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3.2.1.1. Le rapport au corps identitaire et sexué

Dans le document THESE DOCTORAT EN MEDECINE (Page 79-91)

Le corps est porteur d'une identité. Dans « Johnny s'en va-t-en guerre », le corps amputé, tronqué du soldat se trouve privé de son identité aux yeux des médecins et de la société. Joe est le « blessé non identifié inscrit sous le matricule 407 » ; il est nié en tant que sujet.

De même, « Les yeux sans visage » [55], film de Georges Franju, que nous détaillerons ultérieurement, nous montre un corps défiguré, celui de Christiane, privé de son identité. Sans visage, Christiane se considère comme absente au monde et à elle-même.

Le médecin est également confronté au corps sexué du patient qui le renvoie à sa propre sexualité. Ainsi dans « Le cri de la Soie » [56], la sexualité s'exprime par le biais du fétichisme.

Le cri de la soie:

Film français, 1996

Réalisateur : Yvon Marciano

Genre : Drame

D’après l'oeuvre et les travaux de Gaétan de Clairambault (1872-1934)

Interprètes : Marie Trintignant (Marie), Sergio Castellitto (Gabriel), Anémone (Cécile)

Résumé:

« Le cri de la soie » s'inspire librement de la vie et des travaux du psychiatre Gaétan de Clairambault. Le Docteur Gabriel de Villemer - ainsi nommé dans le film - exerce la fonction d'expert psychiatre dans une prison et se voit chargé de l'expertise psychiatrique de Marie, jeune couturière analphabète, qui purge une peine pour vol de tissus. Celle-ci ne trouve son plaisir sensuel que dans le contact de la soie et non dans le rapport au corps de l'autre. Gabriel écoute avec attention et compassion sa patiente, et ce d'autant qu'il partage cette fascination pour les étoffes. Il devient l'amant de Marie et bascule dans le fétichisme, oscillant entre l'attachement à l'objet érotique que représente la soie et son attirance pour le corps de sa patiente. Atteint de cataracte, il mettra fin à ses jours dans une dernière transgression, incapable de supporter sa déchéance, malgré l'aide de sa fidèle gouvernante.

Scène 1: Premier entretien entre le Docteur de Villemer et Marie Benjamin : dans un bureau vétuste, mal éclairé, à l'atmosphère humide de la prison de Fresnes, Marie Benjamin et le Docteur de Villemer sont assis face à face séparés par une table. Une tierce personne affublée d'une blouse blanche recueille les paroles échangées grâce à sa machine à écrire. Cet entretien a l'allure d'un interrogatoire policier, froid et distant:

« Marie Benjamin, mariée sans enfant, âge 28 ans. C’est bien ça?

-Oui.

-Ne sait ni lire ni écrire, est-ce exact ?

-Oui. »

La patiente ne regarde pas son interlocuteur qui l'interroge froidement sur les faits qui lui sont reprochés. Ses réponses sont laconiques.

Scène 2: Les entretiens suivants deviennent de plus en plus intimes. Le Docteur de Villemer l'interroge sur sa première expérience sexuelle avec une étoffe, sur les types de tissus qu’elle affectionne, sur son premier vol. La patiente s'anime, ses yeux brillent, elle raconte avec passion ses tendances à cet homme qui semble la comprendre. Le Docteur de Villemer demande au greffier de sortir de la pièce, affirmant le caractère intime et confidentiel de leur échange.

« Certains tissus ne m'attirent pas : la marcelline, non, le velours peut-être, mais c'est pas comme la soie.

- Pourquoi ?

- Elle crie.

- Elle crie ?

- Oui quand on la froisse, ça fait... ça ne ressemble à rien d'autre [...] Quand je la froisse, je la sens mieux, j'entends son cri, ça augmente mon plaisir [...] C'est comme voler un peu de ciel. [...]

- Quand vous vous caressez, est ce qu'il vous arrive de penser à un homme ?

- Ah non, non, jamais. [...] Je pense qu'à me donner du plaisir, c'est tout, c'est comme si les hommes n'existaient plus. »

Le regard du psychiatre exprime une frustration, le sentiment qu'il ne ne pourra jamais participer au plaisir, à la vie charnelle de cette femme.

Scène 3 : La vengeance : Villemer expose le cas de sa patiente devant une assemblée de médecins. Marie Benjamin est assise sur une chaise seule face à une assemblée de psychiatres qui la scrutent et la jugent. Le Docteur de Villemer déambule parmi ses confrères et pose froidement des questions à sa patiente, révélant à tous son intimité, sans lui accorder le moindre regard.

« Comme si les hommes n'existaient plus, c'est bien l'expression que vous avez employée ?

- Oui.

- Pouvez-vous parler plus fort ? Ces messieurs ne vous entendent pas [...]. Va-t-on en déduire que vous n'aimez pas les hommes ?

- Non.

- Avez-vous déjà ressenti une attirance pour des personnes de votre sexe ?

- Non, jamais.

- Nous sommes bien obligés de vous croire. »

(Rires complices dans l'assemblée)

« La malade que vous venez d'entendre n'est pas une fétichiste ordinaire, vous n'aurez pas manqué de remarquer en effet un certain nombre de particularités qui ne font pas partie du tableau usuel de la perversion fétichiste... »

Gabriel de Villemer analyse froidement le cas de sa patiente devant elle, tel un tableau qu'on commente.

Scène 4 : Marie apprend que Gabriel est rentré de la guerre et lui rend visite. Une amitié s'installe entre eux, puis ils deviennent amants. Elle lui apprend à coudre, et la sensualité s'installe à travers le travail de l'étoffe. Leurs corps s'étreignent enroulés dans des tissus qu'ils pétrissent avec passion. Le contact entre les deux corps s'établit grâce aux étoffes.

Discussion :

La scène 3 fait référence au « corps objet ». Le psychiatre effectue la présentation clinique du cas de Marie Benjamin, exposée comme un animal devant une assemblée de confrères, son intimité dévoilée à tous. La patiente subit une analyse sémiologique froide et peine à dissimuler son humiliation. Il s'agit de la présentation de l'image d'un corps, celui de la malade, au travers de l'image d'une maladie, le fétichisme. Le corps est exposé devant une assemblée; dès lors la relation individuelle entre le médecin et son malade s'en trouve trahie. Cette scène fait référence aux présentations cliniques des hystériques de Charcot à La Pitié- Salpêtrière et aux patients atteints de pathologies dermatologiques à l'hôpital Saint-Louis. Ce mode de présentation n'est pas sans rappeler également l'enseignement au lit du malade dans les hôpitaux où le cas du malade est expliqué devant une légion d'externes. Le film traite avant tout du corps imaginaire, du corps sexué à travers le fétichisme. Le fétichisme implique un morcellement du corps. Le désir sexuel est concentré sur une seule partie du corps. On perçoit au fur et à mesure des entretiens, une identification du médecin à sa malade, lui-même étant fasciné par les étoffes. Non seulement il cherche à comprendre sa patiente, mais il se reconnaît en elle. Le corps de Marie devient objet de désir. Il semble torturé par la frustration de ne pouvoir lui procurer du plaisir. La jeune femme exclut totalement le corps de l'homme de sa vie sexuelle; les étoffes semblent la combler entièrement. Le psychiatre finit par partager le fétichisme de sa patiente, miroir de ses propres pulsions. Lors de son séjour dans le Maghreb, le Docteur de Villemer photographie sans relâche des femmes recouvertes de drapements traditionnels et ne cesse de contempler ces images. Après son suicide, l'attirance entre la fidèle gouvernante de Gabriel et Marie nous est révélée. Il semblerait donc que la soie, symbole éminemment féminin, ne soit non pas un substitut du corps de l'homme dans l'acte sexuel, mais plutôt une image, celui du corps féminin... Ce fétichisme découlerait donc d'une homosexualité refoulée... Marie Benjamin dissimulerait par cette tendance, une obsession du corps féminin, image de son propre corps. Par ailleurs, si l’on en croit l’interprétation de S. Freud du fétiche comme substitut du phallus maternel, de la castration du corps de la mère, on comprend que Marie Benjamin se passe de l’homme dans sa sexualité. Le fétiche correspond à une partie du corps ou de ce qui entoure le corps féminin, une sorte de prolongement. Jacques Lacan, lui, considère que le fétiche a une valeur d’ « objet a », c'est-à-dire d’objet du désir et de la jouissance, déterminant phallique renvoyant au « grand Autre ». Le fétiche en tant qu’unicité, jouissance exclusive, est un clone d’un réel un où les relations et donc le manque n’existent pas encore. [70]

Le cas de la jeune femme relève également d'une relation pathologique à l'objet qui n'est pas sans rappeler la fascination étrange pour les chaussures du vieux père dans « Le journal d'une femme de chambre », film français réalisé par Luis Buñuel en 1964, satire des moeurs de la bourgeoisie provinciale des années trente. Dans une scène, le vieil homme, ancien cordonnier, chausse avec un air concupiscent la jeune et séduisante servante Célestine d'une paire de bottines.

Dans « Faux-Semblants », film inspiré de faits réels que nous avons évoqué précédemment, mettant en scène des frères jumeaux gynécologues meurtriers, les deux frères issus de la même vie intra-utérine sont l'image l'un de l'autre et vivent dans une parfaite osmose gémellaire : « Je suis toi et tu es moi », tel est leur refrain incantatoire et magique, rassurant, bien qu'Elliot soit nettement dominant. Ils s'assimilent dans leurs rêves à des frères siamois. Ils s'échangent indifféremment trophées, malades et conquêtes amoureuses. Là encore, les deux frères affichent un narcissisme démesuré ; leur amour respectif semble ne pouvoir se concentrer que sur leur propre image, reflétée par le frère jumeau, allant jusqu'à rendre commune leur vie sexuelle.

L'intrusion de Claire Niveau va déséquilibrer leur symbiose : Beverly en tombe éperdument amoureux, ce qui introduit une notion de possession, d'intimité, de secret qui sépare les deux frères. Leur identité s'en trouve morcelée et Beverly sombre peu à peu dans la folie. Il s’identifie à son amante qui l'entraîne dans la spirale de la drogue et de l'alcool. La jubilation éprouvée par Beverly en contemplant son frère, image parfaitement identique à lui-même et par cela unificatrice et rassurante, est brisée par l'apparition d'une différence entre les deux frères. Dans cette situation ultime, la dualité adverse des deux frères n’est pas sans rappeler le Docteur Jekyll et le Mister Hyde. Deux facettes affectives, émotionnelles, comportementales dans un « même » corps. La division psychique du sujet a été de nombreuses fois source d’inspiration pour les artistes. Ainsi, « Le vicomte pourfendu », d’Italo Calvino, en est une magistrale illustration dans la littérature. Dans son exercice, le médecin est confronté à la division du sujet au travers de l’ambivalence, des pulsions contraires de vie ou de mort, de la confiance ou de l’abandon, tendances opposées d’un même être de chair, d’un même corps.

Le « corps imaginaire » renvoie également à la façon dont on vit son corps et sa propre sexualité. Dans les troubles de l'identité sexuelle, le médecin a le pouvoir d'aider à la transformation du corps du malade, afin que son apparence corresponde à la représentation imaginaire de sa sexualité. Cette métamorphose permet une unification entre l'image du corps,

son vécu sexuel, et sa représentation identitaire sexuée. Lorsque l'image reflétée par le miroir, et perçue par l'entourage, ne correspond pas au moi pré-spéculaire décrit par Françoise Dolto, cela provoque une blessure narcissique irrémédiable. [40] Le film « Adam est Eve » [57], datant des années 50, traite audacieusement pour l’époque de ce sujet, et montre le cheminement de cette transformation.

Adam est Eve

Film français, 1953

Réalisateur : René Gaveau

Genre : Comédie dramatique

Interprètes : Michel Carvel, Jean Carmet, Thérèse Dorny, Jean Tissier, et Anouk Berjak

Résumé : Charles Beaumont, jeune garçon sportif, promis à un

avenir bourgeois et sûr, adulé par sa famille et sa fiancée, ressent d'étranges sensations. Sa fiancée Claire ne l'attire plus ; il semble qu'une transformation s'opère en lui. Il ne peut se confier qu'à son fidèle ami Gaston. Il n'ose rompre ses fiançailles par peur de son père qui voit dans cette union le moyen d'associer son commerce de boulanger à celui des pompes funèbres du père de Claire. Il fait appel à la psychanalyse, mais celle-ci ne peut rien faire pour lui. Sa nuit de noces est un véritable désastre. Il s'enfuit, désespéré, et se réfugie dans une clinique où il se soumet aux expérimentations d'un professeur qui promet de le réconcilier avec lui-même en transformant son corps en celui d'une femme. La transformation est longue et laborieuse, mais lui permet de devenir enfin lui-même, Charlotte. Soutenu par son fidèle ami Gaston, il refait son apparition dans le monde extérieur après deux ans d'absence. Rejeté par sa famille, il gagne sa vie en tant que meneuse de revue dans un cabaret où il/elle danse à moitié nue. Charlotte trouvera le bonheur en épousant un de ses soupirants qui se révèlera lui-même être une femme transformée en homme...

Au début du film, Charlie ressent des sensations étranges, des changements semblent s'opérer en lui qu'il attribue à des maux d'estomac : « J'ai l'impression que tout ce que j'éprouve vient de l'estomac » confie t’il à son ami Gaston. Dans son régiment, au réveil, il éprouve pour la première fois un sentiment inconnu, la pudeur, et refuse de s'habiller devant ses compagnons.

Scène 1: Charlie décide d'aller voir un psychanalyste, une sommité médicale. Ce professeur, à sa grande surprise, se révèle être une femme d'âge moyen élégamment vêtue. Elle s'exprime avec grandiloquence. Charlie répond en murmurant, assis dans un fauteuil. Le psychiatre se tient debout, derrière, appuyée sur le dossier du siège ; elle manifeste ainsi une présence non visible mais oppressante.

« La dernière fois que vous avez rencontré une femme, que s'est-il passé ?

- Rien, rien, rien, absolument rien.

- Non, mais vraiment rien ? Enfin, je ne parle pas de toute l'octave, mais un simple accord, une note même...

- Non une pause, un soupir, une mesure pour rien.

- Votre mère désirait-elle un garçon ou une fille ?

- À l'époque, elle ne me faisait pas ces confidences...

- Elle avait tort ! Avez-vous eu beaucoup d'aventures féminines ?

- Beaucoup...Vous croyez que c'est dû à ça?

- Non [...]

- Mon cas est grave ?

- Inhibition émotive confusionnelle avec tendance à l'exagération des syndromes, rien de très simple, vous voyez.

- En effet !

- Rêvez-vous quelque fois que vous êtes marié ?

- Souvent !

- Marié avec qui ?

-Dans mes rêves de mariage, il n'y a pas d'homme, seulement deux mariées en robe blanche...

- Double blanc! Complexe du domino ! S'exclame la psychiatre d'un air triomphal.

- Vous vous mariez demain ?

- Mmh...Il faudrait un long traitement.

- Ça peut revenir ?

- Ça peut revenir à 500 000 francs. »

La nuit de noces est un fiasco. Charlie s'enfuit au petit matin et se réfugie auprès de sa psychiatre. Lorsqu'il lui demande, désespéré, de l'aider, elle lui répond en lui posant une main consolante sur l'épaule :

« A ce point là, ça n'est plus de moi que ça va dépendre. »

Scène 2: La psychiatre adresse son patient à un chirurgien qui se consacre à la transformation des corps. Le chirurgien à la longue barbe blanche, la psychiatre en élégante tenue de ville, un assistant et Charlie en peignoir, sont réunis dans une salle d'examen. Le chirurgien prend des mesures, et l'assistant les note consciencieusement sur un carnet.

« Cinquante et un, quarante deux, trente trois, dix sept, cinq et six.

- Dix sept, cinq et six, répète l'interne.

- Tu as peur ? Interroge le chirurgien en s'adressant à Charlie.

- Non !

- Il faut avoir peur, ça fait partie du traitement.

- Tu es prêt ?

- Ça dépend, à quoi?

- Réponds simplement, ici c'est moi qui pose les questions. Es-tu prêt, vraiment ? Verrier, quelque chose d'amusant pour toi! lance le chirurgien à son assistant.

- Appendicite ?

- Non! Ablation de moustache ! Rétorque le professeur l'air goguenard. C'est un cas très intéressant, ce sera mon chef d'œuvre ! [...] Cas tout à fait adapté à mon génie ! Si j'avais été

né cent ans plus tôt, Alfred de Musset aurait donné le jour à deux enfants dont Georges Sand aurait été le père! Quel dommage!

- C'est fait, professeur et sans anesthésique ! intervient son assistant avec fierté.

- Merci ! Ah, charmant, délicieux ! N'est-il pas mieux comme ça ! Mmh … il est magnifique, un premier pas vers la transformation finale ! Ecoute bien à partir de maintenant, tu n'es plus en circulation, tu m'appartiens, tu es mon bien, ma chose. Tu vas écrire chez toi pour rassurer ton monde, compris ? Bon, parfait, on va te montrer ta chambre. J'ai deux oursins à finir, deux wistitis à expédier et je suis à toi. »

Après deux ans passés clandestinement dans la clinique, Charlie devient Charlotte.

Discussion :

On retrouve ici le rapport du médecin au « corps objet » notamment dans la scène 2, où Charlie est présenté par son chirurgien comme « un cas très intéressant... », tout à fait adapté à son génie. Au cours de la consultation, on prend ses mesures comme on le ferait d'un vêtement. Il va subir les expérimentations audacieuses de son chirurgien, qui recherche la gloire à travers la transformation de son corps : « Tu seras mon chef d'œuvre ! ». Le film nous offre une caricature de médecin prêt à toutes les expériences : « J'ai deux oursins à finir, deux wistitis à expédier et je suis à toi ».

Le thème central du film est la transsexualité : Charlie ressent peu à peu une transformation en lui, comme si son corps n'était plus vraiment le sien. Le chirurgien va l'aider à correspondre à l'image mentale qu'il a de son corps, à se réapproprier son identité sexuelle : Charlie devient Charlotte. Sa féminisation lui permet enfin de s'épanouir, elle assume son corps et l'expose en dansant dans un cabaret où elle tient la vedette. Elle accepte enfin avec enthousiasme le mariage avec un homme qui se révèle lui-même être un transsexuel. L'intérêt du film selon nous réside essentiellement dans son sujet, particulièrement audacieux pour l'époque.

III.3.2.1.2. Le rapport au corps malade et mortel : la représentation imaginaire

Dans le document THESE DOCTORAT EN MEDECINE (Page 79-91)