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L’oral, première compétence communicative en formation de base ?

Chapitre V. L’écrit, un élément nécessaire de communication et une compétence toujours

1. L’oral, première compétence communicative en formation de base ?

L’apprentissage de l’oral pour les publics non francophones, qu’ils aient été scolarisés ou non, n’est pas très différent. La recherche didactique distingue depuis longtemps les spécificités de l'écrit et de l'oral. A l’oral, les traits distinctifs de l’écrit sont notamment les formes d’encodage et de décodage spontanés, les signes vocaux, les sons, la prosodie. La grammaire se codifie différemment, le temps est linéaire.

Les conceptions didactiques évoluent dans le temps. C'est à partir des méthodes directes qui utilisent les techniques d'enregistrement de la parole que la compréhension orale a tenu une place de plus en plus importante dans les méthodologies modernes. Elle constitue souvent le point de départ de l'apprentissage.

Depuis l'émergence de la méthodologie S.G.A.V, la perception auditive des énoncés et la compréhension globale sont travaillées. On admet que lire un texte à haute voix ne peut suffire à maîtriser l'oral. (Les méthodes audio-orales relèvent de l'oralisation inscrite). Les documents authentiques permettent l'introduction de mots nouveaux qui apparaissent de manière accidentelle contrairement aux documents fabriqués qui tiennent compte d'une progression ascendante. Ceci permet de

prendre conscience des différents éléments qui influent sur l'interaction : gestuel, statut, rôles des locuteurs, moyens, forme de l'échange, circonstances spatiales et temporelles de la communication234. J. Peytard 235 isole des critères situationnels à travers les messages oraux et établit une typologie des messages oraux en fonction de leur support. Il distingue la conversation télécommunication, le récit radiophonique ou le message théâtral. Il tient compte du récepteur : actuel, virtuel, proche éloigné. Il analyse le contact (immédiat, différé), la stimulation (directe ou non), l'échange ou le non échange.

Aujourd'hui, on tend vers l'abandon d'une segmentation rigide entre l'oral et l'écrit, on les associe dans un esprit de complémentarité.

Christine Tagliante236 préconise plusieurs activités, comme le bain linguistique, la recherche d’énoncés d’après un support image ou la prise de notes dans une communication téléphonique. Ceci pose le problème de la langue utilisée pour poser les questions de compréhension.

En effet, en langue maternelle, on est sûr que l'apprenant comprend la question ; en langue étrangère on ne sait pas si la question a été comprise. Si les questions de compréhension d’un énoncé sont posées avant, on vise l'objectif d'écoute, si elles sont posées après, la mémorisation entre en jeu.

La situation de compréhension implique l’écoute du discours dans un cadre spatio-temporel avec un objectif particulier ; d'où la notion « d'objectifs d'écoute ». Le CRAPEL distingue, dès la fin des années 80, l’écoute sélective, l’écoute détaillée, l’écoute globale et l’écoute de veille. Des méthodes comme Écoute... écoute demandent à l'apprenant d'adapter sa façon d'écouter en fonction du support et de trouver des stratégies. Les consignes consistent à donner une finalité à l’écoute : écouter pour prendre une décision, pour choisir, pour savoir, comprendre ou s'informer.

Les activités d'écoute sont basées sur la perception et la segmentation. Des exercices de substitution des différents mots sont proposés. L’apprenant travaille également la reconnaissance des rythmes et des accents avec des documents authentiques. Il est amené, ensuite, à faire la synthèse de tout ce qu'il a reconnu et à le replacer dans un contexte donné.

Les activités possibles concernant l'approche de la communication orale sont très nombreuses en FLE et en formation de base. Il est possible, par exemple de travailler à partir du corps et du geste. Plusieurs techniques sont à la disposition de l’Enseignement/apprentissage.

Lors de la dramatisation, les apprenants préparent leur scénario, écrivent les dialogues, répartissent les rôles et dès qu'ils sont prêts, présentent leur sketch en classe.

Les jeux de rôle permettent le réemploi et la créativité. C'est une animation de scènes par plusieurs apprenants, on improvise à partir de mini scénarios. Pour amorcer les jeux, on peut proposer un problème réel ou imaginaire ou une situation conflictuelle. L'enseignant présente la situation, indique les personnages (sans préciser comment ils pourraient se comporter) ; ensuite chaque apprenant choisit un rôle.

Le reste de la classe suit le déroulement du jeu. A la différence du sketch, chaque apprenant doit réagir instantanément comme dans un dialogue normal. Le plus souvent, l'apprenant est obligé de changer son univers de références sociales et culturelles, mais le travail peut justement consister à se pencher sur ces références culturelles. L'assignation à un rôle l’oblige à adopter une opinion qui n'est pas nécessairement la sienne, ce qui peut lui permettre d'argumenter contre son propre point de vue.

La confrontation d'opinions peut être renforcée à travers le débat. Il ne s'agit pas de provoquer des actes de parole comme dans le jeu de rôle. La disparition du caractère formel peut permettre la réalisation d'un discours qui se rapproche du réel en fonction de la personnalité des interlocuteurs et des intentions de communication. Le débat permet également d'étudier le caractère gestuel de la conversation. Le discours peut être :

- consensuel : faible quantité de gestes car moindre investissement,

- polémique : les comportements gestuels sont spécifiques, l'implication se situe au niveau émotionnel et cognitif - très polémique : la gestuelle est forte ainsi que la prosodie et l'intonation.

Certains enseignants ont introduit le mime dans l'apprentissage de la langue. D'autres activités peuvent encore encourager l'expression et la compréhension orale spontanée. L'interview diffère de la conversation quotidienne parce qu'il n'y a pas de réversibilité des rôles. Notons que la dictée peut-être considérée comme une activité de compréhension orale. Elle a pour objectif de reproduire du texte dans ses caractéristiques écrites. Toutefois, c’est une démarche paradoxale car on a un problème de spécificité du texte littéraire qui n'est pas fait pour être lu oralement. De surcroît, la chaîne sonore est fragmentée, le rythme est déterminé par l'activité. Il ne s'agit pas d'une situation de communication.

234

Voir à ce propos : BERARD E. L'approche communicative Théorie et pratique, Paris, CLE International, 1991 p 55.

235

PEYTARD J., Pour une typologie des messages oraux, grammaire du français parlé, Paris, Hachette (coll. f), 1991

236

Les activités de compréhension orale proposées dans de nombreuses méthodes de FLE niveau avancé invitent à écouter le document, prendre des notes ou écrire les réponses ; on sort alors de l’objectif initial de compréhension orale. Ce travail ne peut se faire qu’avec des publics alphabétisés. Les didacticiens reviennent de plus en plus à la combinaison des quatre aptitudes. Toutefois, il est primordial que les formateurs puissent clairement établir les objectifs de départ. Pour ce qui est de l’expression spontanée orale, on peut travailler par exemple sur l'autoportrait ou sur l'expression provoquée par des situations. Plusieurs outils sont devenus indispensables. Ce sont, par exemple, le magnétophone et le magnétoscope qui permettent de faire visualiser des réalités socioculturelles de communication. Le caméscope et le téléviseur permettent de travailler sur la langue utilisée entre les apprenants, d'effectuer des productions linguistiques et d’y revenir.

Les apprenants peuvent faire des enregistrements sur des thèmes choisis. De retour en classe, ils pourront classer, hiérarchiser et conceptualiser. Ils pourront décrire les situations de communication, par exemple, entre un employé et un client (compétence socioculturelle), expliquer quel est le canal (compétence discursive), développer les thèmes abordés (compétence référentielle).

Il est possible de travailler sur les différentes façons de formuler la demande (compétence socioculturelle) ou la façon d'ouvrir et de fermer une conversation (compétence discursive). Les activités d'appropriation ont pour objectif d'apprendre à écouter (voix, accents, intonation), à regarder (gestes, mimiques) puis à repérer (les actes, les notions, les interactions, les formulations) et à classer, hiérarchiser.

Les apprenants pourront conceptualiser les données et se construire leur propre inventaire d'actes, de formes syntaxiques ou de notions.

Nous l’avons vu, l'oral s'envisage essentiellement du point de vue de l'interaction. L’activité qui s’y rapporte le plus est, sans doute, le théâtre. Le théâtre de l'opprimé créé par Baal est destiné aux adultes illettrés, c’est un ensemble de jeux et de techniques théâtrales237 qui ajoute aux dimensions socioculturelles et linguistiques la dimension psychologique.

Les jeux et les exercices sont classés selon qu’ils permettent d’explorer les possibilités du mouvement, de l'équilibre et du toucher, d’affirmer la perception des sons et des rythmes, de stimuler les sens ou de communiquer par des images en utilisant un langage non verbal.

Cette technique que nous avions déjà évoquée, peut se décliner de plusieurs façons avec, par exemple, le « théâtre par l'image » où le sens est véhiculé uniquement par le langage corporel.

Le « théâtre journal » propose une lecture différente des informations en les théâtralisant de façon inattendue.

Le « théâtre invisible » est une mise en scène d’un moment de la vie quotidienne. Les personnes présentes participent à l'événement, et réagissent spontanément à la discussion qu'il provoque comme si c'était un événement réel.

La technique la plus connue est sans doute le « théâtre forum ». Il s’agit d’une représentation publique. Un protagoniste est opprimé par une personne et ne parvient pas à réaliser ses désirs. Dans un premier temps, le public est spectateur, dans un deuxième temps, le joker (animateur) invite les spectateurs à monter sur scène, à se substituer au protagoniste pour tenter de changer l'issue et de découvrir, par l'improvisation, les alternatives possibles. La relation avec le public confère une dimension humaine et psychologique.

Il nous semble que ce genre d’activité pourrait être bénéfique à chacun des publics : illettrés, analphabètes ou FLE dans la mesure où ils possèdent déjà des connaissances à l’oral. Ceci, à condition de convaincre les apprenants du bien-fondé de cette action en réponse à une demande qui peut paraître éloignée. L’oral n’est pas isolé du contexte et du geste.

Le non verbal se partage entre l'expression para linguistique, l'expression graphique et l’expression corporelle. Certains didacticiens proposent quelques pistes de travail. Ainsi, par exemple, J. Vingler et J. Montredon 238suggèrent que l'aptitude à parler les langues ne peut se concrétiser que si le corps tout entier s'engage dans l'acte de parole. Leur cours d'expression, destiné à des étudiants étrangers de différentes nationalités veut développer une compétence argumentative et polémique en français tant au plan verbal que non verbal. Les activités sont basées sur la mise en scène de sketches.

Dans le cadre de l'interaction, d’autres activités sont suggérées par des supports de communication comme le

Tangramme Chinois, le Photo Langage ou les jeux de communication. On peut, par exemple, faire dessiner à un groupe

des images décrites par un autre groupe. Cette approche ludique est possible dans l'enseignement du français aussi bien avec les publics adultes, illettrés, analphabètes ou FLE. Ces activités permettent de structurer les énoncés, d'utiliser des stratégies cognitives, la parole spontanée et, grâce à leur aspect sympathique, de motiver les apprenants dans les échanges.

237

BEAL Y., "La culture en banlieue", in Migrants Formation, n° 111, décembre 1997, Paris, CNDP, pp 40;

238

VINGLER J., MONTREDON J., "Le geste retenu" in Verbal/non Verbal, frères jumeaux de la parole ? 1995

Les méthodes destinées au public illettré traitent parfois de l'expression et de la compréhension orale, comme c'est le cas de la méthode Lettris. Toutefois, cette méthode utilise l'oral essentiellement pour traiter les structures syntaxiques de la phrase.

Les recherches qui portent sur une approche possible avec le public illettré se fondent de plus en plus sur l'approche cognitive. On ne parle pas alors de communication orale mais de « parole ». Ceci confère, selon nous, une dimension affective et psychologique à l’expression.

Nous le voyons, chaque spécificité de l’enseignement/apprentissage du français aux publics qui visent l’insertion, nécessite un regard distancié sur les pratiques. Il nous semble donc qu’une formation adaptée des enseignants est la meilleure solution à la problématique que nous avons posée dans cette thèse.