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Chapitre 5 Apprivoiser la culture religieuse brésilienne Ce chapitre porte sur l’adoption de la tradition religieuse du Santo Daime par les

5.2 Trajectoire religieuse et bricolage

5.2.4 Justifier les éléments « inintégrables »

mêmes considèrent comme authentique. Et en effet, à la lumière des propos de Beyer (1998 : 69) pour les religions transnationales, l’authenticité se trouve « à la maison », au Brésil dans notre cas. Malgré cela, quelques pratiques ont été volontairement abandonnées et nous allons voir pourquoi.

5.2.4 Justifier les éléments « inintégrables »

L’adaptabilité du Santo Daime est presque idyllique si l’on en croit la permissivité du culte que nous venons d’aborder. Il semblerait alors malgré tout que cette religion n’ait pas été si distante que nous le croyions. En vérité, cela s’explique par le simple fait que la mobilité du culte a transité par de grands centres urbains brésiliens avant de se répandre au reste du monde. En cela, plusieurs adaptations ont été nécessaires notamment sur la fréquence des rituels qui a grandement diminué en raison d’éléments de la modernité urbaine : en particulier l’emploi à temps plein des membres par exemple ou encore son ouverture à d’autres religions comme l’Umbanda (Assis et Labate 2014 : 22). Si des changements s’opéraient déjà au sein même du pays, sa transplantation, bien que facilitée par ses adaptations au Brésil urbain, implique nécessairement une adaptation à son environnement. Aussi, le Québec d’aujourd’hui, qui est bien moins patriarcal que le Brésil, si ce n’est plus du tout, ne peut tolérer un déséquilibre basé sur le genre. L’église daimiste québécoise ne pouvait se résoudre à ce que le leadeur soit obligatoirement un homme. Madrinha J. a toujours expliqué aux membres de l’église qu’il est légitime de s’adapter à son temps et à sa culture. Elle avoue s’être renseignée auprès de plusieurs leadeurs brésiliens qui l’ont soutenue dans sa démarche. D’autre part, Mãe Baixinha dirigeait une église depuis quelques années et bien que des critiques d’autres églises aient

surgi, l’évolution ne s’est pas arrêtée pour autant. C’est en suivant ce modèle que Madrinha J. légitime son autorité en tant que femme. Par ailleurs, un élément intéressant appuyant cette décision se trouve dans le fait que les femmes, selon les traditions chamaniques usant de l’ayahuasca, n’étaient pas autorisées à consommer le breuvage, ni même à le toucher pour le servir durant leur cycle menstruel. Aussi, Madrinha J. a fondé son église au Québec et alors qu’elle n’était encore que dans sa quarantaine, elle est entrée en ménopause. « This was meant to be! » nous déclarera-t-elle. Un signe que tout a une signification dans la vie, que le moindre signe peut être attribué à une entité ou à quelque chose en relation à l’astral. Nous pourrions tout aussi bien revenir sur le sujet des uniformes dont nous avons parlé au chapitre 4, lesquels sont actuellement en phase de modifications pour des raisons de confort notamment. En revanche, Madrinha J. et ses membres souhaitent conserver la jupe pour les femmes pour se conformer à la tradition. Les fidèles ne sont d’ailleurs pas plus en accord avec les règles qui régissent la confection du thé (feitio) au Brésil, où les femmes ne sont pas admises; évidemment, la question ne se pose pas pour le Québec, car la plante ne pousse qu’en milieu tropical.

En bref, au cours des précédents paragraphes nous avons tracé les mécanismes mis en place volontairement ou non par les membres pour que la religion daimiste, aussi distante soit-elle, s’adapte à leur compréhension de la religiosité. Apprivoiser le Santo Daime requiert néanmoins un pas de plus pour l’immerger complètement dans le quotidien des daimistes québécois en acceptant de « travailler » avec les êtres de l’astral. En cela, le rôle de chacun attribué par les esprits du Santo Daime va inéluctablement ancrer le fardado dans une mission divine. Tout comme les daimistes brésiliens décrits par Groisman (2004 : 10), les daimistes québécois « définissent leurs actions à partir

d’une dimension relationnelle avec la divinité et le monde spirituel — qui en dernière instance, et implicitement, est celui qui les intègre dans le contexte de son obligation, et ce qui aussi, par extension, organise, dramatise et stimule la relation de camaraderie et de soumission que de nombreux daimistes associent aux autres directions [lignées] du mouvement » [traduction libre]. Ici, l’anthropologue brésilien note que la mission conférée aux daimistes les circonscrit dans un rapport amical, mais quand bien même de soumission et poursuit l’analyse de ce devoir comme suit :

« Associée à cette articulation entre action-sacré-divinité-direction, se configure une idéologie d’honneur et de genre. De cette manière, celui qui “reçoit” et concrétise sa mission accomplit avec succès les desseins d’un Soi discipliné, humble, courageux et réalisateur, des valeurs hautement désirées dans un contexte de logique karmique qu’est le Santo Daime en tant que système religieux. » [Traduction libre] (Groisman 2004 : 10)

Aussi, le rapport d’obéissance qu’entretiennent les incarnés avec les entités contribue à l’évolution du fardado dans la hiérarchie de l’astral et confère de la même façon une autorité en matière de connaissance des esprits, mais également un statut de disciple exemplaire auprès des participants aux rituels. Cet aspect est marqué dans les discours où quelques fardados sont mentionnés comme référence en la matière. Catherine est souvent mentionnée dans les discussions informelles comme étant « la meilleure personne à qui parler » et davantage encore, alors que son caractère « insoumis » se laissait apprivoiser lors de sa rencontre avec Juramidam (cf. 5.1.4). Alors quelle est donc cette relation? Qu’est-ce que ce travail de collaboration entre incarnés et désincarnés?