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Chapitre 4 : La fonction cétone comme groupe directeur

2. Des groupes directeurs éphémères

a)

Définition

Afin de guider une réaction de C–H activation, plusieurs solutions ont été mises au point. La première consiste à greffer un groupe directeur sur la molécule. Ce groupe, en se coordinant au catalyseur,

permet de guider l’insertion dans une liaison C–H prédéterminée. La seconde est l’utilisation de ligands

autour du catalyseur. Ces derniers vont induire une gêne stérique ou une modification électronique importante du système catalytique, et orienter la réactivité vers une liaison C–H spécifique du substrat. Les solutions utilisant un groupe directeur éphémère (tDG) sont en quelque sorte intermédiaires entre

les deux méthodologies précédentes. Il s’agit ici d’utiliser une fonction réactive présente sur le substrat, mais peu coordinante et de la faire évoluer vers un groupe directeur. Si cette nouvelle fonction est en équilibre dans le milieu avec la première, on parle alors de tDG (Schéma 113).

SCHEMA 113-DIFFERENTES STRATEGIES DE C–H ACTIVATION GUIDEES

Selon les revues récentes d’Ackermann et de Jun, dédiées aux groupes directeurs éphémères289,290, un groupe directeur doit posséder plusieurs caractéristiques pour être qualifié de tDG. La première est

d’être généré in-situ par l’action d’un co-catalyseur avec une sélectivité parfaite. Le ligand utilisé pour

former le tDG ne doit en aucun cas interférer autrement dans le cycle catalytique du métal et être stable avant, et après la réaction de C-H activation. Finalement, la transformation permettant la formation du groupe directeur éphémère doit être réversible.

Ces méthodologies basées sur l’utilisation conjointe de l’organocatalyse et de la metallocatalyse sont

majoritairement appliquées aux dérivés carbonylés via la formation d’une imine. Quelques autres

exemples sont cependant décrits. Dans la suite de cette section, il sera présenté différentes

méthodologies basées sur l’utilisation de tels groupes directeurs.

b)

Réactions de C–H activations guidées par des imines éphémères

Afin de guider une réaction de C–H activation sur un substrat possédants une fonction cétone, la

formation d’une imine par réaction avec un acide aminé (ou d’un dérivé) est la stratégie la plus répandue. Cette dernière a pu être appliquée aussi bien à des carbones sp2qu’à des carbones sp3.

289 P. Gandeepan, L. Ackermann, Chem2018, 4, 199.

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Ainsi, plusieurs conditions réactionnelles permettant d’effectuer l’arylation de benzaldéhydes ont été

décrites au cours des dernières années. C’est Yu291, Jin292 et Sorensen293 qui publient la même année

la première arylation sélective du benzaldéhyde guidée par une imine éphémère. Ils décrivent des conditions similaires : un complexe de palladium et présence d’un amino-acide et d’un sel d’argent

dans un mélange d’HFIP et d’un acide. Cependant, Sorensen ne s’arrête pas à la formation du

benzaldéhyde arylé, et, dans ses conditions plus acides, son produit se cyclise pour former une fluorenone (Schéma 114).

SCHEMA 114-ARYLATION DE BENZALDEHYDES ET SYNTHESE DE FLUORENONES

En modifiant légèrement les conditions de Yu, Wang s’affranchi de l’iode et décrit l’année suivante une double activation C–H permettant l’arylation de benzaldéhydes294.

Par la suite, d’autres types d’activation ont été décrites à l’aide de différents tDG. Dans la même

publication, Yu décrit également des méthodes de chloration, de bromation et d’amination, catalysées

par un complexe d’iridium291. La même année, Sorensen met au point des conditions permettant

d’effectuer une hydroxylation sélective du benzaldéhyde87, puis deux méthodologies de fluoration et

de méthylation295 (Schéma 115).

Lorsqu’il décrit sa méthode d’amination, Yu met en évidence deux nouvelles informations : il est

possible d’utiliser des tDG monodentés, et les stratégies utilisant des groupes directeurs éphémères

sont compatibles avec d’autres métaux de transition que le palladium. Ces informations ont donné naissance à des conditions expérimentales alternatives de methoxylation et de chloration296, mais plus particulièrement à de nouvelles méthodologies basées sur la réactivité d’autres métaux, comme des

réactions de cyclisation.

291 X. H. Liu, H. Park, J. H. Hu, Y. Hu, Q. L. Zhang, B. L. Wang, B. Sun, K. S. Yeung, F. L. Zhang, J. Q. Yu, J. Am. Chem. Soc.2017, 139, 888.

292 J. Xu, Y. Liu, Y. Wang, Y. Li, X. Xu, Z. Jin, Org. Lett.2017, 19, 1562. 293 X. Y. Chen, S. Ozturk, E. J. Sorensen, Org. Lett.2017, 19, 1140.

294 D.-Y. Wang, S.-H. Guo, G.-F. Pan, X.-Q. Zhu, Y.-R. Gao, Y.-Q. Wang, Org. Lett.2018, 20, 1794. 295 X.-Y. Y. Chen, E. J. Sorensen, J. Am. Chem. Soc.2018, 140, 2789.

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SCHEMA 115-C–H ACTIVATION DU BENZALDEHYDE PAR UN GROUPE DIRECTEUR EPHEMERE

Ainsi, en utilisant un catalyseur de ruthénium et de la 2-methyl-3-(trifluoromethyl)aniline comme tDG, Zhang décrit une méthode de synthèse de différentes pyrrolidines spirocycliques en deux étapes à partir du benzaldéhyde297. Cette stratégie d’annulation a ensuite été adaptée de façon monotope par les groupes de Wang et Yao, qui décrivent respectivement des synthèses directes de

d’isobenzofuranones298 et de benzofuranes299à l’aide d’un catalyseur de rhodium. Par ailleurs le catalyseur de Wang étant chiral, il lui permet de réaliser la synthèse asymétrique d’isobenzofuranones

(Schéma 116).

SCHEMA 116–STRATEGIES D’ANNULATION PAR UN GROUPE DIRECTEUR EPHEMERE

Les groupes directeurs éphémères ont également été utilisés sur des hétérocycles : Sorensen a étendu

sa méthode d’alkylation sur des hétérocycles à six chainons300 et Ge décrit une méthode

pallado-297 F. Li, Y. Zhou, H. Yang, D. Liu, B. Sun, F.-L. L. Zhang, Org. Lett.2018, 20, 146. 298 G. Li, J. Jiang, H. Xie, J. Wang, Chem. – A Eur. J.2019, 25, 4688.

299 Z. Guan, S. Chen, Y. Huang, H. Yao, Org. Lett.2019, 21, 3959. 300 X.-Y. Chen, E. J. Sorensen, Chem. Sci.2018, 9, 8951.

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catalysée d’arylation de thiophènes et de furanes301. Par ailleurs, cette stratégie fonctionne également

pour activer des liaisons B–H, comme a pu le montrer Yan en mettant au point une méthode de

fonctionnalisation de carboranes basée sur l’utilisation de glycine comme tDG302.

La synthèse asymétrique développée par Wang pose la question de l’activation de carbone sp3. Pour

de tels carbones, les seules méthodologies décrites utilisant un groupe directeur éphémère sont des

méthodes d’arylationet d’alkylation.

Ainsi, Ge décrit l’arylation de 3-méthylbenzaldéhydes et de différentes cétones aliphatiques303 puis étend cette méthodologie aux aldéhydes aliphatiques304. Wei et Hu adapte ensuite cette méthode à

l’utilisation d’autres tDG305,306.

A partir des méthodologies précédentes, Wang met au point une méthode d’arylation

déshydrogénante d’aldéhydes aliphatiques qui lui permet d’obtenir différents aldéhydes αβ

insaturés307 (Schéma 117) et Zhang met au point une synthèse rapide de PAHs en deux étapes en guidant une arylation par une imine, puis en cyclisant les aldéhydes dans des conditions acides vers des polycycles aromatiques (Schéma 118)308.

SCHEMA 117-ARYLATION DESHYDROGENANTE DE WANG

SCHEMA 118-SYNTHESE DE PAHS DE ZHANG

Les méthodes d’alkylation de carbones sp3 sont décrites par le groupe de Dong. Au cours des dernières

années, ce groupe a mis au point des conditions expérimentales permettant l’α-alkylation de dicétones309et l’α-alkylation régiosélective de cyclopentanones310, mais également des réactions

301 B. Li, K. Seth, B. Niu, L. Pan, H. Yang, H. Ge, Angew. Chem. Int. Ed.2018, 57, 3401. 302 X. Zhang, H. Zheng, J. Li, F. Xu, J. Zhao, H. Yan, J. Am. Chem. Soc.2017, 139, 14511. 303 F.-L. Zhang, K. Hong, T.-J. Li, H. Park, J.-Q. Yu, Science (80-. ).2016, 351, 252. 304 K. Yang, Q. Li, Y. Liu, G. Li, H. Ge, J. Am. Chem. Soc.2016, 138, 12775. 305 C. Dong, L. Wu, J. Yao, K. Wei, Org. Lett.2019, 21, 2085.

306 F. Ma, M. Lei, L. Hu, Org. Lett.2016, 18, 2708.

307 X.-L. Zhang, G.-F. Pan, X.-Q. Zhu, R.-L. Guo, Y.-R. Gao, Y.-Q. Wang, Org. Lett.2019, 21, 2731. 308 M. Tang, Q. Yu, Z. Wang, C. Zhang, B. Sun, Y. Yi, F.-L. Zhang, Org. Lett.2018, 20, 7620. 309 Z. Wang, B. J. Reinus, G. Dong, J. Am. Chem. Soc.2012, 134, 13954.

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d’α-alcenylation311 de cétones cycliques, de β-alcenylation de cétones aliphatiques312et de cyclisation de type Conia-ene313. Toutes ces conditions sont basées sur l’utilisation d’un catalyseur de rhodium en

présence d’un tDG de type 2-aminopyridine (Schéma 119).

SCHEMA 119-METHODOLOGIES DEVELOPPEES PAR DONG c)

Autres méthodologies

Les alcools peuvent également servir de plateforme pour un groupe directeur éphémère. Dans le cas de cette fonction, ce sont surtout des phosphites qui sont utilisés comme tDG, en formant une liaison

P–O avec l’alcool du substrat (Schéma 120).

SCHEMA 120-UTILISATION DE PHOSPHITES COMME TDG POUR L’ARYLATION DE PHENOLS

311 F. Mo, H. N. Lim, G. Dong, J. Am. Chem. Soc.2015, 137, 15518. 312 Y. Xu, M. C. Young, G. Dong, J. Am. Chem. Soc.2017, 139, 5716. 313 H. N. Lim, G. Dong, Angew. Chem. Int. Ed.2015, 54, 15294.

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Au cours des vingt dernières années, de nombreuses conditions expérimentales basées sur l’utilisation

de différents phosphites permettant l’arylation de phénols ont été misent au point314,315,316,317,318 puis

étudiées de façon théorique319. Ye utilise ensuite ces conditions pour aryler des BINOL encombrés320.

Un exemple d’ortho-éthylation de dérivés du phénol est décrit dans une courte communication par

Cole-Hamilton, où il utilise de l’éthylène comme réactif d’alkylation321.

Plus récemment, Larrosa a mis au point une méthodologie dédiée aux phénols permettant l’activation

de la liaison C–H en position méta de l’alcool. Dans ce cas, c’est du CO2 qui est ajouté sur la structure

en présence d’une base et qui sert de groupe directeur éphémère (Schéma 121)322. Cette stratégie

permet l’obtention directe de phénols substitués en méta à partir d’un substrat orientant les réactions

en position ortho ou para. Larrosa a également étendu sa méthodologie à la m-arylation du

fluorobenzène et de l’anisole323.

SCHEMA 121- M-ARYLATION DE PHENOLS

La réaction de Catellani décrite précédemment149 (voir page 47) peut également être considérée comme une réaction de C–H activation par groupe directeur éphémère : l’activation a lieu en α de

l’atome d’iode grâce à l’insertion du norbornene qui joue ici le rôle de tDG. Dans ce cas la fonction qui

accueille la groupe directeur éphémère (ici, l’atome d’iode) n’est pas conservée, contrairement aux méthodes précédentes. Cependant, lorsqu’elle est utilisée en tandem avec un groupe directeur fixe,

cette navette permet d’activer une position plus éloignée en se basant sur un hydrogène (voir Schéma

39, page 48). Plusieurs exemples d’activation utilisant la navette norbornene sont décrits dans la revue

d’Ackermann289 (voir page 137).

d)

Le cas des cétones cycliques

La C–H arylation péri des cétones cycliques (1-tetralone, 1-benzosuberone et 1-indanone) est actuellement un défi majeur de la communauté scientifique. A ce jour, seul quelques exemples différents de cétones cycliques arylées en position péri de la liaison C=O sont décrits (Figure 86). La

314 R. B. Bedford, M. E. Limmert, J. Org. Chem.2003, 68, 8669.

315 S. Oi, S. Watanabe, S. Fukita, Y. Inoue, Tetrahedron Lett.2003, 44, 8665.

316 R. B. Bedford, M. Betham, A. J. M. Caffyn, J. P. H. Charmant, L. C. Lewis-Alleyne, P. D. Long, D. Polo-Cerón, S. Prashar, Chem. Commun.2008, 990.

317 R. B. Bedford, M. F. Haddow, R. L. Webster, C. J. Mitchell, Org. Biomol. Chem.2009, 7, 3119. 318 Q.-S. Liu, D.-Y. Wang, J.-F. Yang, Z.-Y. Ma, M. Ye, Tetrahedron2017, 73, 3591.

319 M. C. Carrión, D. J. Cole-Hamilton, Chem. Commun.2006, 4527.

320 J.-F. Yang, R.-H. Wang, Y.-X. Wang, W.-W. Yao, Q.-S. Liu, M. Ye, Angew. Chem. Int. Ed.2016, 55, 14116. 321 M. C. Carrión, D. J. Cole-Hamilton, Chem. Commun.2006, 4527.

322 J. Luo, S. Preciado, I. Larrosa, J. Am. Chem. Soc.2014, 136, 4109. 323 M. Font, A. R. A. Spencer, I. Larrosa, Chem. Sci.2018, 9, 7133.

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plupart de ces cétones sont des composés fluorés, et aucune d’entre elles ne possède de substituants attracteurs sur le cycle aromatique F.

Toutes les cétones fluorées ont été synthétisées par Kakiushi324 en utilisant un catalyseur de ruthénium

et un boronate. Ce sont des conditions similaires qui ont permis d’isoler les autres dérivés de tetralones, décrits comme des exemples isolés dans diverses publications traitant de la C–H arylation de cétones en général325,326,327.

FIGURE 86-CETONES CYCLIQUES OBTENUES PAR C–H ARYLATION DE LA POSITION PERI

Deux méthodologies différentes ont également mené à la tetralone portant un ester en position para du cycle F. La première est une méthode basée sur le couplage d’un acide boronique catalysée par un

complexe de rhodium328, et le seconde est une méthodologie pallado-catalysée utilisant un groupe directeur éphémère : il s’agit des conditions de Jin, décrites précédemment (voir page 138292). En

dehors des méthodologies catalysées par du ruthénium, l’arylation de tetralones cycliques se fait

généralement avec un rendement moyen (autour de 50%).

324 A. Izumoto, H. Kondo, T. Kochi, F. Kakiuchi, Synlett2017, 28, 2609.

325 F. Kakiuchi, Y. Matsuura, S. Kan, N. Chatani, J. Am. Chem. Soc.2005, 127, 5936. 326 T. Yamamoto, T. Yamakawa, RSC Adv.2015, 5, 105829.

327 Y. Ogiwara, M. Miyake, T. Kochi, F. Kakiuchi, Organometallics2017, 36, 159.

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