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Chapitre 2 Cadre conceptuel

4.6 Le patrimoine des entités spirituelles et la guérison

travers le processus de liminalité; soit lorsque ceux-ci passent d’un état d’individu ancré dans le monde des incarnés à celui de la communion avec l’astral étant le monde des désincarnés. La situation particulière des églises et des groupes daimistes du Canada possède un point commun : celui de la lutte pour la légalisation. Certains vont fonctionner contre la structure mise en place par l’état régulant les corps à ne pas user de leur sacrement et vont créer une contre structure dont les limites physiques et temporelles seront transcendées lors de l’ingestion du thé. Émergera alors une cohésion sociale interne agissant en parallèle de l’ordre et des normes établis par cet état. Vivre la communitas pendant les rituels du Santo Daime régit finalement l’ordre symbolique et hiérarchique de l’église avec à la tête de celle-ci les êtres de l’astral chapeautant les membres allant de la Madrinha, dans notre cas, aux fidèles les plus expérimentés puis aux néophytes. Mais quel est donc cet Empire de Juramidam? De quel patrimoine spirituel parle-t-on exactement? Et si les adeptes acceptent de se soumettre, quelle en est la raison?

4.6 Le patrimoine des entités spirituelles et la guérison

Ce que nous nommons patrimoine spirituel regroupe les entités avec lesquelles les fardados ont des interactions et travaillent. Le terme travailler ici connote un échange entre les êtres divins venus de l’astral et les incarnés dans l’espace rituel ou parfois ailleurs comme nous pourrons le voir dans le chapitre 5. Aussi, cet échange favorise la circulation des énergies, le nettoyage de mauvaises énergies et par conséquent la guérison. Le patrimoine daimiste est vaste et l’astral contient des entités originaires de plusieurs traditions. En effet, puisque le Santo Daime est une religion syncrétique, elle présente des êtres des traditions catholiques ou chrétiennes avec des saints comme le

Christ, la Vierge, Saint-Joseph ou Saint-Michel comme nous en discutions plus tôt; mais également d’autres entités, dont des orixás tels que Iemanjá, déesse de l’océan, Ogum, dieu de la guerre, du fer de l’agriculture et de la technologie ou encore Oxalá, associé à la création de l’homme et de la terre entre de nombreux autres. Les panthéons umbandistes et candomblistes sont insérés dans la tradition daimiste et présentent également une hiérarchie de l’astral. En fait, certaines énergies ne travaillent qu’avec des leadeurs soit les Padrinhos ou Madrinhas comme Tupinambá, un guérisseur-caboclo connu pour avoir travaillé avec Baixinha, une leadeuse importante du Umbandaime, ligne combinant Umbanda et Santo Daime. Dans l’église daimiste québécoise, Tupinambá offre sa guidance à la Madrinha, mais aussi à l’un des fardados ayant dirigé une église en Ontario il y a plusieurs années. D’autres entités faisant partie du répertoire daimiste proviennent des traditions indigènes brésiliennes telles que Tarumin, entité liée à l’eau que l’on invoque pour bénéficier de sa force notamment. L’église daimiste québécoise que nous avons observée trouve, dans son patrimoine, des entités Natives (issus des Premières Nations nord-américaines) comme nous le verrons dans le cas de Catherine émue d’une rencontre entre les entités Native et leurs homologues brésiliens. Dawson établit une hiérarchie du patrimoine spirituel daimiste classant les saints catholiques à la tête de cet organigramme divin (2013 : 122), néanmoins et bien que ceux-ci aient une importance majeure, ce sont les entités brésiliennes et Native avec qui les membres de l’église daimiste québécoise travaillent le plus. Toutefois, nous sommes d’accord avec l’auteur pour dire que l’expansion de la religion a davantage complété ce panthéon spirituel avec des déités issues d’autres traditions comme c’est le cas pour les êtres Native dans l’église daimiste québécoise, mais également des entités originaires des traditions hindouistes ou

bouddhistes notamment. Ces déités des traditions asiatiques sont en effet présentes chez les adeptes de l’église observée et intégrées de la même façon aux rituels avec, comme nous l’avons dit, une statue de Bouddha placée sur une table d’appoint.

Bref, cette panoplie d’entités, d’êtres divins, d’êtres de la forêt et d’orixás, lesquelles sont référées dans les hinários, ont un rôle déterminant dans la vie du fardado et dans celle de tout être humain selon la vision du Santo Daime. Chacun de nous voyage avec des guides spirituels qui nous aident à faire des choix dans la vie quotidienne. Aussi, certains daimistes sont enclins à les voir, à travailler avec eux, à communiquer et à interagir physiquement avec eux. L’une des missions capitales dans cette tradition est, sans nul doute, celle de la guérison. La guérison chez les daimistes passe par une meilleure connaissance de soi, un développement de son Soi intérieur en suivant les instructions données par les êtres de l’astral. Si l’individu peut lui même agir dans sa guérison, les ainés (fardados les plus expérimentés) adressent une attention particulière à lutter pour la guérison spirituelle des âmes en souffrance. Les travaux de Cura font souvent appel aux docteurs spirituels des traditions kardécistes Pr Antonio Jorge et Dr José Bezerra de Menezes et incorporent les médiums afin de procéder à une guérison. Les travaux de Concentração appellent des entités comme Sete Flechas, nommé dans notre cas par son nom anglais Seven Arrows qui est un être guérisseur. Il est d’ailleurs possible de savoir qu’il est présent lorsqu’il incorpore des fardados, car il a pour caractéristique de faire claquer ses doigts. L’opération de guérison passe par le nettoyage énergétique, une mission que plusieurs entités Natives, qui parfois ne peuvent être nommées par les membres mêmes, prennent en charge. Aussi, Catherine est souvent incorporée par l’une d’elles pendant les travaux auxquels nous avons assisté, prenant une plume et exécutant

des mouvements pour nettoyer comme un chamane l’aurait fait. Selon Pachocinski et Gagnon (2007), les esprits ont un attachement particulier au territoire où ils ont vécu. En ce sens, il serait donc naturel de voir apparaitre des entités nord-américaines et d’autant plus celles des traditions autochtones faisant écho aux esprits des Caboclos cités plus tôt. D’autre part, bien que l’église daimiste québécoise observée ne prétende pas guérir les maux physiques, le nettoyage spirituel et énergétique agrémentée de rétrospection interne permettent dans une moindre mesure d’accéder à une certaine sérénité. Cette paix participe d’un lâcher-prise qui peut être atteint grâce à la méditation notamment. Par conséquent, cet état d’esprit contribuera au relâchement du stress et des points de tensions dans le corps selon nous. La guérison par ailleurs participe elle-même à la transformation du participant au rituel : une transformation qui apparait à plusieurs niveaux, spirituel, mental, émotionnel et physique (Barnard 2014 : 678).

4.7 Conclusion

Pour conclure ce chapitre, il convient de mentionner que les fardados de l’église daimiste québécoise nous ont fait part de leurs expériences antérieures avec le Daime et combien la plante, comme elle est parfois nommée, les a transformés en tant que personne. De nombreuses études sur les vertus thérapeutiques du thé ont été faites ou sont en cours (Escobar 2010; Labate et al. 2010; Blainey 2015) et notamment au Canada (Thomas, Lucas, Capler, Tupper et Martin 2013). En ce sens, la légalisation du breuvage permettrait d’autant plus de faire des recherches autant en pharmacologie qu’en psychologie ou qu’en sciences sociales, et par là même contribuerait à ouvrir le champ à des médecines alternatives.

Dans le chapitre suivant, nous nous pencherons sur l’adaptation culturelle que doit subir la tradition daimiste brésilienne par son implantation au Québec. Comment donc les membres de l’église daimiste québécoise ont-ils apprivoisé une religion si éloignée de leur culture?

Chapitre 5 Apprivoiser la culture religieuse brésilienne