Section I La remise effective des arrhes
2. Le rôle de l'écrit dans la formation de la convention d'arrhes
40. Absence d'effet direct sur la perfection de la convention d'arrhes
Contrairement à ce qu'on pourrait croire à la seule lecture de l'article 90 de la LCS250,
l'écrit n'a pas d'effet direct sur la perfection de la convention d'arrhes. D'une part, le simple écrit constatant l'existence des arrhes n'est efficace que s'il est accompagné d'une remise. D'autre part, si les arrhes sont versées en l'absence de tout écrit, la jurisprudence dominante n'hésite pas à faire produire les effets juridiques de la
convention251, même si certaines décisions isolées prononcent la solution contraire252.
41. Attitude générale du droit chinois sur l'exigence de l'écrit : l'article 36 de la LCC Cette solution surprenante pour un observateur occidental trouve son
explication dans l'attitude générale du droit chinois envers l'exigence de l'écrit ad validitatetem. Animé toujours par un pragmatisme, le droit chinois ne veut pas qu'un défaut de formalité prive effet d'un contrat exécuté. La nette préférence pour la justice matérielle par rapport à la justice procédurale, voilà sans doute un trait caractéristique du droit chinois.
L'article 36 de la LCC en est une parfaite illustration. Selon ce texte, « si les parties n'ont pas établi le contrat sous forme écrite tel que le requièrent la loi ou les règlements administratifs ou tel qu'il en a été convenu par les parties, mais que l'une des parties a déjà exécuté ses obligations principales et que l'autre parties les a acceptées, le contrat est considéré comme conclu »253. Autrement dit, même si l'écrit est requis pour la formation
248 Tribunal de base de Minhang, Shanghai, 30 mars 2010, référence : CLI.C.582865. Selon le contrat, le versement des arrhes précède celui des acomptes.
249 Tribunal de base de Xihu, Hubei, 28 avril 2014, référence : CLI.C.3035841. 250 « Les arrhes doivent être stipulées dans un écrit. (…) »
251 Tribunal de base de Wenxian, Zhejiang, 7 décembre 2009, référence : CLI.C.248174; Tribunal de base de Tanghe, Henan, 30 octobre 2009; Tribunal de base de Shaoxing, Zhejiang, 25 août 2008, référence : CLI.C.1720467; Deuxième tribunal intermédiaire de Shanghai, 25 octobre 2002, référence : CLI.C.154571; Tribunal intermédiaire de Benxi, Liaoning, 17 janvier 2014, référence : CLI.C.2303564.
252 Tribunal de base de Xuhui, Shanghai, 2 novembre 2012, référence : CLI.C.1406266; Tribunal intermédiaire de Dongguan, Guangdong, 4 mars 2014, référence : CLI.C.2723996; Tribunal intermédiaire de Hangzhou, Zhejiang, 17 janvier 2014, référence : CLI.C.2464037.
253 La traduction de ce texte est emprunté de la version proposée par Mme M. Pei-Heng CHANG dans sa thèse La résolution
du contrat, le non respect de la formalité n'a pas toujours pour conséquence la nullité. Le contrat devient parfait dès lors qu'il est largement exécuté. Cette prise de position législative n'est d'ailleurs pas démentie par la jurisprudence, qui en fait une application
dans divers contrats où l'écrit est exigé par la loi : contrat de construction254, le gage255, la
cession du droit d'auteur256, le contrat de travail257, le contrat d'assurance258, ou le prêt
d'argent259. Mais c'est en matière de vente immobilière que le contentieux est le plus
fourni260. On comprend dès lors que l'absence d'un écrit n'a pas d'incidence directe sur la
validité de la convention d'arrhes.
42. L'écrit joue néanmoins une fonction probatoire très importante Il faut
néanmoins nuancer le propos, car s'il est vrai que l'écrit n'a pas d'incidence sur plan de la validité du contrat, sa fonction probatoire est loin d'être négligeable. Ceci est particulièrement vrai pour le contrat d'arrhes, puisque la matière est gouvernée par
une interprétation stricte compte tenu de la gravité de l'acte261. Il appartient à celui qui
entend mettre en œuvre le jeu des arrhes d'en prouver l'existence, mais cette tâche devient, sinon impossible, du moins extrême difficile, en l'absence d'un contrat
écrit262. D'où l'intérêt évident pour les parties d'inclure dans leur contrat une
stipulation d'arrhes. En pratique, le contrat oral d'arrhes se rencontre rarement, ce dont témoigne l'importance cruciale de l'écrit en la matière.
Reste à savoir quelle est la force obligatoire de la promesse du contrat d'arrhes.
254 Tribunal de base de Quanjiao, An'hui, 27 janvier 2014, référence : CLI.C.2297802 ; Tribunal de base de Huaiyin, Shandong, 8 octobre 2013, référence : CLI.C. 2412389 ; Tribunal intermédiaire de Xuchang, Henan, 27 mai 2013, référence : CLI.C.2015104 ; CPS, 25 avril 2013, référence : CLI.C.2227412 ; Tribunal de base de Yuzhou, Henan, 1 avril 2013, référence : CLI.C. 2243393 ; Tribunal intermédiaire de Huzhou, Zhejiang, 19 juillet 2010, référence : CLI.C.319203 ; Tribunal intermédiaire de Guangzhou, Guangdong, 6 juin 2005, référence : CLI.C.118542.
255 Tribunal de base de Wenxian, Henan, 22 août 2013, référence : CLI.C.1955624 ; Tribunal intermédiaire de Yueyang, Hunan ,27 août 2012, CLI.C.1169268 ; Tribunal intermédiaire de Yongzhou, Hunan, 1 octobre 2010, référence : CLI.C.1278403.
256 Tribunal supérieur de Hebei, 14 octobre 2010, référence : CLI.C.347252 ; Tribunal supérieur de Hainan, 1re août 2008, référence : CLI.C.82128 ; Tribunal intermédiaire de Foshan, Guangdong, 30 mai 2006, référence : CLI.C.50683.
257 Tribunal intermédiaire de Tianshui, Gansu, 26 mai 2011, référence : CLI.C.308903. 258 Tribunal intermédiaire de Pingdingshan, Henan, 20 janvier 2009, référence : CLI.C.286521.
259 CPS, 31 juillet 2013, référence : CLI.C.1793875 ; Tribunal supérieur de Shanghai, 13 juin 2005, référence : CLI.C.77951. 260 Tribunal supérieur de Hubei, 10 décembre 2013, référence : CLI.C.2117895 ; Tribunal de base de Beiguan, Henan, 4 octobre 2013, référence : CLI.C. 2167304 ; Tribunal intermédiaire de Changde, Hunan, 22 juillet 2013, référence : CLI.C.1503656 ; Tribunal intermédiaire de Xuzhou, Jiangsu, 13 mai 2013, référence : CLI.C.1434280 ; Tribunal de base de Xiangshan, Guangxi, 7 novembre 2012, référence : CLI.C.1187153 ; Tribunal intermédiaire de Nanning, Guangxi, 2 août 2012, référence : CLI.C.1862384 ; Tribunal supérieur de Henan, 28 avril 2012, référence : CLI.C.1135103 ; Premier tribunal intermédiaire de Hainan, 2 août 2011, référence : CLI.C.834284 ; Tribunal intermédiaire de Xinxiang, Henan, 26 mai 2011, référence : CLI.C. 671259 ; Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 10 septembre 2010, référence : CLI.C. 439680 ; Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 22 juin 2009, référence : CLI.C.324308.
261 On détaillera cette interprétation stricte plus loins dans cet ouvrage.
262 Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 18 septembre 2012, référence : CLI.C.1376628; Tribunal de base de Pudong, Shanghai, 6 juillet 2012, référence : CLI.C.978296; Tribunal de base de Zhongyuan, Henan, 19 avril 2012, référence : CLI.C.102785; Tribunal de base de Changning, Shanghai, référence : CLI.C.1957205; Tribunal de base de Wuxuan, Guangxi, 16 août 2012, référence : CLI.C.1196216.
B La valeur juridique de la promesse d'arrhes
43. Indifférence doctrinale sur la question La question de la valeur des
promesses du contrat réel occupe une place importante dans le débat doctrinal
français263. Par contre, la doctrine chinoise se montre indifférente à la question, à tel
point que l'on ne trouve pas, à l'état actuel, des développements spécifiques consacrés à ce sujet. Tous les auteurs se contentent de décrire la conséquence immédiate en cas d'absence de remise : le contrat d'arrhes ne prend pas d'effet. La question demeure entière s'agissant des effets éventuels que peut produire la promesse d'arrhes. Est-elle dotée d'une force obligatoire dont la violation donne lieu à des sanctions contractuelles?
44. Un premier courant jurisprudentiel : Absence totale de la force obligatoire pour la promesse L'examen des décisions judiciaires en la matière
nous donne une image beaucoup plus compliquée. Selon le premier courant jurisprudentiel, dominant sur le plan quantitatif, l'inexécution de la promesse n'est pas
un manquement contractuel264. Cette position est d'ailleurs conforme à l'article 119 de
l'Interprétation judiciaire sur la LCS que l'on a cité plus haut. Une remise non conforme à la prévision contractuelle n'est pas constitutive d'un manquement, mais est interprétée comme une modification du contrat initial. Deux arguments sont couramment avancés par les juges pour justifier une telle prise de position. Le premier tient au caractère réel de la convention265. Le second résulte du caractère
accessoire du contrat d'arrhes : l'inexécution du contrat accessoire n'emporte pas celle 263 V. par ex., M.-N. Jobard-Bachelier, art.préc.,n°5, p.6 :«Tester la valeur des promesses de contrat réel en droit positif est
désormais devenu indispensable pour pouvoir répondre utilement à la question de la survivance d'une notion de contrat réel en droit français ».
264 Tribunal intermédiaire de Lianyungang, Jiangsu, 20 octobre 2012, référence : CLI.C.2095663; Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 10 octobre 2012, référence : CLI.C.1376395; Tribunal intermédiaire de Jiaxing, 3 août 2011, référence : CLI. C.386939; Tribunal intermédiaire de Shenzhen, Guangdong, 29 octobre 2010, référence : CLI.C.851434; Tribunal maritime de Guangzhou, 13 décemebre 2010, référence : CLI.C.1434672; Tribunal intermédiaire de Shenzhen, Guangdong, 26 mars 2010, référence : CLI.C.385010; Tribunal intermédiaire de Quzhou, Zhejiang, 12 juin 2008, référence : CLI.C.1671116; Premier tribunal intermédiaire Shanghai, 5 août 2002, référence : CLI.C.57947; Tribunal de base de Minhang, Shanghai, 19 mai 2010, référence : CLI.C.583236; Tribunal de base de Jing'an, Shanghai, 6 janvier 2010, référence : CLI.C.536956; Tribunal de base de Tanghe, Henan, 6 avril 2011, référence : CLI.C.638342; Tribunal intermédiaire de Shenzhen, Guangdong, 29 octobre 2010, référence : CLI.C.851434; Tribunal de base de Hai'an, Jiangsu, 19 décembre 2013, référence : CLI.C.2214566; Tribunal intermédiaire de An'yang, 31 octobre 2013, référence : CLI.C.2195237. 265 Tribunal intermédiaire de Shenzhen, Guangdong, 20 août 2010, référence : CLI.C.385050; Tribunal de base de Furong, Hunan, 25 avril 2012, référence : CLI.C.890384; Tribunal intermédiaire de Luohe, Henan, 25 février 2014, référence : CLI.C. 2648730.
du contrat principal266 . Mais ces deux justifications sont en effet très fragiles. Ce
n'est pas parce que le contrat d'arrhes est un contrat réel que la promesse de celui-ci
est nécessairement dépourvu de force obligatoire267. En outre, la remise d'arrhes ayant
fait l'objet d'une clause figurée dans le contrat principal, ne peut-on voir dans l'absence de remise un manquement contractuel?
45. Un deuxième courant jurisprudentiel : L'inexécution de la promesse sera sanctionnée Certains arrêts prennent le contre-pied de la solution ci-dessus
présentée, en sanctionnent l'absence de la remise d'arrhes sur le terrain de
responsabilité contractuelle268. Selon un arrêt, le préjudice subi par le créancier
consiste à la perte de chance de faire jouer le jeu des arrhes269. Dans une autre
affaire270, les juges raisonnent sur le double caractère des arrhes-exécution : une
garantie, mais en même temps une partie du prix convenu. Par conséquent, le refus de versement d'arrhes est aussi une violation à l'obligation principale de payer le prix, ce qui permet à l'autre partie de résoudre le contrat et de demander les dommages- intérêts.
Certains arrêts sont allés encore plus loin en sanctionnant la remise tardive des arrhes271 . Dans une décision rendue par le tribunal intermédiaire de Huzhou272, la
Cour a énoncé que « si le contrat d’arrhes prend effet au jour de la remise effective de la somme, la date de remise est, quant à elle, fixée par le contrat, de sorte que le retard dans cette remise est constitutif d'un manquement contractuel ».
46. Un courant intermédiaire : L'inexécution de la promesse fait jouer l'exception d'inexécution Entre ces deux solutions extrêmes, il existe en réalité une
voie intermédiaire, qui essaie de concilier la force obligatoire de la promesse et le caractère accessoire de la convention. D'après cette opinion, l'inexécution de la convention d'arrhes n'est pas en soi un manquement contractuel ouvrant droit aux dommages-intérêts. Son cocontractant peut néanmoins faire jouer le mécanisme de 266 Tribunal de Minghang, Shanghai, 20 août 2012, référence : CLI.C.1375156; Tribunal intermédiaire de Taizhou, Zhejiang, 22 avril 2011, référence : CLI.C.1512984;
267 L'expérience du droit français des contrats réels en fournit un bel exemple.
268 Tribunal de base de Minghang, Shanghai, 31 janvier 2011, référence : CLI.C.592227; Tribunal supérieur de Henan, 2 novembre 2008, référence : CLI.C.145480; Deuxième tribunal intermédiaire de Shanghai , 24 mars 2014, référence : CLI.C.2575564.
269 Tribunal intermédiaire de Zhengzhou, Henan, 12 octobre 2010, référence : CLI.C.681820. Il est intéressant de noter que le montant des dommages-intérêt est égal à celui des arrhes prévu dans le contrat! La solution est sans doute contestable. 270 Tribunal de base de Minghang, Shanghai, 21 septembre 2010, référence : CLI.C.602968.
271 Tribunal intermédiaire de Huzhou, Zhejiang, 20 mars 2013, référence : CLI.C.1344583; Tribunal de base de Xihu, Guangdong, référence : CLI.C.883758; Tribunal de base de Luohu, Guangdong, référence : CLI.C883758;
l'exception d'inexécution273 : le cocontractant peut retenir sa propre prestation tant
qu'il n'a pas reçu les arrhes prévues274, car, comme l'a très justement montré une
décision, « le non versement d'arrhes a une incidence sur l'exécution du contrat principal »275. En revanche, s'il a choisi de continuer à exécuter le contrat, il ne peut
plus engager la responsabilité de l'autre partie pour la même cause276. C'est sans doute
cette solution intermédiaire qui est préférable. Mais à l'état actuel des choses, il faut constater une incohérence sur le plan pratique.
Section II Le mécanisme de perte ou de double