• Aucun résultat trouvé

Le motif fluorenone : synthèse & applications

Chapitre 3 : Vers des architectures étendues

1. Le motif fluorenone : synthèse & applications

a)

Présentation du motif

Les fluorenones sont une famille de polycycles aromatiques condensés composés d’un enchainement

d’au minimum trois cycles : deux cycles benzéniques condensées à une cyclopentanone (Figure 25).

La fluorenone 9H-fluoren-9-one étant le plus simple des membres de la famille des fluorenones, elle sera nommée « fluorenone » dans la suite de ce document (Figure 25).

La première occurrence de la fluorenone dans la littérature date de 1873165. Cette dernière est réduite

par R. Fittig lors d’un processus de distillation pour donner ce qui sera plus tard décrit comme le fluorene (Figure 26). L’analogie de squelette entre la fluorenone et le fluorenone permet de considérer ce dernier soit comme un précurseur des fluorenones, soit comme un produit qui en serait issu.

FIGURE 25-LA FLUORENONE ET SA NOMENCLATURE FIGURE 26-LE FLUORENE ET SA NOMENCLATURE

Lorsqu’une fluorenone est condensée sur un ou plusieurs autres cycles aromatiques, on parle alors de fluorenone étendue. C’est le cas des exemples suivants, où un cycle benzénique, un cycle pyridinique et deux noyaux benzéniques participent à l’extension du système π conjugué (Figure 27).

FIGURE 27-EXEMPLES DE FLUORENONES ETENDUES

Dans la suite de ce chapitre, les différents cycles condensés seront nommés selon la nomenclature de la Figure 28.

FIGURE 28-NOMENCLATURE DES CYCLES

69

b)

Les domaines d’applications des fluorenones et de ses dérivés

Depuis le début du siècle dernier, la communauté scientifique s’est intéressée à ce motif et à ses

propriétés biologiques, optiques et électroniques. Les fluorenones sont en effet largement présentes dans des composés naturels, et la diversité fonctionnelle atteignable de ces structures leur ont permis de se faire remarquer dans la famille des composés d’intérêts thérapeutiques. Les fluorenones sont également caractérisées par des propriétés photophysiques et électroniques importantes vis-à-vis des défis énergétiques de demain.

Des dérivés naturels des fluorenones ont ainsi pu être isolés, comme par exemple la dendroflorine (Figure 29), présente dans la Dendrobium Densiflorum, une orchidée utilisée en médecine traditionnelle chinoise pour ses propriété anti pyrétiques166. Isoler cette molécule a, par ailleurs, permis de corriger sa structure qui était alors erronée : une analyse spectroscopique complète a permis de confirmer la position des substituants sur le motif fluorenone. D’autres molécules issues

d’une fluorenone, extrait de l’orchidée bambou Arundina Gramnifolia, ont également montré une

activité vis-à-vis du VIH-1167.

FIGURE 29-DENDROFLORINE ISSUE DE DENDROBIUM DENSIFLORUM

Certains dérivés de la fluorenone possèdent également des propriétés biologiques et médicinales, comme par exemple les fluostatins. Les premiers membres de cette famille (les fluostatins A et B - Figure 30) sont décrites pour la premières fois en 1998, et présentent une activité antibiotique notable168.

FIGURE 30-FLUOSTATINS

166 C. Fan, W. Wang, Y. Wang, G. Qin, W. Zhao, Phytochemistry2001, 57, 1255.

167 Q.-F. Hu, B. Zhou, J.-M. Huang, X.-M. Gao, L.-D. Shu, G.-Y. Yang, C.-T. Che, J. Nat. Prod.2013, 76, 292. 168 T. Akiyama, S. Harada, F. Kojima, Y. Takahashi, C. Imada, Y. Okami, Y. Muraoka, T. Aoyagi, T. Takeuchi, J. Antibiot. (Tokyo).1998, 51, 553.

70

Cette famille de molécule s’est ensuite agrandie avec trois nouveaux membres en 2006 (fluostatins C,

D, E)169, en incluant un époxyde dans leur structure (pour les fluostatins C et D) ou un diol (pour la fluostatin E). Plusieurs synthèses totales des fluostatins C et E ont d’ailleurs été décrites, comme celle

de Danishefsky170, mettant en jeu une réaction de Diels-Alder permettant la formation du cycle C de la fluorenone.

En 2010, les fluostatins F, G et H sont découvertes et montrent une activité anti bactérienne modérée

là où la fluostatin C n’en montre aucune171, et finalement, en 2012, trois derniers dérivés sont décrits

(fluostatins I, J et K), isolés à partir de sédiments du sud de la mer de Chine, et montrent une bonne activité antibactérienne vis-à-vis de Staphylococcus Aureus172. Des fluorenones substituées sur les positions 2 et 6 ont également montré une activité exceptionnelle contre une souche résistante à la méticilline de ce staphylocoque173.

Les dérivés de kinamycins (Figure 31) présentent également un squelette fluorene ou d’une fluorenone sous forme quinonique. Elles sont majoritairement obtenues d’une bactérie, Streptomyces Murayamaensis. Certaines kinamycins ont l’avantage, par rapport aux fluostatins, de présenter une activité antibactérienne couplée à une activité antitumorale174.

FIGURE 31-STRUCTURE DES KINAMYCINS

Les kinafluorenones (Figure 32), font partie des kinamycins dérivées de la fluorenone et sont isolées pour la première fois en 1993 par Steven J. Gould175. Cependant ces composés ne présentent pas

d’activité antibactérienne comparable aux kinamycins. Le même auteur a également permis

l’identification et la révision de la structure d’une prekinamycin (Figure 33)176 alors erronée, en

l’attribuant finalement à celle d’une benzo[b]fluorenone.

FIGURE 32-KINAFLUORENONE FIGURE 33-STRUCTURE CORRIGEE DE LA PREKINAMYCIN

Les fluorenones sont également à la base de composés dit « NMR silent », complètements invisibles en RMN 1H et 13C. Les composés les plus connus de cette famille sont probablement les stealthins

169 K. Schneider, G. Nicholson, M. Ströbele, S. Baur, J. Niehaus, H.-P. Fiedler, R. D. Süssmuth, J. Antibiot. (Tokyo).

2006, 59, 105.

170 M. Yu, S. J. Danishefsky, J. Am. Chem. Soc.2008, 130, 2783. 171 Z. Feng, J. H. Kim, S. F. Brady, J. Am. Chem. Soc.2010, 132, 11902.

172 W. Zhang, Z. Liu, S. Li, Y. Lu, Y. Chen, H. Zhang, G. Zhang, Y. Zhu, G. Zhang, W. Zhang, et al., J. Nat. Prod.2012,

75, 1937.

173 M. L. Greenlee, J. B. Laub, G. P. Rouen, F. DiNinno, M. L. Hammond, J. L. Huber, J. G. Sundelof, G. G. Hammond,

Bioorg. Med. Chem. Lett.1999, 9, 3225.

174 E. González-Cantalapiedra, Ó. de Frutos, C. Atienza, C. Mateo, A. M. Echavarren, Eur. J. Org. Chem.2006, 2006, 1430.

175 M. C. Cone, C. R. Melville, M. P. Gore, S. J. Gould, J. Org. Chem.1993, 58, 1058.

71

(Figure 34), qui possèdent le squelette carboné des benzo[b]fluorenone, et la kinobscurinone (Figure 35).

FIGURE 34-STRUCTURE GENERALE DES STEALTHINS FIGURE 35-KINOBSCURINONE

Les stealthins A et B sont des inhibiteurs de radicaux libre découvert en 1992 par l’équipe de Seto177

lors de l’étude de nouveaux composés actifs contre la maladie de Parkinson et la sclérose. La stealthin

C et la kinobscurinone sont, quant à elles, des intermédiaires de la synthèse biologique de la kinamycin D178. Leur propriété « NMR silent », d’abord attribuée à une interconversion rapide entre différentes formes tautomères, et en fait liée à la présence d’une paire d’électron non appareillée dans leur

structure (Figure 36), mise en évidence par l’observation d’un signal lors d’une analyse RSE179.

FIGURE 36-MISE EN EVIDENCE DE LA PAIRE D'ELECTRONS NON APPAREILLEE DANS LA STRUCTURE DE LA KINOBSCURINONE

Certaines fluorenones sont également décrites comme inhibiteurs de la télomérase humaine, et donc comme des anticancéreux de par leurs interactions privilégiées avec l’ADN180.

Ces interactions ont d’ailleurs été utilisées pour fabriquer des sondes fluorescentes à deux photons

destinées à faciliter le séquençage et l’analyse de réaction redox au sein de l’ADN181, et plus récemment pour marquer des lysosomes et des mitochondries dans des cellules vivantes. Ce marquage permet de repérer des cellules cancéreuses, ou de suivre des processus biologiques182. Ces composés (Figure 37) se sont montrés supérieurs aux marqueurs usuels tant au niveau de la photo-stabilité que de la cytotoxicité.

177 K. Shin-ya, K. Furihata, Y. Teshima, Y. Hayakawa, H. Seto, Tetrahedron Lett.1992, 33, 7025. 178 S. J. Gould, C. R. Melville, M. C. Cone, J. Chen, J. R. Carney, J. Org. Chem.1997, 62, 320. 179 S. J. Gould, C. R. Melville, Tetrahedron Lett.1997, 38, 1473.

180 P. J. Perry, M. A. Read, R. T. Davies, S. M. Gowan, A. P. Reszka, A. A. Wood, L. R. Kelland, S. Neidle, J. Med. Chem.1999, 42, 2679.

181 M. T. Tierney, M. W. Grinstaff, J. Org. Chem.2000, 65, 5355.

182 A. L. Capodilupo, V. Vergaro, E. Fabiano, M. De Giorgi, F. Baldassarre, A. Cardone, A. Maggiore, V. Maiorano, D. Sanvitto, G. Gigli, et al., J. Mater. Chem. B2015, 3, 3315.

72

FIGURE 37-EXEMPLES DE MARQUEURS BASES SUR LA FLUORENONE

Les fluorenones et leurs dérivés trouvent également leur place dans d’autres domaines que la biologie,

elles sont notamment décrites comme étant la base de composés présentant un caractère redox totalement réversible, et un gap HOMO/LUMO remarquablement faible (1.83 eV) parmi les monomères organiques183. Au sein de ces architectures, la fluorenone joue le rôle d’accepteur

d’électrons, et donne à la structure des propriétés de transfert de charge exceptionnelles. Ces

propriétés en font des composés de choix pour la conception de semi-conducteurs organiques.

L’équipe de Marks a décrit la synthèse de « building block » basés sur la fluorenone, destinés à créer

des polymères semi-conducteurs solubles (Figure 38)184.

FIGURE 38-MONOMERE DE MARKS DESTINE A LA SYNTHESE DE SEMI-CONDUCTEURS

Très récemment, les fluorenones ont également été décrites comme bases pour des organo-gélifiants de faible masse moléculaires (LMOG)185 auto-assemblés, pour leur facilité d’accès et leurs propriétés de luminescence. Ces fluorenones ont été arylées en position 2 et 7 (Figure 39) pour ajuster leur gap HOMO/LUMO, et ainsi permettre leur utilisation comme détecteurs de traces de vapeurs d’aniline, mettant en évidence l’importance de la modulation de la taille du système aromatique sur l’ajustement

des propriétés optiques et électroniques des fluorenones. De la même manière, des fluorenones possédant un système aromatique étendu par des thiophènes en position 2 et 7 ont quant à elles été utilisées pour créer des cellules photovoltaïques186.

FIGURE 39-LMOG POUR LA DETECTION DE VAPEURS D'ANILINE

183 D. F. Perepichka, M. R. Bryce, A. S. Batsanov, E. J. L. McInnes, J. P. Zhao, R. D. Farley, Chem. - Eur. J.2002, 8, 4656.

184 H. Usta, A. Facchetti, T. J. Marks, Org. Lett.2008, 10, 1385.

185 H. Su, R. Liu, M. Shu, M. Tang, J. Wang, H. Zhu, Dye. Pigment.2019, 162, 52.

73

En plaçant une fluorenone au coeur d’un macrocycle (Figure 40), l’équipe de Levine a pu concevoir une sonde permettant la détection des PAHs et des ions fluorures par des techniques d’analyses optiques (UV-visible et spectroscopie de fluorescence)187. Dans le cas de ce macrocycle, la fluorenone est

déficitaire en électrons, ce qui lui permet d’interagir avec des composés riches en électrons (ici des

polycycles aromatiques) ou des anions pour établir un complexe de transfert de charge.

FIGURE 40-MACROCYCLE DE LEVINE

74