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Chapitre IV une démarche Educative revisitée en formation de base

2. Le projet, moteur d’un enseignement/apprentissage

La première partie de cette thèse a abondamment abordé les projets politiques du milieu instituant relativement à la formation continue. Dans cette deuxième partie, il s’agit d’évoquer les projets des enseignés et des enseignants et de mettre en avant leurs apports.

L’utilisation du projet en formation pour adultes est née avec le dispositif de l’éducation permanente de 1971. Elle est organisée autour de la motivation des personnes. Toutefois, depuis une vingtaine d’années, les textes ministériels introduisent de manière positive le projet dans le système éducatif. Il existe désormais de multiples types de projets au sein de l’institution scolaire. Ce sont, par exemple, les Projets d’Action Educative (PAE) qui peuvent permettre de réaliser un voyage ou une pièce de théâtre. Les projets éducatifs font la liaison entre l’école et la société. Les enfants peuvent participer à la réhabilitation d’un espace vert.

Le projet d’établissement quant à lui participe à la politique éducative et économique que se donne l’établissement. Il peut s’agir, par exemple, de mettre en place des cours du soir pour les élèves en difficulté. Le projet pédagogique est centré sur les pratiques des équipes enseignantes qui peuvent ainsi créer des groupes de besoins. Le projet de l’élève peut être un projet professionnel lorsqu’il prépare son orientation.

Christine Tagliante202 donne plusieurs exemples de projets destinés à la classe de langue. Il s’agit par exemple de faire un roman photo, d’organiser un débat ou une table ronde publique ou encore de réaliser une lettre vidéo.

John Dewey (1859-1952) est considéré comme le véritable initiateur de la pédagogie du projet. Il annonce que l’enseignement est, selon lui, une action organisée vers un but déclaré. Cette pédagogie se trouve d’ailleurs être le prolongement direct des méthodes actives.

Elle propose aux individus de participer à des réalisations concrètes comme par exemple, la réalisation d’un journal. Ces projets mobilisent leurs activités en leur donnant l’occasion de s’approprier de nouvelles connaissances.

L’appropriation des savoirs et savoir-faire s’effectue au sein de pratiques sociales qui règlent les échanges avec autrui. « L’école Nouvelle » regroupe l’ensemble des pédagogues novateurs qui, avec des techniques diverses, ont expérimenté ces méthodes. Les pratiques de la pédagogie active ont été nourries par les apports de la psychologie constructiviste selon lesquels les apprentissages ne se font pas par conditionnement mais par construction des activités mentales.

Ils supposent une interaction avec l’environnement. L’appropriation nécessite une reconstruction des représentations.

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DERET E., ELSPIROU P. POPIEUL G., Outils de développement cognitif : théories, méthodes pratiques. Paris, l'Harmattan, 1991, 220 p. / JEAN MONTLLER, G., Des méthodes pour développer l'intelligence : EM, PEI, TANAGRA, ARL, Paris, Belin 1991, 143 p. (L'acte d'apprendre) Paris, P.U.F, 1992, 301 p./BERBAUM J., Développer la capacité d'apprendre, Paris, ESF, 1991, 192 p.

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La didactique des langues peut apporter énormément à la pédagogie du projet. En effet, le FLE de spécialité (ou le français sur objectif), par exemple, se distingue par la richesse de ses innovations. Cette orientation prise dans les années 70 est le fait de la diversité des candidats à l’apprentissage du français. Les formations sur objectifs spécifiques ont pour vocation d’être ajustées au mieux aux ambitions visées.

La construction des programmes passe alors par une phase d’analyse des moyens et des contraintes. La fonctionnalité est requise. Elle nécessite des compétences qui ne se limitent pas seulement aux compétences langagières. Il faut, par exemple, considérer les habitudes particulières de chaque secteur d’activité. Ainsi, pour enseigner le français à de futurs commerciaux, il est nécessaire de faire un travail relatif au commerce. Il faut donc trouver les questions qui permettent d’organiser la structure d’un enseignement basé sur les objectifs professionnels.

Il s’agit parfois de choisir un thème décliné en sous-thèmes qui font appel à des connaissances dans divers domaines. C’est ce que nous montrons avec l’exemple proposé à la fin de ce chapitre. Aborder le métier de cuisinier fait appel à des compétences qui relèvent à la fois des mathématiques, du français et du commerce.

Le projet permet par conséquent de clarifier les objectifs que l’on se fixe pour l’atteindre. Il présente également l’avantage incontesté de donner du sens aux activités que l’on met en œuvre et de déclencher ainsi la motivation des personnes.

La finalité de certains projets de formations vise l’apprentissage d’un comportement d’autonomie. Toutefois, s’ils permettent de se centrer sur l’apprenant, ils sont fédérateurs d’énergies collectives.

Tous les acteurs d’un projet commun se sentent partie prenante et participent activement. Ceci confère au projet plusieurs fonctions. Marc Bru et Louis Not203 distinguent cinq fonctions majeures à la pédagogie du projet. Ces sont les fonctions : politique, sociale, économique, didactique et de motivation.

En effet, le projet a une fonction politique dans une perspective de participation active à la vie collective. C’est une formation à la vie civique. Les projets de participation au quartier tels que l’animation d’une bibliothèque par des femmes en alphabétisation en sont un exemple. Le projet a une fonction sociale et professionnelle dans une médiation avec des partenaires (certaines AEFTI ont engagé, par exemple un travail de sensibilisation aux discriminations dans les entreprises). La fonction économique d’un projet tient au fait que le produit ou l’action à réaliser nécessitent des moyens et des aides financières.

Il faut donc intégrer ces contraintes qui imposent une rigueur dans la gestion du temps et des ressources (exemple : organiser une sortie dans un musée). La fonction didactique est l’objectif recherché dans le traitement des connaissances et des compétences à acquérir. Le projet a incontestablement une fonction de motivation puisque les apprenants s’engagent dans des activités dont ils perçoivent le sens.

Les projets peuvent être le fait des institutions. Celui de l’organisme de formation se précise souvent avec celui de l’entreprise et/ou du financeur. Les partenaires décident ensemble du rôle attribué à la formation dans ses orientations.

L’enseignant-formateur construit son enseignement en fonction des objectifs qu’il s’est fixé et en accord avec l’apprenant. Les projets qui concernent son cours ne peuvent se faire en dehors de toute considération du milieu (instituant et institué) et du public.

Ils émergent souvent grâce (ou en fonction) à ses compétences professionnelles et sociales, et aux méthodologies qu’il maîtrise.

Le projet individuel de formation du stagiaire est induit également par son profil. Il arrive en effet souvent que l’apprenant arrive en formation à un moment de déstabilisation dans sa vie (période de chômage par exemple).

Il convient par conséquent de l’aider à s’approprier un projet individuel de formation articulé avec son projet professionnel. Son devenir au-delà de la formation n’est pas garanti, et ce projet professionnel doit être travaillé. Nous le verrons plus loin.

De fait, le projet individuel de l’apprenant, celui du formateur et le projet de l’institution doivent s’articuler.

L’articulation s’opère tout d’abord par l’élaboration d’un plan de formation de l’organisme. Il s’agit de choisir les formateurs dans l’instance de formation appropriée (cf. organigramme d’un organisme de formation annexe 4 E). Cette phase est suivie de la rencontre du formateur avec ses stagiaires.

Il s’ensuit une phase de négociation sur les choix de projets collectifs et une contractualisation sur les projets individuels. Le contrat passé entre l’apprenant et le formateur définit les objectifs en termes de compétences qu’ils se sont fixés. C’est un outil de plus en plus utilisé.

Mise en place du projet

En « pédagogie du projet » à destination de publics en insertion, une activité importante de l’apprenant est de travailler son projet. Il doit par exemple définir le type d’emploi qu’il souhaite exercer. Il doit ensuite rechercher les éléments qui lui

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permettent de préciser cet emploi (référentiels métiers, contact avec des personnes qui exercent ce métier). Il élabore avec le formateur les objectifs, en termes de compétences à acquérir.

Il travaille pour acquérir ces compétences. Ceci est possible notamment à travers les activités qui le mènent au projet. Par exemple, il peut prendre contact avec un tuteur et lui demander en quoi consistent les tâches qui correspondent au métier. Ce contact peut être préparé en classe. Il peut éventuellement modifier son projet initial s’il constate que ses compétences sont trop éloignées de ses objectifs ou si l’emploi ne répond pas à ce qu’il attendait.

De nombreux projets sont collectifs. Ils impliquent alors plusieurs personnes qui participent activement par exemple à l’élaboration de synthèses. Chaque défaillance individuelle peut remettre en cause l’aboutissement des travaux d’un groupe et le développement des travaux ultérieurs. Par exemple, dans la réalisation d’un livre, si la personne chargée de la mise en page se désinvestit du projet, la publication peut être remise en cause.

Les ressources mobilisées sont en général les ressources humaines constituées par l’équipe pédagogique (et parfois la direction de l’établissement). Les centres de documentation sont souvent indispensables.

Les mutations dans le domaine de l’emploi, technologiques et organisationnelles, ont rendu nécessaire la formation des salariés les moins qualifiés. Cette approche n’est pas nouvelle, le CREDIF ou le CRAPEL de Nancy se sont vu confier, dans les années 70-80, des missions de formation pour ces travailleurs. Ils ont élaboré des techniques proches de la pédagogie du projet.

Les restructurations de ces dernières années ont appelé les organismes de formation à renouveler leur offre de formation vers les pré qualifications. Un nouveau cadre théorique s’est construit autour de cette formation de personnes éloignées de l’entreprise. La « didactique professionnelle204 » aborde les compétences initiales des opérateurs en entreprise. Elle traite du passage des savoirs techniques aux savoirs « formalisés ». Les formateurs revisitent les techniques de formations explorées par les pionniers du FLE et élargissent leur champ d’investigation avec la psychologie cognitive ou la sociologie du travail.

Ils conçoivent des projets de formation en étroite collaboration avec les entreprises. Dès lors, ils gèrent de nouveaux partenariats. Nous présentons ici un projet collectif qui mène à la construction d’un outil lié directement au milieu professionnel.

Il s’agit de l’élaboration d’un petit livre de recettes « De la gazinière au piano » réalisé dans le cadre d’une action de formation de l’AEFTI Midi Pyrénées. Cette formation a pour objectif de permettre à une quinzaine de stagiaires d’acquérir les compétences de base dans les métiers de la restauration de collectivité ainsi que les compétences communicationnelles associées. L’action s’est déroulée sur 550 heures entre octobre 2002 et février 2003. 150 heures ont été réalisées en entreprises. Les 400 heures de formation en centre ont été assurées en partenariat avec un organisme de formation en hôtellerie, restauration, tourisme (250 h de formation métier) et à l’AEFTI Midi-Pyrénées (150 h de formation savoirs de

base). Deux formateurs, dépendant de chacun des organismes, étaient mobilisés sur cette action.

C’est dans ce cadre que la formatrice a proposé, lors d’une négociation avec ses stagiaires, de développer un projet inhabituel. Il s’agissait de la production d’un recueil de recettes de cuisine (issues des pays d’origine des stagiaires), utilisables au foyer ou dans l’exercice du métier d’agent de restauration de collectivité.

Cette initiative a été rendue possible d’une part par la motivation des stagiaires, d’autre part par le profil singulier de la formatrice qui bénéficie à la fois d’un cursus universitaire de didactique du FLE et d’une formation professionnelle de cuisinière. La réalisation du livre de cuisine intitulé « De la gazinière au piano » s’est inscrite dans un projet d’écriture. Au niveau pédagogique, l’intérêt de ce type de projet est de susciter la curiosité des stagiaires et de les rendre peu à peu autonomes dans leur apprentissage.

La définition du projet prend en compte les destinataires du recueil (particuliers et professionnels), la forme du produit et son mode de diffusion (en vente dans une librairie régionale). C’est un recueil relié, illustré de photographies. Ces éléments constituaient les premières contraintes de production et permettent de resserrer le champ des activités pédagogiques.

Une fois ces choix faits, le groupe-classe et la formatrice se fixent un calendrier des étapes de la réalisation du projet et une date butoir pour la production finale. Le calendrier prend en compte les délais de mise en page et d’édition estimés à quatre semaines.

Le déroulement du projet s’effectue sur la base d’activités d’apprentissage dont la programmation est pensée à partir du produit final escompté (recueil de cuisine). Ceci permet de distinguer les éléments constitutifs à sa réalisation.

Pour la langue, il faut par exemple travailler la formulation, notamment la conjugaison de l’impératif et de l’infinitif et le vocabulaire spécifique de la cuisine (dosage, mesures, quantité, ingrédients). Il faut également aborder la proportionnalité.

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Ces activités sont menées en complémentarité avec un autre organisme de formation. Ceci permet d’utiliser les compétences de chacun des formateurs.

Une première réflexion est menée avec les stagiaires pour repérer les éléments constitutifs à acquérir pour construire des fiches techniques de fabrication.

Ainsi, différents « sous-projets » sont déterminés :

- en compréhension orale/production écrite : transformer un propos énoncé à l’oral en un écrit,

- en production écrite : écrire une recette en respectant son organisation interne et en tenant compte du destinataire, - en compréhension écrite : reconnaître, lire une recette

- en compréhension/expression orale : « écouter » une recette racontée par un pair, poser des questions en vue d’éclaircir la compréhension - en expression orale : expliquer une recette au groupe. Ceci implique, outre le vocabulaire et la conjugaison associée, de respecter la chronologie des étapes de fabrication d’un plat, et de convertir par exemple les unités de mesure.

Toutes les compétences de base, au sens que leur donne Colette Dartois, sont ici abordées.

Le travail d’écriture s’effectue en plusieurs temps. Tout d’abord, les stagiaires proposent des recettes, issues de leurs pays, qu'ils ont l’habitude de réaliser chez eux. Ensuite, après avoir été jugées réalisables en contexte professionnel de cuisine de collectivité, certaines de leurs propositions sont validées. Ces recettes sont délimitées dans trois rubriques : les entrées (Tagine aux moules et aux citrons confits, Samossas), les plats (Kefta à la tomate, Poulet Yassa, Rôti de porc à l’ananas) et les desserts (salade de fruits Sri-lankaise, Ghoribas aux amandes et à la noix de coco – thé à la menthe et salade d’oranges à la cannelle).

En début de chaque cours, deux stagiaires prennent successivement la parole pour expliquer leur plat. Pendant ce temps, les autres prennent des notes afin de conserver la mémoire du discours oral. Elles développent ainsi des compétences intégrées.

Enfin les stagiaires commencent à rédiger les recettes. Elles sont présentées de façon traditionnelle dans un premier temps, puis en fiches techniques de fabrication dans un second temps. Les fiches techniques sont doubles pour chaque recette. Une page destinée aux familles (recette pour 6 personnes) et une page destinée aux collectivités. Cette seconde page nécessite un travail très précis puisqu’il est nécessaire d’utiliser un tableau à double entrée dans lequel les stagiaires reportent les quantités proportionnellement au nombre de parts (1, 10 et 50 parts). Une troisième page décline dans un tableau à deux colonnes les étapes de réalisation de la recette pour la cuisine de collectivité. Les Maîtrises d’hygiène, les points clefs et les astuces sont présentés dans la seconde colonne. Les textes sont écrits en binômes, la recette n’est jamais mise sur papier par celui qui l’avait proposée. Cette exigence permet aux stagiaires d’échanger des informations en sollicitant les personnes qui sont à l’origine des recettes. Cette étape favorise les négociations et les interactions dans le groupe. Le travail de correction et de finition se fait collectivement205. Les objectifs de ce projet reposent principalement sur trois axes :

D’une part, ce projet pédagogique, justifié par une situation de communication authentique, permet d’offrir un support concret de développement des connaissances de base en français et en mathématiques.

D’autre part, il accompagne une démarche de professionnalisation des compétences. Les stagiaires transfèrent des compétences acquises dans un environnement personnel et familial en compétences utilisables professionnellement et monnayables auprès des entreprises.

Enfin, il permet de mener avec les stagiaires une réflexion leur permettant de dégager les « plus-values » des personnes issues de l’immigration dans une entreprise. Elles peuvent ainsi mettre en avant leurs savoir-faire et montrer les apports spécifiques qu’elles se proposent de mettre à la disposition d’un futur employeur.

Ce chapitre a permis d’évoquer des démarches éducatives qui prennent en compte l’apprenant dans la globalité de sa situation. Ces approches permettent, notamment, d’organiser des compétences intégrées. Dans les chapitres suivants, nous présentons essentiellement une analyse de démarches relatives à des aptitudes spécifiques.