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1.1. L E DEVELOPPEMENT DURABLE

1.1.2.4. Le développement durable en tant que système

En tant que système, le développement durable est également moins que la somme des parties qui le constituent. Cette même diversité citée précédemment perd également de sa richesse dès que nous l'appréhendons d'une manière globale. Les particularités intrinsèques de chaque culture, de chaque manière d'envisager le développement d'un système économique particulier, de chaque système politique et même de chaque individu sont noyées dans la masse et ne peuvent plus s'exprimer. L'organisation, ou plus exactement sa mise en place, inhibe, réprime certaines qualités ou propriétés intrinsèques aux multiples parties qui composent le tout. Pourtant, et cela peut paraître paradoxal, la notion de qualité des parties est primordiale dans ce concept. En d'autres termes, ce n'est que la qualité des différentes parties qui pourra garantir la qualité du tout. Il faut donc remonter jusqu'à la qualité de l'unité de base, dans ce cas précis, à l'individu, pour évaluer la qualité du système global.

De telles considérations nous amènent à parler des autres éléments qui définissent un système complexe. L'approche qualitative du tout en référence à l'unité de base relève tant du “principe récursif” “où les produits et les effets sont en même temps causes et producteurs de ce qui les produits46” que du “principe hologrammatique” qui veut que la partie soit dans le tout et le tout dans la partie. La “récursion organisationnelle” se retrouve dans toutes les boucles de régulation qui interviennent dès qu’on admet l’interdépendance qui existe entre l’économie, l’écologie et le développement social. Quant à celui de l’hologrammatique, il devient percutant dès qu’on tient compte du principe éthique de responsabilité, principe fondé en réponse à un impératif de survie, et sur lequel s’appuie le concept de développement durable.

Ce principe de responsabilité fait que le développement durable dépend d’une société qui produit des individus qui, eux-mêmes, produisent cette société, etc. L'idée de circularité qui apparaît dans le principe récursif doit néanmoins être dépassée. Le développement durable n'est pas un système clos. Il évolue dans l'espace et le temps et les régulations issues de son organisation, ou produisant cette dernière (le principe récursif est également présent dans cet aspect-là), ne peuvent se soustraire à cette spirale. L'idée de processus est donc fondamentale au concept de développement durable.

Enfin, relevons que la dénomination du concept tient du “principe dialogique” qui permet de maintenir la dualité au sein de l’unité. Pour Morin (1990, 1996, 1998), l’association de deux termes à la fois complémentaires et antagonistes, tels que ceux de “développement durable”, est également un principe qui permet de définir et de comprendre la complexité. "La dialogique est un mode de pensée qui reconnaît, intègre et traite le contradictoire, mais elle ne constitue pas une logique. Elle transgresse les axiomes de la logique classique, mais sans pour autant pouvoir les remplacer (…). La dialogique que nous proposons constitue non pas une nouvelle logique, mais un mode d'utiliser la logique en vertu d'un paradigme de complexité; chaque opération fragmentaire de la pensée dialogique obéit à la logique classique, mais non son mouvement d'ensemble. La dialogique ne dépasse pas les contradictions radicales, elle les considère comme indépassables et vitales, elle les affronte et les intègre dans la pensée.47"

46 MORIN, E. (1990) Introduction à la pensée complexe, ESF éd. Paris, p.

47 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 195-196

Tableau I/II

Le développement durable en tant que concept complexe

Aborder le

Ce tableau présente les principaux éléments qui caractérisent le développement durable. Il permet de montrer les interactions sur lesquelles le concept s'organise, ainsi que les principaux systèmes qui le constituent. Nous pouvons distinguer, à l'intérieur du système même, les boucles de régulation qu'il engendre ou qui l'engendrent, en même temps que la forte influence du principe récursif à tous les stades de l'organisation, celui-ci étant caractérisé par les flèches à double sens.

Comme tout schéma, celui-ci reste réducteur dans le sens où certaines interactions ne peuvent être présentées. Par exemple, la réflexion préalable est sous-jacente à plusieurs autres approches telles que celles qui mettent en évidence les liens qui existent entre l'action locale et l'impact global. En effet, toute personne qui effectue un choix en vue de favoriser, par exemple, un commerce équitable, passe par une phase réflexive préalable. De même, une telle attitude sous-entend un esprit critique face à la société en général, ainsi qu'une curiosité qui va pousser cette personne à rechercher de l'information.

La dimension éthique, quant à elle, est la base sur laquelle s’appuie l’ensemble des réflexions.

1.1.2.5. Le développement durable: du principe dialogique à l’expression d’une déviance La dialogique culturelle au sens où Morin (1991) la définit tient d’un “commerce culturel”

portant sur les échanges multiples d’informations, d’idées, d’opinions, de théories, de connaissances, etc. Sa condition première d’existence est la pluralité et la diversité des points

de vue. Pour cet auteur, ces flux d’échanges culturels ne peuvent avoir que des aspects positifs, tant sur la société que sur l'individu, pour autant que soit respectée la "loi du dialogue" instituée dans l'Athènes du Ve siècle et qui institua la philosophie. "Les rencontres des idées antagonistes créent une zone turbulente qui opère une brèche dans le déterminisme culturel; elle peut susciter, chez des individus ou des groupes, interrogations, insatisfactions, doutes, mises en question, recherche48”. Un processus réflexif est donc mis en route pour rechercher des solutions ou des optimums49 et refuser la passivité.

Ainsi, malgré la forte emprise du principe récursif qui aurait tendance à favoriser la réplication du mode de pensée, les idées et les cultures évoluent, et de véritables révolutions ont lieu au sein des dogmes. Pour permettre cette évolution, cette échappée du système récursif, il faut affaiblir les paradigmes, les doctrines et les stéréotypes qui dirigent l'imprinting50 cognitif. Les possibilités pour y parvenir sont:

• L'existence d'une vie culturelle et intellectuelle dialogique.

• La possibilité d’un “commerce culturel”

• La possibilité d'expression des déviances.

Si nous avons déjà défini la “culture dialogique” et le “commerce culturel”, “l’expression des déviances” consiste en une certaine forme de liberté d’expression. Cette dernière est favorisée dans nos sociétés industrielles par ce que cet auteur dénomme “le culte du nouveau”.

Néanmoins, s’il permet l’émergence des idées déviantes et reste un terrain favorable à leur apparition, il recrée néanmoins de nouvelles normes dans lesquelles s'organise la nouveauté.

"L'officialisation de l'idée de création et de l'idée d'originalité efface l'idée de déviance. Le statut officiel sécrète alors de lui-même une nouvelle norme, une nouvelle conformité.51"

Si nous nous référons aux définitions que Morin donne des cultures humanistes et scientifiques, nous pouvons dire que le développement durable est fondamentalement inspiré du mouvement humaniste, dans le sens où celui-ci tente de conserver une approche systémique typique de ce courant pour répondre au "besoin d'éclairer la condition et la conduite humaine, du bien, du mal, de la société52". Tout l'aspect qualitatif et social dépend de cette approche philosophique. Mais il ne peut en rester là. La culture scientifique lui est indispensable puisque c'est en elle que le concept trouve ses bases de connaissances, sur lesquelles s'appuient les développements de l'écologie et de la technologie qui lui sont intimement liés. Néanmoins, il ne peut s'agir d'une culture scientifique parcellisée. Pour que la conjonction entre ces deux cultures se fasse, le jeu des interactions doit être accepté comme un état de fait indispensable au fonctionnement du système. Sinon, “elles ne peuvent que coexister schizophréniquement dans un même esprit53”. Morin (1991) évoque encore que, pour dépasser cette scission entre ces deux cultures, il faudrait “une conscience crisique et critique”, c'est-à-dire une prise de conscience de leur insuffisance propre et un réveil problématisant qui remette en question les principes organisateurs de leur connaissance. Nous considérons le développement durable comme la résultante d'un état de crise face à la prise de conscience de la finitude de la planète

48 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 30 49 Cette notion est développée au point 1.2.3.3.

50 L'imprinting est un terme que Konrad Lorenz (1970) utilise pour rendre compte de la marque sans retour qu'imposent les premières expériences du jeune animal. Parallèlement, Morin montre l'imprinting culturel qui marque les humains dès leur naissance.

51 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 33 52 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 65 53 MORIN, E (1991) La méthode 4: Les idées, Seuil, Paris, p. 67

et des problèmes que la croissance des développements démographiques et économiques sont en train de créer de manière quasi irréversible. L'émergence de la complexité qui en résulte intervient donc comme ce "réveil problématisant" qui pousse ainsi cultures humanistes et scientifiques à rechercher, non pas des solutions, mais des optimums (Giordan, 1998).

Au vu de ce qui précède, l’apparition du concept de développement durable en cette fin de siècle semble une suite “logique” à l’avènement des nouvelles technologies de l’information, de la communication et des transports. Le monde ne paraît certes plus aussi “grand”

aujourd’hui qu’il y a un demi-siècle et le brassage cultuel et ethnique ne cesse d’augmenter.

Les “ouvertures” idéologiques qu’ont permis la chute du mur de Berlin, celui du “rideau de fer” des pays de l’Est, la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud, l’éviction de certains dictateurs en Amérique latine et en Afrique de l’Ouest, etc., participent à cette nouvelle disponibilité.

Enfin, la culture démocratique qui tend à se généraliser, et avec elle, la liberté d’expression, notamment celle de la presse, est également un facteur important dans ce brassage culturel, cette effervescence d’idéologies nouvelles, cette conscientisation de notre appartenance à une seule et même terre. Dans un tel cadre, le développement durable peut être considéré comme une “idée déviante” par rapport au libéralisme triomphant des années 1960-1970, déviance reconnue de manière internationale, non pas comme une nouvelle norme à adopter se référant à ce que l'on a coutume de nommer la mondialisation, mais comme un principe de développement respectueux des cultures par lesquelles il est (ou devrait être) instauré.

1.1.3. PROCESSUS DADAPTATION ET DE DIFFUSION DU DEVELOPPEMENT DURABLE

"Les journaux 'c'est comme les pansements, Faut en changer de temps en temps

Sinon ça vous froisse les idées Pis d'abord faut pas d'idées Car les idées ça fait penser Et les pensées ça fait gueuler."

Léo Ferré, 1986, La vie moderne