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1.3. D IFFUSION DES SAVOIRS DANS UN CADRE MUSEAL

1.3.3.3. Difficultés spécifiques à l’aménagement d’un environnement scénographique

1.3.3.3.1. Equilibrer didactique et ludique

Si l’exposition doit séduire son public, Guichard (1998) montre combien le plaisir ludique peut supplanter le message pédagogique que désire délivrer l’environnement scénographique.

Hubert van Blyenburgh (1999) va jusqu’à envisager le risque que court l’exposition scientifique d’une dérive vers le “parc de loisirs”. Sans aller jusque-là, les observations menées à travers les conversations qu’entretiennent les visiteurs entre eux à la Cité des Enfants de la Villette à Paris, montre que lors de l’utilisation d’éléments qui mobilisent beaucoup l’activité, “la réussite de l’action prend souvent le pas sur la compréhension du fonctionnement des dispositifs388”. Si nous repartons de l’affirmation de Mialaret (1996), l’essentiel n’est-il pas de provoquer l’action, le savoir qui en découle pouvant ou devant en quelque sorte, remplacer le sens que les concepteurs souhaitent donner à tel ou tel élément?

Nous pensons qu'en évitant les extrêmes, une approche affective, émotionnelle, issue tant d'éléments ludiques que d'une présentation faisant appel à l'imaginaire des visiteurs est complémentaire à une approche plus réflexive, qui ne nécessite pas forcément un "étalage" de connaissances. La créativité du concepteur doit permettre la réalisation d'un environnement qui, tout en "distrayant" le visiteur, touche sa motivation intrinsèque. Ceci est d'autant plus important que nous visons un "passage à l'action" en faveur du développement durable.

Comme nous l'évoquions déjà aux points 1.2.6.2. et suivants "la motivation est indispensable à l'apprentissage et les expositions peuvent en effet remplir des fonctions de motivation. Dans le domaine affectif, elles peuvent opérer aux niveaux de l'attention (par ex. la réceptivité du visiteur), de la réaction (par ex. sa volonté de réagir aux objets) et peut-être, quoique ceci soit plus controversé, de l'appréciation (l'attitude du visiteur). Toutefois, le fait de dire que les expositions peuvent éveiller l'intérêt des visiteurs pour un sujet et ainsi influencer leur désir d'apprentissage ne constitue pas en soi une théorie de l'apprentissage au musée, bien que cela demeure un but raisonnable.389"

La multiplicité des publics que nous avons déjà relevée ne doit pas nous faire perdre de vue que certains visiteurs viennent au musée simplement pour se divertir, voire pour "passer le temps" lors d'un dimanche de pluie, alors que d'autres y entrent avec la ferme intention d'y apprendre quelque chose. Les deux attitudes ne sont d'ailleurs pas forcément antinomiques et il est fort probables que certaines personnes y entrent sans pouvoir définir de manière aussi claire leurs intentions de départ. Le musée est aussi un lieu public, un endroit où l'on peut rencontrer ou du moins côtoyer d'autres personnes, par exemple pour briser un sentiment de solitude. Toutes ces motivations à entrer dans un musée sont importantes et chacun doit pouvoir y trouver, au moins en partie, une réponse à ses attentes, mêmes si celles-ci ne sont pas consciemment exprimées.

1.3.3.3.2. Gérer les nouvelles technologies

388 WEIL-BARAIS, A. & PIANI, J. (1996) Diversité des conversations au musée: diversité des enjeux in Actes des XVIIIe Journées Internationales sur la communication, l’éducation et la culture scientifiques et industrielles, Giordan, Martinand et Raichvarg éd., DIRES, Paris, p.366

389 MILES, R. (1998) Connaître ce que font les visiteurs au musée in La révolution de la muséologie des sciences, sous la dir. de SCHIELE et KOSTER, éd. PUL et Multimondes, Lyon - Ste-Foy (Québec), p. 264

Les multimédias au musée, entre "objets valises" et "objets frontières". Ces deux dénominations, que l'on doit à Flichy (1995) montrent bien l'ambiguïté dans laquelle se situe le multimédia. En tant qu'objet "valise", il laisse ouvertes toutes les attentes et toutes les peurs.

Tantôt envisagé comme LE moyen d'attirer, d'intéresser le public, de communiquer avec lui en même temps que de lui transmettre un savoir, tantôt vu comme l'usurpateur, celui qui, petit à petit, prendra tant de place qu'il remplacera le musée. Quelle que soit la position adoptée, il ne laisse pas indifférent et sa méconnaissance engendre les fantasmes les plus fous.

"Objet frontière", il l'est pour tous ceux qui en ont déjà fait l'expérience et qui, s'ils ne peuvent prédire de ses développements futurs, en connaissent déjà certaines limites. Il ne faut pas oublier, comme le rappelle Davallon, (1998/2), que la muséologie est un terrain de prédilection offert aux NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication). En effet, le développement d'innovations se fait souvent par certains programmes, conçus en fonction de besoins spécifiques liés à l'environnement scénographique. L'utilisation à outrance de ces outils a même fini par déplacer le rapport qu'entretenait le visiteur à l'exposition, au support même de son message. C'est l'image qui devient en quelque sorte "objet d'exposition", le sujet, le thème, n'étant plus qu'une sorte

"d'alibi" à une débauche d'effets spéciaux. Si cette dérive de l'outil informatique "risque de submerger le visiteur d'impressions confuses (…), on peut aussi mesurer l'immense succès rencontré par ce mode de scénographie adaptée, il est vrai, à des sujets grand public390".

Cette "débauche technologique" a fait place à une utilisation des dispositifs interactifs comme complément didactique, au même titre que des panneaux, des cartels ou autres audiovisuels (Goldstein, 1998).

Cette tentation d’utiliser les nouvelles technologies, qu’elles soient de l’information, du traitement de l’image ou d’autres domaines techniques, au sein des musées reste néanmoins très forte. Si celles-ci ont un côté attrayant indéniable, plusieurs difficultés apparaissent, dont la maîtrise de ces dernières par les utilisateurs n’est pas des moindres. Il faut rester vigilant au fait que chaque interface technologique demande une certaine connaissance préalable à sa manipulation. Même si celle-ci est présente, la diversité des formes que prennent ces interfaces oblige à chaque fois à un certain “apprivoisement” de l’objet. Cette distance entre visiteur et objet va à l’encontre d’une démarche visant la concernation, l’implication et l’appropriation d’un message (Montpetit, 1998; Guichard, 1998) et qui plus est d’un message complexe.

Néanmoins, si cette difficulté peut être dépassée (interface ne demandant qu’un minimum de réflexion, peu ou pas de changement dans l’ensemble des interfaces proposés, etc.) son temps d'utilisation pose un problème encore non résolu. De plus, certaines observations tendraient à montrer que leur utilisation augmente "l'impression d'une muséologie "en fragments", en parcours libre composé d'éléments autonomes, sans lien émotionnel391". Paradoxalement, l’utilisation de bornes interactives identifiant le visiteur et lui permettant d’entrer ses propres données révèle que les visiteurs “jouent le jeu” jusqu’au bout… pour autant que le temps de passage à la borne de dépasse pas trois minutes! Ils suivent beaucoup plus facilement les étapes proposées par le concepteur et sont curieux des résultats obtenus (Hubert van Blyenburgh, 1999).

390 GOLDSTEIN, B. (1998) Technologies interactives dans les musées français in Musées, supplément à La Lettre de l'OCIM no 57 391 GOLDSTEIN, B. (1998) Technologies interactives dans les musées français in Musées, supplément à La Lettre de l'OCIM no57

Dans l'optique d'une diversification de l'environnement scénographique, le multimédia doit être envisagé sous plusieurs formes. Bornes interactives pour une identification, écrans mis à disposition pour un "savoir plus", réceptacle pour des propositions, des entrées de données, des votes, etc. voilà quelques-unes des formes que peuvent prendre les NTIC dans une optique de manipulation directe par les visiteurs. Projection d'images de synthèses, gestion de données, affichage de résultats, aides pour permettre au visiteur de quitter sa réalité, de pénétrer dans la quatrième dimension que nous lui proposons, voilà quelques pistes pour permettre une utilisation variée de ces technologies. Empiétant sur le point suivant, elles permettent également de participer à la gestion des "niveaux" de vulgarisation.

1.3.3.3.3. Gérer les “niveaux” de vulgarisation

Quel que soit le type de muséologie adopté, la mise en exposition ne peut faire l'économie de la vulgarisation. Bien que celle-ci soit le plus souvent associée aux domaines scientifiques, elle ne lui est pas strictement réservée (Labasse, 1997/1). Dans le cadre muséal, l'introduction d'un "troisième homme", le vulgarisateur (Jacobi & Schiele, 1990), est considérée comme indispensable. Son rôle consiste à proposer des images, des analogies, des modèles, des maquettes, des situations, tout autant qu'un langage simple et adapté au public auquel s'adresse le message à transmettre. La vulgarisation, ressentie par certains comme le lien indispensable pour permettre une véritable démocratisation du savoir (Miller, 1998, Koster, 1998), n'est vue par d'autres que comme une manière de maintenir un écart entre le grand public et le milieu scientifique (Roqueplo, 1974). Plus tragique encore, l’étude américaine menée par Tichenor, Donohue et Olien (1970) montre que le développement de la vulgarisation dans les médias tend à augmenter les différences de niveaux de connaissance entre les personnes ayant bénéficié d’une formation scolaire de haut niveau et les autres.

Il faut donc accorder une place tout à fait primordiale à la manière de vulgariser un savoir pour qu’une certaine familiarité avec les sciences se développe. Celle-ci permet à l’individu de mieux comprendre son environnement et ainsi à mieux interagir avec lui (Jacobi & Schiele, 1990; Miller, 1998; Koster, 1998). Ce pont entre un “savoir savant” et le public en général passe par la pertinence des éléments qui forment l’ensemble de l’environnement muséologique. Toutes les formes “d’aides à penser” (Giordan & De Vecchi, 1994) tels que schémas, modélisations, textes, dessins, projections, etc., mais également la disposition de celles-ci dans l’espace muséal et la pertinence des mises en scènes, participent à cette recréation de savoirs dans laquelle le visiteur n’est plus seulement un spectateur, mais un co-auteur. «Dans son rôle d’interface, (le musée) transforme le visiteur de spectateur en concepteur de sa propre culture.392» Tout comme dans la transposition didactique, la transposition médiatique (Guichard, 1998) n’est pas le résultat d’une “simplification” de l’exposé scientifique. Elle doit être considérée comme une véritable production de contenu (Raichvarg, 1997). Elle oblige à “détruire” le message scientifique tel que les chercheurs le conçoivent afin de le “restructurer” en adaptant sa forme au contexte (Guichard, 1998) et à l’individu auquel le message est destiné.

Tableau I/XXV

Facteurs intervenants sur la transposition médiatique

392TOURNOUX, L. (1996) Le Musée National d’Histoire Naturelle du Luxembourg: un concept nouveau pour une ancienne institution in Musées et médias, Georg éd. p. 48

PROPOS / OBJET

Dans ce sens, si elle part de résultats scientifiques, elle ne doit pas retranscrire la rigueur et l’exhaustivité des démarches qui y amènent. L’intérêt doit rester dans l’application et l’utilisation de ces données au sein du processus dans lequel l’individu est également concerné. Bien que la conception de la transposition médiatique de Guichard (1998) reste centrée sur l’approche de contenus scientifiques et non de processus, nous retiendrons le fait que “lorsque le comportement induit se réfère à une pratique familière, la transposition fonctionne393”. Cette manière de diffuser un savoir scientifique permet de dépasser les obstacles liés au questionnement. Celui-ci n’est jamais le même entre chercheurs et visiteurs.

Or, l’organisation d’une exposition se fait encore trop souvent en fonction des réponses que souhaitent apporter les concepteurs et les scientifiques et non en fonction des questions que se pose le “grand public” (Giordan, 1998; Guichard, 1998). Il est d’autant plus important de rester attentif à ce problème lorsque l’on sait que ce que Triquet (1993) nomme “la satisfaction des pairs” influence souvent grandement la manière dont le message est divulgué. Cette intégrité vis-à-vis du contenu scientifique de l’exposition amène souvent à un environnement scénographique rébarbatif pour le “grand public”.

Or, le but final d’une exposition est qu’elle doit non seulement être accessible par toutes les personnes, quel que soit leur niveau de connaissance du sujet et leur statut socioculturel, mais elle doit également permettre à chacun d’acquérir “quelque chose”, qu’il s’agisse d’une connaissance, d’un savoir, d’une manière de penser, de s’approprier et de comprendre son environnement, un savoir-être, un savoir-faire, une plus grande confiance en soi, etc. Il importe donc de tenir compte de ces différents “niveaux” afin que la vulgarisation proposée puisse atteindre tous les publics, mais par des procédés adaptés à ceux-ci. Il est primordial que le premier niveau de lecture puisse être compris par tout le monde afin de ne pas décourager

393 GUICHARD, J. (1998) Vers une “médiatique” des sciences: actions et problèmes. Notes d’habilitation à diriger des recherches, Université Paris Sud, Didactique des disciplines, Ed. Association Tour 123, Lirest, Cachan, p. 74

les moins avertis et inciter les personnes ayant déjà certaines connaissances du sujet à pousser plus loin leurs investigations (Pellaud, 1996).

1.3.3.3.4. Gérer “l’imprinting” culturel

L’aspect culturel est très peu développé en tant que tel. Il apparaît comme une “toile de fond”

à l’ensemble des conceptions, non seulement des apprenants, mais également des concepteurs d’exposition, des scénographes, des scientifiques, etc. Si cet aspect n’est pas fondamental tant que le propos de l’exposition reste “purement” scientifique, il devient déterminant dès que l’on envisage une muséologie du “point de vue” ou “interprétative”. Dans une telle approche, les opinions individuelles, s’appuyant sur des valeurs issues de l’empreinte sociale et culturelle, telle que la définit Bourdieu (1994), entrent en ligne de compte. Or, les gens n’ont souvent pas conscience que leurs avis, leurs conceptions sont prédéterminés par la culture dans laquelle ils baignent (Hubert van Blyenburgh, 1999). Faut-il dès lors rendre les visiteurs attentifs à cet

“imprinting” et aux conceptions qui en découlent? Si Hubert van Blyenburgh ne donne pas de réponse à cette question, son expérience en tant que concepteur d’expositions394 lui montre que la seule démarche de concernation ne suffit pas pour leur permettre de prendre du recul par rapport à celle-ci. Nous référant à nos propres travaux sur l’impact favorable que peut apporter une confrontation directe au sein d’un média entre apprenants et conceptions395, nous avons opté pour une démarche similaire dans notre projet (v. chapitre 4). Cette approche interpelle l’apprenant en même temps qu’elle lui offre un repère, en le mettant face à sa propre manière de donner du sens. Parallèlement, la mise en scène de cette conception le déstabilise, car elle remet en question le bien fondé de cette représentation.

1.3.4. DE LEXPOSITION A UN ESPACE MEDIATIQUE396

L’exposition ne peut plus se contenter d’être un lieu de présentation. Pour parvenir à toucher une palette très large de publics différents et conserver une attractivité face aux nouvelles technologies de l'information et de la communication accessibles à domicile, elle doit devenir un véritable lieu de rencontre culturelle et sociale, d'échange d'idées et d'informations, un forum, une place publique (Bradburne, 1998). Nous ajoutons à cette panoplie des objectifs de formation, de détente, de plaisir et d'appropriation de savoirs. Dans une optique similaire, les lieux de culture scientifique ont démultiplié les actions et les supports d’information qu’ils proposent, en organisant dans leurs structures, non seulement des expositions, mais des conférences, des animations, des clubs scientifiques (Coiteux, 1996). Différentes expériences ont déjà été faites dans ce sens, mais à notre connaissance, aucun lieu muséal n’a encore tenté

394 “Tous parents, tous différents” (1992) et “Six milliards d’hommes” (1994), Musée d’Histoire Naturelle, Paris; “Gènes en culture” (1998), Musée de la Main, Lausanne

395 PELLAUD, F. (1996) Création d’un livre interactif sur la procréation humaine et la vie intra-utérine du bébé ou comment marier la vulgarisation scientifique et l’imaginaire, mémoire de licence, FAPSE, Université de Genève

396 Nous n'utilisons pas ce terme dans le sens que Guichard (1998) lui octroie. Pour lui, est média tant un livre que la télévision ou une présentation muséale. La médiatique qui s'y réfère est la manière de diffuser le savoir en le “mettant en scène”. “Lors de l’usage d’un média on n’est pas devant un texte, mais en face (ou dans) des scènes que l’on peut découvrir, soit en les explorant physiquement, soit en les parcourant du regard, et parfois même en y assistant". Nous ne considérons pas son point de vue en ce qui concerne l'ensemble des documents écrits, seuls certains textes nous apparaissent comme bénéficiant d'une véritable "mise en scène". Nous utilisons donc le terme de

"médiatique" dans un usage beaucoup plus courant, faisant appel à l'ensemble des éléments offrant traditionnellement une diffusion massive de l'information.

de rassembler en un seul lieu toutes les formes de contacts entre visiteurs/publics et lieu d’exposition qu’offrent les multiples facettes de l’éducation informelle dans son ensemble.

Pour ce faire, l'exposition doit ouvrir ses portes, favoriser des partenariats et créer des synergies.

Envisager la muséologie dans une approche médiatique permet de marier allègrement les nouvelles technologies à l'agora de l'Antiquité, diversifiant ainsi l’environnement scénographique de manière à répondre aux attentes et aux besoins personnels de chaque visiteur. Dans la même idée, Langaney revendiquait, pour les musées, le "droit au souk397".

L'image est jolie, et exprime assez clairement l'idée que, dans une exposition, "chaque visiteur, spécialiste ou non, doit y trouver quelque chose qui l'intéresse".