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Le corps organe

Dans le document THESE DOCTORAT EN MEDECINE (Page 69-79)

III. RESULTATS ET ANALYSE

III.3. Représentation cinématographique du rapport au corps dans la

III.3.1. La représentation de la relation du médecin

III.3.1.3. Le corps organe

Le cinéma nous montre le corps du malade réduit par les scientifiques à un corps morcelé, un corps organe. Les films « Faux-Semblants » et « L'aventure intérieure » [54] illustrent bien cette idée.

Faux-Semblants:

Film américain, 1989

Réalisateur : David Cronenberg

Genre : drame psychologique et film d'horreur, inspiré de « Twins » best-seller de 1977

Interprètes: Jeremy Irons, Geneviève Bujold, Heidi Von Palleske

Résumé : Elliot et Beverly Mantle, deux jumeaux surdoués, vouent dès leur plus jeune âge une passion aux questions d'ordre médical, notamment sexuelles. Devenus adultes, ils se consacrent à la gynécologie et possèdent une luxueuse clinique très prisée où les stars et les nantis viennent confier leurs problèmes de stérilité. Malgré leurs dissemblances de caractère (Beverly, travailleur acharné, réservé, sensible et Elliot, personnage social dominateur à l'assurance inébranlable qui collectionne les conquêtes), ils partagent tout : leur appartement, leurs patientes, et leurs conquêtes, jouant de leur ressemblance physique. La rencontre de Claire Niveau, actrice célèbre d'âge mûr, rongée par la drogue et l'alcool, qui consulte pour stérilité, va bouleverser l'unité apparemment parfaite des deux frères. Atteinte d'une malformation utérine exceptionnelle, un utérus tricorne, elle suscite l'intérêt d'Elliot qui après l'avoir séduite la livre à son frère. Beverly ne tarde pas à tomber amoureux de l'actrice et la naissance de ce sentiment intime, personnel, va peu à peu désunir ces frères presque siamois. Berverly se laisse entraîner par Claire dans un univers désespéré de drogue et de luxure. Il sombre peu à peu dans la folie et fabrique des instruments gynécologiques des plus étranges, presque des instruments de torture. On peut s’interroger : s’agit-il de punir les femmes, responsables de sa séparation d'avec Elliot et de son morcellement ? Les deux frères sombreront dans la folie. Enfermés dans leur appartement, Beverly sacrifie son frère sur une table d'examen à l'aide de ses instruments en lui ouvrant le ventre puis se donne la mort. Le film se termine par un plan sur les deux jumeaux étendus, sans vie, côte à côte, sur des tables d'examen.

Au début du film, le réalisateur nous montre l'intérêt des jumeaux dans leur enfance pour les questions médicales. Ainsi, ils s'exercent à la dissection sur des poupées mannequins, prémices de la relation au « corps objet ». Par la suite, on les voit étudiants, occupés à étudier des cadavres en cours d'anatomie à la faculté. Leur professeur montre un certain étonnement en remarquant dans leur matériel un instrument supplémentaire que Beverly a lui-même élaboré pour l'examen gynécologique, une sorte de spéculum terminé par une diabolique griffe de métal. Le professeur s'empresse de souligner que ce genre de matériel ne doit en aucun cas être utilisé sur des corps vivants.

Scène 1 : La scène se déroule dans une salle d'examen luxueusement équipée de la clinique des frères Mantle. Le premier plan montre un drap blanc tendu tenu par deux doigts d'une main gantée. La main gantée abaisse le drap, le visage de Beverly Mantle apparaît, l'air préoccupé.

« Alors, y a bien tout ce qu'il faut, Docteur ? » prononce une voix féminine ; on ne distingue par encore le corps dont elle provient.

« Oui, il y a tout. »

On visualise enfin une femme d'une quarantaine d'année, l'air sophistiqué et désabusé, le corps livré en position gynécologique recouvert d'un drap blanc.

« Plus deux ou trois choses qui ne devraient pas y être, ajoute-t-il le dos tourné.

- Pas drôle.

- Euh non je ne voulais pas être drôle... Veuillez m'excuser une minute, je reviens tout de suite. »

Il quitte la pièce. La femme désormais seule dans la pièce abandonne son air cynique et soupire, envahie par un désarroi manifeste. Elle craint de ne pouvoir être mère.

Beverly pénètre dans le bureau de son frère, manifestement sur le départ, vêtu d'un élégant smoking, en pleine conversation téléphonique.

« Lee, j'aimerais que tu vois ça avant de partir.

- C'est une trifidée!!!Je n'ai jamais vu ça !

- Oui j'arrive tout de suite, c'est le Docteur Mantle, que la voiture m'attende. »

Elliot consulte rapidement la fiche de la patiente. Il s'écrit l'air enthousiaste :

« Claire Niveau, la grande Claire Niveau ! Qu'est-ce qu'elle fait chez nous? Sa vie est vide parce que sans enfant, récite-t-il l'air cynique.

- Oh! D'où tires-tu ta science ?

- Oh je t'en prie Bev, tout le monde sait ça ! Tu ne lis jamais ce genre de presse ? Sans enfant la vie des stars est vide !

- Et bien j'espère que ce genre de presse peut nous expliquer comment la rendre fertile parce que moi je n'en sais rien.

- Bon alors, voyons si moi, j'ai une solution Lee !

- Tu penses à ton dîner avec la femme du président ? rappelle Elliot d'un ton narquois.

- Hélas la bella comtessa attendra un peu ! »

Elliot après avoir revêtu une blouse pénètre dans la pièce, se substituant à son frère. Il est identique à son frère mais son air est différent, plus audacieux. Il enclenche le fauteuil électrique tout en regardant la patiente dans les yeux.

« Bien, je vais voir cela ! »

La caméra alterne durant l'examen des plans sur leurs deux visages.

« Mmh... », soupire la femme en tournant la tête traduisant la sensation désagréable d'une main étrangère dans son corps.

« Oui ! C'est fantastique ! s'exclame Elliot l'air inspiré.

- Vous devez savoir ce qu'est la beauté intérieure ! Je pense que les organes mériteraient qu'on leur fasse des concours de beauté; la plus belle rate par exemple, les reins les plus parfaits ! Pourquoi le corps tout entier n'aurait-il pas des critères de beauté, internes et externes ? » proclame Elliot, sentencieux.

Scène 2 : Dans un grand restaurant huppé, Claire Niveau, son agent et Elliot sont attablés. « Docteur, parlez-moi de mon utérus !

- Et bien, le vôtre a trois parties, trois cols menant à trois cavités différentes. C'est fabuleusement rare ! »

L'agent poursuit son repas l'air dégoûté.

« Avez-vous des problèmes de règles ? »

Cette fois l'agent se retire précipitamment, bredouillant une excuse.

« En fait j'ai presque jamais mes règles, une ou deux fois dans l'année, mais pas très enthousiastes. (Elliot hoche la tête l'air entendu). Je pourrais avoir des jumeaux, vous croyez, un dans chaque compartiment ? Questionne-t-elle Elliot d'un ton faussement ingénu.

- Non ça n'est pas ça du tout.

Scène 3 : Après le dîner, Elliot et Claire Niveau ont une relation sexuelle ardente. Comme à son habitude, Elliot le confie à son frère et lui offre de lui succéder. Beverly se rend donc au domicile de l'actrice. Elle l'accueille se serrant lascivement contre lui.

« Qu'est ce que tu m'as fait hier soir, j'en vibre encore de partout tu sais!!! Puis changeant de ton : alors Docteur quels sont les pronostics? Est-ce que je peux avoir un bébé oui ou non ?

-Tu me demandes ça, là ?

-Les résultats devaient être prêts pour aujourd'hui !

- Il n'y a aucune chance que tu aies jamais un enfant, annonce abruptement Beverly l'air gêné.

- J'en suis pas surprise, constate Claire contenant manifestement sa tristesse. »

Claire reprend ensuite son attitude sensuelle, mais Beverly ne sait comment réagir. Leur entrevue tourne au fiasco. Il rentre au cabinet alors qu'une patiente s'enfuit en pleurant de la salle d’examen, suivie d'Elliot. Celui-ci déclare, désabusé :

« Je n'ai pas l'art et la manière avec les sérieuses...Déjà là ?

- Je n'ai pas l'art et la manière avec les frivoles, rétorque Beverly.

- C'est une actrice, toujours en représentation, on ne sait jamais qui elle est, quel rôle elle joue. »

Scène 4 : Claire Niveau est nue, ligotée avec des instruments médicaux, des garrots, des pinces. Elliot lui fait l'amour. Après le plaisir, l'actrice fond en larmes dans les bras de son amant.

« Qu'est ce qu'il y a ? Demande-t-il avec douceur.

- Je ne serai jamais enceinte, je n'aurai jamais d'enfant, sanglote t’elle tout en l'embrassant avec effusion. Quand je serai morte, je serai simplement morte. J'aurais jamais été une femme, juste une fille. »

Elle l'étreint avec force.

« Tu peux toujours adopter un bébé, lui suggère-t-il maladroitement.

- Ce serait pas pareil, il ne ferait pas partie de mon corps. Ne dis rien, je t'en prie, je suis si vulnérable, une plaie toujours béante. »

Scène 5: Beverly se prépare à opérer sous cœlioscopie pour rendre une femme fertile. La scène comporte un caractère sacré, cérémoniel, ses fidèles assistants l'habillent solennellement, tel un cardinal qui revêt sa robe de pourpre avant d'officier. Les bras en croix, il a le regard perdu vers un ailleurs. Il pénètre dans la salle d'examen et commence l'opération, ses assistants sont vêtus de rouge. Des étudiants dans une pièce vitrée adjacente suivent l'opération que commente Elliot en élégante tenue de ville à l'aide d'un micro :

« Il serait bien sûr exagéré de dire que nous pouvons fabriquer un nouveau jeu de trompes de Fallope avec les premiers accessoires venus. Ces trompes sont des organes hautement spécialisés mais grâce à certaines techniques dont nous disposons, il est possible de modifier certains autres canaux, disons une veine ou bien comme aujourd'hui un lymphatique fémoral auquel nous allons assigner la fonction de transporter l'œuf de l'ovaire à l'utérus. »

Discussion:

Les deux frères Mantle sont depuis leur plus jeune âge fascinés par les mystères du corps anatomique, tout particulièrement le corps féminin. Ils dissèquent des poupées mannequins puis une fois à la faculté, ils étudient des cadavres. Leur fascination pour percer l'enveloppe charnelle les conduit à inventer de nouveaux instruments permettant des explorations toujours plus poussées. Ces outils prennent un caractère inquiétant : leur but n'est pas d’éviter la douleur mais de percer l'enveloppe charnelle, avec une cruauté voulue: ainsi le spéculum terminé par une griffe de métal ne manque pas d'inquiéter leur professeur d'anatomie.

Ils vouent un culte aux organes. Beverly manifeste un enthousiasme déplacé face à l'utérus de Claire Niveau : « C'est une trifidée ! Je n'ai jamais vu ça ! », tandis qu’Elliot s'emporte devant la malade : « Oui c'est fantastique ! », et lui parle de concours de beauté pour les organes qu'elle pourrait remporter aisément, alors qu'il est question de stérilité. L’organe glorifié par les deux frères est l’utérus, dépositaire du mystère du corps féminin.

Dans un registre plus léger, « L’aventure intérieure », film réalisé par Joe Dante en 1987, met en scène des scientifiques qui investissent le corps humain et l’explorent organe par organe. Le lieutenant Joe Dante accepte de participer à une expérience scientifique dans un cadre militaire consistant à l’injecter dans le corps d’un lapin. L’expérience est bouleversée par l’irruption d’espions ennemis et, après de multiples péripéties, le lieutenant est injecté par erreur dans le corps d’un simple employé de magasin, nommé Jack, névrosé et dépressif. Dans une scène, le lieutenant dans son vaisseau miniaturisé désire accéder au champ visuel de son hôte accidentel.

« Connexion nerf optique première phase », annonce l’ordinateur central. « Coordonnées trajectoire nerf optique. »

S’affiche alors sur l’écran un plan du système veineux menant de la veine supérieure du grand fessier où le vaisseau a été injecté à la veine jugulaire droite et au chiasma optique.

Le vaisseau s’achemine dans une veine, éclairé par ses phares, dans les turbulences provoquées par le courant d’hématies.

« Censeur optique primo armé. »

Le censeur optique est envoyé et se fixe sur la rétine de Jack, provoquant une douleur intense dans son œil.

On voit apparaître le champ visuel de Jack sur l’écran de l’ordinateur du lieutenant et des scientifiques à l’origine de l’expérience.

Jack se trouve ainsi morcelé, visité, organe par organe. Les images de l’intérieur du corps sont retransmises sur l’écran des scientifiques. La science prend possession du corps humain.

En général, le cinéma nous montre des médecins qui appréhendent le corps de leur malade uniquement par le biais de l’organe dont il se plaint. Dans « Journal intime », il n’est question que de la peau et du prurit du réalisateur, sujets de tous les commentaires : « La peau est un peu sèche », « il existe un dermographisme des plus évidents ». De même les jumeaux gynécologues de « Faux-Semblants » se fascinent pour l’utérus tricorne de leur patiente. Le médecin nous est également représenté dans « Johnny s’en va-t-en guerre » et dans « Docteur Jekyll and Mister Hyde » comme un scientifique sans scrupule, prêt à soumettre le corps malade, tel un objet, à toutes les expériences, afin de servir sa gloire personnelle et le progrès.

III.3.2. Le médecin et le patient face au « corps

Dans le document THESE DOCTORAT EN MEDECINE (Page 69-79)