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Les trois corps appréhendés par les

Dans le document THESE DOCTORAT EN MEDECINE (Page 38-45)

III. RESULTATS ET ANALYSE

III.2. Les trois corps : une trinité "unitaire"

III.2.4. Les trois corps appréhendés par les

Si l’on aborde le point de vue des psychiatres et des psychanalystes pour nous éclairer sur la définition des trois corps, on s’aperçoit que la psychiatrie appréhende l’individu dans une approche globale. Les trois corps cohabitent dans la pensée psychiatrique, intimement mêlés. La distinction entre les trois dimensions du corps y est beaucoup plus difficile à faire, à la différence de la médecine où le « corps objet » prédomine. Nous allons le montrer en reprenant de façon synthétique l’évolution de la relation de la psychiatrie au corps des patients, orientée par le contexte historique, au travers de quelques figures marquantes de la psychiatrie et de la psychanalyse. Nous exposerons certaines théories psychanalytiques sur le corps de façon simplifiée dans un souci didactique afin d’expliciter notre propos.

C’est Philippe Pinel (1745-1826) qui illustre le premier tournant de la psychiatrie quant à son rapport au corps des patients. [34, 67] Jusqu’alors considérés comme des créatures possédées, plus ou moins dangereuses, les aliénés étaient attachés avec des chaînes. Pinel fera supprimer les fers des malades mentaux alors qu’il est médecin-chef à l’hôpital de Bicêtre. Au-delà d’un

acte d’humanité, c’est aussi la reconnaissance du patient dans sa dimension d’être souffrant. Cette reconnaissance des aliénés en qualité de malades, et de ce fait de sujets, est vraisemblablement en relation avec le courant révolutionnaire et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Tout être humain mérite des égards. Le contexte historique a modifié le regard des soignants sur les malades mentaux, permettant une rupture par rapport à des pratiques telles que l’exorcisme. Pinel est à l’origine de la première classification des maladies mentales, œuvre qui intéressera nombre de générations de médecins. Philippe Pinel est un proche d’Anne-Catherine Helvétius, femme du philosophe Helvétius qui s’opposa à Rousseau sur ses approches de l’éducation des enfants. Ce nouveau regard sur l’enfant, dans le contexte des Lumières, témoigne aussi de la même vision de l’être humain comme singulier dans ses droits à la protection de la société qui l’héberge.

C’est à Johann Christian August Heinroth, médecin psychiatre allemand (1773-1843) que l’on doit un regard très singulier sur le patient puisqu’il réunit pour la première fois la psyché et le soma pour se risquer à proposer la notion de psychosomatique, sans toutefois la nommer, où se fait la réunion du « corps objet », support de la lésion, et des « corps imaginaires et symboliques ». [34, 67] De façon implicite, sans le conceptualiser, le philosophe Antiphon d’Athènes (- 480 à Ŕ 410) tient une consultation dans un temple près de l’agora de Corinthe où il soulage par le verbe les souffrances des patients. [35] Ce premier cabinet de psychothérapie a-t-il inspiré au XVIIème siècle Marin Cureau de la Chambre (1594-1669), médecin du chancelier Siguier, puis de Mazarin qui, à l’image d’Antiphon le sophiste, assurait à son illustre patient des soins par la parole, le rendant précurseur de la psychothérapie ? [3, 20] Du philosophe grec jusqu’à Heinroth en passant par Cureau de la Chambre, autant de tentatives d’appréhender, dans une démarche thérapeutique, le corps souffrant des malades au travers de ses trois dimensions.

A la suite de Pinel, son élève Etienne-Jean Georget (1795-1828) affinera la classification de son maître. Ce psychiatre, médecin-chef à la Salpêtrière commandera au peintre Théodore Géricault une série de tableaux représentants des aliénés (illustration 19). La représentation picturale est saisissante, en particulier sur les expressions des regards. Les tableaux, au delà de leur valeur illustrative pour les étudiants de Georget, contribuent à saisir une représentation de la folie empreinte sur le corps du sujet malade. Ainsi la

Illustration 19: Le monomane ou Le fou aliéné de Théodore Géricault, 1822

peinture vient au secours de la nosographie pour mieux circonscrire la maladie dans le visage halluciné du malade : elle offre une représentation imaginaire de la maladie mentale.

La monomane du jeu de ThéodoreGéricault La monomane de l'envie ou

La hyène de la Salpêtrière de Théodore Géricault, 1821

Jean-Martin Charcot (1825-1893) peut-être considéré avec Guillaume Duchenne de Boulogne (1806-1875) comme le fondateur de la neurologie moderne. [34, 67] Ses travaux sur l’hystérie ont replacé le sujet au centre de son approche de la psychopathologie. S’il ne nous échappe pas que ses présentations cliniques procèdent de l’exposition du corps objet de science, il convient de souligner la rupture qu’il opère en considérant l’hystérie comme une psychopathologie et non comme une forme théâtrale de simulation. Il prend en compte le malade dans sa globalité physique, imaginaire et mentale, et s’appuie sur l’histoire du sujet. De nombreux psychiatres et neurologues viendront enrichir la nosologie de leurs disciplines de la fin du XIXème siècle à nos jours. C’est au milieu du XXème siecle qu’un courant radical quant à la vision du malade mental, se fait jour. Le patient malade psychiatrique n’est que le résultat des contraintes sociales ou familiales sur les plus faibles des individus qui composent le groupe. Le courant antipsychiatrique fondera son approche du malade mental sur une critique politique. La folie n’est que la manifestation dédiée à un être de la famille qui en serait l’émissaire, les autres se tirant à moindre dommage des pressions extérieures, le malade est en quelque sorte le symptôme de sa famille, telle se résumerait la théorie défendue par les anglais Cooper et Laing. [36, 37] En Italie, Franco Basaglia voit dans le malade le

résultat de l’oppression sociale à laquelle le sujet malade ne peut répondre qu’en se démarquant des modèles culturels et sociaux. La maladie mentale témoignerait de la maladie sociale et la folie en serait une réponse pour y échapper. Les sujets les plus fragiles, les plus démunis, les moins « adaptés » aux violences de la société développent des maladies mentales. Que ce soit chez David Cooper et Ronald Laing ou Franco Basaglia, l’être souffrant est en relation permanente avec un environnement qui l’opprime : de cette relation le « corps symbolique » prend toute sa place pour peu que l’on veuille voir la résonance qui se fait entre le corps de l’être souffrant et le corps social. Pour les anti-psychiatres, il existerait un continuum entre la norme et le pathologique, sans rupture entre deux mondes.

Le XXème siècle verra l’apport déterminant de la psychanalyse quant à la question du corps tridimensionnel. On ne retiendra que la référence au « corps imaginaire » comme étape constitutive du sujet au travers du stade du miroir. Le psychologue et neuropsychiatre Henri Wallon (1879-1962) est le premier a ébaucher la notion de stade du miroir comme l’un des stades constitutifs de l’appropriation par l’enfant de son identité. [38] Le processus, qui se produit lors du stade émotionnel de Wallon de six à douze mois, comprend quatre grandes étapes décrites par René Zazzo, l’un de ses élèves : l’enfant reconnaît tout d’abord l’image de l’autre, puis il prend son image pour celle d’un autre enfant et semble jouer avec. S’ensuit un malaise éprouvé par l’enfant face à son reflet dont il se détourne obstinément. Enfin, l’enfant vient à s’identifier à sa propre image. Il se sert de l’image extériorisée du miroir pour unifier son corps. On doit à J. Lacan (1901-1981) le développement plus avant de ce concept qui permet de cerner le moment où un enfant construit son identité au travers de sa propre image reconnue comme lui-même dans un miroir. [26, 27] Dans une communication faite au XVIème Congrès international de la psychanalyse, à Zurich, le 17 juillet 1949, J. Lacan parle de « stade du miroir comme formateur de la fonction du « Je » telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique ». Ainsi, pour J. Lacan, ce stade est formateur de la fonction sujet, le « je », de l’enfant âgé entre six et dix huit mois. Cette fonction ne peut se mettre en place que par la présence de l’autre. En effet, pourquoi dire « je » s’il n’y a personne à qui l’opposer ? Le sujet est donc social, il a besoin de l’autre pour se constituer. A un stade où l’enfant a déjà fait sur le mode angoissant l’expérience de l’absence de sa mère, le stade du miroir manifesterait la prise de conscience rassurante de l’unité corporelle. Selon J. Lacan, l’enfant jubile en contemplant l’image de son unité, à un moment où il ne maîtrise pas physiologiquement cette unité. Ce vécu du morcellement corporel et le décalage que provoque cette image spéculaire entière, permettent l’identification de l’enfant à sa propre image,

identification qui n’est qu’une anticipation imaginaire aliénante. D’autres psychanalystes comme Françoise Dolto (1908-1988) ont fait part de leur approche personnelle autour du concept du stade du miroir. [39, 40, 41] Alors que pour J. Lacan le miroir est une surface plane réfléchissante, pour F. Dolto, il est une surface réfléchissante de toute forme sensible, visible comme psychique : le miroir n’est pas seulement l’image scopique, il peut aussi bien être la voix ou toute forme sensible. Pour F. Dolto, le sujet pré-spéculaire existe dès la conception. Elle parle de cohésion du corps autour des références olfactives et viscérales qu’elle appelle « narcissisme primordial ». Le stade du miroir est donc certes un structurant symbolique, réel et imaginaire mais il est surtout l’inscription définitive du sujet dans son corps biologique, une fin et non un début. L’opposition n’est plus dans un face à face mais plutôt entre deux images différentes. Enfin, concernant la réaction de l’enfant face à son image, contrairement à Lacan qui affirme que l’enfant jubile, Françoise Dolto considère que l’enfant souffre de cette castration symboligène, passant de l’image inconsciente du corps à l’assujettissement de celle-ci à l’image réfléchie. Elle nous dit dans « L’image inconsciente du corps » p.151: « C’est l’expérience du miroir seulement qui donne à l’enfant le choc de saisir que son image du corps ne suffisait pas à répondre pour les autres de son être connu d’eux. Qu’elle n’est donc pas totale. Ce qui ne veut pas dire que l’image scopique réponde de lui. Cette blessure irrémédiable de l’expérience symbolique, on peut l’appeler le trou symbolique dont découle, pour nous tous, l’inadaptation de l’image du corps et du schéma corporel dont nombre de symptômes viseront à réparer l’irréparable dommage narcissique. » Il ne se réduit pas seulement à cette image que lui renvoie le miroir et devant laquelle s’extasie sa mère.

Le « stade du miroir » est donc un processus essentiel pour distinguer l’extérieur et l’intérieur (le moi intéroceptif et extérieur) et différencier le Moi et l’Autre, la relation affective que l’enfant entretient avec les autres de symbiotique (relatif à un soutien mutuel) devient anaclitique (conscience de ce soutien). L’enfant découvre également que l’Autre dans la glace n’est qu’une image et non un être réel : il passe du réel à l’imaginaire.

C’est sûrement du côté des psychanalystes qui s’intéressent à la psychosomatique qu’il y a le plus matière à trouver une réflexion autour du corps du malade dans toutes ses dimensions. [30, 31, 42] Sandor Ferenczi (1873-1933), neuropsychiatre, avance une interprétation originale de l’épilepsie comme maladie imputable à la souffrance de la mère au moment de la naissance : l’épilepsie se développerait chez l’enfant dont la mère aurait frôlé la mort au moment de l’accouchement. [42] L’épilepsie chez le patient serait l’expression du danger de mort de sa propre mère, créant un lien entre ces deux êtres. La crise d’épilepsie correspondrait

à une tentative de suicide par blocage respiratoire. Georg Groddeck (1886-1934), auteur du « livre du ça » publié en 1921, pour sa part affirme que toute maladie est psychosomatique; [43] ainsi, la réflexion autour de la relation du sujet à son corps malade met en scène la lésion du corps propre, l’imaginaire qu’elle mobilise, et la dimension symbolique qui renvoie à l’histoire du sujet et de sa famille. Il écrit à S. Freud en mai 1917 qu’il a « la ferme conviction que la distinction entre l’esprit et le corps n’était qu’un mot, et non une distinction essentielle, que l’esprit et le corps sont une entité qui héberge un çà, une puissance par laquelle nous sommes vécus alors que nous pensons vivre […]. Je soutiens que l’homme est animé par l’Inconnu, une force merveilleuse qui dirige à la fois ce qu’il fait et ce qu’il advient. ». Pour G. Groddeck, il n’y a pas de différence de nature entre les pathologies psychiques et organiques, rompant avec la vision d’un homme partagé entre soma et psyché. Toute maladie devient l’expression du « corps symbolique ». G. Groddeck apporte une vision unitaire, globale de l’individu, proche du surhomme de Friedrich Nietzsche. J. Lacan, quant à lui, nous dit en réponse à une question sur la psychosomatique en 1975 : « Il est certain que c’est dans le domaine le plus encore inexploré. Enfin c’est tout de même de l’ordre de l’écrit. Dans beaucoup de cas, nous ne savons pas le lire. Il faudrait dire ici quelque chose qui introduirait la notion d’écrit. Tout se passe comme si quelque chose était écrit dans le corps, quelque chose qui est donné comme une énigme. […] Oui le corps considéré comme un cartouche, comme livrant le nom propre ». Ainsi, le psychanalyste se doit d’écouter ou de lire le corps et son symptôme. C’est au psychanalyste Jean Guir que l’on doit les avancées les plus novatrices et actuelles en matière de psychosomatique. [44] Il situe le phénomène psychosomatique Ŕ il ne parle pas de maladie psychosomatique, et encore moins de malade psychosomatique Ŕ dans un effet de « cristallisations » de signifiants présents dans l’inconscient du malade, tels que des signifiants de date, de nom propre ou de lésion. C’est par le langage que le sujet exprime son symptôme, qui, s’il est signe, peut être sens. L’expression libre de la part du patient, les liens qu’il fait entre sa pathologie et sa vie contribuent à remodeler un sens à sa maladie. C’est un « corps qui parle d’un mal de quelque chose » selon F. Moreau. [45] Un trouble de la relation au père serait sous-jacent : la lésion aurait fonction d’un « appel au père » ; ainsi il se met en place une jouissance paradoxale mortifère autour du phénomène psychosomatique. La maladie permet de jouir du corps de l’autre et de se l’approprier symboliquement par un lien imaginaire. Pour exemple la fille d’un homme décédé d’un AVC, rencontrée au cours de consultations, développera à huit ans - l’année du décès de son père - une migraine qui ne cesse de s’aggraver avec le temps la liant toujours plus intimement avec son père disparu. Si nous écoutons J. Guir : « L’inscription psychosomatique dans le corps du patient retrace donc

en définitive l’histoire du corps d’un autre. […] Le sujet se fait représentant organique d’une histoire des corps de sa lignée, en écho à l’inscription aberrante des signifiants de sa filiation. L’organe atteint fonctionne comme un organe volé à un autre et tente de jouir comme s’il appartenait à cet autre. […] Le sujet atteint d’un trouble psychosomatique fonctionne donc avec un morceau du corps d’un autre ». J. Guir, médecin, formé à l’Institut Pasteur, défend une « psychosomatique lacanienne » fondée sur la théorie du signifiant et son écriture dans le corps. Concernant les « phénomènes psychosomatiques », il relève une prévalence particulière du patronyme du patient, des dates qui jalonnent son histoire ou celle de sa famille, des holophrases, véritables mot phrases que l’on retrouve dans l’ombilic des rêves, qui peuvent apparaître au cours de la cure. Là, plus que jamais, le corps du malade est sollicité au travers de sa dimension pathologique, mais tout autant dans ses dimensions imaginaires et symboliques.

Ainsi, les psychiatres conçoivent le corps comme un « corps parlant » et donnent au langage un rôle essentiel. Le corps n’est pas morcelé comme dans la médecine, il est appréhendé dans sa totalité.

Conclusion :

J’ai choisi de réaliser une lecture de la relation médecin-malade en analysant le rapport du médecin aux trois dimensions réelle, imaginaire et symbolique du corps malade. Cette approche de la corporéité s’inspire de concepts psychanalytiques extrêmement complexes. L’objet de mon travail n’était pas de les expliciter mais d’en rechercher la pertinence pour un usage des médecins dans leur pratique quotidienne. Le médecin généraliste, par son approche globale, occupe une place privilégiée dans la prise en compte des trois dimensions du corps : le « corps objet » par l’intermédiaire d’un examen clinique attentif, le « corps imaginaire » et le « corps symbolique » au travers du discours du patient, de son histoire et de la connaissance de son environnement. L’accompagnement thérapeutique, inscrit dans la durée, laisse au médecin et au patient, pour le premier le temps de ne pas réduire sa pratique au seul corps de la science, pour le second la possibilité de ne pas se soumettre à une approche morcelée de son corps souffrant.

III.3. Représentation cinématographique du

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