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Le mécanisme de perte ou de double restitution

Dans le document Les arrhes : étude franco-chinoise (Page 60-72)

47. Plan Quelle que soit la fonction remplie, les arrhes sont susceptibles d'être

perdues par celui qui les a versée, ou en revanche d'être remboursées au double par la partie qui les a reçue. Seules les conditions de son déclenchement diffèrent selon les différentes fonctions en cause. Ce dernier point fera l'objet d'un traitement

ultérieur277. Intéressons-nous pour l'instant à ce « tronc commun » qu'est le

mécanisme de perte ou de double restitution.

Si le jeu des arrhes ne présente pas beaucoup d'importance en droit français, tel n'est pas le cas pour le droit chinois : c'est lui qui permet aux arrhes d'avoir la qualification de « sûreté », à l'instar des sûretés réelles et personnelles ( §1 ). À ce titre, il est intéressant de faire la comparaison avec le droit français, qui adopte une attitude très différente sur la sûreté de somme d'argent ( §2 ). Cette comparaison est riche d'enseignement. L'insécurité juridique peut provenir aussi bien d'une lacune des règles applicables, que d'un régime juridique trop sophistiqué.

273 En droit chinois, l'exception d'inexéctuion est prévue dans l'article 66 de la LCC.

274 Tribunal dintermédiaire de Guangzhou, Guangdong, référence : CLI.C.456421; Tribunal de base de Yuecheng, Zhejiang, 28 septembre 2009, référence : CLI.C.1591202;

275 Deuxième tribunal intermédiaire de Shanghai, 25 décembre 2002, référence : CLI.C.53351.

276 Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 8 mars 2013, référence : CLI.C.2006835; Tribunal de base de Yuecheng, Zhejiang, 8 septembre 2009, référence : CLI.C.1591202; Tribunal de base de Yuyao, Zhejiang, 27 novembre 2008, référence : CLI.C.1643821.

§1 Le cas chinois : le jeu des arrhes conçu comme une technique de « sûreté »

48. Plan La LCS a regrouppé toute sûreté dans trois catégories distinctes : à

l'instar de la distinction binaire des sûretés réelles et personnelles, on trouve aussi la convention d'arrhes. Or, cette qualification de sûreté n'est fondée ni sur la spécificité de son objet (A), ni sur la particularité de la technique empruntée (B).

A La qualification de « sûreté » pour les arrhes et la spécificité de l'objet de la garantie

49. Les arrhes sont parfois présentées comme une sûreté sur somme d'argent

On peut penser que le traitement réservé aux arrhes tient à l'objet de cette sûreté. C'est d'ailleurs l'opinion défendue par la doctrine chinoise, qui n'hésite pas à désigner

les arrhes sous le nom de « sûreté sur l'argent »278. Ainsi, selon Monsieur Guo

Mingrui, l'un des spécialistes en la matière, « les arrhes ne constituent évidemment pas une sûreté personnelle, puisque l'effet de garantie n'est pas assurée par le patrimoine d'une tierce personne ; elles ne peuvent non plus être vues comme une sûreté réelle, dans la mesure où cette dernière porte le plus souvent sur des corps certains »279. C'est donc la spécificité de l'objet qui permet aux arrhes de devenir la

troisième catégorie de sûreté. Mais unet telle présentation soulève immédiatement deux objections.

50. Les arrhes peuvent porter sur une chose autre que somme d'argent La

première objection tient au fait que les arrhes peuvent, selon une doctrine

majoritaire280, porter sur une chose autre que la somme d'argent. Une divergence

existe parmi les auteurs. Si pour certains, toute chose peut faire l'objet d'une

278 Guo Mingrui, Traité sur le droit des sûretés, novembre 2008, p.13 et s. 279 Guo Mingrui, op. cit., p. 246.

convention d'arrhes281, d'autres estiment préférable de cantonner son domaine aux

seules choses fongibles282. Quoi qu'il en soit, la qualification ne peut plus fondée sur

l'objet de la « sûreté » si les arrhes peuvent porter sur une autre chose corporelle que la somme d'argent.

51. Les arrhes ne sont qu'une variété de sûreté sur somme d'argent en droit chinois La seconde objection est sans doute plus déterminante. C'est qu'en droit

chinois, les arrhes ne sont qu'une variété possible de sûreté sur somme d'argent283,

cette dernière peut être constituée par d'autres moyens. Guo Mingrui, après avoir expliqué le bien-fondé de la triple division des sûretés, a tout de suite nuancé ses propos dans le même paragraphe : « l'argent est aussi une chose corporelle. Par conséquent, la sûreté de somme d'argent est fondamentalement aussi une sûreté réelle »284.

En réalité, le droit chinois admet que le gage peut constituer sur une somme d'argent. Cette faculté est prévue par l'article 85 de l'Interprétation judiciaire sur la LCS. Deux conditions sont exigées pour que le gage ainsi constitué soit efficace : l'individualisation et la dépossession.

La somme en question doit être individualisée. Cela se réalise dans la plupart des

cas par la remise du fonds dans un compte spécial destiné à le recevoir285. Certains

arrêts se montrent très exigents et considèrent que la spécialisation du fonds doit permettre aux tiers de connaître sa destination de garantie, à défaut de quoi cette

sûreté leur est innoposable286. Ensuite, le gage-espèces emporte la dépossession du

fonds pour le constituant. Cela est lié au caractère réel du contrat de gage en droit chinois. Une divergence existe néanmoins au sein des tribunaux. Certains arrêts 281 Zeng Longxing, Traité général du droit des obligations, Taibei, 1991, pp. 450-451.

282 Sun Senmiao, Traité général du droit des obligations, Seconde partie, p.591 ; Wang Liming, Traité sur la responsabilité

pour l'inexécution, op. cit., p.592.

283 Tribunal intermédiaire de Huzhou, Zhejiang, 2 juillet 2014, référence : CLI.C.3223408; Tribunal de base de Pudong, Shanghai, 24 avril 2014, référence : CLI.C.2924641; Tribunal de base de Minhang, Shanghai, 21 août 2013, référence : CLI.C.2186584; Tribunal de base de Zhabei, Shanghai, 21 mars 2012, référence : CLI.C.1405127; Deuxième tribunal intermédiaire de Chongqing, 21 octobre 2010, référence : CLI.C.315691; Tribunal de base de Yangpu, Shanghai, 28 septembre 2010, référence : CLI.C.576481; Tribunal intermédiaire de Wulumuqi, Xinjiang, 2 avril 2010, référence : CLI.C.288424.

284 Guo Mingrui, op. cit., p.246.

285 Tribunal de base de Xiaoshan, Zhejiang, 2 mai 2013, référence : CLI.C.1763716 ; Tribunal intermédiaire de Luoyang, Henan, 27 novembre 2012, référence : CLI.C.1465425 ; Tribunal intermédiaire de Zhangjiajie, Hunan, 4 mai 2012, référence : CLI.C.1230606 ; Tribunal de base de Yuecheng, Zhejiang, 23 août 2010, référence : CLI.C.1536476 ; Tribunal supérieur de Henan, 9 août 2004, référence : CLI.C.12752 ; Deuxième Tribunal intermédiaire de Pékin, 20 décembre 2004, référence : CLI.C.24376 ; CPS, référence : CLI.C.367073 ; Tribunal de base de Qinhuai, Jiangsu, 9 décembre 2013, référence : CLI.C.2214263; Tribunal de base de Yangpu, Shanghai, 25 novembre 2013, référence : CLI.C.1797910; CPS, référence : CLI.C.367073; Tribunal de base de Lishui, Jiangsu, 14 août 2014, référence : CLI.C.3315466.

286 Tribunal intermédiaire de Fuzhou, Fujian, 13 janvier 2014, référence : CLI.C.2532159; Tribunal intermédiaire de Hangzhou, 9 juillet 2014, référence : CLI.C.3361023; CPS, 16 novembre 2013, référence : CLI.C.2228602.

exigent que le débiteur soit privé de tout pouvoir de disposition sur la somme

gagée287, tandis que d'autres apprécie cette condition avec une plus grande souplesse,

n'interdisant pas que le compte puisse continuer à fonctionner288.

La sûreté ainsi constituée donne au bénéficiaire un droit de préférence sur le fonds

gagé289, y compris les intérêts produits pendant la période de garantie290. Elle

n'emporte pas le transfert de propriété291. Contrairement au droit français, la

prohibition du pacte commissoire lui est aussi applicable292.

B La qualification de « sûreté » et la technique empruntée

52. La règle de perte ou de double restitution n'est pas une technique de sûreté au sens juridique du terme La qualification de « sûreté » peut encore se

fonder sur la technique empruntée. La sûreté personnelle donne au créancier un autre patrimoine que celui de son propre débiteur, tandis que la sûreté réelle lui confère un droit de préférence sur un ou plusieurs biens déterminés. De là, on peut attendre légitimement que le troisième type de sûreté que constitue la convention d'arrhes adopte une technique distincte des deux autres. Cette technique particulière est précisément la règle de perte ou de double restitution, selon la doctrine majoritaire. Le seul fait que la convention d'arrhes réalise de facto une fonction de garantie suffit à justifier la qualification de sûreté. Néanmoins, il y a lieu de douter la pertinence d'une telle analyse. Certaines particularités sont en réalité peu compatibles avec une conception technique du mot « sûreté ». Tout d'abord, les arrhes-exécution ne garantissent pas directement le recouvrement d'une dette conventionnelle, mais la bonne exécution du contrat. Autrement dit, elles n'ont pas pour but principal de diminuer le risque de non-paiement lié à l'insolvabilité du débiteur, mais d'inciter les 287 Tribunal supérieur de Anhui, 2 novembre 2010, référence : CLI.C.310841 ; Tribunal intermédiaire de Haikou, Hainan, 16 mai 2012, référence : CLI.C.1059710 ; Tribunal intermédiaire de Luoyang, Henan, 27 novembre 2012, référence : CLI.C.1465425.

288 Tribunal intermédiaire de Hefei, Anhui, 28 avril 2014, référence : CLI.C.2880892; Deuxième tribunal intermédiaire de Pékin,20 décembre 2014, référence : CLI.C.24376.

289 Tribunal de base de Xiaoshan, Zhejiang, 2 mai 2013, référence : CLI.C.1763716; Tribunal de base de Rui'an, 19 juin 2009, référence : CLI.C.1717212; Tribunal de base de Pudong, Shanghai, 9 juillet 2012, référence : CLI.C.983094; Tribunal supérieur de Heilongjiang, 29 novembre 2011, référence : CLI.C. 1790246; (2012)东一法执外异字第12 号 CLI.C.176521 2.

290 Tribunal de base de Yuecheng, Zhejiang, 23 août 2010, référence : CLI.C.1534528. 291 Tribunal supérieur de Pékin, 19 décembre 2013, référence : CLI.C.2142772.

292 Tribunal de base de Ruian, Zhejiang, 19 juin 2009, référence : CLI.C.1717202 ; Tribunal intermédiaire de Guangzhou, Guangdong, référence : CLI.C.119942.

parties à exécuter leurs obligations réciproques. Ensuite, contrairement à toutes les autres sûretés, dont la mise en œuvre ne doit jamais pour effet d'enrichir le créancier, les arrhes disposent d'un caractère punitif incontestable, et son montant peut parfaitement dépasser de très loin le préjudice réellement subi par le créancier. Enfin, l'effet de cette garantie n'est pas la même selon que l'on se place du côté de celui qui verse les arrhes ou de celui qui les a reçues. Pour ce premier, il n'a qu'un droit personnel contre le débiteur pour réclamer la restitution au double des arrhes avancées. Sa situation n'est pas différente d'un créancier chirographaire dépourvu de sûreté.

53. La véritable technique pour la sûreté de somme d'argent : l'exclusivité293

La véritable technique pour ces sûretés, c'est l'exclusivité que le constituant a sur le bien, qui lui permet d'éviter tout concours avec les autres créanciers de ce même débiteur. Ici, l'exclusivité résulte du transfert de propriété du fonds : par le simple fait de recevoir les arrhes, le bénéficiaire en devient propriétaire. Ceci s'explique par la nature juridique de l'argent. Étant une chose fongible et comsomptible, il se confond avec les autres biens de même nature, qui existe d'ores et déjà entre les mains du recepteur. Cette idée n'est pas tout à fait absente en droit chinois, et certaines

décisions y ont fait référence294. Mais l'idée de propriété-sûreté, ou celle

d'exécusivité, demeure encore largement ignorée en droit chinois. Le droit de rétention et la clause de réserve de propriété sont considérés en droit français comme constituant les illustrations parfaites de cette nouvelle catégorie de sûreté. Mais ces institutions, bien qu'elles existent aussi en droit chinois, ont connu un sort tout à fait différent, qui expliquerait sans doute ce manque de conscience pour les chinois sur l'idée d'exclusivité.

54. Le cas de droit de rétention En droit comparé, on peut identifier deux

législations différentes sur le droit de rétention. La première, adoptée par la France ou l'Allemagne, présente ce droit comme « un droit de retenir une chose que l'on devrait restituer »295. Selon une formule éclairante de la Cour de cassation, « le créancier

rétenteur a le droit, sauf disposition législative contraire, de refuser de se dessaisit 293 Sur cette notion, v., L. Bougerol-Prud'homme, Exclusivité et garantie de paiement, Bibliothèque de droit privé, 2012. 294 Tribunal supérieur de Anhui, 2 novembre 2010, référence : CLI.C.310841; Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 16 juin 2004, référence : CLI.C.149945.

des objets ou documents légitimement détenus jusqu'à complet paiement du prix »296.

Mais dans d'autres législations, dont la Suisse est le représentant le plus emblématique, le droit de rétention n'est pas conçu comme une défense négative, mais il offre à son titulaire un droit de préférence sur la valeur du bien en cas de réalisation de la sûreté297. C'est cette deuxième solution qui a été retenue en droit chinois298.

Ainsi, l'institution réunie en son sein deux effets juridiques : un droit de ne pas rendre le bien, et un droit de préférence sur la valeur de celui-ci. Ces deux effets se succèdent dans le temps : la réalisation de la sûreté suppose que le créancier laisse un

temps suffisant pour que le débiteur puisse exécuter ses obligations299. Le droit de

préférence pour le rétenteur bénéficie d'ailleurs un rang supérieur lorsqu'il entre en

conflit avec le créancier gagiste ou hypothécaire300.

Mais la coexistence de ces deux effets ne manque pas de créer quelques incertitudes sur le plan pratique. C'est tout d'abord le champ d'application du droit de rétention. Certaines

décisions ne reconnaissent ce droit que lorsqu'il existe un texte légal spécial301, tandis que

d'autres admettent l'existence d'un droit général de rétention302. Il en va de même pour

l'appréciation du lien de connexité, condition essentielle de ce droit. L'article 231 de la LCDR dispose que « sauf dans les relations entre entreprises, le bien retenu par le créancier et sa créance sur le débiteur doit appartenir à une même relation juridique ». Or, ce lien de connexité est apprécié différemment en jurisprudence. Parfois elle exige que le

bien soit l'objet même du contrat303, parfois, elle permet la rétention sur les choses qui ont

296 Cass. Civ., 1re, 17 juin1969, Bull. Civ. I, n°233.

297 L'article 898, alinéa 1 du Code civil suisse : « Le créancier qui n'a reçu ni paiement ni garantie suffisante peut, après un

avertissement préalable donné au débiteur, poursuivre comme en mati'ère de nantissement la réalisation de la chose retenue ».

298 Chapitre 18 du Droit chinois des droits réels ( Les articles 230-240 ).

299 Selon l'article 236 de la LCDR, à défaut de prévision contractuelle, le rétenteur douivent offfrer au débiteur un délai au moins de deux mois. Sauf pour les chose s périssables.

300 Article 239 de la LCDR. Pour le droit de gage, Tribunal marital de Haikou, 31 août 2011, référence : CLI.C.417661; Pour le droit hypothécaire, Tribunal de base de Ouhai, Zhejiang, 15 juillet 2011, référence : CLI.C.1740316; Tribunal intermédiaire de Jiaxing, Zhejiang, 16 février 2012, référence : CLI.C.2113258.

301 Tribunal intermédiaire de Guangzhou, Guangdong, 14 novembre 2013, référence : CLI.C.2189391; Tribunal maritale de Shanghai, 10 juillet 2013, référence : CLI.C.1944836; Tribunal intermédiaire de Yongzhou, 8 octobre 2011, référence : CLI.C.809285; Tribunal intermédiaire de Hangzhou, Zhejiang, 13 juin 2010, référence : CLI.C.335452; Tribunal internédiaire de Pingdingshan, Henan, 25 janvier 2010, référence : CLI.C.293522; Tribunal intermédiaire de Jiaozuo, Henan, 10 février 2009, référence : CLI.C.257379; Tribunal de base de Qibin, Henan, 30 mai 2009, référence : CLI.C.659491. 302 Tribunal de base de Pudong, Shanghai, 15 janvier 2013, référence : CLI.C.1348526; Tribunal intermédiaire de Xuzhou, Jiangsu, 10 août 2010, référence : CLI.C.306911; Tribunal intermédiaire de Dongguan, Guangdong, 10 octobre 2012, référence : CLI.C.1331826; Deuxième tribunal intermédiaire de Chongqing, 20 août 2009, référence : CLI.C.290232. 303 Tribunal de base de Xuhui, Shanghai, 9 octobre 2012, référence : CLI.C.1374262; Tribunal de base de Minhang, Shanghai, 10 mai 2010, référence : CLI.C.555040; Tribunal de nanhai, Guangdong, 15 septembre 2014, référence : CLI.C.55556; Tribunal de base de Gulou, Henan, 16 décembre 2012, référence : CLI.C.1468288; Tribunal de base de Jiading, Shanghai, 14 juin 2012, référence : CLI.C.1380394; Tribunal intermédiaire de Yan'an, Shanxi, 5 novembre 2010, référence : CLI.C. 321041; Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 12 octobre 2005, référence : CLI.C.75375; Tribunal de base de Lianyun, Jiangsu, 19 novembre 2013, référence : (2013 )港商初字第1228号; Tribunal intermédiaire de Jiaozuo, Henan, 10 février 2009, référence : CLI.C.257379.

été remises à l'occasion de celui-ci304. La même incertitude concerne une autre question : il

s'agit de savoir si le bien retenu doit être la propriété du débiteur défaillant. Nombreuses

décisions affirment la nécessité d'une telle condition305, sauf à admettre l'efficacité de la

rétention de bonne foi306. Les autres arrêts valident en revanche la rétention d'un bien

appartenant à un tiers307.

Toutes ces hésitations s'expliquent sans doute par le fait que le droit chinois entend régler les deux effets juridiques de la rétention par un même corps de règles, alors que leurs natures commanderaient sans doute un traitement séparé. Le pouvoir de blocage dont bénéficie le rétenteur est un droit presque naturel, tandis que le droit de préférence a quelque chose d'artificiel qui ne trouve sa justification que dans la volonté des législateurs. Par conséquent, si le pouvoir de blocage milite pour un champ d'intervention étendu, pour des conditions d'application relativement souples, le droit de préférence nécessite plutôt des solutions au sens inverse.

55. Le cas de la clause de réserve de propriété La clause de réserve de

propriété a connu un certain essor en droit chinois dans une époque toute récente. L'article 72 des Principes généraux du droit civil ( PGDC ) énonce le caractère facultatif du transfert de propriété au moment de la délivrance. L'article 134 de la LCC consacre expressément la validité de la clause de réserve de propriété. Enfin, une interprétation judiciaire de la CPS sur la vente ( 2012 ) vient de préciser le

régime juridique de cette clause308, qui a été complété par une autre interprétation

concernant le sort de la clause en cas d'ouverture d'une procédure collective309.

On constate très vite que la clause de réserve de propriété telle qu'elle est conçue en droit chinois présente une forte originalité. En effet, le régime de ce droit se caractérise par un mélange de trois logiques différentes. La première est une logique de sûreté : en cas de non-paiement du prix, le vendeur peut revendiquer le bien et de le revendre afin de se faire

payer sur le prix de vente310; la chose objet de la vente n'est pas incluse dans la patrimoine

304 Tribunal intermédiaire de Shenzhen, Guangdong, 2013 ) 深中法商终字第1523 号 ; Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 7 février 2012, référence : CLI.C.995146.

305 Tribunal intermédiaire de Dongguan, Guangdong, 22 novembre 2012, référence : CLI.C.1779027; Premier tribunal internédiaire de Shanghai, 9 novembre 2012, référence : CLI.C.1352609; Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 8 novembre 2011, référence : CLI.C.100468; Premier tribunal intermédiaire de Shanghai, 11 octobre 2011, référence : CLI.C.478493; Tribunal de base de Jinshan, Shanghai, 11 mai 2011, référence : CLI.C.910351; Tribunal marital de Shanghai, 13 septembre 2012, référence : CLI.C.1944151.

306 Tribunal de base de Bao'an, Guangdong, 31 janvier 2013, référence : CLI.C.1449244.

307 Tribunal marital de Ningbo, 28 octobre 2009, référence : CLI.C.1583281; Tribunal supérieur de Fujian, 15 décembre 2004, référence : CLI.C.49673.

308 L'Interprétation judiciaire de la CPS sur la vente, 法释〔2012 〕8号.

309 L'Interprétation judiciaire de la CPS sur l'entreprise en difficulté ( 2 ). 法释〔2013〕22号 310 L'article 37 de l'interprétation judiciaire de la CPS sur la vente.

de l'acheteur lorsque celui-ci fait l'objet d'une procédure collective311; le contrat de vente

est considéré comme un contrat en cours, et le vendeur peut revendiquer le bien lorsque

l'administrateur judiciaire décide de résilier le contrat312. Mais à cela s'ajoute une logique

de responsabilité contractuelle. C'est ainsi que l'article 35 de l'Interprétation sur la vente énumère les trois cas de figure ouvrant le droit de revendication, parmi lesquels on trouve non seulement le non-paiement du prix, mais aussi les autres manquements contractuels : non accomplissement des exigences particulières imposées par le vendeur, la constitution du gage sur le bien ou d'autres actes de disposition injustifiées. L'idée de sanction se traduit encore plus nettement dans une limite imposée à ce droit de revendication : il ne peut plus

être demandé si l'acheteur a déjà payé plus de trois quart du prix convenu313. Une telle règle

ne peut être expliquée que par une logique de peine privée : la sanction sera écartée en présence d'une inexécution légère. Dans la pratique judiciaire, la clause de réserve de propriété est largement comprise par les tribunaux comme une sanction contractuelle, et le litige se concentre principalement sur le point de savoir si la revendication du bien fait

obstacle à la demande de paiement du prix314.

Pire, on peut identifier une troisième composante dans cette réglementation qui traduit une logique de restitution. En effet, l’article 25 de l’interprétation précitée dispose que l'acheteur doit indemniser le vendeur en cas de nette diminution de la valeur du bien lors

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