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Chapitre 2 Les motivations des travaux de recherche

2.2 Transition vers un modèle circulaire

2.2.2 Le recyclage au cœur de l’économie circulaire

2.2.2.1

Création de valeurs économiques par l’économie circulaire

Les coûts financiers associés à la gestion des déchets sont en constante augmentation passant de 3,5 Md€ en 1990 à 16,7 Md€ pour l’année 2013 (ADEME, 2016). Ces dépenses

regroupent les activités de collecte, transport, traitement (y compris les activités de tri des déchets recyclables non dangereux) et élimination des déchets pris en charge dans le cadre du service public (déchets ménagers et assimilés), des déchets dangereux et non dangereux des entreprises non pris en charge dans le cadre du service public. Il est donc stratégique de compenser ces coûts de gestion des déchets par la valorisation des MPR issues du recyclage.

Le changement de paradigme est principalement motivé par des considérations économiques en lien avec le prix des ressources primaires (Gahleitner, 2015). Les métaux sont prédisposés au recyclage en boucle fermée, car leurs propriétés ne sont pas dégradées par le recyclage (Worrell et Reuter, 2014). Comme les cours des métaux sont de plus en plus élevés (figure 1-3), les industriels cherchent des solutions de recyclage en boucle fermée afin de s’affranchir du prix des MP (Rebitzer et al., 2003 ; Zeng, Mathews, et Li, 2018). Le recyclage en boucle fermée permet de maintenir la fonctionnalité des matériaux. Néanmoins en amont du recyclage en boucle fermée, le flux de déchets doit être séparé par qualité dans les filières de FdV pour limiter les pollutions interlots.

La figure 2-10 présente le taux d’incorporation de différentes matières recyclées dans l’industrie. Le taux d’incorporation des MPR (hors acier) est dans une tendance à la hausse. Les taux d’utilisation de MPR par les industries de la sidérurgie, de la papeterie et du verre ont marqué un palier au cours de la première moitié des années 2000. Les capacités d’absorption des MPR par les industries concernées dépendent à la fois des investissements à long terme et des innovations nécessaires à l’incorporation d’une proportion plus importante de MPR (Hestin et al., 2017).

Le taux d’incorporation des plastiques recyclés est à la peine, avec un taux d’incorporation inférieur à 10 %. L’UE a introduit des réglementations pour augmenter le taux d’incorporation de plastiques recyclés dans l’industrie automobile, l’objectif est d’atteindre 25 % en 2020 (Commission Européenne, 2013). Les difficultés d’incorporation de MPR sont de différents types :

▪ Techniques, par exemple : incompatibilité des résines, présences d’impuretés, structure chimique.

▪ Réglementaires, par exemple : substances interdites, contaminations diverses, etc.

▪ Économiques, par exemple : différentiel de prix entre MPR et matières vierges trop faible, coûts de dépollution trop importants.

La figure 2-10 présente également un indicateur agrégé qui rend compte de la réutilisation des matières après leur recyclage. L’indicateur d’utilisation cyclique des matières correspond aux déchets en valorisation matière rapportés au besoin en matière de l’économie. Tous matériaux confondus, l’indicateur d’utilisation cyclique est passé de 15 % en 2006, à 18 % en 2014. Cet indicateur est fortement soutenu par le recyclage des métaux pour les raisons techniques et économiques (Geldron et al., 2017). Les plastiques freinent la croissance de ce taux. En 2012, le taux de recyclage des résines plastiques était de 19,2 %, mais le taux d’incorporation de seulement 6 % la même année (PlasticsEurope, 2017). La

valorisation matière des plastiques est donc majoritairement en boucle ouverte avec perte de fonctionnalité.

Figure 2-10 Évolution des taux d’incorporation du calcin, du papier-carton recyclé, de l’aluminium, des ferrailles et du plastique (Geldron et al., 2017)

Pour expliquer des taux d’incorporation élevés, il est nécessaire de s’intéresser aux méthodes de production des matériaux vierges et les comparer aux matériaux recyclés. Par exemple, le recyclage de l’aluminium (en orange sur la figure 2-10) est plébiscité par les industriels alors que le minerai est largement abondant dans la croûte terrestre. Bien qu’abondant, l’aluminium fait intervenir un grand nombre d’opérations de transformation du minerai de bauxite en aluminium. Le processus complet est présenté sur la figure 2-11. Or l’ensemble de ces étapes de transformation consomme une part importante de ressources minières, chimiques et énergétiques.

Le coût final de la production d’aluminium vierge est intrinsèquement lié aux opérations de transformation. Pour réduire le prix de la tonne d’aluminium vierge, la production est centralisée dans des zones où l’électricité est bon marché. Toutefois, cela est insuffisant pour concurrencer les coûts de production de l’aluminium recyclé. Le recyclage de l’aluminium permet d’économiser 95 % de l’énergie nécessaire pour la production de l’aluminium primaire (European Aluminium Association (EAA), 2010). L’économie concerne également les produits chimiques et les ressources minières. L’utilisation d’aluminium recyclé permet donc une économie substantielle sur les MP vierges et les procédés de fabrication. De fait, la répartition

des coûts de production tourne à l’avantage de l’aluminium recyclé face à l’aluminium primaire, comme le montre la figure 2-12.

Figure 2-11 Présentation des étapes de transformation de la bauxite en produits semi-finis en aluminium

Figure 2-12 Répartitions des coûts de production de l’aluminium primaire et secondaire (Stuart Burns, 2009)

En règle générale, la complexité des processus de production des métaux de première fusion encourage leur recyclage pour des raisons techniques et économiques.

2.2.2.2

Réduction de l’impact environnemental par l’économie circulaire

Au-delà de l’aspect économique, les boucles de recyclage sont également bénéfiques d’un point de vue environnemental. Au niveau européen, les quatre matériaux les plus émetteurs de GES sont : l’acier, le ciment, le plastique et l’aluminium. Par exemple, la production de l’acier représente 4 % des émissions européennes de GES, le ciment 3,6 % et le plastique 3 % (Hestin et al., 2017). Favoriser le recyclage de ces matériaux aiderait à réduire substantiellement l’empreinte carbone de l’industrie européenne. La réduction envisageable serait de l’ordre de 56 % selon Material Economics (Enkvist et Klevnäs, 2018). Si et seulement si les processus de recyclage ne sont pas plus polluants dans les autres compartimentaux environnementaux par des transferts d’impacts.

En 2002, l’ADEME a réalisé une étude bibliographique sur les évaluations environnementales conduites pour le traitement de différents flux de déchets. L’ADEME a recensé les études pour plusieurs filières de déchets complexes régies par des filières REP, il s’agit des filières suivantes : VHU, DEEE, batteries plomb et pneus usagés. Malheureusement pour l’ensemble des études répertoriées, l’ADEME arrive aux conclusions suivantes :

▪ Faible diversité des scénarios étudiés

▪ Très faible fiabilité des connaissances d’Analyse de Cycle de Vie (ACV)

▪ Très forte sensibilité aux choix technologiques

L’ADEME souligne le fort besoin en données complémentaires d’Inventaire de cycle de vie et en résultats d’ACV (ADEME et Bio Intelligence Service, 2002). Plus récemment Laurent, et al. (2014a et 2014b) ont conduit une revue des ACV dans le domaine du traitement des déchets ménagers. Pour compléter les résultats de l’évaluation environnementale pour les filières de déchets, la Fédération Professionnelle des Entreprises du Recyclage (FEDEREC) accompagnée par l’ADEME (2017) ont conduit une évaluation environnementale du recyclage selon la méthodologie de l’ACV. Les deux indicateurs environnementaux étudiés sont l’effet de serre et la consommation d’énergie primaire (renouvelable et non renouvelable).

L’objectif de la FEDEREC est de comparer les impacts associés à la production de MP vierges et de MPR. Cette étude s’intéresse aux filières françaises de recyclage des ferrailles, des métaux non ferreux (aluminium et cuivre), des papiers et cartons, du verre d’emballage, des plastiques d’emballage (PET et PEHD), des déchets du bâtiment à destination des techniques routières et des chiffons textiles. L’enjeu de cette étude vise avant tout à quantifier les gains du recyclage par rapport à son équivalent vierge d’une manière holistique sans pour autant détailler la caractérisation des solutions de recyclage utilisées. Le tableau 2-2 présente les émissions de GES et la consommation d’énergie primaire associée à la phase de production de ces différents matériaux et les gains relatifs du recyclage pour la sélection de matériaux.

D’après cette étude pour l’année 2014, les filières de recyclage concernées ont permis d’éviter environ 123 500 GWh d’énergie primaire soit 22,5 Mt CO2-eq (FEDEREC et ADEME,

2017). La réduction des émissions de GES représente 4,9 % de l’empreinte carbone du territoire français (Bottin, Joassard, et Morard, 2014). Même si la réduction des empreintes énergétique et carbone des textiles est la plus importante, ce sont les ferrailles qui tirent le bilan environnemental global en raison du volume de ferrailles recyclées. Le recyclage des métaux ferreux représente 76 % du bilan total alors qu’il représente 25,4 % des tonnages collectés. Le recyclage de l’aluminium contribue à hauteur de 20 % du bilan total pour 1,2 % des tonnages. Pour la demande en énergie primaire, le recyclage des cartons représente 33 % du bilan total pour 9 % des tonnages.

Tableau 2-2 Comparaison de la consommation d’énergie primaire et les émissions de GES associées à la production de matière vierge et la production de matières recyclées (FEDEREC et ADEME, 2017)

Bilan Énergie primaire : renouvelable et non renouvelable (kWh)

Bilan des émissions de GES (kg CO2-eq)

Matériaux Matière primaire Matière recyclée Économies Matière primaire Matière recyclée Économies Ferraille/Acier 6 248 3 763 40 % 2 211 938 58 % Aluminium 43 525 2 656 94 % 7 803 562 93 % Cuivre 7 369 5 695 23 % 1 445 1 304 10 % PET 11 765 1 999 83 % 1 311 392 70 % PEHD d’emballage 19 228 2 084 89 % 1 587 169 89 % Verre 1 716 313 82 % 594 75 87 % Textiles (chiffons) 27 188 398 99 % 5 608 4 87 98 % Granulats 35 29 16 % 4 3 15 % Papier 9 193 2 739 70 % 297 317 -7 % Carton 13 115 3 017 77 % 390 670 -72 %

À noter que le solde négatif d’émissions de GES pour le recyclage du carton signifie que le recyclage émet plus de CO2 équivalent que la production de carton à partir de matière

vierge. En effet, l’industrie du papier vierge utilise, en moyenne en Europe, une plus grande quantité d’énergie d’origine renouvelable issue de la biomasse que l’industrie du recyclé. Quel que soit le type de matériaux pris en compte pour l’évaluation environnementale, la demande en énergie primaire pour le recyclage est toujours inférieure à la demande en énergie primaire du matériau vierge. À l’exception du papier et du carton, la réduction de la demande en énergie primaire s’accompagne d’une réduction des émissions de GES. De fait, l’intensité carbone des matériaux est réduite d’autant.

Ces économies se calculent sur la base d’un recyclage physique de la matière et n’adressent pas la problématique du recyclage fonctionnel.

2.2.2.3

Création de valeurs sociales par l’économie circulaire

Le modèle circulaire est particulièrement vertueux, car il permet des gains économiques tout en réduisant la pression sur l’environnement. Ce modèle agit également sur le troisième pilier du développement durable : la dimension sociale. L’industrie du recyclage en France représente 30 000 emplois en équivalent temps plein. Le développement de ces emplois est malheureusement contrarié par un certain nombre de facteurs qui pèsent à la fois sur l’amont, sur l’aval et sur la position compétitive du territoire français dans la filière (Valerian et Kerdaniel, 2013).

L’écosystème de la FdV est déployé à proximité des sources de déchets pour réduire les coûts logistiques. Le modèle circulaire dynamise l’emploi localement tout en favorisant l’attractivité du territoire concerné. En comparaison, l’enfouissement, privilégié dans le modèle linéaire, crée seulement un emploi pour 10 000 tonnes traitées, l’incinération trois emplois alors que la collecte sélective et le tri occupent 31 personnes (ORDIF, 2017).

Il existe un rapport de 10 à 30 entre le recyclage et les solutions de FdV de l’économie linéaire*. Dans le modèle circulaire, l’objectif est d’encourager la redistribution locale et la réduction des coûts d’approvisionnement en MP via les boucles courtes fermées ou ouvertes (Valerian et Kerdaniel, 2013). Favoriser l’emploi localement est une approche résiliente de l’économie. Dans le modèle circulaire, l’étendue du périmètre d’approvisionnement est réduite, ce qui permet de pérenniser les emplois ainsi créés (Deboutière et Georgeault, 2015). L’économie circulaire est alors source de création de valeur, d’innovation, de maîtrise des risques, de compétitivité et d’inclusion sociale (European Environment Agency, 2011).

La redistribution locale des réserves s’effectue grâce à l’exploitation de la mine urbaine. Les déchets complexes tels que les DEEE concentrent des éléments chimiques qui ne sont pas distribués équitablement dans le monde. La récupération de ces éléments en FdV permet d’alimenter des réserves locales (Institut Montaigne, 2016). Cet accès aux ressources ne doit pas être négligé, car à moyen terme il peut devenir la principale source d’approvisionnement, comme présenté dans le paragraphe 1.1.2.3 du chapitre 1. En maîtrisant cette source d’approvisionnement, le territoire devient producteur et sécurise l’accès à ces ressources voire devient autonome vis-à-vis de l’approvisionnement primaire. Il s’agit d’un enjeu sociétal pour sécuriser notre mode de vie (Schluep et al., 2009). Cet aspect est à relativiser, car les stocks sont finis et il s’agit seulement d’un transfert de localisation des réserves et non à la création de ressources (Jenkins, Nordhaus, et Shellenberger, 2011). Pour s’engager dans une démarche d’entreprise écoresponsable, il est nécessaire de transformer l’offre, donc le processus de production. Cette transformation commence par les évolutions suivantes :

▪ Remplacer les matières premières

▪ Développer de nouveaux matériaux

▪ Concevoir de nouveaux procédés

La R&D peut apporter des solutions étonnantes comme celles d’optimiser tout à la fois la filière d’approvisionnement, la chaîne de production et la qualité des produits finaux. Néanmoins, la transformation sociale de l’entreprise n’est pas à négliger. Elle se traduit par une évolution de la gouvernance indispensable pour réussir la transition (Combe, 2015).