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CHAPITRE I : L´ÉLABORATION D´UN PROJET ET D´UN SUJET DE RECHERCHE :

Partie 2. Le Maroc et ses langues 42

2   Le contexte sociolinguistique : panorama des langues du Maroc d'aujourd'hui 44

2.3   Le français 57

2.3.2   Le français au Maroc 60

La langue française a été introduite par l'occupation par la France du Maroc (De Ruiter, 2006, p.11), qui eut lieu de 1912 à 1956, période durant laquelle elle a eu le statut de langue officielle. Plus précisément, les soldats français débarquent à Casablanca en 1907, puis c'est Fès qui est occupée en 1911 (Majdi, 2009, p.152), ville où est élaboré et signé le Traité du 30 Mars 1912, officialisant l'instauration d'un protectorat français au Maroc (Boukous, 1996, p.692). Cela étant, cette langue ne s'est diffusée largement dans la société marocaine qu'à partir de l'indépendance : « Pendant l’ère coloniale, la diffusion du français n’était pas une priorité aux yeux de l’armée française » (Majdi, 2009, p.152). Comme pour la majorité des autres empires coloniaux français, ce sont avant tout les élites locales, « alliés et écoliers » selon Majdi (2009, p.152), qui servaient de relais qui ont été francisées, par l'école française notamment, élites qui seront d'ailleurs ensuite à l'origine des premières rebellions.

C'est ce que rapporte Benzakour (2007, p.45) : « sélective et discriminatoire, elle [l'école française] a formé un contingent de Marocains (…) qui ont représenté les élites modernes d'un Maroc indépendant ». L'auteur montre aussi que le français s'est d'avantages diffusé sous le protectorat, élites marocaines mises à part, par des « modes d'acquisition informelle » (2007, 46), « sur le tas », c'est-à-dire par contacts entre colons français et autochtones, pour le commerce, les relations d'affaires, le service militaire, les domestiques, etc. C'est à ce moment que fleurissent les enseignes publiques en français, des restaurants, etc. (2007, 46). Le français ne s'y répandra donc massivement qu'après la proclamation de l'indépendance, avec la scolarisation généralisée, et celui-ci deviendra un français « institutionnalisé » (2007, 46) et « dont la maitrise est de plus en plus défectueuse, qu'un français usuel spontané ». Etant ainsi encadré et normalisé, les compétences en langue française des marocains deviennent soudainement évaluables et hiérarchisantes.

Suite aux indépendances, la France a souhaité garder la mainmise sur ses anciennes colonies en y développant comme nous l'avons vu un vaste réseau d'enseignement du français (certainement le plus grand au monde), dont le Maroc. Ainsi, elle a instauré une relation géopolitique privilégiée, par le biais de la langue. Tout ce qui avait déjà mis en place sous le protectorat (administrations, etc.) a ainsi perduré en français après sa reddition (Pöll, 2001,

p.184). Le résultat est que le français est encore très prégnant au Maroc au XXIe siècle, tout comme dans les autres anciennes colonies.

La langue française est toujours très présente dans la vie et la société marocaines, comme « résidu » de la colonisation tout autant que « langue d'ouverture sur le monde occidental » (Benzakour et al., 2000, p.70-71) ou « langue de l'ouverture sur le monde moderne » (Boukous, 1996, p.692). Ici, j'interroge cette association de langue française et de modernité, que l'on retrouve dans beaucoup d'écrits (Boukous, 1996 ; Benameur, 2013, p.139). Or, « modernité » est une notion qui me semble ambivalente. Nous pouvons effectivement nous demander s'il s'agit des biens, des équipements, des produits modernes d'une part telles que les technologies, les sciences, ou s'il s'agit plus largement de la modernité en tant qu'antithèse de la notion de « tradition », et renvoyant d'avantages aux modes de vies et de pensées, à des sortes de schèmes socioculturels. De ce point de vue, il me semble qu'il s'agit un regard relativement ethnocentré qu'il conviendrait de débattre.

La langue française n'est ni langue officielle, ni vraiment une langue étrangère au Maroc. Bien qu'elle ait le statut de « première langue étrangère » ou de « langue étrangère privilégiée » (2000, p.85) elle témoigne, tout comme les autres langues marocaines, de grandes contradictions quant à ses fonctions, son aménagement, et à son statut, qui reflètent une gestion glottopolitique d'ensemble problématique (Ait Lemkadem,1999, p.25).

Elle joue un rôle important dans de très nombreux domaines, et pour Boukous, (1996, p.691), elle « investit en effet des champs-clés de la production symbolique » : administratif, économique ( un point important est que la France constitue son principal partenaire, premier fournisseur, client, investisseur et formateur de cadres marocains à l'étranger, Quitout, 2007, p.84), industriel, sanitaire, agricole, (Messaoudi, 2013, p.35), diplomatique (Boukous, 1996, p. 694) puisqu'utilisée comme langue de communication au sein des chancelleries étrangères et comme langue « de travail des représentations marocaines à l'étranger » (Benameur, 2013, p.140), au niveau de la recherche : en sciences sociales, en sciences et techniques ; aussi, pour ce qui est de la littérature et de l'édition, où il existe une production importante, avec des auteurs tels que Ben Jelloun, Chraibi, Laâbi, Serhane (Boukous, 1996, p.700), etcetera ; la culture (cinéma, musées, etc.), les médias (au niveau de tous les supports, papier, électroniques, etc.), la politique (les textes officiels sont produits en arabe et en français,

Benzakour et al. 2000, p.86), et le tourisme (Pöll, 2001, p.182). Enfin, le « maintien des relations avec la France du fait d'une émigration importante de travailleurs » (Pöll, 2001, p.182), ainsi que le « retour massif des travailleurs immigrés pendant la période des vacances qui permet à ceux qui sont restés au pays d'assimiler des rudiments de français (souvent non standard ) » (Pöll, 2001, p.184), contribuent aussi à perpétuer le français au Maroc.

Le français est employé dans les situations formelles et informelles, notamment par l'élite urbaine francisée, et fait office de filtre dans l'éducation, la vie sociale et professionnelle. Tout comme l'arabe classique, c'est donc une langue de prestige dans la société, faisant surtout partie de la vie des Marocains aisés et de la classe moyenne (Benzakour et al., 2000, p.71 ; Boukous, 1996, p.693). Boukous (1996, p.693) inclut au sein de ces classes : « bureaucratie civile et militaire, membres des professions libérales, employés du secteur des services, enseignants et chercheurs en sciences exactes et accessoirement en sciences humaines ». Elle manifeste aussi une très forte présence par son association aux autres langues, par alternance codique (Quitout, 2007, p.82 ; Ziamari, 2008), mais aussi parce-que comme on l'a vu, sa structure et son lexique ont en partie été intégrés dans ces mêmes langues.