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III. Les résultats des recherches sur la pensée logique d’Aristote en Chine

1. Le contenu essentiel de la logique d’Aristote

Dans sa définition de la logique, Aristote a précisé les limites de cette science. Il l’a définie dans Les Premiers Analytiques : « d’abord, nous dirons le sujet et le but de

cette étude : le sujet, c’est la démonstration; le but, c’est la science de la démonstration ».169

Il en résulte que, dans le système d’Aristote, le but de la logique est la démonstration, la méthode de la démonstration est le raisonnement, le mode principal de raisonnement est le syllogisme. Pour valider le syllogisme, Aristote a proposé les règles de vadilité et des modes valides. Le syllogysme possède des figures et des modes différents.

168

Hu shi xue shu wen ji·zhong guo zhe xue shi (Recueil d’ouvrages littéraires de Hu Shi· l’Histoire de la philosophie chinoise), Tome II. Pékin, zhonghua shuju, 1991, p.158.

169

Aristote, les Premiers Analytiques, Trad. de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, Paris, Ladrange, 1866, Livre I, Chap.I,1.

154 2. Les points communs entre la logique d’Aristote et la logique chinoise

1). Concernant le contenu, la composition de ces deux logiques est identique. Tous les raisonnements se composent de propositions, toutes les propositions se composent de termes. Donc la théorie qui concerne le terme, la proposition et le raisonnement est le contenu communicant.

La doctrine du syllogisme d’Aristote, par exemple, est une théorie concernant les propositions factuelles et des termes qui composent les propositions, engagées dans le raisonnement déductif. Parallèlement, la logique chinoise possède aussi une discussion concernant : ming (le nom 名), ci (la phrase 辞), shuo (l’explication 说).

- Ming (pour la logique chinoise) terme (pour la logique d’Aristote)

Les termes sont les éléments principaux qui composent le syllogisme. Aristote précise, dans Les Premiers Analytiques, « il est évident aussi que toute démonstration

se fait par trois termes et pas plus et tout syllogisme se compose de trois termes et pas plus».170 « De cela il résulte clairement que le syllogisme se construit par deux propositions et pas plus, car les trois termes forment deux propositions». Il a délimité la définition de « terme » : « j’appelle ‘‘Terme’’ l’élément de la proposition,

c’est-à-dire, l’attribut et le sujet auquel il est attribué, soit qu’on y joigne, soit qu’on en sépare l’idée d’être ou de n’être pas ».171

Les penseurs chinois de la période pré-Qin considèrent « le nom (名), la phrase (辞), l’explication (说) » comme des formes du langage pour parler et argumenter. Chacun de ces aspects possède un objectif en propre : « on utilise les noms pour distinguer des réalités, les phrases pour exprimer des idées, les explications pour exposer des causes ».172 (Xiao qu) L’explication, c’est un processusus pour créer une autre phrase

170

Ibid. Livre I, Chap. XXV, 1.

171

Ibid. Livre I, Chap. I, 7.

172

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à l’aide d’une phrase en tant que la raison, l’explication est composée par les phrases. La phrase et l’explication appartiennent au discours. « Les discours sont tout ce qui sort de la bouche et qui a un nom. Le nom est comme un tigre peint, c’est-à-dire une imitation de réalité ». 173(Jingshuo shang) Donc le nom est un élément qui compose la phrase et le discours. Le sens de Ming peut être comparé au sens de terme.

- proposition (dans la logique d’Aristote) et ci (dans la logique chinoise)

« Ci est un tout organisé de manière à former une idée cohérente ». « Les explications

pour exposer des causes, un ci est engendré par les causes». (xiao qu) On peut dire que l’objectif de poser un argument par gu (les causes), c’est pour constituer un ci (la phrase), ci est le centre de shuo (l’explication), autrement dit, ci fait partie intégrante de shuo. Ci est composé de ming (le nom). «Les phrases pour exprimer des idées». (xiao qu) Ci est donc utilisé pour exprimer l’idée centrale dans un débat, elle peut même être une phrase concluante.

Par rapport à ming, ci a une plus grande complexité. Chez les mohistes, ci ne désigne pas une phrase quelconque. Il est animé d’une sorte de vie : « un ci est engendré par les causes (gu 故), s’agrandit en fonction des principes (li 理) et s’applique selon les catégories (lei 类) » (Da qu)174 L’explication de gu : « gu, c’est ce par quoi quelquechose devient ». (Jing shang)175 Gu : c’est une cause ou une raison de quelquechose. Il en résulte que gu doit être l’argument pour constituer un sujet de discussion ou bien il est la prémisse pour aborder une conclusion. Ci, évidemment, c’est le sujet de discussion (la proposition) ou la conclusion déduite par une prémisse. Les caractéristiques mohistes de ci, exposées ci-dessus, se rapprochent de l’explication sur la proposition dans la logique d’Aristote. Ci indique les phrases en exprimant un jugement ou des éléments du raisonnement.

Aristote a donné une explication pour la proposition : la phrase est une série de sons

173 言也者,诸口能之,出民者也。民若画俿也。言也谓,言犹名致也。(经说上) 174 三物必具,然后辞足以生。夫辞,以故生,以理长,以类行者也。(大取) 175 故,所得而后成也。(经上)

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dont l’ensemble est significatif. Une proposition est une phrase qui peut être vraie ou fausse ». Lors de la discussion sur la prémisse du syllogisme, Aristote a expliqué aussi la proposition en tant que prémisse : ainsi, en premier lieu, la Proposition est une énonciation qui affirme ou qui nie une chose d’une autre chose. L’attribut est affirmé ou nié du sujet.

2). La logique d’Aristote et la logique chinoise ont les mêmes caractéristiques

Le raisonnement est un processus où la conclusion résulte nécessairement des prémisses, c’est un processus de pensée qui se fonde sur une ou plusieurs propositions, il en résulte une proposition.

La définition de raisonnement d’Aristote proposé pour le syllogisme est un raisonnement déductif : « le Syllogisme est une énonciation, dans laquelle certaines

propositions étant posées, on en conclut nécessairement quelque autre proposition différente de celles-là, par cela seul que celles-là sont posées ».176 Pour les mohistes, afin de rallier à leur doctrine, il faut discuter li ci. Dans da qu, li ci signifie établir une proposition. Dans le Canon mohiste, l’établissement de toutes les propositions, il faut avoir une raison et un fondement qui correspondent. Si une proposion manque d’une raison pour lui permettre d’être tenable, c’est absurde.177

(Da qu) Les mohistes ont présenté une méthode ou shuo (l’explication) pour argumenter une raison en étabissant une proposition. « Les explications pour exposer des causes ». Cela montre que shuo est un processus où on argumente les causes ou gu pour établir une

proposition. Ci, autrement dit, est un processus d’un raisonnement et d’une

démonstration. En conséquence, le raisonnment mohiste et le raisonnement déductif sont similaires.

3). Les deux logiques ont les mêmes types de raisonnement

176

Aristote, les Premiers Analytiques, Trad. de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, op.cit., Livre I, Chap.I,8.

177

157

Pour les différentes formes du raisonnement, il y a deux points de vue. Le premier est fonction de l’orientation du processus de la pensée. Il se divise de deux façons : On part d’une idée générale, d’un principe, d’une loi pour en tirer une conséquence particulière. On part d’un ou de plusieurs faits particuliers pour en tirer un principe, une loi, une idée générale.

Le second point de vue concerne le lien entre les prémisses et la conclusion. On divise le raisonnement en deux catégories :

- Le raisonnement apodictique : la conclusion découle des prémisses nécessaires (soit que les prémisses aient été préalablement démontrées, soit que leur nécessité soit évidente).

- Le raisonnement probabiliste : la conclusion résulte des prémisses probables.

Ces types de raisonnements existent généralement dans les pensées occidentale et orientale. Ces raisonnements se réflètent à des degrés divers dans les théories de la logique et celles de différentes pensées. Le syllogisme déductif d’Aristote est un raisonnement apodictique, comme l’explication de syllogisme d’Aristote : « ce qui

nous trompe, dans ce cas, c’est que, de ces données, il sort une conséquence nécessaire et que le syllogisme aussi en donne une de ce genre. Mais le nécessaire est encore plus large que le syllogisme ; car tout syllogisme est nécessaire, et tout nécessaire n’est pas syllogisme. Ce n’est donc pas seulement parce que, de certaines données, il ressort une conséquence qu’il faut essayer immédiatement la résolution, il faut avant tout dégager les deux propositions».178

Parallèlement, dans mo bian, les mohistes présentent aussi une doctrine du raisonnement apodictique et le raisonnement ou xiao (效).

Gu, c’est ce par quoi une chose devient [ainsi] 179; gu mineur : ce par quoi [une chose] n’est pas nécessairement telle, mais sans quoi, elle ne sera jamais telle ; gu majeur : ce

178

Aristote, les Premiers Analytiques, Trad. de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, op.cit., Livre I, Chap. XXXII.5

179

Les mots entre les crochets sont implicites en version chinoise et ont été ajoutés selon l’exigence de la syntaxe française.

158

par quoi [une chose] est nécessairement telle. C’est-à-dire, dans le processus que par

gu résulte la conclusion ci : la raison et la conclusion ont un lien étroit. 180 (Jing

shang)

4). Les principes essentiels de la logique: le principe d’identité, le principe de non-contradiction, le principe du milieu exclu

Les théories et les pensées dans des contextes culturels différents : elles reflètent et généralisent ces principes.

- Le principe d’identité

Selon Aristote dans Métaphysique, Livre Gamma, le principe d’identité est l’exigence fondamentale du discours rationnel. « Si on ne l’admet pas, le sens des concepts peut changer à tout instant, ce qui revient à dire qu’on ne peut rien dire sur quoi ni sur qui que ce soit ». 181 Le principe d’identité énonce que ce qui est est et donc qu’une chose est ce qu’elle est.

Le principe zheng ming dans le livre Mo bian reflète bien le principe d’identité. Dans zheng ming, ming ou terme correspond à shi ou réalité, autrement dit, ce terme correspond bien à son sens. Le nom de bi doit correspondre au sens réel de bi, Le nom de ci correspond au sens réel de ci. Ici, bi, ci et bici représentent des variables différentes, on peut les changer en signes. A remplace bi, B remplace ci, AB remplace

bici. Le principe mohiste de zheng ming soit : A=A, B=B, AB=AB, AB≠A et AB

≠B. Le terme ou ming concorde bien avec son propre sens, c’est bien un terme correct ou zheng ming. Par contre, si un terme ou ming peut exprimer, à la fois, ci et

bi, le sens est ambigu, c’est un terme faux ou luan ming. Zheng ming accentue

l’exactitude d’un concept. C’est aussi le principe d’identité d’un concept. A=A.

180 故,所得而后成也。小故,有之不必然,無之必不然;大故,有之必(無)然。(经上)

181

159

- Le principe de non-contradiction

Le principe de non-contradiction a donc deux versions, l’une ontologique, l’autre logique. La version ontologique dit qu’une chose ne peut avoir une propriété et la propriété contraire en même temps et sur le même point. La version logique dit qu’on ne peut affirmer vraie et fausse la même chose. On ne peut affirmer et nier le même

terme ou la même proposition : « il est impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps et sous le même rapport à une même chose ».182

Le principe non-contradiction du mohisme s’incarne essentiellement dans la définition et l’explication de bian. Le terme bian ou argumentation est une discussion sur des opinions opposées ou fan (彼) (caractère traditionnel 攸). Par fan ou opinions opposées, les mohistes prétendent que deux propositions ou ci concernent une même réalité : l’une affirme un aspect de cette réalité, tandis que l’autre le nie. Par exemple : C’est un bœuf. Ce n’est pas un bœuf.

« Ces deux propositions ne peuvent pas être recevables ou bu ke (不可) en même temps. Celle qui correspond à la réalité ou dang (当) l’emporte dans une dispute ». Il y a donc nécessairement une proposition qui ne correspond pas à la réalité. Ce n’est pas le cas, par exemple, du chien et du chiot.

Pour l’explication de fan ou deux opinions opposées, on ne peut pas affirmer, ni nier non plus ces deux propositions en même temps. On peut trouver un exemple dans mo

bian, « ce sont tous des bœufs, un shu n’est pas un boeuf, ce sont deux espèces

différentes. Il n’y pas d’opposition ». (Jingshang shu) Il en résulte que les mohistes ont déjà généralisé scientifiquement le contenu essentiel du principe de non-contradiction, sauf qu’ils n’ont pas donné une énonciation précise.

- Le principe du milieu exclu

Aristote a mentionné le principe du milieu exclu avec clarté : « Il n’est pas possible

qu’il y ait aucun intermédiaire entre les énoncés contradictoires : il faut

182

Aristote, Métaphysique, livre Gamma, trad. Jules Tricot, Paris, J. Vrin, 1991, Chap.3, 1005b 19-20.

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nécessairement ou affirmer ou nier un seul prédicat, quel qu’il soit». 183

A noter que le terme moyen exclu ou milieu exclu se réfère originellement au syllogisme d’Aristote. On ne trouvera pas un terme ou une thèse intermédiaire entre A et non A (à moins que l’un ou l’autre de ces alternatifs ne soit paradoxal et l’autre évident en soi).

Le principe du milieu exclu se réflète également dans la définition de bian chez les mohistes. La discussion ou bian se limite à deux propositions opposées et entre ces deux propositions : « l’une affirme qu’une chose est la réalité, tandis que l’autre la nie. Celle qui correspond à la réalité ou dang l’emporte dans une dispute ».184 (Jing shuo) Cela étant, les mohistes n’ont pas précisé leur critère de jugement. Ils utilisent les mots ke ( 可 ) et dang. Anne Cheng les interprète respectivement comme

admissible au sens où c’est logiquement défendable et tomber juste au sens où c’est

en concordance avec la réalité.185