauté de la compétence territoriale a d’ailleurs fait l’objet d’une Déclaration officielle comme le rappelle le Préambule de l’Accord de Londres10 - texte fondamental qui

a pour la première fois définit les crimes internationaux par nature11 et institué le Tribunal

militaire international (ci-après TMI) de Nuremberg :

Considérant que la Déclaration publiée à Moscou le 30 octobre 1943 sur les atrocités allemandes en Europe occupée a spécifié que les officiers et soldats allemands et les membres du parti nazi qui sont responsables d'atrocités et de crimes, ou qui ont pris

7 Pour les fins du présent mémoire, la notion de « droit pénal international » sera utilisée sans volonté de

distinction avec celle de « droit international pénal », bien que dans la conception française, ces deux notions sont différenciées. Pour une explication de la distinction : Didier Rebut, Droit pénal international, 2e ed,

Paris, Dalloz, 2014 aux pp 1-2 [Rebut].

8 Cherif Bassiouni, Introduction au droit pénal international, Bruxelles, Bruylant, 2002 à la p 1.

9 Henri Donnedieu de Vabres, Les principes modernes du droit pénal international, Paris, Sirey, 1928 à la p

13.

10 Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes

de l’Axe, et le Statut du Tribunal militaire y annexé, 8 août 1945, 82 RTNU 281 (entrée en vigueur : 8 août

1945).

11 Les crimes internationaux par nature sont le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

(10)

volontairement part à leur accomplissement, seront renvoyés dans les pays où leurs forfaits abominables ont été perpétrés, afin qu'ils puissent être jugés et punis conformément aux lois de ces pays libérés et des Gouvernements libres qui y sont établis.

Dès lors, l’on comprend qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États parties à cet Accord étaient conscients des difficultés liées à la poursuite de faits commis dans un État étranger.

Nonobstant cette difficulté, le Canada, pourtant territorialement éloigné de l’Europe, a démontré sa volonté de lutter contre l’impunité des criminels de guerre en adoptant dès 1946 la Loi sur les crimes de guerre12, utilisée pour juger le personnel militaire. Robert J.

Currie13 nous apprend que 170 affaires ont fait l’objet d’enquêtes et que quatre procès ont

été organisés par les tribunaux militaires canadiens en Autriche et en Allemagne en 1945 et 1946.

Quelques années plus tard, les Conventions de Genève de 194914, fondatrices du

droit international humanitaire et axées sur les crimes de guerre, se sont éloignées du principe territorial en incitant les juridictions nationales à exercer une compétence universelle :

Les Hautes Parties contractantes s’engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article suivant.

Chaque Partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes.

12 Loi sur les crimes de guerre, SC 1946, c 73 [Lois sur les crimes de guerre].

13 Robert J. Currie, International & transnational criminal law, Toronto, Irwin Law, 2010 à la p 224 [Currie]. 14 Convention pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 12

août 1949, 75 RTNU 31 art 49; Convention pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des

naufragés dans les forces armées sur mer, 12 août 1949, 75 RTNU 85 art 50; Convention relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août 1949, 75 RTNU 135 art 129 ; Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, 75 RTNU 287 art 146 [Les Conventions de Genève].

(11)

Selon Didier Rebut, la compétence universelle est la « compétence par laquelle un État poursuit et juge une infraction qui n’a pas de lien de rattachement avec lui »15. Cela

recouvre donc l’hypothèse du jugement d’un étranger ayant commis des faits à l’étranger contre une victime étrangère.

Cependant, dans les années 1950, la reconstruction économique des pays vainqueurs a été considérée plus importante que la poursuite des criminels, ces derniers ont donc été relativement épargnés par les juridictions nationales16. Toutefois, dès la fin des années

1980, l’on a pu assister à un regain de telles poursuites. C’est notamment le cas de la France qui a poursuivi des criminels sur la base de sa compétence territoriale. Les affaires Barbie17, Touvier18 et Papon19 ont entraîné des condamnations pour crimes contre

l’humanité20.

C’est à partir des années 1990, sous l’impulsion de la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après TPIY) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (ci-après TPIR), que les États ont véritablement adapté leurs législations pour pallier les inconvénients de la primauté de la compétence territoriale en consacrant, à divers degrés, le principe de la compétence universelle. En effet, au Rwanda et en ex-Yougoslavie, ce sont des hauts représentants de l’État ou des personnes proches du pouvoir qui sont à l’origine des exactions commises. Laisser ces pays exercer leur compétence territoriale ne pourrait que conduire à des simulacres de procès et ainsi servir l’impunité des responsables. C’est sur ce fondement que deux lois ont été adoptées en France21 afin de

15 Rebut, supra note 7 à la p 97.

16 Fannie Lafontaine, « National Jurisdictions » (2016) dans William A. Schabas, International Criminal Law,

Cambridge, University Press, 2016 à la p 157 [National Jurisdictions].

17 Affaire Barbie, Cour ass Lyon, 4 juillet 1987. 18 Affaire Touvier, Cour ass Versailles, 19 avril 1994. 19 Affaire Papon, Cour ass Bordeaux, 2 avril 1998.

20 Alors même que de tels faits n’étaient pas incriminés par le Code pénal français de l’époque. En effet, au

moment des procès, il n’existait qu’une loi de portée temporelle (Loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964

tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, JO, 29 décembre 1964, 11788) qui

consacrait l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité tels que définis par la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, prenant acte de la définition des crimes contre l'humanité, telle qu'elle figure dans la charte du tribunal international du 8 août 1945. Ainsi, les juridictions françaises ont considéré que les crimes contre l’humanité étaient applicables en France, sans bafouer le principe de non-rétroactivité des lois, en raison de ses engagements internationaux.

21 Loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la

résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur

(12)

permettre à ses juridictions de poursuivre et juger les présumés auteurs d’exactions commises durant ces deux conflits si ceux-ci sont trouvés sur le territoire de la République. En effet, en vertu de l’article 689 du Code de procédure pénale français, pour qu’un crime commis à l’étranger par un étranger sur un étranger soit poursuivi en France, il faut qu’une loi française ou une convention internationale donne compétence aux juridictions nationales. Cet élargissement de la compétence des juridictions françaises avait été précédé d’une modification substantielle issue de l’adoption du nouveau Code pénal en 1994 qui a permis l’incrimination du génocide22 et des crimes contre l’humanité23 dans le droit interne

français.

Parallèlement, le Canada est allé encore plus loin dans son implication dans la poursuite des criminels internationaux, et ce, suite au rapport rendu par la Commission Deschênes en 198624. Le juge Jules Deschênes a été désigné pour enquêter sur la présence

d’éventuels criminels de guerre sur le territoire du Canada et sur la question de l’exercice de poursuites contre ceux-ci. Comme nous le verrons dans le développement de ce mémoire, il a été à l’origine de la création d’unités spécialisées dans la poursuite des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, lesquelles sont intégrées dans quatre organes canadiens : le ministère de la Justice, la Gendarmerie royale du Canada (ci-après GRC), l’Agence des services frontaliers du Canada (ci-après ASFC) et Citoyenneté et Immigration Canada (ci-après CIC). Dès lors, c’est autant en la modification de son droit substantiel qu’en la spécialisation des acteurs de la poursuite que le Canada a vu le moyen le plus efficace pour lutter contre les criminels internationaux. Et c’est le mouvement qui sera suivi par la suite en France à la suite de l’adoption du Statut de Rome25.

le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991, JO, 3 janvier 1995, 71 [Loi TPIY] ; Loi n° 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et, s'agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d'Etats voisins, JO, 23

mai 1996, 7695 [Loi TPIR].

22 Art 211-1 C pén. 23 Art 212-1 C pén.

24 Rapport Deschênes, Commission d’enquête sur les criminels de guerre, Ottawa, Approvisionnements et

services Canada, 1986 [Rapport Deschênes].

25 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187 RTNU 3 art 17, 37 ILM 1002

(13)

En effet, c’est véritablement le Statut de Rome qui a institutionnalisé le rôle de relais des États en consacrant le principe de complémentarité dès son Préambule et en prévoyant sa mise en œuvre à l’article 17. Dorénavant, il est donc « du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux »26. Ce n’est

qu’en cas de manque de volonté ou d’incapacité de leur part que la Cour pénale internationale (ci-après CPI) exercera les poursuites. En outre, la CPI a une compétence temporelle particulière puisqu’elle ne peut poursuivre et juger que pour des faits commis après l’entrée en vigueur de son Statut. La lutte contre l’impunité est donc nécessairement assurée par des États tiers pour les faits commis avant 2002. D’ailleurs, même pour les faits commis après cette date, l’ouverture d’une enquête par le bureau du Procureur de la CPI est soumise à différents verrous27, principalement justifiés par des raisons politiques. Comment

ne pas être étonné qu’un des modes de saisine de la CPI soit confié au Conseil de sécurité des Nations Unies28, alors même que trois de ses cinq membres permanents n’ont pas ratifié le Statut de Rome29 ? De la sorte, c’est assurément l’exercice de leur compétence

universelle par les juridictions nationales qui permet de faire face aux blocages de la

realpolitik30.

Selon la professeure Mireille Delmas-Marty31, il existe une double forme de

complémentarité : passive et active. La complémentarité passive serait en réalité une subsidiarité qui ferait intervenir la CPI en l’absence de volonté ou de capacité de l’État à poursuivre. Alors que la complémentarité active ferait appel à l’idée d’une véritable participation des États à la justice pénale internationale. Cette seconde forme pouvant être exercée par le pays où les faits ont été commis, avec le problème évoqué précédemment de la reconstitution de leur système judiciaire, ou bien par un pays tiers en vertu de la compétence universelle.

26 Ibid, para 6 du Préambule. 27 Ibid, art 53.

28 Ibid, art 15 b).

29 Les cinq membres permanents sont la Chine, les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, la France,

le Royaume-Uni. Or, les trois premiers pays cités n’ont pas ratifié le Statut de Rome (les États-Unis d’Amérique et la Fédération l’ont tout de même signée).

30 Currie, supra note 13 à la p 163.

31 Mireille Delmas-Marty, « La Cour pénale internationale 2002-2012 : regards sur ces dix premières

années », Colloque organisé par la Coalition Française pour la Cour pénale internationale, présenté à l’École Normale Supérieure, le 13 décembre 2012 [non publié], en ligne : <http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=1078>.

(14)

Il ressort de cette observation et de la lecture du Statut de Rome que ce dernier a voulu instituer une véritable complémentarité active32. Dès lors, les États parties se doivent

d’adopter une législation conforme aux exigences édictées par cette convention. Or, afin de procéder à une telle complémentarité active, il ne faut pas seulement que les législateurs reconnaissent les crimes internationaux par nature comme faisant partie de leur droit interne ; il faut en plus que des poursuites effectives soient exercées. Cette effectivité des poursuites semble permise grâce au mouvement de spécialisation des poursuites actuellement en cours dans différents pays du monde.

Comme nous l’avons noté précédemment, le Canada a procédé à une spécialisation organique avant même l’adoption du Statut de Rome. De ce fait, ce pays assure « le rôle de chef de file mondial dans le traitement des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre »33. C’est après sa ratification du Statut de Rome qu’il a adopté la Loi sur les crimes

contre l’humanité et les crimes de guerre34 (ci-après LCHCG) qui ne fait pas partie du

Code criminel. C’est sur cette base que des poursuites ont été intentées et que des

jugements ont été rendus dans les affaires Munyaneza et Mungwarere en 2013 et 2014. Ce mouvement est également engagé en France, sous l’impulsion de l’Union européenne (ci-après UE), et ce, depuis une loi de 201035 qui a intégré les crimes de guerre

au Code pénal et organisé la compétence des tribunaux français pour les crimes relevant de la compétence de la CPI36. Contrairement au Canada, la France n’a pas fait le choix d’une

législation spécialement dédiée à ces crimes internationaux, à certains égards, ces trois crimes ne sont d’ailleurs pas soumis au même régime. Ce n’est qu’en 201237 que le pôle

spécialisé français est entré en fonction. Le travail de cette unité a permis, deux ans plus

32 Le bureau du procureur de la CPI utilise la notion de « complémentarité positive » : Cour pénale

internationale, Assemblée des États Parties, Rapport du bureau sur le bilan de la situation. Bilan de la

situation sur le principe de complémentarité : éliminer les causes d’impunité, 8e sess, Doc ICC-ASP/8/51

(2010) à la p 4.

33 Agence des services frontaliers du Canada, Citoyenneté et Immigration Canada, Ministère de la Justice

Canada, Gendarmerie royale du Canada, 12ème rapport Programme canadien sur les crimes contre l’humanité

et les crimes de guerre 2008-2011, Ottawa, 2008 à la p V [Rapport 2008-2011].

34 Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24 [LCHCG].

35 Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale

internationale, JO, 10 août 2010, 14678 [Loi du 9 août 2010].

36 Voir art 689-11 C proc pén.

37 Loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de

(15)

tard, la tenue du procès de Pascal Simbikangwa38, première affaire jugée sur les fondements

de ces nouveautés juridiques. Deux autres affaires relatives au génocide rwandais ont donné lieu à des condamnations à des peines de réclusion criminelle à perpétuité contre deux anciens bourgmestres rwandais39.

Cette mise en perspective historique permet de comprendre dans quel mouvement s’inscrit la spécialisation des poursuites actuellement en cours en France et au Canada relativement aux grands crimes internationaux. L’impossible exercice de sa compétence territoriale par l’État où les faits ont été commis en raison de la destruction de son appareil judiciaire ou de la corruption de son gouvernement, les difficultés des enquêtes dans un État tiers liées à la barrière de la langue, au contexte politique, à la distance et aux coûts financiers sont autant de motifs nécessitant une efficacité supplémentaire dans la mise en œuvre des poursuites. Ainsi, « une formation permettant d’acquérir des connaissances particulières »40 permet aux unités participant à la poursuite de gagner en temps et en efficacité. En outre, cette spécialisation ne passe pas que par l’acquisition de connaissances, historiques ou contextuelles, mais également par l’acquisition de pratiques spécifiques et leur diffusion. En effet, comme nous le verrons dans la suite de cette étude, les unités spécialisées ne sont pas isolées. Au contraire, des rencontres sont organisées au Canada comme en France afin de partager les expériences acquises.

Le choix d’une approche comparée entre le Canada et la France pour traiter de cette spécialisation se justifie à plusieurs titres. Premièrement, en raison de leurs similitudes. Comme nous l’avons évoqué, ces deux pays sont impliqués de longue date dans la poursuite des criminels internationaux ; de la sorte, ils sont parties à de nombreuses conventions internationales communes et ont ainsi des obligations internationales similaires en ce qui concerne les crimes internationaux. D’autre part, ils ont respecté41 ces

engagements internationaux en adaptant leur législation et même en allant plus loin par la création d’unités spécialisées. Le Canada étant le premier pays à s’être engagé dans une telle spécialisation, il est intéressant de se demander si son modèle est suivi par la France.

38 Affaire Simbikangwa, Cour ass Paris, 14 mars 2014, [non publié]. 39 Affaires Ngenzi et Barahira, Cour ass Paris, 6 juillet 2016, [non publié]. 40 Le petit Robert, 2016, sub verbo « spécialisation ».

41 La question du réel respect des termes du Statut de Rome lors de son intégration dans le droit interne des

(16)

Enfin, des procès ont été tenus sur le fondement de ces modifications juridiques, un certain recul peut donc être pris afin de cibler les avantages et les inconvénients des spécialisations opérées.

L’intérêt est tout aussi grand au regard des différences opposant ces deux États. Situés à des milliers de kilomètres de distance, et malgré des origines historiques communes, le droit pénal42 canadien et le droit pénal français n’ont pas les mêmes fondements. Alors que le premier pays fait partie d’un système de common law privilégiant la procédure pénale accusatoire, le second est de tradition romano-germanique préférant une procédure pénale inquisitoire. De la sorte, les poursuites ne sont pas menées selon les mêmes règles et chaque acteur de la procédure a un rôle et une importance différente. Or, bien que le droit pénal international a été façonné sur le modèle accusatoire43, on assiste

depuis quelques années à une incursion du modèle inquisitoire, notamment en ce qui concerne la procédure devant la CPI44.

En outre, ce phénomène de spécialisation est relativement récent. En effet, il a moins de vingt ans au Canada et moins de six ans en France. De plus, il était nécessaire d’attendre la tenue de procès afin d’avoir de la matière à analyser tout en bénéficiant des critiques des acteurs mêmes de la procédure. Le premier procès ayant eu lieu en 2009 au Canada45, cela

ne fait que quelques années que la doctrine pouvait se pencher véritablement sur la question. Or, il s’avère que peu d’études ont été réalisées sur ce sujet46. D’autre part, ce

mouvement de spécialisation étant toujours en cours, notamment en France à travers son implication dans le Réseau génocide européen, une telle étude comparée est pleinement d’actualité.

42 Pour les fins du présent mémoire, le terme « droit pénal » utilisé en France sera employé sans volonté de

distinction avec le terme de « droit criminel » qui a cours au Canada.

43 Anne-Marie La Rosa, Juridictions pénales internationales : La procédure et la preuve, Genève, Graduate

Institute Publications, 2003 aux pp 30-33

44 Ibid.

45 R c Munyaneza, 2009 QCCS 2201.

46 La majorité des documents ayant trait aux unités spécialisées a été rédigée par des ONG. Il existe en outre

diverses analyses faites par des praticiens ou auteurs français - sur lesquelles nous nous appuierons -mais très peu au Canada.

(17)

Ce mémoire s’attachera donc à répondre à la question de recherche suivante : la comparaison de la spécialisation des poursuites opérée en France et au Canada, à travers le Pôle spécialisé crimes contre l’humanité et le Programme sur les crimes de guerre, permet-elle de faire ressortir l’existence d’un modèle commun de lutte contre les crimes internationaux ?

Afin de répondre à cette question générale, il conviendra d’étudier les modalités de la spécialisation choisies dans chacun des deux États. Par ailleurs, cette comparaison permettra de faire ressortir les points communs ou dissemblances de chaque unité spécialisée, ce qui aidera à déterminer les évolutions envisageables par chaque État afin d’améliorer son système actuel.

Comme nous l’avons indiqué précédemment, les unités spécialisées au sein du Programme sur les crimes de guerre canadien sont réparties dans quatre organismes distincts. De la sorte, la spécialisation opérée concerne de nombreux acteurs. Or, la poursuite des présumés criminels de guerre ne constitue qu’une infime part du travail de ce Programme qui passe surtout par l’utilisation de mesures d’immigration qui supposent le retour de criminels dans un État tiers47. Au contraire, le Pôle français est une petite

structure entièrement consacrée à de telles poursuites et qui fait partie de l’ensemble structuré qu’est le Réseau génocide européen48, permettant ainsi une étroite collaboration

avec des États tiers.

L’hypothèse de travail de ce mémoire est que bien qu'issus de traditions juridiques différentes, la France et le Canada ont organisé la spécialisation de leurs enquêtes et de leurs poursuites en se basant sur des principes communs. Dès lors, un système spécialisé propre aux infractions internationales est en train d’émerger ; système qui pourrait servir de base pour une spécialisation plus large, à dimension régionale voire internationale.

47 Rapport 2008-2011, supra note 33 à la p 4 ; Fannie Lafontaine, « Le droit chemin tracé par la Cour d’appel

du Québec dans Munyaneza » (2014) 27:1 RDQI 161 aux pp 178-179.

48 CE, Décision 2002/494/JAI du Conseil du 13 Juin 2002 portant création d’un réseau européen de points de

contact en ce qui concerne les personnes responsables de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, [2002] JOUE, L 167 [Décision Réseau génocide].

(18)

Ce projet étant consacré à la spécialisation des poursuites, il conviendra, dans un chapitre préliminaire, de se concentrer sur la mise en place des unités spécialisées canadienne et française. L’étude de leur fonctionnement à travers l’histoire de leur création, l’analyse de leur composition et de leurs missions générales permettra d’en avoir une vision globale, permettant la compréhension du reste de l’étude.

En effet, ce mémoire adoptera une division en deux parties. Dans une première partie nous nous intéresserons aux modalités d’ouverture des poursuites en matière de grands crimes internationaux, lesquelles diffèrent quelque peu, dans ces deux États, de ce qui existe en matière d’infractions de droit commun.

La seconde partie sera consacrée à l’étude de la spécialisation dans l’exercice des poursuites. Notons que cette division binaire ne se veut pas chronologique car nous traiterons ici d’actes - tels que les enquêtes - qui peuvent débuter avant même la décision de déclencher les poursuites car ce sont justement les preuves recueillies au cours de ces enquêtes qui aideront le poursuivant à décider des suites à donner à l’affaire.

(19)

Chapitre préliminaire. La mise en place d’unités spécialisées dans la

poursuite des crimes internationaux

Avant d’étudier le fonctionnement et les interactions existant entre les membres des unités spécialisées canadienne et française, il convient de se concentrer sur les raisons qui, au Canada (Section 1) et en France (Section 2), ont entrainé la création de telles unités.

Section 1. Le Programme sur les crimes de guerre au Canada

Le Programme sur les crimes de guerre canadien se réclame de permettre au Canada de jouer le rôle de chef de file mondial en matière de lutte contre l’impunité des grands crimes internationaux, cela se justifie d’une part du fait que cette unité spécialisée fait partie des plus anciennes du monde (I) mais également en raison des prérogatives qui lui sont attribuées (II).

I. Une mise en place précoce

L’objectif premier du Programme sur les crimes de guerre est « d’empêcher que le Canada devienne un refuge pour les criminels de guerre et les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, ou d’en avoir été complices »49. Ce but se comprend au regard des événements (A) ayant donné lieu à sa

création (B).

A. L’élaboration de la compétence canadienne pour juger les criminels internationaux

L’avènement de la guerre froide dès les début de l’année 1948 a fait oublié la volonté de répression des criminels de guerre nazis de moindre envergure par les juridictions nationales. Dès lors, le Canada a préféré se concentrer sur la lutte contre les agents

49 Rapport 2008-2011, supra note 33 à la p 3. Notons que le rapport du Bureau de la gestion de la

planification stratégique et du rendement ajoute au refus de constituer un refuge un autre but, celui « de contribuer à la lutte nationale et internationale contre l’impunité » : Canada, Ministère de la Justice,

Programme sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Évaluation sommative. Rapport final,

(20)

soviétiques et communistes en libéralisant, au fur et à mesure des années, sa politique en matière d’immigration. Ainsi, Grant Purves50 nous indique qu’en 1962 la seule exclusion

qui perdurait était celle « visant les personnes ayant pris part à des exécutions ou ayant participé à des activités concernant les travaux forcés et les camps de concentration ». L’imprécision de cette exclusion a fondé la rumeur selon laquelle Joseph Mengele aurait réussi à immigrer au Canada en 1962, et ce, en toute connaissance de cause des autorités canadiennes. Afin de conclure à la véracité ou non de ces accusations, le 7 février 1985, le juge Jules Deschênes a été nommé afin de diriger une Commission d’enquête indépendante dont le mandat était

de procéder à toutes enquêtes qu’il estime nécessaires sur les présumés criminels de guerre au Canada, et notamment de rechercher si des présumés criminels de guerre résident actuellement au Canada et, le cas échéant, de déterminer quand et comment ceux-ci y sont entrés, afin d’être en mesure de présenter au gouverneur en conseil des suggestions et recommandations sur les dispositions à prendre au Canada pout traduire en justice les criminels de guerre pouvant y résider, et de préciser les mécanismes juridiques existants qui pourraient être utilisés à cette fin ou, à défaut, ceux qu’il y aurait lieu pour le Parlement canadien d’instituer par voie législative.

Le rapport de la Commission Deschênes51 a été présenté au gouvernement à la fin de

l’année 1986. Il contenait plusieurs recommandations52 dont la modification du droit

substantiel canadien dans le but de pouvoir juger les criminels de guerre. Tout d’abord, ce rapport préconisait la modification du Code criminel53 afin que celui-ci permette la poursuite de ces présumés criminels car à l’époque, ces criminels ne pouvaient être poursuivis qu’en vertu du droit militaire54. Plus particulièrement, le rapport encourageait

l’assimilation des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité à des infractions commises au Canada même s’ils ont été commis à l’étranger et avant l’adoption de la modification.

Le rapport préconisait également de confier au Procureur général du Canada le monopole pour intenter des poursuites. En outre, il recommandait la modification de la Loi

sur l’extradition et des traités d’extradition pour faciliter l’extradition des personnes

50 Canada, Bibliothèque du Parlement, Les criminels de guerre : la Commission Deschênes, par Purves Grant,

dans Bulletin d’actualité no 87-3F, Ottawa, 1998, à la p 3 [Purves].

51 Rapport Deschênes, supra note 24. 52 Purves, supra note 50 à la p 6.

53 Code criminel, LR C 1985, c C-46 [Code criminel]. 54 Loi sur les crimes de guerre, supra note 12.

(21)

recherchées par un État étranger. Enfin, il conseillait la modification des règles relatives à la révocation de citoyenneté et à l’expulsion. Comme nous le verrons ci-dessous, ces recommandations visent les domaines d’action du futur Programme sur les crimes de guerre.

Certaines recommandations ont été prises en compte par le législateur et des évolutions législatives ont eu lieu. C’est le cas dès 1987, six mois après le dépôt du rapport Deschênes, du projet C-71 de Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’immigration de

1976 et la Loi sur la citoyenneté. L’adoption de ce projet de loi a permis aux juridictions

canadiennes d’être compétentes pour juger les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis à l’extérieur du Canada, en les considérant comme réputés commis au Canada55. De la même manière, le législateur canadien a adopté la proposition de la

Commission qui subordonnait les poursuites au consentement du Procureur général, ou du sous Procureur général, celles-ci devant être menée par lui-même ou en son nom. En outre, la Loi sur l’immigration et la Loi sur la citoyenneté ont toutes deux été retouchées suite aux travaux de la Commission.

En plus de ces modifications substantielles, et afin de permettre l’effectivité des mesures envisagées, Grant Purves nous indique que des négociations ont été organisées entre le Canada et l’Israël, l’URSS, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la Yougoslavie et l’Allemagne de l’Ouest afin de lui permettre de recueillir des preuves contre des personnes soupçonnées de crimes de guerre au Canada56. Comme nous

le verrons par la suite, cela prouve que la coopération interétatique est un élément déterminant dans la lutte contre l’impunité des responsables de grands crimes internationaux.

55 Code criminel, supra note 53 à l’art 7(3.71). 56 Purves, supra note 50 à la p 20.

(22)

B. La création du Programme sur les crimes de guerre

Outre les modifications législatives faisant suite au rapport Deschênes, des unités spécialisées dans les crimes de guerre ont été créées au sein du ministère de la Justice et de la GRC et ont ainsi pu commencer à travailler ensemble57 dès 1987.

Leur mandat était d’enquêter et recommander, lorsque les preuves étaient suffisantes, soit la poursuite, la révocation de citoyenneté ou l’expulsion, la priorité étant donnée aux crimes commis durant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont ces mêmes départements qui ont négocié des protocoles d’accords avec des États tiers pour la coopération en matière de recherche de preuve, de recueillement des témoignages et d’autres techniques d’investigations. À ce titre, ce sont les précurseurs des mécanismes d’assistance mutuelle58.

Malgré ce travail d’équipe, seulement quatre affaires traitées par ces deux unités ont fait l’objet de poursuites dont une seule qui a abouti à un procès : la célèbre affaire Finta59

du nom de ce capitaine de la Gendarmerie hongroise qui surveillait, sous l’autorité du régime nazi, un centre de détention en Hongrie et qui avait obtenu la nationalité canadienne en 1956. Le Canada avait fondé sa compétence sur le nouvel article 7(3.71). Cependant, une confusion sur les éléments constitutifs du crime contre l’humanité a entrainé son acquittement60.

Ces différents échecs ont eu pour conséquence la réduction des effectifs des unités spécialisées, passant de vingt-quatre à onze membres. En outre, le gouvernement canadien a préféré se concentrer sur les mesures d’immigration. En 1996, une nouvelle unité spécialisée a été créée au sein du département CIC61.

57 Robert J. Currie et Joseph Rikhof, International & transnational criminal law, 2e ed, Toronto, Irwin Law,

2013 à la p 240 [Currie et Rikhof].

58 Ibid.

59 Purves, supra note 50 à la p 9. En 1989, Michel Pawlowski était accusé de crimes de guerre et de crimes

contre l’humanité, mais les poursuites ont été abandonnées suite à l’échec de la commission rogatoire en URSS. L’absence de preuves suffisantes a justifié l’arrêt des poursuites contre Stephen Reistetter en 1990. Les poursuites contre Radislav Grujicic ont quant à elles été abandonnées en raison de l’état de santé de l’accusé.

60 R c Finta, [1994] 1 RCS 701.

(23)

Alors que la volonté de poursuivre des criminels internationaux commençait à s’étioler, l’élaboration du Statut de Rome62 a donné un élan supplémentaire à la lutte contre

l’impunité au Canada en consacrant le principe de complémentarité. Toutefois, il n’a pas institué de nouvelles obligations en matière d’enquête et de poursuite des « core crimes »63.

Cette impulsion a conduit à la refonte du Programme sur les crimes de guerre ainsi qu’à une spécialisation législative.

En effet, le Programme coordonné sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre a véritablement été créé en 199864 grâce à l’octroi de ressources supplémentaires

pour faciliter et coordonner les activités entre le ministère de la Justice, la GRC et CIC. En 2014, ce Programme regroupait une centaine d’agents totalement ou partiellement spécialisés, c’est-à-dire s’occupant ou non d’autres crimes65.

La LCHCG est allée plus loin dans la spécialisation en sortant le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre du Code criminel pour que les poursuites et procès soient entièrement réglementés dans une loi spéciale et autonome. Cette loi permet la mise en œuvre du Statut de Rome au Canada. En plus de définir ces trois crimes internationaux66, la LCHCG permet aux juridictions canadiennes d’exercer une compétence

universelle en autorisant les poursuites si l’une de ces infractions est commise à l’étranger par « quiconque » se trouvant au Canada67.

Outre ces considérations substantielles, ce sont les prérogatives octroyées aux membres du Programme sur les crimes de guerre qui permettent véritablement une spécialisation des poursuites.

62 Signé par le Canada le 18 décembre 1998 et ratifié le 7 juillet 2000. Le Canada a été le 14e État du

Commonwealth a ratifié le Statut de Rome.

63 Évaluation sommative, supra note 49 à la p 10. La notion de « core crimes » fait référence au génocide, aux

crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre.

64 Ibid à la p 1.

65 L’on pouvait compter 9 agents de police, 30 agents au sein des services judiciaires et 50 agent dans d’autres

services (ministère des affaires étrangères, agents d’entraide judiciaire, agents de l’immigration) : Réseau concernant les enquêtes et les poursuites pénales relatives aux génocides, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre, Stratégie du Réseau génocide de l’UE pour lutter contre l’impunité du crime de génocide,

des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre au sein de l’Union européenne et de ses États membres,

QP-05-14-102-FR-C, La Haye, novembre 2014, à la p 29 [Stratégie Réseau génocide européen].

66 LCHCG, supra note 34 à l’art 4(3). 67 Ibid, art 8(b).

(24)

II. L’action du Programme sur les crimes de guerre

Les différentes informations à la disposition du public concernant ce Programme sont principalement fournies par le gouvernement lui-même, et ce par l’intermédiaire de la publication de rapports annuels sur son activité68. Ces comptes rendus permettent de faire

ressortir la mission et les objectifs du Programme (A) dont la mise en œuvre offre au Canada un statut particulier sur le plan international (B).

A. Le strict encadrement des missions du Programme

Actuellement, le Programme sur les crimes de guerre comporte des unités spécialisées réparties entre quatre administrations : le ministère de la Justice, la GRC, CIC et l’ASFC depuis 2003. Ces quatre partenaires sont sous la direction du Comité directeur sur les crimes de guerre. Ce dernier se réunit ponctuellement pour évaluer le Programme et vérifier que les objectifs sont toujours respectés. En outre, le Comité de coordination et des activités du Programme assure la coordination ministérielle en élaborant une politique opérationnelle, en traitant de toutes les allégations de crimes de guerre et en vérifiant le respect des obligations internationales.

La mission du Programme69 est la suivante :

[c]oncrétiser la politique canadienne consistant à empêcher les présumés criminels de guerre de trouver refuge au Canada et de contribuer à la lutte nationale et internationale contre l’impunité. Le Programme vise également à donner suite à l’engagement du gouvernement à l’égard de la justice internationale, du respect des droits de la personne et de la sécurité renforcée à la frontière.

Cette mission faire ressortir trois éléments : le refus de constituer un refuge, la lutte contre l’impunité et le respect des engagements internationaux. Dès lors, l’on voit bien qu’en matière de poursuites de criminels internationaux, justice nationale et obligations internationales sont étroitement liées.

68 Des rapports annuels ont effectivement été rendus publics de 1998 à 2008. Cependant, le dernier rapport

porte sur l’activité du 1er avril 2008 au 31 mars 2011. Depuis cette date, aucun rapport n’a été publié par le

gouvernement canadien : Rapport 2008-2011, supra note 33.

(25)

Afin de mener à bien cette mission, neuf recours70 ont été accordés au Programme : 1. Examen et déni de visa aux personnes hors du Canada

2. Déni d’accès (exclusion) au système de détermination du statut de réfugié du Canada

3. Exclusion de la protection prévue par la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés

4. Poursuite au Canada en vertu de la LCHCG

5. Extradition vers un État étranger (suite à une demande) 6. Remise à un tribunal international

7. Révocation de la citoyenneté et expulsion

8. Enquête et renvoi du Canada en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés71 (ci-après LIPR)

9. Refus de statut aux agents de gouvernements considérés comme s’étant livrés à des violations graves des droits de la personne en application de l’art 35(1)b) de la LIPR

Sur les neufs recours de cette liste, seulement trois assurent la poursuite des présumés criminels internationaux : la poursuite au Canada, la remise à un tribunal international et l’extradition vers un État étranger. Comme nous le verrons par la suite, les mesures d’immigration sont privilégiées par les autorités canadiennes, le problème étant qu’elles ne permettent pas de s’assurer que des poursuites seront exercées contre un individu renvoyé hors du Canada, ce qui relativise le rôle de cet État dans la lutte contre l’impunité.

Avant même qu’une décision d’engager les poursuites soit prise, l’allégation en question devra figurer dans le répertoire de la GRC et du ministère de la Justice. C’est à cette condition qu’une enquête pourra être menée, laquelle aboutira éventuellement à des poursuites pénales. Or, pour qu’une allégation demeure dans ce répertoire, elle doit remplir les critères suivants72 :

1. [L]’allégation doit révéler l’implication de l’individu en cause ou de ses responsabilités de commandement ;

2. [L]a preuve de l’allégation doit être corroborée ;

3. [L]a preuve nécessaire doit être accessible de manière non compliquée et rapide.

Toutefois, un dossier peut être ajouté au répertoire même si les trois critères ne sont pas remplis, notamment dans les cas suivants :

70 Ibid à la p 3.

71 Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. 72 Évaluation sommative, supra note 49 à la p 19.

(26)

4. [L]’allégation concerne un citoyen canadien vivant au Canada ou un individu présent au Canada qui ne peut être expulsé pour des motifs pratiques ou juridiques ;

5. [L]’existence de motifs stratégiques, notamment l’intérêt national ou public, ou de motifs primordiaux liés aux intérêts du Programme, à l’impunité internationale ou à la recherche de justice.

Le troisième critère peut paraître étonnant au regard du type de contentieux. En effet, inutile de rappeler que les infractions en question se sont produites dans des États éloignés du Canada, souvent, de nombreuses années auparavant. Dès lors, c’est de l’essence même des grands crimes internationaux que de faire face à des difficultés dans l’obtention de la preuve. De la même manière, les deux critères subsidiaires peuvent surprendre. Le quatrième fait ressortir la priorité donnée aux mesures d’immigration puisque c’est l’impossibilité d’expulser qui justifie l’inscription au répertoire. En outre, l’intérêt public et la lutte contre l’impunité sont relégués au dernier rang. Or, il est tout de même heureux de constater que la lutte contre l’impunité permet l’inscription d’affaires dans ce répertoire même si les preuves sont difficiles à obtenir.

Une fois cette allégation inscrite au répertoire, la GRC peut entamer des investigations, et ce, en collaboration avec le ministère de la Justice73. En effet, des

membres de la GRC vont se déplacer dans l’État où les faits ont été commis pour vérifier le bienfondé des allégations, notamment par l’audition de témoins. Les éléments recueillis vont être analysés par des membres du ministère de la Justice, lesquels vont recommander ou non des poursuites pénales. Si des poursuites ne sont pas recommandées, les recours en matière de révocation de citoyenneté ou de renvoi en vertu de la LIPR vont pouvoir être engagés. Dans le cas contraire, le dossier est transmis au procureur général du Canada – qui bénéficie de l’opportunité et du monopole des poursuites74. S’il choisit de poursuivre, c’est

le Service des poursuites pénales du Canada (ci-après SPPC) qui sera chargé de la poursuite. La Section des crimes de guerre du ministère de la Justice soutiendra le SPPC jusqu’au début du procès, tout comme les membres de la GRC qui peuvent même comparaître au procès.

73 Voir Évaluation sommative, supra note 49 « Recours 4 : Poursuite » à la p 103. 74 Voir infra Partie 1.

(27)

L’organisation stricte de la mission du Programme sur les crimes de guerre a permis au Canada de bénéficier d’une place à part entière sur la scène internationale en ce qui concerne la lutte contre l’impunité des grands crimes internationaux.

B. Le Canada : chef de chef de file mondial dans le traitement des crimes internationaux

L’évaluation effectuée en 2008 par la Division de l’évaluation du ministère de la Justice a mis en exergue le fait que75

[l]e Programme continue d’assurer le rôle de chef de file mondial du Canada dans le traitement des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, essentiellement par son engagement à l’égard de la coopération internationale, son cadre législatif robuste, et l’existence d’un programme interministériel intégré. Le Programme est aussi parvenu à remplir les obligations juridiques internationales du Canada relatives aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre.

L’un des facteurs clés du succès de ce Programme est donc la constitution de nombreux partenariats76 qu’ils soient à l’intérieur même du Canada ou à l’international77.

Comme nous le verrons par la suite, ce Programme est d’autant plus novateur que la collaboration entre quatre ministères est prévue ce qui favorise l’effectivité des différents recours grâce au dialogue entre ces unités. D’ailleurs, un fond documentaire commun – le Système sur les crimes de guerre contemporains – compile diverses informations telles que de la jurisprudence, de la législation ou des avis juridiques mais celui-ci semble bénéficier uniquement aux agents de l’AFSC et de CIC78.

Cette collaboration interne peut entraîner certaines difficultés. En effet, il s’avère que différents recours peuvent être exercés en parallèle ce qui multiplie les coûts de fonctionnement du Programme. Ainsi, les recours en matière d’immigration peuvent ou non déboucher sur des poursuites criminelles à l’issue des enquêtes, et ce en fonction des critères précédemment énoncés. S’assurer que les mesures nécessaires ont été prises sur le plan de l’immigration permet d’expulser un individu du Canada même si des poursuites ne

75 Évaluation sommative, supra note 49 à la p v. 76 Ibid aux pp 23-25.

77 L’importance de la coopération internationale sera étudiée dans la seconde partie de cette étude. 78 Évaluation sommative, supra note 49 à la p 21.

(28)

sont pas engagées. Se pose ensuite l’épineux problème du sort de l’individu expulsé du Canada, renvoyé dans un État tiers qui n’exercera peut être pas lui-même des poursuites pour ces mêmes considérations économiques. Dès lors, le Canada n’est certes par un havre de paix pour les criminels internationaux mais il ne permet pas l’effectivité de leur répression79.

En outre, l’évaluation sommative évoque les difficultés relationnelles entre ce Programme et le ministère des Affaires étrangères ce qui peut entacher son fonctionnement80. En matière de justice pénale internationale, les interactions entre la

justice et l’exécutif sont toutefois inévitables. En effet, ce sont en partie des négociations politiques et diplomatiques qui permettent les déplacements dans des pays « amis » et ainsi l’assistance logistique nécessaire à la mise en œuvre des poursuites et donc au fonctionnement de la Justice.

Dès lors, il semble que ce soit grâce à ses partenariats extérieurs que le Canada joue le rôle de chef de file mondial. En effet, outre les négociations rendues possibles par le truchement du ministère des Affaires étrangères, le Programme sur les crimes de guerre collabore avec des institutions internationales telles que la CPI ou les différents tribunaux pénaux internationaux (ci-après TPI). Comme nous le verrons dans la seconde partie de cette étude, ces unités spécialisées participent à différentes réunions et conférences internationales. Il est intéressant de remarquer que le Canada est le seul pays non européen à faire partie du Réseau européen des points de contact81. Outre des partenariats solides

avec l’UE, le Canada participe à la formation des unités spécialisées dans de nombreux pays, comme l’Australie.

L’évaluation sommative de 2008 regrette qu’à l’intérieur même du Canada, le Programme n’ait pas renforcé la sensibilisation à la question de la lutte contre l’impunité des criminels internationaux. Il semble que le Canada ait davantage la volonté de rayonner à l’international comme le prouve son implication sur la scène internationale. Cela peut paraître regrettable car pour lutter efficacement contre l’impunité, et en vertu du principe de

79 Cette question sera détaillée infra dans la sous-partie « A. La coopération régionale comme palliatif aux

inconvénients des mesures d’immigration au Canada » à la p 88.

80 Évaluation sommative, supra note 49 à la p 25.

(29)

complémentarité, l’action du Canada à l’intérieur même de ses frontières est primordiale. Ce sont ses juridictions nationales qui doivent poursuivre et juger les présumés criminels internationaux. Sans un travail de sensibilisation plus important, des crimes peuvent ne pas être portés à la connaissance des unités spécialisées.

Comme dans tout domaine, le financement de ce Programme est l’un des facteurs clés de l’effectivité des poursuites. Sur la période quinquennale 2005-2006 à 2009-2010, le Programme disposait d’une enveloppe de 78 millions de dollars auxquels s’ajoutent chaque année 0,66 millions alloués par la GRC82. Il semble que ce montant ne soit pas suffisant

pour assurer l’effectivité des poursuites criminelles83. En effet, le coût de celles-ci est l’un

des facteurs à prendre en compte avant de décider d’engager des poursuites. Plus le Programme aura de ressources, plus il pourra procéder à des enquêtes et se déplacer à l’étranger et ainsi tout mettre en œuvre pour que les poursuites se concrétisent par un procès. Dans le même sens, il est clair que les ressources en personnel doivent également être augmentées.

Cet aperçu de l’historique de la création du Programme sur les crimes de guerre et de ses diverses missions va nous permettre de comparer cette unité avec celle créée quelques années plus tard en France.

Section 2. Le Pôle spécialisé crimes de guerre, crimes contre l’humanité en France

Alors que dès 1987, le Canada mettait en place des unités spécialisées dans différents ministères pour traiter des crimes internationaux, la France n’était pas étrangère à un tel mouvement. En effet, dès 1986, on a pu assister à un empilement de lois spécialisées – non pas dans la lutte contre le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre – mais permettant l’établissement d’un véritable arsenal législatif de lutte contre le

82 Évaluation sommative, supra note 49 à la p 57.

83 Voir ibid aux pp vi et 49 ; Fannie Lafontaine « The Unbearable Lightness of International Obligations:

When and How To Exercise Jurisdiction Under Canada's Crimes against Humanity and War Crimes Act » (2010) 23:2 RQDI 1.

Références

Documents relatifs

En conclusion, la jurisprudence internationale a déterminé comme suit les éléments constitutifs du crime contre l’humanité d’extermination : « Vu ce qui précède, la Chambre

Ce dispositif correspond au remboursement des dépenses avancées par le régime général d’assurance maladie (Caisse Nationale d’Assurance Maladie

Le dialogue lancé en mars 2011 entre Belgrade et Pristina, sous l’égide de l’Union européenne, a connu de nouvelles avancées sur le plan technique (accord sur la participation

Les crédits du programme 138 sont destinés aux dispositifs d’aide spécifiques aux entreprises d’outre-mer (compensation des exonérations de

Transmis par fax ces plans doivent être ressaisis de façon sommaire pour l'élaboration des propositions puis de façon détaillée pour programmer les machines de fabrication (avec

INDICATEUR 2.6 Part des salariés en contrat unique d’insertion ayant bénéficié d’un suivi par Pôle emploi OBJECTIF 3 Accompagner vers l’emploi les personnes les plus

Transmis par fax ces plans doivent être ressaisis de façon sommaire pour l'élaboration des propositions puis de façon détaillée pour programmer les machines de fabrication (avec

En dépit de ce contexte de projection extérieure des forces armées tchadiennes, les autorités tchadiennes ont poursuivi leur effort de réforme des forces armées, notamment dans le