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4 Échelles et symbiose industrielle

4.1 L'absence d'une « bonne échelle »

Quels points communs rapprochent deux entreprises aussi différentes que le groupe agro-industriel SOFIPROTEOL de la filière oléagineuse et protéagineuse, société financière aux 7,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2012, avec plus de 8000 collaborateurs, aux implantations multiples6 et AT France, entreprise familiale de

charcuterie, spécialiste de l'andouillette, avec 150 salariés7?

Nous allons voir que leur premier point commun est l'impact d'une réglementation sur la viabilité économique de leur activité et le deuxième, l'écologie industrielle en tant que stratégie d'entreprise. Et dans les deux cas nous retrouvons la graisse animale, a priori le problème, devenir une solution.

Aux Rencontres Francophones d'Écologie Industrielle et Territoriale (RFEIT) de Troyes de 2012, Jean-François Rous, directeur innovation de SOFIPROTEOL nous explique, dans une communication très institutionnelle, le caractère intégré des installations de l'entreprise, la valorisation maximale des produits et co-produits de la filière des oléoprotéagineux, en particulier sur les installations de production de diester. Au sujet du diester, ce spécialiste de l'huile végétale explique aussi rencontrer des difficultés depuis que l'incorporation de graisse animale dans les carburants constitue une

6 http://www.sofiproteol.com/uploads/media/Rapport-Activite-Sofiproteol-2012.pdf consulté le 14/03/2014

concurrence, d'autant plus exacerbée que cette possibilité n'a été ouverte (à l'époque) que sur le marché français [DIRECTIVE 2009/28/CE], qui, par le jeu européen, se retrouve de fait saturé. Il nous en détaille l'impact : une usine au ralenti pendant deux ans (en 2011 et 2012), les problèmes sociaux qui vont avec, comme en témoigne la presse nationale [USINE NOUVELLE 3/11/20118] et les syndicats locaux [CGT,

2013]9. L'activité biocarburant va finalement en 2013 se restructurer et s'orienter vers

la fabrication de carburant à partir... de graisses animales et huiles usagées.

Cette nouvelle activité de SOFIPROTEOL est à la dimension du groupe, 80 000 tonnes de diester produits annuellement sont attendus à terme [FRANCE AGRICOLE 14/10/201310] [SOFIPROTEOL, 2013]11. La société AKIOLIS (française) fournira de la

graisse animale du marché français et la société MINDEST (suisse) fournira la matière du marché international, belge en particulier. Le bouclage déchet-matière première tel que préconisé par l'écologie industrielle se fait à un niveau national voire même international.

La société AT France, elle, rencontre dans sa production d'andouillettes à Troyes, un problème de rejet d'une quantité d'eaux grasses trop importante. Devant ce problème de respect de la réglementation et les importants frais d’équarrissage qu'il induit, la société investit pour produire, à partir de cette graisse animale, de la chaleur, réutilisée dans ses process mais aussi dans une blanchisserie, service très utilisé par AT France, blanchisserie créée à cette occasion. Le bouclage déchet-matière première tel que préconisé par l'écologie industrielle se fait ici à un niveau très local, interne.

Ces deux cas concernent une matière commune, la graisse animale, qui constitue toujours un poste de frais très important pour celui qui doit s'en débarrasser, du moins en Europe12. L'exploitation de cette matière ne s'est pas faite sans frais. Des

8 http://www.usinenouvelle.com/article/les-grevistes-de-saipol-obtiennent-une-prime-de-500- euros.N162085 consulté le 14/03/2014. 9 http://www.cgt-dieppe.fr/article-danger-sur-la-filiere-biodiesel-du-groupe-saipol-sur-l-emploie-et-le- port-de-dieppe-118140178.html consulté le 14/03/2014. 10 http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/biocarburants-sofiproteol-se-lance-dans-la- production-de-biodiesel-a-base-de-graisses-animales-et-d-huiles-usagees-78758.html consulté le 14/03/2014. 11 http://www.sofiproteol.com/uploads/media/Dossier-de-presse-AD-BIODIESEL.pdf consulté le 14/03/2014 consulté le 14/03/2014.

12 Les eaux grasses (issues de la restauration) étaient historiquement intégrées dans l'alimentation animale, en particulier des porcs [MOLETTA 2009, p269]. Cette pratique aujourd'hui interdite en

investissements importants ont été nécessaires pour les mettre en œuvre, de l'ordre de 1,1 M€ pour AT France et pour des montants a priori supérieurs chez SOFIPROTEOL : 8 M€ spécifiquement sur le projet mais devant s'ajouter aux investissements déjà réalisés pour la production de diester. Les échelles et voies de valorisation qui ont été choisies sont différentes et les deux sont a priori pertinentes, sources à la fois d'économies, en euros comme en énergie fossile, sans compter la préservation des emplois qui auraient disparu en cas de cessation d'activité.

Ces deux réalisations sont remarquables en termes d'écologie industrielle : elles réunissent à la fois des bénéfices environnementaux, humains et financiers. Mais elles ne permettent pas de répondre à une question souvent posée : quelle échelle pour l'écologie industrielle ? Pire, elles indiquent très clairement, et en plus pour la même matière, que des échelles différentes peuvent coexister. Éventuellement, des évaluations environnementales et financières comparatives peuvent être menées pour déterminer la meilleure échelle, nationale ou très locale, mais les spécificités locales, la présence d'un existant industriel, de disponibilité foncière, de voies de communication, de ressources humaines et capitalistiques à même de mener à bien le projet, constituent autant de critères qui rendent bien difficile de juger la pertinence d'une idée par rapport à l'autre. Un autre projet mérite aussi sa place dans la discussion sur les échelles de l'écologie industrielle : il s'agit du projet PAMELA13 (Process for Advanced Management of End-

of-Life of Aircraft) d'AIRBUS, avionneur européen qui décide d'anticiper des directives sur la fin de vie des avions telles qu'elles furent prises pour les véhicules hors d'usage, par exemple automobiles. Avec plusieurs partenaires dont SITA France, entreprise spécialisée dans la gestion des déchets, la société met en place une plate-forme de déconstruction pour avion sur l'aéroport de Tarbes Lourdes-Pyrénées. Le gisement estimé d'avions à déconstruire est de 300 unités par an. Les aéronefs en fin de vie étaient auparavant soit stockés à long terme dans les aéroports ou autres cimetières, soit ferraillés, c'est à dire sommairement détruits en vue d'un recyclage des principaux

France et en Europe est toujours d'actualité dans certains pays (Amérique du Nord, du Sud, Chine). Les graisses issues déchets d'abattoir sont soumises à des restrictions plus drastiques en Europe mais aussi USA et en Australie [MOLETTA 2009].

13 http://www.airbus.com/innovation/eco-efficiency/aircraft-end-of-life/pamela/ consulté le 25 avril 2015.

éléments en métal. Des éléments pourtant toujours fonctionnels et à forte valeur ajoutée, étaient « déchirés » et les multiples alliages mélangés, d'après Olivier Malavallon, responsable du projet qui le présenta le 25 septembre 2012 à la conférence organisée par l'association Orée "Des écosystèmes au service de l'économie circulaire" [MALAVALLON, 2012].

Le projet PAMELA, au-delà des économies d'énergie faites sur la phase de déconstruction (90%), a permis de remettre en circulation des sous-ensembles fonctionnels certifiés et tracés pour l'aviation, de séparer finement les alliages, majoritairement à base d'aluminium, pour une réutilisation aéronautique et de créer des emplois. Permettant le traitement d'une trentaine d'avions par an, ce projet riche de retours d'expériences pour l'avionneur contribuera à la constitution d'une infrastructure mondiale de déconstruction aéronautique toujours selon Olivier Malavallon.

Ici, l'échelle est mondiale, a minima européenne, tout comme les parties prenantes de la construction aéronautique. Une observation trop restreinte, limitée à l'agglomération tarbaise par exemple, aurait elle permis de détecter le potentiel d'un tel projet ? Bien évidemment non. Et cela, hormis de renforcer la démonstration qu'il n'y a pas d'échelle spécifique pour la mise en œuvre de l'écologie industrielle sous la forme de symbiose, permet de souligner le point essentiel des relations et de l'appartenance d'un territoire à un ensemble plus large. A trop se focaliser sur une échelle, un périmètre, le risque principal est alors de ne pas se saisir d'opportunités existantes à un échelon supérieur, de s'enfermer dans une logique de développement purement endogène et localiste. Une économie circulaire uniquement développée sur une logique d'optimisation du système local de production par le « bouclage » des flux existants conduira automatiquement à la non détection de potentiels plus larges.

Nous retenons de ces exemples deux conclusions, au niveau des symbioses industrielles : la première est l'absence d'une échelle privilégiée, tant pour

l'observation que pour l'action, la seconde est le risque d'enfermement que la notion

d'échelle peut véhiculer. Ces conclusions rejoignent celles de Cyril ADOUE quand il discute le caractère territorial de la réalisation de synergies :

« Si une démarche territoriale est un contexte favorable et cohérent pour la recherche de

synergies, ce type de mise en œuvre ne doit pourtant pas être exclusif. Des synergies peuvent évidemment être identifiées entre deux ou plusieurs entités, qui peuvent être éloignées si l’intérêt économique de l’échange le permet, et ceci en dehors de tout projet territorial de développement éco-industriel. De tels échanges bi ou tripolaires possèdent même l’avantage de s’affranchir de la complexité et de l’inertie qui accompagnent les démarches multi-acteurs (entreprises, collectivités, autorités déconcentrées... ) » [ADOUE, 2004, p35].

4.2

Le parc industriel, berceau naturel des coopérations