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LE PARADIGME DES PARCOURS COMME APPROCHE THÉORIQUE :

Privilégier une approche par les parcours vient du fait qu’elle est celle qui me permet dans le cadre de cette recherche de mieux saisir à la fois les dynamiques temporelles, processuelles et les logiques d’actions. Cette approche, telle qu’elle se présente aujourd’hui est plutôt jeune mais a rencontré d’importants changements. Passant d’une conception cyclique (le triptyque des âges) à une conception progressive (les seuils d’âges), c’est une conception processuelle qui s’est développée à partir des années 1990 en sociologie et dans les sciences sociales pour aborder les biographies individuelles (Van de Velde, 2015). Le paradigme des parcours est présenté comme une approche multidisciplinaire qui propose de comprendre le développement humain en fonction de l’intentionnalité des individus ainsi que des contextes historiques et sociaux dans lesquels ils évoluent (Van de Velde, 2015 : 22). Dans cette optique, le parcours se définit comme étant l’ensemble des trajectoires conjugales, familiales, professionnelles et éducationnelles d’un individu (Gherghel et Saint-Jacques, 2013; Van de Velde, 2015). Ces trajectoires ne sont plus envisagées ou approchées en leur présupposant une linéarité mais plutôt une synchronie temporelle. Ainsi, dans la théorie des parcours, les trajectoires de vies s’articulent en fonction de trois niveaux de temporalités. La temporalité historique concerne l’emplacement de l’individu dans une période historique et une société donnée. La temporalité sociale fait référence à la vie des individus telle qu’influencée par les calendriers sociaux et leur(s) groupe(s) d’appartenance. Puis finalement, la temporalité biographique se rapporte quant à elle à l’enchainement chronologique de la vie de l’individu.

Par ailleurs, les trajectoires sont étudiées selon les cinq principes de base tels que conceptualisés par Glen Elder (2003) et autour desquels s’articulent l’analyse des parcours. Le premier principe concerne le développement tout au long de la vie, où le développement individuel est constitué comme un processus continu et complexe. Celui de l’intentionnalité des individus [agentivité] fait référence à la rationalité et à l’initiative de l’individu en fonction des contraintes et opportunités qui se présentent selon les différents contextes. L’insertion des vies dans le temps

et l’espace consiste en la prise en compte des différentes variations des contextes de vie. Quant

à La temporalité des transitions, elle réfère au concept d’âge perçu comme le carrefour de différentes temporalités, c’est à dire historique, sociale et biographique. Enfin, l’interrelations

de vies avance l’idée que les vies individuelles sont interdépendantes, que l’être humain se

développe en réciprocité avec les personnes qu’il côtoie dépendamment des principes cités précédemment (Van de Velde, 2015 :23). La focale est donc à la fois placée sur la narration biographique et les dynamiques institutionnelles. Dit autrement, il s’agit de caractériser le rapport entre les influences institutionnelles et la mise en œuvre de projets individuels. Rendre compte des parcours de vie, revient alors à rendre compte d’une dynamique complexe qui vacille constamment entre l’action individuel et l’organisation sociale, contextuelle, historique, politique etc., dans laquelle cette action se déroule. Il est indéniable que cette approche témoigne d’une grande richesse puisqu’elle permet aux chercheurs et chercheuses de naviguer entre différentes échelles afin d’analyser le rapport individu-société. Cependant, le corollaire de ce même point est qu’il est encore très difficile de savoir capter l’aspect holiste de la théorie. À ce jour, peu d’études réussissent en effet à articuler l’ensemble des multiples niveaux d’analyse qu’elle propose (Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Évidemment, il est impossible dans la présente recherche de tous les exploiter, l’attention sera plutôt portée sur quelques notions déterminantes dans l’étude du parcours de l’adulte contemporain.

2.1.1 Crise, transition, bifurcation… : quelques notions centrales

Ce qui est le plus pertinent dans la perspective des parcours est ce qu’elle divulgue sur le rythme des existences contemporaines. Les chercheurs et chercheuses insistent à présent sur la non linéarité des trajectoires et montrent que ce qui rythme les parcours contemporains est une

intensité temporelle marquée par une mobilité croissante face aux nouveaux hasards de la vie (Van de Velde, 2015). Les mutations des contextes - telles que la démocratisation de l’éducation, l’accélération des échanges transnationaux, la croissance urbaine et démographique, le travail [salarié] massif des femmes, les survenues [rapprochées] de crises économiques- ont joué un rôle important dans la déstandardisation des trajectoires individuelles. Celles-ci se traduisent à présent par l’émergence croissante d’irrégularités, d’imprévisibilités et de réorientations (Bessin, Bidart et Grossetti, 2009). De ce fait, Cécile Van de Velde indique que : « les parcours sont ainsi volontairement saisis dans leur subjectivité et leur déroulement temporel, avec une attention particulière placée sur les ruptures et les multiples transitions familiales et professionnelles qui émailles les trajectoires » (2015 :24). À juste titre, la notion de temporalité est importante puisque, comparée à celle des âges (qui reste cependant toujours aussi cruciale), permet d’étudier les multiples dimensions, strates ou échelles qui constituent les diverses dynamiques temporelles à l’intérieur des âges. Dès lors, le temps, dont l’âge, devient une réalité complexe, feuilletée et pluridimensionnelle (Dubar et Rolle, 2008). D’un autre côté, les notions de « transition », « turning point », « bifurcation », « crise » et d’« événement » sont devenues essentiels dans la saisie de ces temporalités multiples et du sens que se font les individus de leurs vies.

Se sont d’ailleurs développés, dans les approches par les parcours, des modèles d’analyses permettant d’identifier et de conceptualiser théoriquement et méthodologiquement ces notions. Les modèles tracés par Michel Grossetti sur les formes de prévisibilité des situations (Grossetti, 2006 et 2009) sont une de ces références. Dans ce modèle, la transition se définit par sa prévisibilité et la non définition de ses issues, tandis que le « carrefour » se définit par sa prévisibilité et la définition de ses issues. Quant à la forme de la crise, celle-ci correspond aux situations où ni le moment ni les issues sont prévues. Se rapprochant de ce modèle, Bidart définit la bifurcation comme « […] l’apparition d’une crise ouvrant un carrefour biographique imprévisible dont les voies sont elles aussi au départ imprévues – même si elles vont rapidement se limiter à quelques alternatives –, au sein desquelles sera choisie une issue qui induit un changement important d’orientation. » (2006 : 32). À ce propos, la notion de « bifurcation » semble être l’une des plus privilégiée par les sociologues quant à l’étude des configurations telles qu’elles apparaissent dans les trajectoires individuelles. Marc Bessin, Michel Grossetti et

Claire Bidart (2009) insistent sur le fait que les moments de bifurcations et de ruptures dans les trajectoires sont loin d’être exceptionnels. Selon eux, c’est tout l’inverse qui se produit, ces moments, d’une intensité variable, sont fréquents et arrivent régulièrement. Je ne m’attarde pas plus longuement sur ces notions. Étant donné le caractère inductif de la recherche, les récits de vie récoltés permettront, une fois analysés, de révéler laquelle s’avèrera la plus pertinente dans l’étude du recours au coaching de vie.

L’attention accordé à la factualité processuelle et cyclique des événements de vies et à leurs temporalités sont les éléments qui m’ont semblé les plus intéressants quant aux choix de cette approche. En fait, c’est qu’une large part des enquêtes produites en sciences sociales sur le coaching [en entreprise surtout] priorisent la dimension théorique, c’est-à-dire que les grands courants - la psychologisation du social par exemple- sont souvent invoqués comme les explications les plus légitimes au détriment des effectifs empiriques (la recherche de Salman fait exception). Je souhaite donc emboiter le pas de Molly George, Katariina Mäkinen et Michal Pagis pour nuancer ou compléter les thèses formulées en venant y ajouter les récits de vie des personnes coachées. Tout comme le récit du coach, celui de la personne coachée est un analyseur crucial dans la compréhension du phénomène. Mettre leurs récits et leurs parcours en dialogues peut permettre une « propreté méthodologique », pour reprendre les mots de René Lévy (2001).