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Partie IV. L’étude comparative entre les théories de l’éducation d’Aristote et celle de Confucius

III. Etude comparative entre les deux théories

3. Les contenus de l’éducation

Les quatre matières chez Aristote

Aristote pose la question du contenu de l’éducation chez les jeunes individus.

Une fois de plus, sa réponse ne nous est parvenue qu’à travers des fragments. Et il semble que ce sont justement les parties les plus originales qui ont été perdues. En principe, les jeunes doivent être instruits dans les «arts utiles», mais « l’enseignement ne doit pas porter sur tous les arts utiles, étant donné la distinction établie entre les tâches convenables pour un homme libre et celles qui ont un caractère servile ». 215 Par «arts utiles», Aristote entend des disciplines telles que la grammaire, le calcul, le dessin, la gymnastique, mais certainement pas des travaux manuels ou quoi que ce soit qui pourrait mener à des travaux salariés, qualifiés de sordides. D’autre part, les jeunes doivent être instruits à occuper «noblement leur loisir». « De ce fait, certaines matières doivent être apprises et entrer dans un programme d’éducation en vue de mener une vie de loisir ; ces connaissances et ces disciplines sont des fins en elles-mêmes, tandis que celles qui préparent à la vie active doivent être regardées comme de pure nécessité et comme des moyens en vue d’autres

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choses ».216

Aristote prévoit donc au moins quatre matières à enseigner: grammaire, gymnastique, musique et dessin. C’est un schéma classique. Dans La Politique, il développe ses conceptions sur la gymnastique et surtout sur la musique. Il parle brièvement du dessin, mais la partie qui devait être consacrée à la grammaire est manquante. Pourtant, elle devait être particulièrement intéressante, compte tenu du rôle que joue le langage dans la pensée d’Aristote. On peut supposer que la grammaire contenait, outre l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, également l’histoire de la littérature.

Dans ce qu’Aristote dit sur la gymnastique, il est fidèle à son principe du juste milieu. Il ne s’agit ni d’un entraînement trop sévère ni d’une éducation brutale. Il ne doit pas non plus s’agir d’une instruction paramilitaire. Pour Aristote, la gymnastique ne se limite pas à l’entraînement du corps car l’éducation physique doit servir à la formation du caractère : courage et sens de l’honneur.

Sans doute inspiré par Platon, Aristote traite aussi longuement de l’éducation musicale. Plus encore que la gymnastique, la musique est un moyen d’influencer le caractère moral. Pour cette raison, elle est indispensable. Evidemment, il faut veiller à ce qu’on se concentre sur la bonne musique, car certains modes musicaux, certains rythmes ou certaines mélodies gâtent le caractère. Comme Platon, Aristote fait, à ce sujet, une analyse des tonalités grecques et donne sa préférence au mode dorien, «qui est le plus grave et qui exprime le mieux un caractère viril ».217 De plus, il occupe une position moyenne en ce qui concerne le choix des tonalités.

L’éducation musicale est aussi importante parce que, grâce à elle, les élèves apprennent à apprécier ce qui est beau. Et elle a une valeur pédagogique générale parce qu’elle apprend à écouter. Mais la musique est le moyen par excellence de l’éducation pour le loisir. «La vie de loisir noblement menée doit, de l’avis général,

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Ibid., VIII, 1338 a 10-13.

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inclure non seulement le beau, mais encore le plaisir (car le bonheur est un composé de ces deux facteurs réunis) ; or, la musique, assurons-nous tous, compte parmi les choses les plus agréables».218

Les six manuels ou liu jing chez Confucius

Confucius conçoit l’éducation selon deux grands volets : l’éducation morale qui doit être privilégiée et la transmission des connaissances.

Le Maître enseigne spécialement les textes anciens, la pratique, la loyauté et la fidélité. (Entretiens, VII.24). Les textes anciens sont l’enseignement des connaissances, mais font aussi partie de l’éducation morale : la pratique, la loyauté et la fidélité. L’éducation morale est la base de l’enseignement confucéen, puisqu’il s’agit de former des individus de grande vertu afin d’aider le prince à gouverner de façon intègre. Sa pensée éthique est indissociable de sa pensée philosophique et politique. Le principe fondamental de sa doctrine éthique est celui du ren. Le terme ren désigne l’humanité de l’homme ou la bienveillance. Cette vertu se manifeste dans toutes les formes de rapports entre les êtres humains. Elle est à la source des autres qualités : la piété filiale ou xiao, le respect des aînés ou ti, la loyauté ou zhong, l’attitude respectueuse ou gong, la magnanimité ou kuan, la fidélité ou xin, la diligence ou min, l’altruisme ou hui, l’affabilité ou wen, la bonté ou liang, la frugalité ou jian, la tolérance ou rang, l’indulgence ou shu, la sagesse ou zhi, le courage ou yong. C’est cette même vertu ou ren qui amène à se garder de tout excès, à ne pas craindre les difficultés, à discerner l’aimable du haïssable et à se conduire avec honnêteté et droiture.

Afin que tous ces impératifs éthiques puissent renforcer le sens de la responsabilité de chaque individu et de la société tout entière, Confucius insiste pour que chacun doive, par sa propre volonté, obtenir la vertu, de façon à être un exemple pour son entourage. Il doit acquérir le ren. Rayonnant par sa sagesse autour de lui, son exemple incite ses

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semblables à le suivre et à se transformer à leur tour. Grâce aux efforts déployés à cet égard par chacun, les affaires familiales seront en ordre, le pays sera bien gouverné, le peuple vivra en sécurité et la paix régnera dans le monde. L’éducation morale est donc pour Confucius le moyen de mettre en œuvre son idéologie de la vertu.

Mais Confucius se préoccupe tout autant de la formation intellectuelle de ses disciples, c’est-à-dire de leur faire acquérir un savoir culturel, des compétences et un savoir-faire. Pour leur inculquer les valeurs morales de la société féodale, les bases d’une bonne culture générale et les compétences requises pour exercer des fonctions officielles, il s’attache à compiler six manuels qui sont considérés comme les textes fondamentaux de l’enseignement et de l’apprentissage : le Livre des Odes ou Shi, le

Livre des Documents ou Shu, le Livre des Rites ou Li, le Livre de la Musique ou Yue,

le Livre des Mutations ou Yi et les Annales des Printemps et Automnes ou Chunqiu.

Confucius attache de l’importance à l’enseignement dispensé dans Shi et Li : « si tu n’étudies pas le Livre des Odes, tu n’auras pas de sujets de conversation. Si tu n’étudies pas les Rites, tu n’auras pas de fondement solide ».219

Confucius aime la musique et elle fait partie de son enseignement. Selon Confucius, si le Prince n’est pas capable de présenter un exemple moral, s’il ne réussit pas à maintenir et à promouvoir les Rites et la Musique (les deux manifestations de la civilisation), il s’aliène la fidélité de ses ministres et la confiance de son peuple.

Les six œuvres citées, ci-dessus, sont des ouvrages didactiques qui traitent surtout des rapports sociaux et de l’éthique, mais abordent aussi d’autres domaines, entre autres la littérature, la philosophie, l’histoire, la politique, l’économie, la culture ou l’art de la musique. Ils constituent les premiers manuels d’enseignement relativement complets de toute l’histoire de l’éducation chinoise. Depuis L’exhortation à l’étude de Xunzi (IIIème siècle av. J.-C.), penseur confucianiste ayant vécu à la fin de la période des

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Royaumes Combattants, on les désigne avec déférence sous le nom de jing (Livres

canoniques ou classiques). Le Livre de la Musique n’a pas été retrouvé, mais les cinq

autres classiques confucéens ont constitué pendant plus de deux mille ans les ouvrages fondamentaux de l’enseignement féodal chinois. Partout ailleurs dans le monde, aucun autre ouvrage didactique n’a été utilisé aussi longtemps et avec autant de constance.

4. La pédagogie

Aristote établit un ensemble de principes qui sont conformes aux lois générales de la pédagogie. « Il est clair que nous devons nous appuyer sur trois normes pour mener à bien l’éducation : à la fois le juste milieu, le possible et le convenable ». Comme l’ensemble de la philosophie pratique d’Aristote, sa théorie de l’éducation est une pédagogie du bon sens.

Tout d’abord, il faut éviter les extrêmes, les exagérations. En faisant de la gymnastique, il ne faut pas vouloir former à tout prix des champions. Et l’enseignement de la musique doit viser bien plus le plaisir d’écouter la musique que la virtuosité.

Ensuite, il ne faut demander à l’élève que ce qu’il est capable de faire. Ainsi ne faut-il pas vouloir donner des leçons de politique à des jeunes gens alors qu’ils n’ont aucune expérience des choses de la vie, 220 et, d’une manière générale, faut-il tenir compte du niveau intellectuel des élèves, car «le raisonnement [...] n’est pas [...] également puissant chez tous les hommes ».221

Finalement, l’enseignement doit se limiter à ce qui convient à l’élève, en tenant compte de son âge, de son caractère, etc.

Selon Aristote, la pensée et le comportement de l’homme ne sont pas naturels. Ils se forment par trois sources : les dispositions naturelles, les habitudes et leurs développements et la raison. Il faut coordonner l’éducation avec la psychologie de

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Aristote, Éthique à Nicomaque, trad.Jean. Tricot, Pais, J.Vrin, 1994, I, 1, 1095 a 2.

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l’individu et l’environnement éducatif. Aristote distingue deux catégories pédagogiques qui se complètent : l’éducation par la raison et l’éducation par les habitudes.

Par « éducation par habitudes », Aristote n’entend pas une sorte de domptage par répétitions automatiques. Ce qu’il comprend par ces termes, c’est ce que nous appellerions aujourd’hui une «pédagogie active». Aussi, dans Éthique à Nicomaque, insiste-t-il sur le fait que « les choses qu’il faut avoir apprises pour les faire, c’est en faisant que nous les apprenons : par exemple, c’est en construisant qu’on devient constructeur et en jouant de la cithare qu’on devient cithariste ».222

L’éducation par la raison est complémentaire de l’éducation par l’habitude. Il s’agit là de l’enseignement proprement dit, notamment de l’enseignement des sciences. Son but est de faire comprendre les causes: « enseigner, c’est dire les causes pour chaque chose ». 223 L’éducation par la raison vise l’universel qui dépasse l’expérience. « Les hommes d’expérience savent bien qu’une chose est, mais ils ignorent le pourquoi, tandis que les hommes d’art connaissent le pourquoi et la cause ».224

Aristote attache de l’importance à l’apprentissage participatif : les connaissances authentiques viennent de la pratique pour que les élèves enregistrent des progrès.

La pédagogie chez Confucius

Les Entretiens est un livre qui a été écrit par les disciples de Confucius pour constituer un ouvrage rassemblant tout l’enseignement oral du Maître. Si on reprend les mots de F. Jullien, l’enseignement de Confucius « vise à parler de la moindre chose, pour la rendre plus indicatrice ». 225Ainsi, sa parole cherche à féconder indirectement ce qu’est la prise de conscience du disciple, le moindre détail qui est révélateur de l’essentiel. Nous retrouvons déjà la pédagogie de Confucius, qui a un caractère très à

222 Ibid., II, 1, 1103 a 33. 223 Ibid.,VI, 9, 1142 a 12-20. 224

Aristote, Métaphysique, trad.Jean. Tricot, Pais, J.Vrin, 2000, A, 1, 981 a 28-29.

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JULLIEN, F., Le détour et l’accès, Production déléguée, art et éducation. production exécutive Studio vidéo Paris 7. Denis Diderot,1995.

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l’écoute, en fonction de l’univers personnel de ses disciples. Une pédagogie qui a pour objectif de faciliter une évolution personnelle liée à la conscience révélée vers l’essentiel de la vie.

L’étude et la réflexion sont deux choses qui vont de pair. «Etudier sans réfléchir est une occupation vaine, réfléchir sans étudier est dangereux». 226 Le mot apprendre est employé ici avec le sens de « recevoir et comprendre ce qui a été transmis ». En fin de compte, une simple reproduction venant d’une compréhension sans s’être préalablement posé de questions (ou inversement), ce ne sera ni l’une ni l’autre une bonne manière.

Confucius insiste également sur la méthode de l’enseignement par la suggestion, pour que ses disciples puissent saisir l’essentiel pour qu’ensuite ils le développent avec leur créativité. Aussi, avant d’intervenir avec comme objectif d’inspirer et de guider, il laisse un temps suffisant pour que la personne qui apprend épuise ses capacités au maximum. « Je n’enseigne pas à celui qui ne s’efforce pas de comprendre ; je n’aide pas à parler celui qui ne s’efforce pas d’exprimer sa pensée. Si je soulève un angle [de la question] et que l’on est incapable de me retourner les trois autres, alors je n’y reviens pas ». 227