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CHAPITRE I : L´ÉLABORATION D´UN PROJET ET D´UN SUJET DE RECHERCHE :

Partie 2. Le Maroc et ses langues 42

2   Le contexte sociolinguistique : panorama des langues du Maroc d'aujourd'hui 44

2.3   Le français 57

2.3.1   Aperçu sociohistorique de l'élaboration d'un certain français 57

langue » (Chevalier, 2009, p.79). En effet, si elle est actuellement reconnue comme unique langue officielle en France, et que ses normes font relativement pression dans les autres pays où elle s'est imposée par la suite, celles-ci ne sont que le résultat artificiel d'un long processus de normalisation et d'expansion en même temps que de marginalisation des langues régionales françaises (Perret, 20083, p.53), et plus récemment des influences d'autres langues en présence dans l'espace francophone. Avant d'exposer son intromission et son état actuel au Maroc, il me semble important de voir dans les grandes lignes comment elle a été élaborée, pour être exportée de la sorte en dehors de France.

Au Moyen-Age, bien qu'il n'y avait pas de véritable norme du français, l'idée de bien ou mal parler le « françois » existait déjà (Perret, 20083, p.59), dans un contexte où étaient présents le latin (ou les latins), langue officielle et du sacré, et de nombreuses langues régionales (Chevalier, 2009, p.79), qui peuvent se regrouper en deux grands parlers : la langue d'oc au Sud et la langue d’oïl au Nord (Perret, 20083, p.53 ; Chaurand, 1999, p.35), même si la langue d'oc est déjà énormément diversifiée. Puis, peu à peu, au XVIe et au XVIIe siècle, les réformes valorisant les usages des classes sociales dominantes parisiennes (composante des parlers d’oïl) se multiplient en ne laissant pas beaucoup d'espace aux dialectes provinciaux, ni même à la langue littéraire alors fortement teintée de divers régionalismes.

Parmi les évènements qui ont joué un rôle clé dans le développement d'une norme linguistique spécifique et homogène, je retiens les suivants : l'Académie Française qui est officialisée par Richelieu en 1635, où sont en même temps créés « un dictionnaire, une grammaire, des règles rhétoriques et stylistiques » (20083, p.60) ; la propagation du culte

protestant en pays occitan (actuelles Cévennes) en français qui évince la langue d'oc (et tous les parlers la constituant) comme langue officielle dans tout le Sud du pays (qui était pourtant « sérieusement implantée ») ; la suppression du latin et des patois parlés en majorité dans la France rurale (c'est-à-dire la plus grande partie du pays) dans le domaine administratif par François Ier en 1539.

Cependant, ces mesures furent plutôt appliquées dans l'optique d'un encouragement du français que d'abattement direct et cru des autres langues. L'idéologie ayant émergé de la Révolution Française, que la nation, unie, devait partager une seule langue (Ludi, 2008, p.23 ; Perret, 2008, p.62), est bien celle qui initiera des actions drastiques allant à l'encontre délibérée du gascon, du champenois, du picard, etc. En 1794 par exemple, l’abbé Grégoire rédigea un rapport suite à une enquête, exprimant la nécessité d’anéantir les patois et d'universaliser la langue française (Chevalier, 2009, p.80), qui aboutit une loi prévoyant la peine de mort pour quiconque utiliserait « dans les actes officiels de la République ou sur des monuments », autre chose que le français (Marcellesi, 2003, p.181), loi qui ne sera jamais appliquée fort heureusement.

Néanmoins, la plupart de ces glottopolitiques visant cette fois à homogénéiser les pratiques linguistiques ont été mises surtout en œuvre sous la IIIe République. Si elles ont mis autant de temps à être instaurées par rapport au projet unilingue issu de la Révolution, (environ cent ans d'écart !), c'est faute de moyens, institutionnels et économiques notamment. L'instauration de l'enseignement secondaire laïque pour les jeunes filles par la loi Camille Sée en 1881, l'école gratuite et obligatoire par Jules Ferry (Filhon, 2009, p.97) en 1882, de même que l'apparition de la radio (1921) et de la télévision (à partir de 1935, Perret, p.63) vont jouer un rôle prépondérant dans l'unification des parlers à cette période. L'urbanisation de la France, la révolution des transports (Filhon, 2009, p.97) qui requièrent de la normalisation (spatiale et temporelle notamment), les deux guerres mondiales où le français était « la langue constante de communication » (Marcellesi, 2003, p.185) sont aussi des évènements sociohistoriques qui vont renforcer ce processus.

Finalement, si on compare les dates, la ''francisation'' effective de la France s'est établie à peu de choses près dans le même temps que l'empire colonial français (mettant à part le Canada et la Louisiane, anciennes colonies constituant finalement des terres de peuplement, Marcellesi,

2003, p.182), puisqu'auparavant, le paysage linguistique y était extrêmement hétéroclite et subsistait malgré l'essor postiche et progressif du français. L'idée de l'ancienneté de la langue française est donc un mythe qui devrait d'avantages être battu en brèche, puisqu'encore très actif.

Malgré cette successions de vagues uniformisantes, il existe toujours des spécificités ou langues régionales (Marcellesi, 2003, p.102), et bien sûr, de multiples parlers à différentes échelles, en net décalage avec le français officiel. Une certaine prise de conscience et de revendication par des locuteurs est d'ailleurs à l'œuvre : les écoles associatives telles que les écoles Diwan en sont un exemple, même si le gouvernement français est globalement plutôt peu actif voire réticent face à cette diversité (Leclerc, 2001,30) : « Malgré ces premières lois [loi Deixonne puis loi Haby] en faveur des langues régionales, les discours politiques attestent un fort ancrage de la langue française et une situation encore précaire des autres langues » (Filhon, 2009, p.98).

Aussi, le paysage linguistique français s'est enrichi grâce aux mouvements migratoires en France (européens, maghrébins et africains), du XXe siècle, qui ont de même considérablement contribué à faire évoluer les pratiques de la langue française (Chevalier, 2009, p.82), tout comme les pratiques des français issus des DOM-TOM et des nombreux autres pays francophones dont les locuteurs interagissent souvent avec la France : « Les régionalismes français n'existent pas seulement au Québec, en Belgique ou en Suisse. Ils sont nombreux non seulement en France, mais aussi aux Antilles, en Afrique, dans la région de l'océan Indien (La Réunion, Ile Maurice, Ile Rodrigues) et dans le Pacifique (Nouvelle- Calédonie, Polynésie et Wallis-et-Futuna) » (Leclerc, 2001,31), territoires qui correspondent le plus souvent à d'anciens espaces colonisés.

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http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/france-3politik_minorites.htm

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