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Section 2. L’organisation d’une collaboration avec des acteurs externes

A. La conclusion d’accords bilatéraux comme cadre juridique favorisant le dialogue

Traditionnellement, l’extradition et l’entraide judiciaire en matière pénale sont distinguées255, la première représentant la forme la plus primaire d’entraide tandis que

l’autre en est une forme plus élaborée.

Sans entrer dans les détails de la question de l’extradition, notons que cette forme de coopération judiciaire « désigne la remise de toute personne qui est recherchée par l’État requérant en vue de poursuites pénales consécutives à une infraction donnant lieu à extradition ou pour purger la peine infligée pour une telle infraction »256. Cette forme de

collaboration peut être régie par un traité d’extradition257.

Pour diverses raisons258, un État peut refuser l’extradition, l’adage aut dedere aut

judicare – remettre ou poursuivre – est alors applicable, du moins si les crimes en cause

sont visés par un traité prévoyant une telle obligation, comme les crimes de guerre ou la torture, par exemple259. En vertu de ce principe, l’État qui a refusé l’extradition devra juger

255 Claude Lombois dans son Titre II « L’entraide répressive internationale » traite dans un premier chapitre

de « L’extradition » et dans un chapitre II « Les autres formes d’entraide répressives entre États » : Lombois,

supra note 227 aux pp 535-655.

256 Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, « Model Law on Extradition » (2004), en ligne:

<http://www.unodc.org/tldb/pdf/Un_Model_Law_Extradition_Translation_FR.DOC>.

257 Pour un modèle de traité d’extradition, voir : Model Treaty on Extradition, Rés AG NU, Doc off AG NU,

Doc NU A/RES/45/16 (1990), en ligne: <http://www.unodc.org/pdf/model_treaty_extradition.pdf>.

258 L’article 696-4 du Code de procédure pénale français énumère les causes de refus d’extradition, parmi

lequel figure le principe de non extradition des nationaux. Contrairement à la France, le Canada accepte l’extradition de ses nationaux : Loi concernant l’extradition, modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le

Code criminel, la Loi sur l’immigration et la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, et modifiant ou abrogeant d’autres lois en conséquence, LC 1999, c 18 à l’art 3(1) [Loi sur l’extradition].

259 Les Conventions de Genève, supra note 14, dispositions pertinentes ; Convention contre la torture, supra

sur son territoire la personne en cause260. Bien qu’un tel adage ne puisse être appliqué aux

crimes contre l’humanité, au génocide et aux crimes de guerre commis dans un conflit non international faute de convention en ce sens261, la France a poursuivi Pascal Simbikangwa

après avoir refusé son extradition vers le Rwanda au motif que les crimes pour lesquels il était poursuivi n’y étaient pas incriminés en 1994262. Un tel refus d’extradition vers le

Rwanda est quasi-systématique en France263, chose qui peut notamment justifier le grand nombre de poursuites pénales relatives à ce génocide. De la même manière, le Canada refusait les demandes d’extradition formulées par les autorités rwandaises jusqu’à récemment264. Ainsi, de manière générale, l’extradition n’est pas l’outil de coopération le

plus utilisé265, les États préférant les mécanismes d’entraide judiciaire internationale.

En effet, il est nécessaire d’organiser avec l’État souverain où les faits se sont commis les investigations et les poursuites. Au minimum, cette coopération doit permettre l’exécution de commissions rogatoires internationales par des agents de l’État requis. Au mieux, cet État peut autoriser les officiers étrangers à venir sur son sol pour participer aux investigations. Le Canada et la France ont tous deux fait le choix de régir cette intervention par la conclusion d’accords266 bilatéraux ou multilatéraux. Notons que l’adoption du Statut

de Rome par le Canada a entraîné une modification de la Loi sur l’extradition267 et de la Loi

sur l’entraide judiciaire en matière pénale268. De la même manière, la France a adapté le

260 Voir Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c Sénégal), [2012] CIJ Rec

422. Dans cette affaire, la Belgique reproche au Sénégal de ne pas avoir respecté son obligation de poursuivre ou d’extrader M. Hissène Habré.

261 Voir National Jurisdictions, supra note 16 aux pp 166-167.

262 Bruno Sturlèse, « Réflexions sur le premier procès d’assises français d’un officier rwandais pour génocide

et crimes contre l’humanité » (2014) 4 Les Cahiers de La Justice 533 à la p 538.

263 Damien Roets, « L'extradition des personnes suspectées d'avoir participé au génocide des Tutsi du

Rwanda » (2013) 38 D 2570.

264 National Jurisdictions, supra note 16 à la p 171.

265 Entre 2002 et 2014, le Canada a reçu 9 demandes d’extradition ; l’on ne connaît pas le nombre de

demandes reçues par la France mais sur l’ensemble des membres du Réseau génocide européen, seulement 118 demandes ont été reçues au cours de cette période : Stratégie Réseau génocide européen, supra note 65 aux pp 31-32.

266 Pour les besoins du présent mémoire, nous utiliserons le terme « accord » de manière large, dans le même

sens que celui qui lui est donné par l’article 2(1) de la Loi sur l’entraide juridique en matière pénale canadienne : traité, convention ou autre accord international.

267 Loi sur l’extradition, supra note 257.

268 Loi portant mise en œuvre des traités d’entraide juridique en matière criminelle et modifiant le code

criminel, la Loi sur la responsabilité de l’État et la Loi sur l’immigration, LRC 1985, c 30 (4e supp) [Loi sur

Code de procédure pénale par la loi n°2002-268 de coopération avec la CPI269. Dès lors,

une certaine spécialisation de l’entraide juridique découle de ces adaptations. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que la mise en œuvre d’accords relatifs à la poursuite du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre peut s’avérer problématique, en particulier du fait de l’intervention du pouvoir exécutif et donc d’un éventuel contrôle politique. Sans entrer dans les détails des modalités de l’entraide juridique internationale en France et au Canada, quelques indications sont nécessaires.

Au Canada, plusieurs possibilités permettent au poursuivant de demander l’aide d’un État étranger. Il peut soit se baser sur un traité existant270, soit, en l’absence d’un tel traité,

émettre une demande d’entraide en s’appuyant sur la courtoisie internationale, enfin, une demande d’entraide peut être ordonnée par un tribunal sans être fondée sur un traité 271.

Dans les trois cas, l’entraide est régie par la Loi sur l’entraide juridique en matière

pénale272 dont l’article 7(1) charge le ministre de la Justice de la mise en œuvre des

accords. En l’absence d’accord entre le Canada et un État tiers, c’est une entente administrative qui peut être conclue par le ministre des Affaires étrangères, avec l’agrément du ministre de la Justice. Dans tous les cas, les demandes émises par le SPPC doivent être transmises au Service d’entraide internationale (ci-après SEI) dont la directrice, après étude, devra les approuver au nom du ministre de la Justice. En matière d’entraide juridique internationale, le législateur canadien semble avoir mis un point d’honneur à empêcher toute interférence du politique, comme l’indique le site internet du ministère de la Justice273.

269 Loi de coopération avec la CPI, supra note 92.

270 D’ailleurs, lorsqu’un cas répertorié dans le répertoire de la GRC et du ministère de la Justice est considéré

comme de priorité élevée, la première chose qui est vérifiée est l’existence d’un protocole d’entente ou d’un accord entre le Canada et le pays où les investigations doivent être menées : Évaluation sommative, supra note 49 « Recours 4 : Poursuite » à la p 103.

271 Canada, Ministère de la Justice, « Le Service d’entraide internationale Guide » (7 juillet 2016), en ligne:

<justice.gc.ca/fra/jp-cj/eej-emla/gs-db.html#sec3> [Guide du SEI].

272 Loi sur l’entraide juridique, supra note 268.

273 Le Guide du SEI indiquant : « Le processus d'entraide juridique a trait directement aux enquêtes et aux

poursuites relatives aux infractions criminelles puisqu'il vise un échange de renseignements et d'éléments de preuve. À cet égard, les responsabilités du ministre de la Justice s'apparentent étroitement aux fonctions de poursuivant du procureur général. Par conséquent, les principes qui exigent que le procureur général exerce ses fonctions d'une façon indépendante, impartiale et transparente, en l'absence de tout préjugé et de toute motivation politique, s'appliquent également aux responsabilités du ministre de la Justice dans le domaine de l'entraide juridique. Dans le traitement d'affaires particulières, aucune motivation ou interférence politiques,

De la même manière, le Code de procédure pénale français prévoit l’intervention du ministère de la Justice dans les demandes d’entraide internationale, puisque c’est lui qui est chargé de les transmettre aux autorités étrangères. Dans le sens inverse, les demandes d’entraide destinées aux autorités françaises doivent passer par la voie diplomatique274. En

France, il est toutefois prévu qu’en cas d’urgence les demandes d’entraide puissent être transmises directement entre autorités judiciaires275. Dans cette hypothèse, un contrôle politique n’est exercé par les autorités françaises que si la demande émane d’un État étranger, puisqu’un avis doit alors être donné au gouvernement français par la voie diplomatique.

Au Canada comme en France, la tendance est donc à l’octroi d’une plus grande indépendance aux autorités judiciaires en limitant le contrôle du politique à la fois pour des questions de rapidité, mais aussi de transparence. Toutefois, rien n’empêche l’État requis d’exercer un contrôle politique afin d’accepter ou non la demande d’entraide judiciaire. En outre, il ne faut pas oublier que l’un des critères favorisant l’exercice des poursuites est la « perspective raisonnable de condamnation »276 ou encore l’impact sur les relations

internationales277. Dès lors, ce contrôle a priori permet de s’assurer que l’État dans lequel

les investigations seront menées coopèrera pleinement sans incidence diplomatique.

D’ailleurs, les équipes de défense, en particulier au Canada, critiquent l’inégalité à laquelle elles doivent faire face en raison du déséquilibre des pouvoirs entre elles et la Couronne résultant des aléas de la coopération internationale278 :

réelles, apparentes ou simplement appréhendées, ne doivent biaiser le processus d'entraide. Bien que le ministre de la Justice rende compte au Parlement de la mise en œuvre générale de la Loi et des traités en matière d'entraide juridique et de l'application des politiques, en pratique, il ne participe pas personnellement à l'examen des demandes d'aide que reçoit ou que présente le Canada. L'examen des demandes est assuré par des fonctionnaires du SEI au nom du Ministre. » [nous soulignons] : Guide du SEI, supra note 271 au para 3.2.2.

274 Art 694 C proc pén.

275 Des auteurs espèrent qu’une telle transmission entre autorités judiciaires sera mise en place au Canada :

Lafontaine et Bousquet, supra note 234 au para 3(a)(i).

276 Voir supra aux pp 41-42. 277 Voir supra à la p 58.

Or, l'effectivité et l'efficacité de la coopération internationale dépendent des rapports entre les deux intervenants. À ce titre, la Couronne possède une position nettement privilégiée par rapport à la défense. Elle bénéficie de l'appui des ministères de la Justice et des Affaires étrangères du Canada, qui peuvent mener une diplomatie judiciaire sur le long terme, alors que la défense doit se reposer substantiellement sur ses propres ressources dans une affaire spécifique. (...)

Cependant, la caractéristique des traités d'entraide judiciaire, ou simples ententes ponctuelles, est d'être au bénéfice des gouvernements et donc de l'autorité de poursuite, la défense étant laissée sur la touche en dépit du principe de l'égalité des armes. En effet, le gouvernement demandeur est libre de transmettre ou non les preuves reçues au titre de l'entraide judiciaire, même si elles sont à décharge pour l'accusé.

Selon le contenu de cet accord, le champ des investigations autorisées peut être plus ou moins large : perquisitions, fouilles, saisies, auditions, interrogatoires, remise d’objets, etc. Ces actes d’enquêtes seront réalisés soit uniquement par les officiers de l’État requis, soit en collaboration avec la GRC ou l’OCLCHCG. Bien entendu, autoriser le déplacement des magistrats et enquêteurs français ou canadiens favorisera la qualité des investigations, notamment en raison de leur bonne connaissance du dossier qui leur permettra d’apprécier de manière plus pertinente les résultats d’enquête279. De la même manière, de nombreux

dossiers ayant trait au même pays étant ouverts, de tels déplacements sont l’occasion de créer des liens avec les équipes sur place, liens qui seront utiles à l’occasion de procédures ultérieures280.

Toutefois, bien que la conclusion de tels accords favorise la confiance mutuelle, il se peut que l’État requis entrave les enquêtes sur place, ce qui fait perdurer de nombreux défis dans l’exercice des poursuites sur le sol d’un État étranger.