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Section 1. L’organisation d’une collaboration entre acteurs internes

I. Les enquêtes au Canada : un système de common law face aux crimes internationaux

Au Canada, c’est moins le poursuivant à proprement parler – le procureur général du Canada – qui est spécialisé que les officiers de police dirigeant l’enquête. En effet, au sein de la GRC existe une Section des crimes de guerre, c’est elle qui décide des enquêtes à mener et de leur orientation. Dans le douzième – et actuellement dernier – rapport rendu public sur l’activité du Programme, il est indiqué qu’au 31 mars 2011, cinquante-huit dossiers de crimes de guerres contemporains et dix-neuf dossiers liés à la Seconde Guerre mondiale étaient présents dans le répertoire de la GRC et du ministère de la Justice.

En tant que pays où prévaut le système accusatoire, traditionnellement, la GRC exerce cette prérogative de direction d’enquête de manière autonome. En effet, ni le pouvoir exécutif ni le Parlement ne peuvent lui enjoindre de mener des enquêtes ou de porter des accusations228. Toutefois, la Loi sur la Gendarmerie Royale du Canada229

prévoit que les membres de la GRC sont sous l’autorité d’un commissaire, lui-même sous la direction du ministre de la Sécurité Publique et de la Protection civile. En outre, comme nous l’avons précédemment évoqué, le propre du Programme sur les crimes de guerre est l’existence d’une collaboration entre les différents ministères. Ainsi, la Section des crimes de guerre du ministère de la Justice assiste la GRC tout au long de l’enquête.

Cette assistance prend la forme d’un accompagnement des officiers de police lors de leurs déplacements à l’étranger. Des analystes du ministère de la Justice analysent les différents documents d’archives et rédigent un rapport à la GRC sur l’histoire, le contexte, les personnes impliquées et les pistes d’enquêtes. Sur cette base, les officiers de police se

228 Guide du SPPC, supra note 149 à la section 2.7. C’est ce qu’a rappelé la Cour suprême dans le célèbre

arrêt Regan : « les fonctions policières d’enquête et de dépôt des accusations doivent demeurer distinctes et indépendantes du rôle de poursuivant du ministère public », cette séparation étant nécessaire : R c Regan, [2002] 1 RCS 297 aux para 64, 66.

rendent à l’étranger pour procéder à l’audition des témoins230. Il convient de préciser que le

législateur canadien n’a pas souhaité modifier les règles traditionnelles en matière de procédure et de preuves231, aucun pouvoir spécial d’enquête n’a donc été confié aux

officiers de la GRC pour les aider dans les investigations de telles infractions. En effet, l’article 10 de la LCHCG relatif aux « Poursuites et preuves » ne donne pas de précision particulière quant aux techniques d’investigations à la disposition des enquêteurs. Cet article se contente d’énoncer que les poursuites doivent être menées conformément aux règles de preuve et de procédure en vigueur au moment du procès. Leur spécialisation est donc davantage le fait de leur formation232 que des prérogatives dont ils disposent.

Ainsi des coûts sont engagés par les équipes d’enquête avant même que l’on sache si le procureur général du Canada décidera de déclencher des poursuites. En effet, après qu’un cas a été répertorié dans le répertoire de la GRC et du ministère de la Justice, c’est au minimum 617 176 $ CAD qui seront dépensés au titre des frais de déplacement à l’étranger, analyses des preuves et autres rapports juridiques233. Un tel montant peut surprendre

lorsque l’on sait que le critère économique est déterminant dans le choix d’engager des poursuites234.

Au fur et à mesure du recueillement des preuves sur place, celles-ci sont transmises aux avocats du ministère de la Justice qui procèdent à leur analyse, en relèvent les lacunes et fournissent un avis juridique à la GRC quant à la décision de poursuivre ou non. C’est ensuite que le procureur général du Canada et le SPPC prennent le relais, le procureur a la prérogative de la mise en accusation et dirige la poursuite. À ce stade de la procédure, la GRC tout comme les personnels de la Section crimes de guerre du ministère de la Justice sont présents pour assister le poursuivant. En effet, comme pour toute enquête, « [l]es membres de la GRC procèdent à des démarches d’enquête additionnelles, telles que

230 Sur les difficultés liées à l’audition des témoins, voir infra aux pp 89-92.

231 Joseph Rikhof, « Les Défis de L’instruction Nationale Des Crimes Internationaux : Canada », en ligne:

<ictr-archive09.library.cornell.edu/FRENCH/international_cooperation/papers_presented/Les-Defis-de- L’instruction-Nationale-Des-Crimes-Internationaux.pdf> à la p 1.

232 Un manuel d’orientation est rédigé par la Section des crimes de guerre pour ses nouveaux membres. Un

programme de cours fondamentaux à l’intention des enquêteurs des crimes de guerre a également été créé : Évaluation sommative, supra note 49 à la p 71.

233 Voir Évaluation sommative, ibid « Recours 4 : Poursuite » à la p 103. 234 Voir supra à la p 41.

raisonnablement requises par les poursuivants afin qu’ils puissent présenter leur cause de façon efficace et accomplir correctement leurs fonctions »235. Ainsi, les membres de la

GRC peuvent être sollicités pour procéder à des actes d’enquêtes supplémentaires sur le terrain.

Caractéristique des systèmes de common law, au Canada, la charge de la preuve pèse autant sur l’accusation que sur la défense. Or, il s’avère que cette répartition peut entraîner des déséquilibres en matière de crimes internationaux. En raison de l’éloignement du lieu des crimes, la preuve est beaucoup plus difficile à obtenir et les coûts de la défense non négligeables. Une autre difficulté ressort de la contrainte économique également présente du côté de l’accusation. Dans les deux affaires jugées au Canada, le procureur général a usé de son droit, issu de l’article 577 du Code criminel, qui lui permet de passer outre l’enquête préliminaire et de déposer un acte d’accusation directement devant une cour supérieure. Dans cet État, l’enquête préliminaire a pour but de vérifier le bienfondé des allégations, de faire connaître à l’accusé les charges qui pèsent contre lui ainsi que la teneur de la preuve disponible à la Couronne. Toutefois, dans les deux procès ayant eu lieu sous la LCHCG – les affaires Munyaneza et Mungwarere - aucune enquête préliminaire n’a été diligentée, et ce, en raison des coûts que leur mise en œuvre aurait entrainé notamment par les déplacements à l’étranger nécessaires à l’audition des témoins236. Or, l’absence d’une telle

enquête préliminaire ne permet pas à l’inculpé de mesurer le poids de l’accusation et lui laisse moins de temps pour préparer sa défense237. En outre, l’équipe de défense ne

bénéficie pas de l’expertise des unités spécialisées dans les différents ministères canadiens. Sans entrer dans les détails des difficultés de la défense en matière de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, il convient de préciser que le droit canadien prévoit

235 Canada, Service des poursuites pénales du Canada, Protocole d’entente entre la Gendarmerie royale du

Canada et le service fédéral des poursuites, Ottawa, 2001 à l’alinéa 3.1.8.

236 Fannie Lafontaine et Fabrice Bousquet, « Les douze travaux de Me X : la défense d’un accusé avant procès

sous la loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre » (2015) 19 Can Crim L Rev 295 au para 2(c) [Lafontaine et Bousquet].

237 L’enquête dans l’affaire Munyaneza a débuté au moins avant octobre 2000, l’acte d’accusation date du 7

octobre 2005. Celle relative à l’affaire Mungwarere a débuté aux environs de février 2003 alors que l’acte d’accusation n’a été présenté que le 9 novembre 2009 : ibid. Des années d’intervalles séparent donc le début du recueil de preuves par l’accusation et l’information de l’accusé qu’une procédure est ouverte à son encontre.

tout de même que l’accusation doit divulguer à la défense – sous certaines conditions – les éléments à décharge qu’elle recueille238.

Le système à dominante inquisitoire français permet de pallier cette difficulté de la recherche de la preuve par la défense en confiant au poursuivant la charge d’instruire à charge et à décharge.

II. Les enquêtes en France : un système civiliste face aux crimes