• Aucun résultat trouvé

3 Établir ce potentiel

3.1 Le métabolisme territorial

Le travail sur la matérialité dans le domaine de l'écologie industrielle est actuellement

une formation à la méthode du 29 juin 2015 au 3 juillet 2015 à Bordeaux, le risque est fort d'un dérapage du programme vers une action de développement économique stricto-sensu ne reprenant qu'à la marge les enjeux de l'écologie industrielle. Le programme présente la caractéristique d'être à notre connaissance le mieux « packagé » et accompagné de tout ce que nous avons pu rencontré dans le domaine. La réponse à ces questions seront obtenues en 2017.

32 Expert Workshop Continuous Loops Tool C2C BIZZ, Anvers, le 13 octobre 2013.

33 Entretien avec Rachel Lombardi, responsable du développement chez International Synergies, 3 décembre 2013

basé sur deux types d'approches, une première basée sur des données recueillies dans les entreprises et une deuxième, statistique et descendante, historiquement plus installée : l'analyse des flux de matière à l'échelle territoriale visant à déterminer le « métabolisme » d'un territoire. Ces deux approches dépendent des objectifs poursuivis, dans le premier cas, l'observation est limitée au tissus économique, tandis que dans l'autre, c'est l'ensemble du territoire qui est observé.

Dans la pratique l'enquête de terrain auprès des entreprises est l'approche la plus souvent choisie pour la réalisation de démarches territoriales d'écologie industrielle.

Le métabolisme territorial

Dans le domaine de l'écologie industrielle, le principal outil d'observation de la matérialité de l'activité humaine sur le territoire est l'analyse des flux de matière et d'énergie [SOES, 2014][BARLES, 2014].

Dans l’optique de comprendre la dynamique des flux de matières et d’énergies depuis leur extraction jusqu’à leur retour dans la biosphère, cet outil particulièrement adapté est utilisé. Ces approches s’intéressent à l’analyse quantitative des flux de matières et d’énergie qui caractérisent les sociétés et systèmes, or les outils comptables traditionnels ne prennent en compte les flux que dans leur dimension économique. Le domaine de l'écologie industrielle propose une famille d’outils et de méthodologies pour représenter les flux dans un système. Il sert à établir une comptabilité matières et énergie.

Les premières utilisations d'une comptabilité de matières appliquée aux relations société/nature sont faites par Wolman [WOLMAN, 1965] et Odum [ODUM, 1975]. Elles furent reprises par Paul Duvigneaud [DUVIGNEAUD, 1974], écologue belge s’interrogeant sur l’urbanisation, la ville et ses relations avec la biosphère.

L’écologie industrielle prend en compte toute la diversité de flux disponibles et a adapté ces outils à divers systèmes, territoires, produits, substances.

Figure 13: L’écosystème urbs, source : [DUVIGNEAUD, 1974]

L'observation de leur métabolisme permet l’analyse des systèmes industriels comme des systèmes ouverts, qui échangent énergie, matières, produits, avec leur environnement selon le principe de conservation de la matière : "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme"34.

Les métabolismes sont basés sur la modélisation de la figure 14. En se basant sur les principes de conservation de la masse, généralement toujours applicables en dehors de la production d'énergie nucléaire, un bilan des flux qui le traversent (entrants et sortants) est effectué.

34 Le métabolisme d’une centrale nucléaire constituerait un test de modélisation intéressant de part justement la perte de matière.

Figure 14: Modélisation d'une activité, source [JSA 2010]

Le précurseur fut Abel Wolman qui décrivit le métabolisme d’une ville américain fictive sous cette forme.

Tableau 6 : Métabolisme d’une ville américaine fictive d’un million d’habitants source : [WOLMAN, 1965, p180]

Entrées (t/j) Sorties (t/j)

Eau 625 000 Eaux usées 500 000

Nourriture 2 000 Déchets 2 000

Énergie fossile 9 500 Polluants atmosphériques 9 500

Abel Wolman, considéré comme un des pères fondateurs de l’écologie urbaine, fut le premier à utiliser le terme de métabolisme et à proposer le premier bilan de matière ap- pliqué à la ville. En parallèle, Eugène Odum comparait le fonctionnement d’une ville avec celui d’un lac avec pour résultat de mettre en valeur le caractère destructeur de la ville. La figure suivante montre le « métabolisme » qu’il représente avec les notions de consommations de matière et d’énergies comptabilisées.

Figure 15: Métabolisme urbain, métabolisme lacustre, source [ODUM, 1975, p. 39]

Des déclinaisons spécifiques du métabolisme ont permis de l’appliquer à une substance, telle que le Plomb au Danemark dans la figure 16.

Figure 16: Métabolisme du plomb au Danemark, source : Journal of Industrial Ecology

Plus proche de nous dans l’espace mais un peu plus loin dans le temps, il sert à modéliser l’usage de l’azote alimentaire à Paris en 1869 [BARLES, 2007].

Figure 17: Circulation de l'azote alimentaire à Paris, 1869, Source : [BARLES, 2007, p55]

Il est aussi adapté à la modélisation et l’étude « produit » tout le long de son cycle de vie.

Figure 18: Métabolisme du jus d'orange brésilien, source : [KRANENDONK et BRINGEZU , 1993]

Cette méthode est à la base d'une approche tournée vers le produit dans l'écologie industrielle : l'éco-conception. Celle-ci, normée, peut être qualifiée de mature et est adoptée par plusieurs industriels, en particuliers ceux de l'emballage pour faire diminuer l'éco-contribution à la filière REP. Les directives RoSH (Restriction of the use of certain Hazardous Substances in electrical and electronic equipment) et REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals) obligeant une meilleure connaissance des substances contenues dans les produits ne sont pas étrangères au développement de ce type d'approche. La directive eco-design de 2005 de la

Commission Européenne renforce aussi cette approche puisque l'analyse du cycle de vie donnera à termes un avantage concurrentiel en matière de marchés publics.

En ce qui concerne les métabolismes territoriaux, leur méthode de production a été relativement standardisée par les services de statistique de la Commission Européenne [EUROSTAT, 2001]. La méthode proposée pour leur réalisation est adaptée au niveau des états voire des régions [SOES, 2014] mais en dessous de ce niveau, la granularité des informations engendre une forte incertitude. Les variations des limites géographiques limitent aussi l'observation dans le temps [BARLES, 2007] ou obligent à des reconstructions. Cette inconstance du « référentiel » géographique n'est pas la seule : les données sur lesquelles s'appuient la construction des métabolismes peuvent tout à la fois changer de nomenclature comme de périmètre. Par exemple, la base de données SITRAM, qui fournit des statistiques sur les flux de matières transportées35, a

vu sa nomenclature changer à partir de 2009 et le mode de transport ferré disparaître en 2010. Pour ce qui est de la nomenclature produit, il ne s'agit pas uniquement de l'ajout de catégories supplémentaires mais d'une nouvelle ventilation obligeant l'utilisation de tables de passages plus ou moins précises. Pour ce qui est de la suppression pure et simple du transport par train (environ 11% du fret en 2005), le secret statistique invoqué, de part la mise en concurrence de la SNCF, augmente de fait l'incertitude. Une autre difficulté pour l'établissement de métabolismes territoriaux concerne les données sur l'énergie : la granularité est limitée au niveau régional.

Nous pouvons en conclure que par ses limites, en particulier celles liées à la granularité géographique, la construction de métabolismes territoriaux basés sur la méthode Eurostat ne permet pas de dégager une direction vers laquelle porter notre attention plutôt qu'une autre. Au-delà de ce problème de granularité, cette approche purement statistique est orientée vers l'observation et le suivi territorial. Elle ne répond pas au besoin d'identification d'acteurs potentiels à intégrer dans une démarche d'écologie industrielle. Le métabolisme territorial permet de définir les flux à enjeux et leur éventuel devenir, ce qui est déjà une information précieuse sans pour autant fournir des

35 Cette base de données est révisée annuellement et fournit à une échelle départementales les observations concernant les flux de marchandises. Elle concerne les flux opérés par voie fluviale, routière et ferroviaire (jusqu'en 2006 pour la partie ferroviaire), les importations, exportations et flux internes.

pistes opérationnelles ou des indications sur le potentiel réel d'écologie industrielle tel que nous l'avons défini. Il permet de connaître la matérialité de la société d'une entité géographique mais avec un périmètre trop large. En matière d'évaluation des actions d'écologie industrielle, nous pouvons toutefois émettre l'hypothèse qu'il constituera un outil de choix pour vérifier les résultats obtenus par les démarches engagées si ces dernières ont une ampleur territoriale adaptée. Les discussions récentes entretenues par plusieurs auteurs [FISCHER-KOWALSKI et al, 2011][MOREAU et al, 2012][LANER et al, 2014] laissent espérer des améliorations dans les incertitudes et la précision de ce type d'approche.

Au niveau opérationnel, une démarche française se distingue pour avoir adopté cette approche par le métabolisme territorial : la démarche Estuaire de Seine menée dans le cadre d'une expérimentation de la DGCIS en 2011 par le cabinet SOFIES [DGCIS, 2012]. Cette démarche se caractérise par une échelle originale et un parti pris méthodologique différent des quatre autres démarches menées en parallèle dans le cadre de cette expérimentation. Les autres démarches ont un périmètre géographique beaucoup plus réduit et s'appliquent à mettre en œuvre des méthodes héritées du programme COMETHE.

La démarche Estuaire de Seine se déploie sur deux régions (Haute et Basse- Normandie ) et trois départements (Calvados, Eure et Seine-Maritime) selon des contours géographiques qui n'épousent pas les découpages traditionnels car il s'agit de prendre en compte cinq pays36. La première phase de l'étude vise à faire un diagnostic

quantitatif limité aux matériaux de construction, à l’énergie et à la biomasse et une phase 2 est dédiée à la détection de symbioses industrielles.

La première difficulté mise en avant par le porteur du projet rejoint les conclusions précédentes :

« Le territoire de l’Estuaire de la Seine ne faisant référence à aucune échelle

administrative existante, l’accès aux données a été problématique. Un travail d’agrégation de données a alors été indispensable et a généré un surcoût financier et un

36 Un pays est, au sens administratif en France, un rassemblement d’intercommunalités, un rassemblement de rassemblements de communes.

délai supplémentaire dans la réalisation de l’étude » [DGCIS, 2012, p18] tout comme le deuxième frein très explicite :

« L’approche des entreprises a été particulièrement ardue pour ce travail étant donné l’absence d’une géolocalisation précise et les contraintes liées à la disponibilité des personnes sources d’informations. » [DGCIS, 2012, p18]

Lors de la conférence de clôture de la mission "Compétitivité durable des entreprises", le 4 avril 2012 à Saint Denis (93) dans la salle du conseil de Plaine Commune, qui présenta les résultats des cinq expérimentations engagées dans le programme de la DGCIS [DGCIS, 2012], les aspects budgétaires furent aussi présentés. Face au coût initial de l'opération « Estuaire de Seine » (environ 110 K€ hors frais annexes liés aux acquisitions de données, soit environ le double des autres expérimentations37) et au

regard des résultats jugés faibles, la majorité des questions concernèrent l'adéquation de la méthode utilisée avec ses objectifs.

La réalisation d'un métabolisme territorial dans le cadre d'une démarche ayant pour ambition des résultats opérationnels n'est pas adaptée dans un cadre budgétaire limité et contraint. Si des territoires pilotes peuvent se permettre de telles expérimentations et font avancer notre connaissance du domaine en confrontant la théorie à la réalité, le déploiement plus massif de démarches de ce type demandera a minima une réflexion sur le périmètre géographique, plus en correspondance avec les découpages administratifs existants, et une évaluation plus documentée des résultats.

Nous retirerons de la pratique des métabolismes qu'ils constituent un outil d'observation du territoire utile mais que leurs déclinaisons opérationnelles sont limitées car ne mettant en avant principalement que trois type de flux : les matériaux de construction, les produits agricoles et alimentaires et les combustibles fossiles [BARLES, 2014]. Et pour conclure, nous reprendrons les mots de Sabine Barles : « Enfin, comptabiliser les matières ne suffit pas : qui les gouverne ? Qui décide de l’orientation des flux ? Qui la subit ? Quels sont ceux qui échappent à tout gouvernement ? Force est de constater que les réponses à ces questions sont d’une grande complexité, et pourtant nécessaires pour

37 Les quatre autres opérations de la mission DGCIS ont été annoncées avec un budget autour de 50 000 €.

qui voudrait avoir prise sur le métabolisme territorial, voire contribuer à une transition socio-écologique. Il s’agit là d’une autre facette de l’écologie territoriale, tout aussi importante que – mais indissociable de – l’analyse des flux de matière» [BARLES, 2014].