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Le « corps imaginaire »

Dans le document THESE DOCTORAT EN MEDECINE (Page 30-34)

III. RESULTATS ET ANALYSE

III.2. Les trois corps : une trinité "unitaire"

III.2.2. Le « corps imaginaire »

Nous entendons par « corps imaginaire » ce qui concerne l’inconscient accessible à la psychanalyse et la psychiatrie. Il s’agit de la représentation qu’a le malade de sa maladie et de son corps, et qu’il nous livre à travers son discours et son histoire. Nombreuses sont les théories psychanalytiques sur la définition du « corps imaginaire ». Nous les évoquerons par la suite.

Au cours de la consultation, les patients nous parlent de leur corps et de la façon dont ils interprètent leurs maux. L’anorexique au corps décharné percevra une image spéculaire déformée d’un corps obèse. A l’inverse, nous avons choisi d’illustrer cette notion à travers une situation clinique impliquant une patiente obèse que nous avons rencontrée dans notre pratique :

Au cœur d’une journée de consultations se présente une femme au visage triste, la cinquantaine, vêtue d’une longue robe noire à la coupe ample et droite visant sans doute à masquer son corps obèse. Cette femme, suivie régulièrement depuis quelques mois, apporte consciencieusement toutes les trois semaines son carnet alimentaire. Malgré son désir manifeste de maigrir, son corps semble résister. A l’écouter plus avant, elle nous révèle sa façon singulière de se représenter son corps :

« Comment vous voyez vous lorsque vous vous regardez dans une glace ?

- Je n’ai pas de glace chez moi, docteur. Cela fait des années que je les ai toutes supprimées. Mon seul miroir est mon miroir de poche qui me permet de me maquiller les yeux le matin. »

Cette femme ne se voit pas parce qu’elle ne se regarde pas. Elle n’a jamais une vision globale de son corps, et se limite à une vision réduite à ses yeux. Tout se passe comme si elle avait oublié son corps dont l’image globale reflétée par le miroir ne lui correspond plus. La patiente en cessant de se confronter à la glace, finit par ne plus se représenter. Cet exemple souligne l’importance de l’image spéculaire du corps à travers le miroir et à travers le regard de l’autre dans la notion de « corps imaginaire ».

Dans la mythologie grecque, la figure de Narcisse est particulièrement emblématique. Fils du dieu fleuve Céphise et de la nymphe Liriope, Narcisse, alors qu’il s’abreuve à une source, voit son image dans l’eau et en tombe amoureux. [22] Il reste alors de nombreux jours à se contempler dans l’eau et désespéré de ne pouvoir saisir sa propre image, il finit par dépérir et par mourir. Narcisse voit dans le miroir un reflet si parfait qu’il ne se reconnaît pas et se consume d’amour pour un objet inatteignable. Le « Narcissisme » est évoqué pour la première

fois par Sigmund Freud dans ses théories sur l’homosexualité en tant que pulsion sexuelle concentrée sur le « moi » du sujet. [23, 24, 25] Ce mythe n’est pas aussi sans rappeler le « stade du miroir » évoqué entre autres par Jacques Lacan, notion que nous développerons par la suite. [26, 27]

L’image perçue par le patient à travers le miroir, déformée ou fidèle, haïe ou vénérée, nous renvoie à sa vision imaginaire du corps et de ses pathologies.

Tout autant, le médecin a sa propre représentation imaginaire du corps du malade. Comme nous l’avons évoqué dans notre première partie, les médecins entretiennent depuis l’Antiquité un rapport imaginaire avec le corps humain : en témoignent notamment la théorie des humeurs d’Hippocrate, reprise par Galien (131-201), et les idées de Platon (428-348) décrites dans la Timée : « Chez les femmes, ce qu’on appelle matrice ou utérus est un animal qui vit en elles avec le désir de faire des enfants. [3, 28] Lorsqu’il reste stérile après la période de la puberté, il a peine à le supporter, il s’indigne, il erre par tout le corps, bloque les conduits de l’haleine, empêche la respiration, cause une gêne extrême et occasionne des maladies de toutes sortes… ». C’est de ce mal utérin que s’origine sémantiquement le mot « hystérie ». [3]

Illustration 9: Autoportrait de Lucian Freud, 1985

Illustration 10: Crépuscule à Venise de Claude Monet, 1908

Illustration 11: Nature morte avec coupe de fruits et mandoline de Juan Gris, 1919

Illustration 12: Personnages sur la plage de Pablo Picasso, 1931

Illustration 13: Nu descendant l'escalier de Marcel Duchamp, 1913

Dans le domaine artistique, l’autoportrait est particulièrement emblématique de la notion de « corps imaginaire ». Chaque peintre se représente comme il s’imagine : Rembrandt (1606-1669) fait preuve d’une certaine objectivité (illustration 6) tandis que Gustave Courbet (1819-1877) montre une certaine autosuffisance (illustration 7). Egon Schiele (1889-1918) se peint sous la forme d’un corps décharné (illustration 8), de même que Lucian Freud né en 1922, petit fils de Sigmund Freud,

qui se représente sous la forme d’un vieillard (illustration 9). A partir du XXème siècle, les peintres nous proposent une réalité déformée avec l’Impressionnisme (illustration 10), le Cubisme (illustration 11) et les figures colossales de Picasso (illustration 12). Le « Nu descendant l’escalier » de Marcel Duchamp qui provoqua l’hilarité et le scandale lors de son exposition de l’Armory Show à New York en 1913 (illustration 13), révèle un corps nu sous la forme d’une figuration en mouvements. En rupture avec le code du nu classique, le corps ne pose pas, il

déambule. Ainsi le corps anatomique ne peut être vu ; il est esquissé par une représentation du mouvement au travers de quelques vingt différentes positions statiques qui suggèrent l’acte successif de la descente. « J’ai voulu créer une image statique du mouvement […]. Peint comme il l’est en sévères couleurs bois, le nu anatomique n’existe pas, ou du moins ne peut être vu, car je renonçais complètement à l’apparence naturaliste d’un nu… », explique le peintre lors d’un documentaire télévisé sur cette période de 1911-1912. [68] Cette œuvre souligne les tendances futuristes de Duchamp vers la photodynamique en rupture avec la conception figée de la représentation du corps.

Illustration 6: Autoportrait de Rembrandt, 1665

Illustration 7: Autoportrait au chien noir de Gustave Courbet, 1842

Illustration 8:

Autoportrait au gilet d' Egon Schiele, 1911

Elle rappelle la photographie du coureur par Georges Demeny et Etienne-Jules Marey, physiologiste français (1830-1904), qui étudièrent le mouvement de la course en juxtaposant les images du corps dans les différentes phases du mouvement (illustration 14). Cette rencontre entre la science et l’art annonce le cinéma, art du mouvement par essence.

La transition du « corps imaginaire » au « corps symbolique » est illustrée dans la chrétienté. De la notion que « Dieu a fait l’homme à son image » découle la notion de « corps symbolique » et de filiation. Le corps de l’homme est à l’image de son père et créateur.

Dans le document THESE DOCTORAT EN MEDECINE (Page 30-34)