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Introduction – les enjeux, le contexte et les questions de recherche

Chapitre 1 – Généalogie et présentation du concept des RIS3

1.1. Le contexte et la genèse du concept

1.1.1. Le contexte qui précède la genèse du concept

La genèse du concept de « Smart Spécialisation » trouve son origine dans la réflexion initiée au cours de la décennie précédente autour de la nécessité d’améliorer la compétitivité de l’Union Européenne alors en perte de vitesse vis-à-vis des Etats-Unis. Aussi, l’argument en faveur des S3 prendra précisément sa source dans le constat qui est fait à l’issu de ces débats concernant le gouffre ou du moins le décalage transatlantique alors très marqué entre les Etats-Unis et l’Union Européenne en termes de productivité et de compétitivité.

Cette nouvelle notion apparait ainsi à l’initiative des travaux engagés par le groupe d’experts « Knowledge for Growth » (K4G)14 fomenté en 2005 par la Direction Générale de la Recherche de l’Union Européenne dans le but de mieux mobiliser les résultats de la recherche et développement de l’Union et de relancer la Stratégie de Lisbonne via l’implémentation d’un véritable Espace Européen de la Recherche (EER) à même de favoriser la compétitivité d’une économie européenne basée sur la connaissance (Bruno, 2008a).

Deux éléments sont expressément mis en exergue pour exprimer le différentiel de compétitivité constaté entre le vieux continent et son homologue d’outre-Atlantique en termes de performance industrielle (McCann and Ortega-Argilés, 2013) :

- Un effet structurel d’une part souligne que la structure industrielle européenne est trop fortement caractérisée par la prédominance des secteurs traditionnels de « middle » voire de « low tech », ce qui limite très fortement la capacité à transformer les avancées en termes de Recherche et Développement (R&D) en de réels gains de productivité (Mathieu and van Pottelsberghe de la Potterie, 2008),

- Un effet intrinsèque souligne d’autre part que même au sein de secteurs à priori équivalents, il apparait que les firmes européennes aient en moyenne beaucoup plus de mal que leurs homologues américaines à transformer ces résultats de la R&D en de réelles innovations et en de véritables gains de productivité (Erken and van Es, 2007).

Mais finalement, quelles que soient les raisons avancées, un sujet est constamment mis en avant à cette époque: le rôle prépondérant que jouent les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans l’explication de ce décalage de compétitivité.

Et là encore deux effets du même ordre que les précédents (structurel et intrinsèque) sont mis en exergue pour expliciter le retard de l’Union Européenne en termes non seulement de production mais aussi de diffusion et d’adoption des TIC de manière générale:

- D’une part, un effet structurel souligne d’une part le fait que sur les deux dernières décennies, les secteurs « producteurs » de TIC semblent avoir été à la base de la productivité des Etats-Unis dans une plus large mesure qu’ils ne semblent l’avoir été au sein des pays de l’Union Européenne;

- Puis un effet intrinsèque qui lui appuie d’autre part sur le fait qu’il y ait eu dans le même temps des différences relativement conséquentes elles aussi en termes d’adoption, d’adaptation et de diffusion des TIC d’une manière générale au sein des secteurs dits « consommateurs » de TIC.

Il est vrai que le constat de ces décalages d’intensité de production et d’appropriation des TIC peut en effet expliquer une partie des limitations constatées dans les économies européennes en termes de compétitivité au regard de leur homologue américaine. Cependant, la majorité des raisons qui constitueront par la suite et qui resteront jusqu’à aujourd’hui les préoccupations centrales de ces débats concerneront surtout les notions de « taille des économies », d’effets « d’agglomérations de ressources » et plus généralement les défis de « l’intégration » des régions de l’Union Européenne.

A ce sujet, l’importance de l’économie européenne est sensiblement supérieure à celle des Etats-Unis. Mais les entreprises et le marché du travail américains jouissent cependant d’avantages incontestables en termes d’économie d’échelle grâce à une plus grande intégration de leur marché domestique. Face à cela, même s’il est vrai que le Marché Unique mis en place au sein de l’Union Européenne a largement progressé notamment concernant le marché des transports, la fluidification des flux de marchandises, la libre circulation des hommes, le marché de l’énergie ou les marchés financiers, force est de constater que lorsque l’on considère l’industrie des services et tout ce qui a trait à l’économie de la connaissance en général, les marchés européens sont encore extrêmement fragmentés.

Aussi, pour les experts du K4G, les causes de ce fossé alors constaté entre l’Union Européenne et les Etats-Unis sont davantage à rechercher du côté de la dispersion des efforts en matière de

R&D au sein de l’Union, de la fragmentation du système public de recherche en bases nationales déconnectées, des insuffisances d’effets d’agglomération, du faible nombre de centres d’excellence transnationaux de taille mondiale et dans l’absence générale de coordination à l’échelle de la région.

Plus alarmant encore, les membres du « Knowledge for Growth » constatent que cette altération de la compétitivité de l’Union Européenne se retrouve accentuée par la fuite et la délocalisation progressive des centres de R&D des grands groupes européens ce qui inhibe grandement toutes les possibilités de retour ou d’avènement d’une économie basée sur la connaissance à l’échelle des régions européennes. Cette remarque est d’autant plus préoccupante dans le sens où cette fuite des cerveaux annihile aussi en conséquence tout le potentiel de résilience des territoires de l’UE et les velléités de recouvrer les sentiers de la compétitivité à l’échelle de la région dans son ensemble.

En parallèle de ce constat, une remarque complémentaire mais tout aussi préoccupante concerne la forte tendance à l’imitation des meilleurs pays ou des meilleures régions européennes qui est aussi observée par le groupe d’experts du K4G. Car en effet, bien au-delà des difficultés de l’Europe à s’affirmer comme une entité intégrée, ces dynamiques de mimétisme sont porteuses de nombreuses redondances qui sont d’ores et déjà très coûteuses mais qui sont surtout la source d’importantes inefficiences pour l’avenir et les perspectives de développement des territoires à l’échelle européenne.

Ainsi si l’on suit l’ensemble des contributions sur ce sujet, il est évident que les raisons qui tentent d’appréhender et d’expliquer alors ce décalage de productivité entre les Etats-Unis et l’Union Européenne varient forcément sensiblement selon les différentes postures, les positionnements ou les analyses adoptées.

Mais (Van Ark et al., 2008) propose de résumer l’ensemble de ces conclusions en attribuant le retard de productivité Européen à une « trop lente émergence de « l’économie de la

connaissance »15 en Europe en comparaison des Etats Unis.

15 Dans l’ouvrage intitulé « l’économie de la connaissance » (Foray 2010, p3.), Dominique Foray, avance que « l’économie fondée sur la connaissance correspond essentiellement, dans chaque pays,

En conséquence, en réponse à ce décalage (ou du moins à ce retard) souligné pour atteindre ou pour parfois simplement régénérer la dynamique d’économies européennes réellement fondées sur la connaissance, le K4G affirme alors qu’une révision fondamentale de la politique de recherche et d’innovation européenne est nécessaire afin de prévenir la « fuite des cerveaux » (Krugman et al., 1995) (P. R. Krugman, 2000) et de promouvoir une base de recherche forte et compétitive au sein de l’Union Européenne. Pour le groupe d’experts, cette nécessité requière de mettre réellement en marche ou de faire rapidement évoluer le concept « d’Espace Européen de la Recherche » (EER) (André, 2007) (Bruno, 2010) déjà établi lors du Conseil européen de Lisbonne en 2000.

Ainsi, fort de ces réflexions et face à la faiblesse des résultats obtenus depuis le début de la décennie, la Commission Européenne, en accord avec les 27 Etats-membres, relance alors en 2008, une nouvelle initiative en faveur de la construction d’un réel EER intégré.

Ce nouveau processus plus connu sous le nom de « Processus de Ljubljana »16 (Morancho, 2011) entend dès lors surmonter la fragmentation des activités, des programmes et des politiques de recherches européennes qui a été relevée afin de redonner un élan de compétitivité à l’économie de l’Union Européenne. Le processus de Ljubljana doit dès lors amener un renouveau sensé s’établir normalement sur des initiatives de partenariats dans les cinq domaines suivants:

- La promotion de la mobilité et de la carrière des chercheurs,

- La programmation conjointe avec l’articulation des programmes nationaux de recherche,

- La création d’infrastructures de recherche de taille mondiale,

- Le transfert de connaissances et la coopération entre la recherche publique et

l’industrie

- La coopération internationale scientifique et technologique.

Pour les membres du « Knowledge for Growth » l’ambition de combler le fossé dont témoigne l’économie européenne en comparaison de son homologue américaine passera dès lors par la construction de ce véritable EER intégré au sein de l’UE dans le but de favoriser l’émergence d’un nombre plus limités de centres d’excellence qui doivent désormais témoigner d’un potentiel original, d’une masse critique, de ressources et de moyens suffisants ou spécifiques pour prétendre parvenir à exercer à terme un rayonnement à l’échelle mondiale.

Car en effet, au-delà de toutes les raisons qui ont pu être évoquées concernant le retard manifeste de l’Union Européenne en comparaison des Etats-Unis en termes de compétitivité, les conclusions et les explications du K4G se cristallisent finalement toutes autours de deux causes principales:

- Une moindre spécialisation économique et technologique de l’Union Européenne comparée à celle qui est observée outre-Atlantique,

au secteur d’activités de production et de service fondées sur des activités intensives en connaissance. Celles-ci sont habituellement repérées en combinant des indicateurs portant sur la production et la gestions des savoirs, tels que les dépenses de recherche et développement (R&D), le taux d’emploi des travailleurs diplômés et l’intensité de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information. »

16http://www.horizon2020.gouv.fr/cid74154/objectifs-perspectives-eer.html?menu=3

- Une moindre capacité de l’Union et de ses membres à prioriser les efforts et les ressources au niveau régional.

Ainsi, il serait erroné de considérer le « processus de Ljubljana » comme une réforme visant à améliorer uniquement la politique de l’EER. Car dès le début (et sur la base des deux remarques qui viennent d’être faites concernant les faiblesses de l’UE en terme de spécialisation et de priorisation régionale) ce processus entend également construire de façon complémentaire des liens entre la politique de recherche et toutes les autres politiques européennes et notamment avec les politiques d’éducation, d’innovation et surtout avec les politiques de cohésion.

C’est ainsi qu’en parallèle et même en complément de l’argument en faveur du développement d’un Espace européen de la recherche intégré, le K4G a développé, introduit et insufflé l’urgente nécessité d’engager des processus dits de « Spécialisation Intelligente » dans les régions de Etats-membres et au sein même de l’EER.

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