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Section 1. Le Réseau génocide européen comme modèle de spécialisation régionale

B. La difficile coopération panaméricaine en matière de crimes internationaux

États du continent américain avaient scellé une « union morale » en constituant l’Union panaméricaine afin de construire un système commun de normes et d’institutions342. La

problématique des grands crimes internationaux a été abordée dès la fin de la Seconde Guerre mondiale lors de la Conférence américaine sur les problèmes de la guerre et la paix, conférence qui a aboutit à l’Acte de Chapultepec dont la résolution IV « crimes de guerre » prévoient que les États américains s’engagent à ce que « les coupables, responsables de ces crimes soient jugés et condamnés »343. Deux ans plus tard, l’Union panaméricaine confirme

sa volonté de coopération régionale à travers le Traité interaméricain d’assistance

mutuelle344. L’année suivante et afin de « parvenir à un ordre de paix et de justice, de

maintenir leur solidarité, de renforcer leur collaboration et de défendre leur souveraineté, leur intégrité territoriale et leur indépendance », la Charte de l’Organisation des États

américains 345 est adoptée. Pour certains auteurs, c’est en raison des liens historiques du

Canada avec une puissance européenne – le Royaume-Uni – que cet État n’a pas fait partie de l’Union panaméricaine et n’a intégré l’Organisation des États américains (ci-après OÉA) qu’en 1990346. Aujourd’hui encore, de nombreuses conventions interaméricaines sont

conclues afin de favoriser cette coopération régionale. C’est notamment le cas de la

Convention interaméricaine sur l’entraide en matière pénale347 et ou de la Convention

interaméricaine relative à l’extradition348. Un Réseau continental d’échange d’informations

342 Jesús María Yepes, Les accords régionaux et le droit international, La Haye, Recueil de cours, 1947, à la p

291.

343 Alejandro E. Alvarez, Eduardo A. Bertoni et Miguel Boo, « Droit argentin » dans Antonio Cassese et

Mireille Delmas-Marty, Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, PUF, 2002, c 10 à la p 306 [Alvarez, Bertoni et Boo].

344 OÉA, Inter-American Treaty Of Reciprocal Assistance (1947).

345 OÉA, Secrétariat général, Charter of the Organization of American States (1948).

346 Claude Morin, allocution « L’intégration des Amériques avant 1948 : une voie tortueuse », Colloque Le

Canada dans la continentalisation des Amériques : bilan et perspectives, Chaire Téléglobe Raoul-Dandurand,

présenté à l’Université du Québec à Montréal, 16-17 octobre 1997, en ligne : <https://www.webdepot.umontreal.ca/Usagers/morinc/MonDepotPublic/pub/Integra97.htm>.

347 OÉA, Assemblée générale, 22e sess, Inter-American Convention on Mutual Assistance in Criminal Matters

(1992).

relatives à l’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition a également été mis en place en 2001349.

Malgré l’existence d’une réelle volonté de coopération interaméricaine en matière judiciaire, il semble que la coopération dans la lutte contre les grands crimes internationaux ne fasse pas partie des priorités des États américains du fait de l’histoire, de l’actualité, du contenu des législations et/ou des pratiques judiciaires de ces pays. Loin dans dresser une liste exhaustive, l’Argentine350, le Brésil351, le Guatemala352 ou encore la Colombie353

peuvent être cités. En effet, ce qui différencie l’Europe et l’Amérique latine est que « le contexte de violation des droits de l’homme est beaucoup plus aigu »354 dans cette seconde

région. Ce contexte a poussé la Cour interaméricaine des droits de l’homme à élaborer un devoir positif des États à instruire, juger et sanctionner les crimes internationaux355.

En outre, le fait que sur les trente-cinq États membres de l’OÉA, vingt-huit ont ratifié le Statut de Rome pose nécessairement problème dans la mise en en place d’un Réseau génocide américain. D’autant plus qu’un État en particulier est absent : les États-Unis. En

349 Pour plus d’informations sur les origines de ce Réseau :

<http://www.oas.org/juridico/mla/fr/fr_origin.html>.

350 Alors que de nombreux criminels de guerre nazis se sont réfugiés dans ce pays – dont le plus connu est

Adolf Eichmann – l’Argentine n’était pas la plus à même de coopérer en matière d’extradition et de jugement : Alvarez, Bertoni et Boo, supra note 343 à la p 306.Notons cependant que depuis quelques années ce pays s’implique dans la lutte contre les grands crimes internationaux. En effet, il a intégré la Convention

pour la prévention et la répression du génocide dans son bloc de constitutionnalité : Convention pour la prévention et la répression du génocide, 9 décembre 1948, 78 RTNU 277 (entrée en vigueur : 12 janvier

1951) [Convention génocide]. En 2014, les tribunaux argentins ont condamné quinze personnes pour le génocide commis au cours de la dictature qu’à connu cet État de 1976 à 1983 : Le Figaro, « Argentine : 15 condamnés pour génocide », Le Figaro (25 octobre 2014), en ligne: <http://www.lefigaro.fr/flash- actu/2014/10/25/97001-20141025FILWWW00040-argentine-15-condamnes-pour-genocide.php>.

351 Le Brésil fait actuellement face à des difficultés politiques, la lutte contre les crimes internationaux n’est

donc sûrement pas sa préoccupation première. D’ailleurs, la législation adoptée par ce pays reflète son absence d’implication en la matière puisque les juridictions brésiliennes ne peuvent exercer leur compétence universelle qu’en matière de génocide et uniquement si l’auteur est brésilien : Fauzi Hassan Choukr, « Droit brésilien » dans Antonio Cassese et Mireille Delmas-Marty, Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, PUF, 2002, c 10 à la p 343.

352 Voir sous-partie précédente.

353 Un rapport de l’association HWR dénonce l’implication d’officiers de l’armée colombienne dans des

« exécutions extrajudiciaires généralisées et systématiques de civils commises entre 2002 et 2008 », ce qui laisse à penser que des crimes contre l’humanité ont été commis : Human Rights Watch, « Colombie : Des officiers supérieurs impliqués dans des exécutions extrajudiciaires » (24 juin 2015), en ligne: <https://www.hrw.org/fr/news/2015/06/24/colombie-des-officiers-superieurs-impliques-dans-des-executions- extrajudiciaires>.

354 John A.E Vervaele, « Violations graves des droits de l’homme et crimes internationaux : Du jus (non)

puniendi de l’État nation à un deber puniendi impératif tiré du jus cogens » (2014) 3 RSC 487.

effet, bien qu’elle fasse partie des États observateurs du Réseau génocide européen et qu’elle dispose d’une unité spécialisée dans les grands crimes internationaux, cette grande puissance n’a toujours pas ratifié le Statut de Rome356. Ce paradoxe s’explique par le fait

que les États-Unis redoutent que des citoyens américains soient poursuivis par la CPI357.

C’est d’ailleurs l’appel qui a été lancé par l’association HWR qui souhaitait que la 18e

Réunion des points de contacts du Réseau génocide européen soit l’occasion d’aborder la question de l’exercice d’enquêtes et de poursuites à l’encontre de membres de la CIA soupçonnés d’avoir commis des actes de torture et des mauvais traitements358.

L’absence de consensus régional quant à la ratification du Statut de Rome est un obstacle de taille à la création d’un Réseau génocide américain. Il semble que le Canada doive se contenter de son statut d’État observateur au sein du Réseau génocide européen pour bénéficier des avantages liés à la coopération accrue et la spécialisation des acteurs de la poursuite. D’ailleurs, au niveau régional, ce sont les instabilités politiques qui touchent l’Amérique latine et la criminalité qui en découle359 qui ont poussé le Canada à adopter le

Programme visant à renforcer les capacités de lutte contre la criminalité360. Dès lors,

aujourd’hui, la coopération régionale en Amérique semble moins tournée vers la lutte contre l’impunité à l’échelle internationale que vers la résolution de conflits internes au continent.

L’existence de conflits au sein d’un continent n’empêche pas nécessairement la collaboration entre juridictions nationales. En effet, en 2013, l’Union africaine a recommandé la mise en place d’un Réseau de procureurs spécialisés dans les crimes

356 Le président Bill Clinton a signé le Statut de Rome le 31 décembre 2000. Mais son successeur Georges W.

Bush a annulé cette signature le 6 mai 2002 : Coalition pour la Cour pénale internationale, « Les États-Unis et la CPI » (non daté, consulté le 11 août 2016), en ligne: <http://www.iccnow.org/?mod=usaicc&lang=fr>.

357 George P. Fletcher, « Les pays d’Amérique du Nord » dans Antonio Cassese et Mireille Delmas-Marty,

Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, PUF, 2002, c 1 à la p 467.

358 Human Rights Watch, « Letter to Members of the EU Genocide Network on Discussing Ongoing and

Potential Investigations and Prosecutions Following the Release of the US Senate Intelligence Committee Report Summary » (20 avril 2015), en ligne: <https://www.hrw.org/news/2015/04/20/letter-members-eu- genocide-network-discussing-ongoing-and-potential-investigations>.

359 Selon des estimations près de 200 millions d’habitants d’Amérique latine et des Caraïbes ont été victimes

d’un acte de criminalité : Canada, Affaires mondiales Canada, « Le Programme visant à renforcer les capacités de lutte contre la criminalité (PRCLC) et l'Organisation des états américains (OEA) 2009-2011 » (9 septembre 2012), en ligne: <http://www.international.gc.ca/crime/OAS_Report- Rapport_OEA.aspx?lang=fra>.

360 Canada, Affaires mondiales Canada, « Capacité de lutte contre la criminalité » (2 février 2013), en ligne:

internationaux361. Initiative qui a été saluée lors de la 16e Réunion des points de contacts

nationaux. Une étroite coopération entre les deux réseaux est d’ailleurs envisagée, ainsi que l’organisation de réunions conjointes362. L’émergence d’un Réseau génocide africain est

d’autant plus souhaitable que la coopération entre diverses régions du monde permettra peut-être un jour une spécialisation universelle des poursuites. À l’heure actuelle, une telle spécialisation est notamment envisagée sous l’angle de la conclusion d’une convention internationale.

Section 2. La spécialisation universelle des poursuites : entre nécessité et