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Culture et valeurs dans le cadre de la formation à visée insertion

Chapitre V. L’écrit, un élément nécessaire de communication et une compétence toujours

3. Culture et valeurs dans le cadre de la formation à visée insertion

L’enseignement du français auprès des adultes s’organise généralement dans un contexte pluriculturel. D’ailleurs, tout contenu linguistique est culturellement marqué. L’organisation structurelle de la langue elle-même induit des formes de pensées culturelles.

Les comportements langagiers, les habitudes sociales, les connaissances partagées, les représentations du monde sont autant d’éléments à envisager pour l’enseignement du français. C’est la raison pour laquelle il faut définir quelle culture enseigner/apprendre. Bien plus, il convient de tenir compte des cultures en présence et adopter au mieux une approche interculturelle. Il convient également de savoir comment dépasser certaines différences culturelles lorsqu’elles reposent sur des valeurs contestables et adopter une approche transculturelle qui vise la reconquête par l’Homme d’un peu plus d’Humanité. Pour cela, il ne faut pas s’enfermer dans les différences ethniques ou dans les rapports de force entre dominants et dominés. Ainsi, Chantal Forestal souligne277 que la DLC ne doit pas s’en tenir, par exemple, à la seule analyse des conflits entre dominants et dominés. Bien au contraire, elle doit viser la libre expression démocratique du pluralisme linguistique et culturel dans une perspective transculturelle. Elle met également en garde contre une approche interculturelle limitée aux seules relations interpersonnelles intersubjectives.

Pour l’auteure, par conséquent, une réelle éducation aux langues cultures ne peut éluder une réflexion philosophique et éthique sur les valeurs collectives. Cet aspect de la DLC nous interpelle particulièrement pour la formation à visée insertion, qui pose la question de manière très particulière. D’une manière générale, il semble bien que les valeurs culturelles et démocratiques défendues par la France soient de plus en plus négligées. Le secteur de la formation, et plus généralement de l’enseignement, ne doit pas laisser de côté les valeurs des droits de l’Homme. Ceci, justement, au moment où les crises d’identités individuelles et communautaires balaient ces valeurs.

Lors de sa sortie en octobre 2002, l’ouvrage de Daniel Lindenberg : « Le rappel à l’ordre, enquête sur les nouveaux réactionnaires278 » nous paraît aller dans ce sens. Par son rappel à l’ordre sur l’abandon de la démocratie, l’auteur déplore qu’une partie des intellectuels français tendent à brocarder le « droit-de-l’hommisme ». Il démontre en quoi le pouvoir spirituel laïce à la française est menacé. Dans son chapitre intitulé : « pauvre démocratie », D. Lindenberg remarque avec inquiétude que les valeurs des droits de l’Homme sont mises à mal :

« Il en est aujourd’hui des idéaux démocratiques comme des droits de l’homme. Apparemment incontestés, ils suscitent de plus en plus l’ironie ou le scepticisme (…) Il y a une vraie difficulté à « définir » la démocratie, à une époque où tous s’en réclament 279».

Son livre constitue une invitation pressante à prendre ses responsabilités dans un espace public intellectuel qui ne se porte pas bien. Actuellement, les écarts sociaux augmentent et les replis communautaires touchent l’ensemble de la société. Dominique Schnapper280 fait remarquer qu’autrefois, à l’école publique, on ne tenait compte ni des spécificités régionales, ni des origines nationales, ni des croyances religieuses des élèves.

« On les traitait [les enfants] uniformément et également comme de futurs citoyens en leur donnant le même enseignement » (…) « En traitant de la même manière

tous les enfants, sans tenir compte de leurs origines ou de leurs caractéristiques sociales, l’école républicaine en a fait des citoyens qui partageaient la même langue et les mêmes références historiques et culturelles ».

La nostalgie de l’école traditionnelle n’est peut-être pas de mise. Les propos de D. Schnapper permettent toutefois de s’interroger sur ce qu’apporte (ou enlève) « l’interculturel » dans les lieux de formation. Monsieur Schnapper précise qu’il y a quelques décennies, l’interculturel, comme la prise en compte, d’une manière ou d’une autre, des différences d’origines dans l’école de la République était inconcevable.

« Elle [cette attitude] aurait remis en cause les fonctions sociales, les justifications morales et politiques, les valeurs et les ambitions de l’école citoyenne281 ». Pour autant, on sait que l’école s’est adaptée aux conditions locales. Les particularismes historiques ou religieux n’ont pas toujours été systématiquement niés, contrairement à ce qu’on laisse trop souvent entendre à propos de soi-disant « Hussards de la République ». Ce qui est certain, c’est que la culture républicaine française sépare espace public et espace privé comme elle sépare ce qui relève de l’Etat et ce qui relève de l’institution religieuse. Les croyances religieuses

277

FORESTAL Ch., « didacticiens en FLE-FLS et travailleurs sociaux : des complémentarités nécessaires contre l’exclusion et la marginalisation » in Etudes de Linguistique Appliguée n° 133 de janvier mars 2004

278

LINDENBERG D., « Le rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires » Paris, Seuil, octobre 2002, 94 p.

279

Op ; Cit. pp 67

280

SCNAPPER D., « L’universel républicain revisité » in L’universel Républicain à l’épreuve.

Discrimination, ethnicisation ségrégation, N° 121 juin 2000 Vei enjeux.

281

relèvent de la sphère privée. L’Etat accepte la liberté de culte quand elle ne contrevient pas aux lois de la République. D’après D. Schnapper, il existe deux principaux risques à la « reconnaissance culturelle ».

Le premier risque est lié au fait qu’on peut justifier ainsi les inégalités ou les discriminations. Le second concerne l’intégration sociale. L’auteur met en garde ses lecteurs (en l’occurrence les travailleurs sociaux que sont les lecteurs de Vei enjeux) contre les politiques particularistes qui risquent de cristalliser et de consacrer les particularismes « ethniques » et les échecs sociaux aux dépens de ce qui unit les individus.

Ces politiques, sans doute malgré elles, organisent le repli des individus sur leur communauté d’origine au lieu de la dépasser et d’entrer en relation avec les autres.

« Les groupes culturels ou sociaux ne sont pas donnés une fois pour toutes (…). Ils sont le produit d’une construction historique qui se renouvelle avec le

temps282 ».

La « centration » sur l’individu en tant qu’appartenant à une communauté fermée risque de conduire à fragmenter la société. L’intégration sociale ne peut se faire sans échanges. Il semble bien que le champ social soit passé, sans réellement s’en rendre compte, et sous couvert de respecter les autres, d’un travail collectif à un travail d’individualisation avec l’élaboration de catégories. De fait, on passe également de l’universel au singulier.

Dans ce cadre, explique Schnapper, toute la politique sociale de « l’Etat-providence » peut être analysée comme une forme de discrimination positive.

La formation de base, qui a dû, depuis plusieurs décennies maintenant, répondre à l’hétérogénéité des publics, se serait-elle piégée elle-même ? Aurait-elle oublié de se pencher réellement sur les valeurs qu’elle défend ? Elle veut privilégier des valeurs d’égalité de droit à la qualité de la formation pour chacun.

La réponse, par conséquent, est devenue individuelle, face à une complexité de cas. Actuellement, la formation adopte essentiellement la culture dans une démarche interculturelle. Est-ce une réponse suffisante à la situation que rencontrent les formateurs ? Les organismes de formations de base visent l’insertion. Celle-ci peut-elle exister uniquement à travers des échanges interrelationnels vides de contenus ?

Il semble opportun de réinterroger aujourd’hui non seulement les pratiques mais également les valeurs de « citoyenneté » et de « laïcité » dans une optique à la fois philosophique et pratique.

La démarche « transculturelle » permet la distanciation bien davantage que l’approche interculturelle. Cette distanciation fait peut-être parfois défaut aux acteurs du secteur de l’action sociale.

Deux auteurs, principalement, permettent de redonner un cadre philosophique à la question de la culture et des valeurs à mettre en avant. Dans le secteur de la DLC, Madame Chantal Forestal souhaite, dans la perspective de Robert Galisson, redonner un cadre philosophique et éthique au débat qui anime l’enseignement des langues-cultures. Il faut accepter de dire que : « Toutes les cultures sont respectables, mais que dans certains domaines, certaines cultures sont supérieures à d’autres et ne pas pratiquer, sur ce plan, la langue de bois ou le culturellement correct ». C’est le cas d’un Etat démocratique face à un Etat théocratique ou totalitaire. C’est le cas d’une société qui considère à égalité l’homme et la femme, par rapport à une culture qui instaure l’inégalité de principe et de fait entre un homme et une femme.

Le deuxième auteur que nous présentons ici éclaire fort bien, nous semble-t-il, les propos de Chantal Forestal. Il s’agit de Chérif Ferjani. Sa thèse de doctorat (éditée en 2001) porte le titre évocateur de : « Islamisme, laïcité et droits de

l’homme ».

Chérif Ferjani réfute les conceptions d’un Islam particulièrement antinomique avec la laïcité et les Droits de l’Homme. Il démontre que les obstacles à l’adoption des principes démocratiques dans les sociétés arabo-musulmanes sont de même nature que ceux qu’on rencontre dans d’autres aires culturelles.

Son argumentation peut permettre de mettre à l’épreuve les principes actuellement défendus de respect de toutes les différences, sans réflexion sur les valeurs qu’elles véhiculent.

La Didactologie des Langues-Cultures (DLC) est une discipline d’intervention. Elle est l’une des rares, dans le domaine des langues vivantes, à s’interroger sur la dimension éthique des contenus abordés dans le cadre d’un enseignement/apprentissage de la langue-culture.

« L’expression d’un doute fondamental est plus que jamais nécessaire pour ne pas masquer les contradictions qu’amène le débat interculturel en Didactique Des

Langues (DDL). La didactique se doit de réfléchir sur les problèmes d’identité et d’altérité, mais aussi sur ce qui nous est commun lorsqu’on passe d’une culture à une autre. N’y a-t-il pas un droit commun lorsqu’on passe d’une culture à une autre? N’y a-t-il pas un droit commun de l’humanité à défendre des valeurs universelles (de tolérance, justice et solidarité) ? »283

Chantal Forestal est relativement critique vis-à-vis d’une position qui consiste à négliger certaines priorités. Elle n’hésite pas à interpeller les auteurs du Cadre Européen de Référence. Pour la didactologue, il serait temps de ne plus se satisfaire

282

SCHNAPPER D., op. Cit. pp 16-17

283

FORESTAL Ch., "L’éthique au cœur de la didactique des langues" / "Réflexion sur les projets systémiciens des Experts du Conseil de l’Europe". In Etudes de Linguistique Appliguée n° 109 1998 pp 52

d’un objectif qui viserait seulement une « compréhension internationale » fondée sur une paix mièvre parce que consensuelle.

« [Le Cadre Européen], doit accepter le défi du débat d’idées et le conflit des représentations (…) et ne jamais

renoncer à défendre l’humanité (en luttant notamment contre toutes les formes de racismes) 284».

Chantal Forestal se réfère au travail de Gisela Baumgratz-Gangle et à son projet de mise en place d’une compétence

communicative transculturelle. Un objectif qui dépasse la simple intégration culturelle dans une société étrangère telle

que l’envisage l’approche interculturelle :

« Les Droits de l’Homme devraient être la norme obligatoire et fonder l’éthique dans une véritable politique éducative dont l’apprentissage des langues vivantes est

une dimension privilégiée285 ».

La philosophie, on le voit, peut et doit nous permettre de repenser l’action de formation à travers une élucidation, une réflexion sur les valeurs. C’est avec un certain militantisme clairement assumé que Madame Forestal, dans la ligne de Robert Galisson et Christian Puren, défend avec force une DLC indépendante et interventionniste.

La DLC doit permettre, entre autres, de s’engager sur « un bien à construire » et une réelle éducation à la diversité des langues-cultures. Cette éducation peut commencer par une mise en garde sur le relativisme culturel qui est trop souvent de mise en sciences humaines.

« La fascination pour le multiple des mœurs, des croyances, des représentations peut aboutir à un relativisme culturel. Tout n’est alors que contingence. L’apprenant n’a droit dès lors qu’à une culture de survie. Il est difficile d’adosser une quelconque éthique à un programme culturel de cet ordre où rien n’est hiérarchisé dans le domaine des valeurs »286 .

La mise en avant de valeurs fondamentales proclamées par les Droits de l’Homme est un combat permanent que doivent assumer tous les systèmes éducatifs de la planète au travers de la défense des langues et des cultures. Aujourd’hui, en formation, tout se passe comme si le seul respect des différences était la garantie du respect des Droits de l’Homme, alors que, trop souvent, il est un alibi pour faire le contraire. Les intégrismes sont différents les uns des autres. Les valeurs mises en avant n’ont parfois rien à voir avec l’égalité, la fraternité ou la solidarité. Il peut y avoir des confusions entre représentations et valeurs sous-jacentes.

« La diffusion des langues-cultures (…) dépend de la faculté d’apprendre à discerner les qualités et les valeurs des sociétés humaines287 ».

Il faut également sortir d’une pseudo objectivité affichée dans certaines disciplines telles que la sociologie, la psychologie ou l’anthropologie. C’est tout à l’honneur de la DLC de mettre en avant l’éthique et le débat philosophique.

« La DLC ne doit pas craindre « d’entretenir le feu du débat d’idées », et tant mieux si c’est un travers de l’esprit français. En effet, seule une pédagogie de l’émancipation peut se mettre au service de l’apprenant et de son autonomisation. Par ailleurs, défendre l’enseignement des langues et des cultures, c’est défendre non seulement une pédagogie de l’émancipation, mais aussi l’émancipation des pédagogues288 ».

Les valeurs mises en avant par les organisations militantes et professionnelles, telles que les AEFTI, rejoignent évidemment cette volonté de voir se mettre en place une pédagogie de l’émancipation, ainsi que l’émancipation des pédagogues. Nous l’avons vu précédemment, le statut des formateurs, dans le cadre de nouvelles mesures gouvernementales, est menacé. Le système de concurrence des marchés ne permet pas de maintenir un statut permanent et stable. C’est l’une des conséquences du libéralisme qui, cette fois, ne met pas à l’honneur les sociétés occidentales, notamment dans le domaine de l’emploi. C’est d’ailleurs un des combats qui est mené en DLC dans la lutte pour la reconnaissance statutaire et institutionnelle des enseignants en FLE/FLS. Ce combat est inhérent à la défense des valeurs d’égalité et de solidarité.

« Il devient nécessaire de ne plus occulter le fait que, dans certains domaines, les cultures sont parfois inégales (par exemple dans le droit au travail), voire même

inégalitaires (par exemple dans les rapports hommes-femmes). En ce domaine, on ne peut prétendre à un discours de Vérité. Il nous faut accepter le relativisme culturel, mais par contre, à une époque où les cultures s’interpénètrent, il ne faut pas craindre de faire certains choix éthiques communs et s’engager dans l’action289 ».

Madame Forestal ne dit nullement qu’il existerait des cultures supérieures ou inférieures à d’autres. Pas davantage des êtres inférieurs ou supérieurs à d’autres. Il s’agit de dire que certaines valeurs présentées comme positives dans certains milieux communautaires sont une offense à l’humanité : inégalité des hommes et des femmes, absence de démocratie.

« On peut même se demander si certaines valeurs ne doivent pas être considérées comme définitivement supérieures à d’autres. Ainsi la solidarité, la démocratie,

la justice sociale, l’émancipation devraient être considérées comme des valeurs prioritaires face à la liberté d’entreprise ou l’esprit de compétition, par exemple »290. Ces réflexions devraient pouvoir émerger en formation de formateurs tout autant que dans les instances de décision des organismes de formation, et cela sans frilosité.

284

FORESTAL Ch., Idem.

285

BAUMGRATZ-GANGL G., op. cit. p17

286

FORESTAL Ch., Le Parcours d’une auto-didacticienne voyage en « auto-didactie » ELA op cit. p 280.

287

FORESTAL Ch., « Du droit et du devoir d’une discipline à exister par elle-même : la sage utopie d’un être de passion » in Etudes de Linguistique Appliguée 123-124 p 487

288

Op. cit. p 488

289

FORESTAL Ch., « Et si l’on parlait d’incivilité institutionnelle et d’immobilisme » in Etudes de Linguistique Appliguée n° 133 janvier-mars 2004. pp 21-22

290

La prise de conscience risque d’être lente et difficile, et cela d’autant plus que les représentations sont baignées dans un discours ambiant de bonne volonté qui confond « l’égalité des droits » avec « l’égale reconnaissance des différences ». Ce discours imprègne parfois insidieusement et involontairement le milieu de la formation.

Les auteurs de textes ambigus n’ont pas conscience des risques que leurs propos engagent. Ainsi, cette ambiguïté peut être sous-jacente au FASILD si l’on prône l’interrelation culturelle sans jamais définir ce que l’on met au cœur des échanges. Seule, la compétence interculturelle est évoquée. Il s’agit désormais, nous dit Chantal Forestal, de mettre en

œuvre les règles d’un jeu social qui forme et donc transforme les apprenants en individus démocrates critiques et citoyens déliés des appartenances traditionalistes et postmodernistes, respectueux des droits républicains des autres individus.

La laïcité est une valeur inhérente et fondamentale à la défense des Droits de l’Homme. C’est la position de Chérif Ferjani291 s’attache à comprendre comment les courants islamistes intégristes parviennent à détourner le débat sur les

Droits de l’Homme pour le pervertir en une surenchère de discours identitaires. Monsieur Ferjani est un intellectuel engagé. Il est membre fondateur de la section tunisienne d’Amnesty international, militant dans plusieurs associations pour les Droits de l’Homme. Dans cet ouvrage, il dénonce les culturalistes, particularistes et relativistes des Droits de l’Homme qui veulent confirmer à chacun sa culture, sa morale, sa conception du Droit et de l’Homme.

« Allez, avec un tel discours, dénoncer l’excision en Afrique, la lapidation de l’adultère ou l’amputation de la main du voleur en Iran, la vendetta en Corse ou en

Sicile ! »292 .

Les Droits de l’Homme sont remis en cause de la même manière par toutes les critiques de la modernité qui se réfèrent à des conceptions animées par la volonté de régenter le monde, la société et les individus d’une façon autoritaire, sur la base des principes de la tradition et de la religion.

Pour illustrer ses propos, M. Chérif Ferjani évoque l’Inde où l’on continue à défendre les « castes » et où l’on refuse l’égalité aux « intouchables », l’Afrique où l’on invoque la coutume pour refuser l’abolition de l’excision. La défense d’une différence de valeur, on le voit bien ici, est inacceptable. Il faut dépasser le particulier :

« Les droits de l’Homme relèvent des sociabilités modernes où l’individualisme, comme repli sur la sphère privée et

désertion de l’espace public, peut être dépassée293 ».

Liberté, égalité et fraternité

L’auteur effectue une comparaison entre ce que recouvrent les notions de liberté d’égalité et de fraternité dans le cadre des Droits de l’Homme, et ce qu’elles recouvrent dans les propos des frères musulmans. Pour ce faire, il a étudié, en arabe, la plupart de leurs écrits.

Chérif Ferjani nous met en garde contre les propos des frères musulmans et particulièrement ceux de Hassan al Banna, le fondateur de ce mouvement. Ce dernier prétend que « l’idéal islamiste » serait un message universel s’adressant à tous les hommes, sans discriminations de race ou de couleur, pour les unir sur la base des principes de « liberté », « fraternité », « d’égalité » ou de « justice ». Cette prétendue adhésion aux valeurs de liberté, fraternité est également avancée dans la publication, en 1981, par le Conseil Islamique pour l’Europe, de la « Déclaration Islamique universelle des droits de l’homme294 . Chérif Ferjani éclaire ces allégations à la lumière de ses connaissances sur les conceptions culturelles de la société arabe traditionnelle.

Dans le cadre de l’islamisme intégriste, la liberté ne se conçoit qu’à travers et par la négation de celle du camp adverse. Il n’est alors pas contraire à la « liberté », dans cette optique, que la femme se soumette à l’homme. Les gens ne sont « égaux » que parce qu’ils ont les mêmes obligations vis-à-vis de Dieu. La solidarité et la fraternité, dont se réclament les islamistes, procèdent de la même logique que le principe solidarité tribale. On soutient son frère, qu’il ait raison ou qu’il ait tort, qu’il soit agressé ou qu’il soit agresseur. La différence, remarque Chérif Ferjani, c’est que, pour les islamistes, le