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Aristote et Confucius considèrent le juste milieu comme l’objectif à atteindre

Chapitre I. La comparaison entre l’éthique d’Aristote et celle de Confucius

I. Les idées principales de l’éthique d’Aristote

2. Aristote et Confucius considèrent le juste milieu comme l’objectif à atteindre

D’après Aristote, tous les hommes cherchent le bonheur et le considère, en général, comme le but de leur vie. « Le bonheur est l’activité de l’âme conforme avec la vertu ». Il divise la vertu en vertu intellectuelle et vertu morale.

Le bonheur de l’homme consiste à se perfectionner et c’est une méditation sur la divinité et l’éternité. Et il attache donc plus d’importance à la vertu morale. Parce que la vertu morale est liée à la vie quotidienne, on l’obtient par des pratiques régulières. La vertu intellectuelle provient en majeure partie de l’instruction dont elle a besoin pour se manifester et se développer.

L’explication de la vertu morale d’Aristote se divise en trois parties : son origine, sa particularité constitutive et son mode de fonctionnement. Nous examinerons les deux premiers points évoqués.

Pour l’origine, on peut généraliser sa réponse. Nous possédons la vertu en nous par la nature et elle se forme par des habitudes.

Pour le deuxième point concernant la particularité constitutive, Aristote détermine que la vertu est une habitude et une conduite. Il ne considère pas la vertu comme les deux autres éléments constitutifs de l’âme humaine : le sentiment et l’instinct. Il la considère en tant que la vertu de l’habitude et de la conduite qui permet à l’homme de

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devenir un homme de bien. C’est-à-dire que la vertu est cette disposition par laquelle un homme devient bon et par laquelle son œuvre (ergon) propre sera rendue bonne. La vertu est une action de l’homme qui peut se maîtriser par la raison, une vertu se comprend toujours entre son défaut et son excès. La vertu est toujours affaire de mesure ou d’équilibre. En conséquence, le juste milieu est le plus haut objectif de la vie.

Selon Confucius, l’objectif de la vie consiste pour l’homme à chercher « la Voie », soit la bonne voie de vie pour chaque homme. Mais cultiver la vertu est aussi important : « tendez votre volonté vers la Voie, fondez-vous sur la Vertu ». 116

« Celui qui s’en tient à la Vertu, mais dans des limites étroites, qui est fidèle à la Voie,

mais avec hésitation, doit-il être compté pour quelque chose, doit-il être compté pour rien ? ». 117

Confucius met l’accent sur la formation à la vertu, formation à laquelle il attache de l’importance. « Ce qui me préoccupe, c’est de ne pas m’appliquer à cultiver la Vertu,

de ne pas enseigner ce que j’ai étudié, d’entendre parler de justice sans pouvoir l’appliquer et de ne pouvoir me corriger de mes défauts». 118

Le lien entre la Voie et la Vertu a été présenté dans l’œuvre Dao De Jing (chapitre 51 et chapitre 21 du Livre de la voie et de la vertu) : « Le Dao produit les êtres, la Vertu

les nourrit. C’est pourquoi tous les êtres révèrent le Dao et honorent la Vertu » -

« Les formes visibles de la grande Vertu émanent uniquement du Dao ». 119

Dans le chapitre XXVII du livre Zhong Yong, l’Invariable Milieu, il y a une affirmation : la vertu est une manifestation du Dao, la vertu est aussi la force du Dao :

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Lun yu (Les Entretiens de Confucius), trad. S. Couvreur, Chap. VII.6.

117

Ibid., Chap.XIX.2.

118

Ibid., Chap. VII.3.

119

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« On dit que sans un homme parfaitement vertueux, la vertu parfaite n’est pas

pratiquée ». Confucius considère que pour l’homme la recherche de la Voie est

identique à la recherche de la Vertu.

Confucius précise également que la vertu la plus haute est le juste milieu même il est très difficile de l’obtenir. Pour lui : « un homme peut être assez sage pour gouverner

l’empire et des principautés, assez désintéressé pour refuser des dignités avec leurs revenus, assez courageux pour marcher sur des épées nues et n’être pas capable de se tenir dans l’invariable milieu ».120

Cette citation prouve toutes les difficultés rencontrées pour atteindre l’invariable milieu. Pourtant Confucius a raison. « Gouverner l’empire et des principautés » : afin de bien gouverner un pays, il faut le gouverner sur la base de l’égalité et de la paix. Il faut reconnaîte que c’est difficile et que seul un nombre infime de grands hommes comme Yao et Shun ont pu y arriver. (La légende raconte que Yao était le descendant de l’empereur Huangdi, considéré comme le fondateur de la nation Huaxia. Intelligent et bon, Yao fut respecté par son peuple. Puis, il a ressenti la nécessité de choisir son successeur. Après soixante-dix ans de son règne, Il organisa alors une sélection ouverte dans toute la tribu pour choisir son successeur. De nombreux chefs régionaux lui recommandèrent Shun pour sa piété et sa bonne gestion des affaires familiales. Après trois ans d’épreuves, il céda sa place à Shun.)

« Assez désintéressé pour refuser des dignités avec leurs revenus », pour un homme ordinaire il est difficile de résister à la tentation des honneurs et de la richesse.

« Assez courageux pour marcher sur des épées nues », un homme est prêt à faire tous les sacrifices possibles pour un proche, un soldat est prêt à rester impassible devant la mort, mais cette attitude reste très difficile pour tout le monde.

Par ces exemples, Confucius veut insister sur la difficulté pour l’homme d’atteindre le juste milieu. Pour Confucius, le juste milieu reste l’objectif à atteindre.

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133 3. le point de vue de Confucius et d’Aristote sur l’esprit intellectuel

Chez Aristote, le juste milieu, en tant que la vertu la plus noble, a un lien avec la raison. Le juste milieu est un objectif de recherche pour un homme raisonnable. Mais le processus de recherche de ce juste milieu consiste pour l’homme dans une réflexion rationnelle entre avoir raison et avoir tort, entre excès et défaut. «La vertu est une

disposition à agir d’une façon délibérée, consistant en une médiété relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée et comme le déterminerait l’homme prudent

» 121

Sans processus de réflexion rationnelle et sans capacité de choix rationnel, le juste milieu est un objectif irréalisable. En conséquence, Aristote divise la vertu en vertus intellectuelle et morale, ayant un lien très étroit. Cela montre que le traité de la morale et le traité des connaissances sont bien présents dans la théorie du juste milieu d’Aristote. Cette unification de la morale et de l’intelligence a été représentée dans la théorie du juste milieu chez les confucianistes.

En effet, parmi les doctrines du confucianisme, c’est l’esprit intellectuel qui représente le mieux le concept du juste milieu. Dans « La Suprême Vertu » que le confucianisme préconise, le processus pour utiliser la méthode de juste milieu, est un processus pour exercer ses facultés intellectuelles. Il y a trois citations de Confucius qui ont bien expliqué le lien entre les connaissances et le juste milieu : « est-ce que

j’ai beaucoup de science ? Je n’ai pas de science. Mais quand un homme de la plus humble condition m’interroge, je discute la question sans préjugés, d’un bout à l’autre, sans rien omettre». 122

« De même, chacun dit : je connais parfaitement la voie de la vertu. On sait trouver

l’invariable milieu, mais on n’y peut persévérer l’espace d’un mois ».123

121 Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre II.6.1107a.

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Lun Yu (Les Entretiens de Confucius), trad. S. Couvreur, Chap. IX.7.

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Confucius ajoute : « que Shun était prudent ! Il aimait à interroger, il aimait à peser

toutes les propositions qu’il entendait, même les plus simples. Il taisait ce qu’elles avaient de faux et publiait ce qu’elles avaient de bon. Dans les bons avis, il considérait les deux extrêmes et choisissait le milieu pour s’en servir à l’égard du peuple. Oh ! c’est par ce moyen qu’il est devenu le grand Shun ! ». 124

Toutes les citations ci-dessus soulignent que le concept de juste milieu est l’équilibre entre, d’un côté, l’évaluation pour choisir le milieu entre deux extrêmes et d’un autre côté, la pratique pour utiliser la méthode moyenne en évitant les extrêmes. Le juste milieu contient les connaissances de la sagesse, de « l’ignorance » aux « grandes connaissances ». Cela montre que la pensée de l’éthique chinoise ne manque pas de contenu des connaissances.

Les différences entre la pensée de juste milieu d’Aristote et celle de Confucius

Malgré quelques points communs sur le concept de juste milieu, Confucius et Aristote vivent tous les deux dans un environnement tout à fait différent, au niveau historique, social, culturel. Il en résulte donc, sur le sujet, des différences sur leur mode de pensée.

1). Confucius, dans le juste milieu, attache de l’importance à la nature humaine. Aristote, dans le juste milieu, insiste plutôt sur l’acquisition des connaissances.

Faire cas de l’étude de la nature humaine est une caractéristique majeure de la philosophie antique chinoise, elle s’est reflétée sur l’éthique. Pour Confucius, la nature humaine est naturelle : « la loi que le Ciel a mise dans le cœur de l’homme

s’appelle la loi naturelle ».125

La nature humaine et la nature du ciel sont liées. Il pense que l’invariable milieu ou juste milieu reflète non seulement la nature humaine,

124

Ibid., Chap.VI.

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mais aussi la nature du ciel.

D’après lui, selon le concept de zhong xing (中行), il faut être respectueux des valeurs morales principales, comme la bienveillance, la justice, l’étiquette, la sagesse, la fidélité. Il faut que la nature humaine se tienne dans le juste milieu, ni en excès, ni en insuffisance. Et on peut être sur la bonne voie octroyée par le ciel. Ici, zhong 中 signifie équilibre. « L’équilibre est le point de départ de toutes les transformations et

de tous les changements qui s’opèrent dans l’univers ».126 Selon Confucius, si un homme peut atteindre le niveau suprême du sage, il sait alors utiliser le principe de

zhong xing, il sera capable de réaliser complètement la nature humaine que le ciel lui

a donnée.

Il semble que le contenu de la nature humaine ait été moins présent dans la pensée du juste milieu d’Aristote dans laquelle il y a plus d’éléments sur l’acquisition des connaissances. La tradition de la culture grecque antique considère depuis toujours la recherche des connaissances comme l’objectif fondamental de la culture académique. Les prédécesseurs d’Aristote, comme Socrate et Platon, pensent que la vertu est une connaissance. Aristote dit également : « tous les hommes désirent naturellement savoir ». « La vertu est un juste milieu qui a des visées sur la recherche des connaissances ».Pour Aristote, toute connaissance est bonne à prendre et à apprendre : il est pour un savoir encyclopédique. Le juste milieu existe toujours dans les choses de l’univers et dans les relations sociales. Le juste milieu peut être trouvé et être appris, le processus de la recherche du juste milieu est une manifestation de vertu chez un homme cultivé, c’est aussi un processus pour acquérir davantage de savoirs. L’élément de l’acquisition des connaissances de juste milieu a été développé avec précision.

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136 2). L’importance de la loi et l’importance de la vertu

L’éthique d’Aristote est une partie de sa politique et ses idées éthiques ont un lien interne avec le régime démocratique d’Athènes et de la Grèce antique. Une de ses caractéristiques principales est que l’on combine le juste milieu avec la loi. Le juste milieu d’Aristote c’est avant tout la recherche de la justice. Il précise que la justice est une norme de juste milieu : « la justice est, pour Aristote, une vertu complète,...,La justice contient tous les autres vertus ». « La justice politique consiste à se conformer aux lois ».

Le rapport étroit entre le juste milieu et la loi manifeste bien la relation interne entre la théorie du juste milieu d’Aristote et la loi.

Par contre, le confucianisme met surtout l’accent sur le pouvoir de la vertu, il s’oppose au pouvoir de la loi. Le confucianisme considère le juste milieu comme une vertu des rites de l’éthique, il met l’accent sur la vertu d’humanité.

Tout à bord, « la vertu d’humanité, c’est pour revenir aux rites de la courtoisie » -chapitre XII.1 Et puis, «gouverner, c’est maintenir dans la voie droite».127

Le souverain du pays doit être un exemple pour le peuple par sa conduite exemplaire. Pour gouverner un pays, il faut se conformer aux rites de la société. D’après Confucius, la meilleure méthode pour administrer le peuple d’un pays est la suivante : « si le prince conduit le peuple au moyen des lois et le retient dans l’unité au moyen

des châtiments, le peuple s’abstient de mal faire, mais il ne connaît aucune honte. Si le prince dirige le peuple par la Vertu et fait régner l’union grâce aux rites, le peuple a honte de mal faire et devient vertueux ».128 Cette citation montre que les législateurs doivent non seulement édicter des lois afin d’empêcher les crimes mais qu’il faut aussi encourager les individus à se parfaire pour avoir un bon sens moral.

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Lun yu (Les Entretiens de Confucius), trad. S. Couvreur, Chap.XII.16.

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Pour Confucius, l’objectif et l’intérêt de la politique sont d’abord de l’ordre de la démonstration morale.

On peut constater que le juste milieu prôné par Aristote et par Confucius présentent beaucoup de similitudes. Mais des nuances doivent être relevées car la méthode de recherche des deux penseurs est différente. Aristote met l’accent sur l’analyse et, dans son œuvre, il ne manque pas non plus d’argumenter ses points de vue. Mais sur ce point, Confucius néglige les analyses précises et tend plutôt à une observation généraliste.

4. Les différentes interprétations en chinois du sens du mot vertu : de et ren (la