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L’introduction de la théorie aristotélicienne de la causalité

La théorie de la causalité est une des plus importantes théories de la philosophie d’Aristote, elle est une synthèse et un résumé de la philosophie antique grecque. La philosophie est la recherche des principes et des causes du Monde. En cherchant la cause du mouvement de toutes les choses dans l’univers, Aristote considère « la cause » comme la raison pour expliquer le « pourquoi ». « La cause » c’est « ce qui est à l’origine de quelque chose », la philosophie est une recherche des causes du monde, Aristote désigne quatre types de causes :

1. La cause matérielle, ce qui est dans une chose et ce dont elle provient, 2. La cause formelle: la forme et le modèle des choses,

3. La cause efficiente : le principe premier d’où vient le mouvement ou le repos,

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4. La cause finale qui signifie la fin le but. Et c’est alors le pourquoi de la chose. De plus, il déclare qu’il existe un classement générique des causes rapprochant la cause formelle et la cause efficiente. Aristote croit que tous les objets sont constitués de matière et de forme, la matière étant ce dont les choses sont faites, la forme étant les caractéristiques de chaque chose. La matière et la forme sont donc des questions importantes.

Mais, la recherche philosophique d’Aristote manque de justesse. En recherchant la cause finale, il confond le processus naturel avec le processus humain. Pour la recherche de la cause efficiente, il décrit un «premier moteur», un être divin qui met l’Univers en mouvement. Il pense que l’existence d’un tel être est indispensable pour pouvoir expliquer tous les mouvements du monde naturel. Donc la cause efficiente est identique à la cause finale et à la cause formelle.

La scolastique médiévale a été très influencée par ce point de vue d’Aristote. Lors de la diffusion en Chine du christianisme par les missionnaires, en plus des idées des philosophes scolastiques, ils ont ajouté l’idée que Dieu est le créateur de l’univers et ont mentionné la théorie des quatre causes d’Aristote.

Dans le premier chapitre d’un livre Tian zhu shi yi (La vraie idée de Dieu) de Matteo Ricci, la théorie des quatre causes est un argument convaincant pour démontrer que le Maître du Ciel a créé d’abord le Ciel, la Terre et les Dix-mille êtres, qu’il dirige et entretient. Comme preuves de son existence, il a dit : il faut d’abord connaître qui est à l’origine de toute chose du monde, il est nécessaire de remonter à la théorie des quatre causes d’Aristote, parce qu’il y a quatre causes pour expliquer cette question.

试论物之所以然有四焉。四者为何?有作者,有模者,有质者,有为者。夫作者, 造其物而施之为物也;模者,状其物至于本伦,另之于他类也;质者,物之本来 体质所以受模者也;为者,定物之所向所用也。

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(Quelles sont ces quatre causes ? La cause efficiente, la cause formelle, la cause

matérielle et la cause finale. La cause efficiente, c’est quelqu’un qui a créé quelque chose et rend cette chose utile, la cause formelle, la forme d’une chose, différente d’autre choses, la cause matérielle, ce dont une chose est faite, la cause finale, la fonction d’une chose). 29

Et puis il donne un exemple : un chariot. C’est l’homme qui a créé un chariot, la structure de la roue est la cause formelle, la cause matérielle est constituée du bois, la cause finale est pour transporter les gens.

Matteo Ricci a un point de vue plus abstrait sur les idées de matière et de forme d’Aristote. Il s’appuie sur la théorie des quatre causes et démontre l’existence de Dieu. A ce sujet, il indique :

天下无有一物不见此四者者;四之中,其模者,质者此二者在物之内,为物之本 分,或谓阴阳是也;作者,为者,以二者在物之外,超于物之先着也,不能为物 之本分。

(Il n’y a aucune chose qui ne concerne pas ces quatre causes. Parmi ces quatre causes, la cause formelle et la cause matérielle existent dans l’intérieur d’une chose, ce sont deux parties inhérentes, comme yin et yang dans la philosophie chinoise. La cause efficiente et la cause finale sont hors d’une chose et précèdent de l’existence de cette chose, donc ces deux causes ne sont pas inhérentes).30 Quelle est la cause extérieure et précédente de l’existence de toutes choses ? Evidemment, c’est Dieu qui est à la base de tout.

Andrea-Giovanni Lubelli (1610-1683), jésuite italien, qui a rapporté la théorie des quatre causes sous l’angle de la scolastique de Thomas d’Aquin dans son œuvre Zhen

fu zhi zhi, écrit :

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Matteo Ricci, Tian zhu shi yi (La vraie idée de Dieu), op.cit., Zhu Weizheng, Recueil des

traductions en chinois de Matteo Ricci, p.12. Traduction personnelle.

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天地参杂,万物材料,不过是物之元质,在各物内能受万模,无模不能存。譬如 一所房屋,木料砖瓦,此是质者;前堂后堂,此是模样;必另外还有工匠造成, 所以天地万物具有元质,又各物有各物之本模,另外有造成之者。而元质模样等, 亦皆由造成之者造来。

(L’univers est l’ensemble de tout ce qui existe, l’ensemble de la matière soit ce que

Dieu a utilisé pour créer le monde. Un objet contient plusieurs formes possibles et tous les changements de la nature impliquent la transformation de quelque chose de potentiel en une forme réelle : cet objet ne peut pas exister sans forme. Ainsi, la maison, les bois de construction, les briques et les tuiles sont des matériaux. La salle principale et les chambres représentent la forme structurale. Ce sont les ouvriers qui les ont construites. Toutes les choses sont faites de matière, chaque chose possède sa forme, et il y a un créateur qui les a produites. Et la matière et la forme ont été construites par ce créateur aussi.)31 Ici, Dieu est finalement « le premier moteur » et « le créateur », la métaphysique d’Aristote se joint organiquement à la théologie médiévale.

Le fait que les missionnaires introduisent la théorie des quatre causes d’Aristote en Chine est historiquement signifiant.

Tout d’abord, la théorie des quatre causes est vraiment représentative de la philosophie grecque. Cette classification entre la matière et la forme est un mode de pensée abstrait de la philosophie occidentale. Dans la philosophie occidentale, concernant la question de l’origine, il faut remonter à l’origine des espèces par voie de sélection naturelle. En effet, c’est une étude objective sur la nature, l’humanité est exclue de la nature. La théorie de quatre causes est une étape primaire du développement de cette pensée. Après le Moyen Âge, malgré sa présence dans la scolastique, cet esprit rationnel a connu des changements. Il n’a jamais été perdu et la position de la question de l’âme a fait une distinction naturelle entre l’homme et le corps. Surtout dans la philosophie de

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Zhang Xiping, zhong guo yu ou zhou zao qi zong jiao he zhe xue jiao liu shi (l'Histoire des

premiers échanges religieux et philosophiques sino-européens), Pékin, dongfang chubanshe, 2001,

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Thomas d’Aquin, la raison existe dans l’enveloppe de la religion, la croyance apparaît sous la forme de l’épistémologie.

La philosophie chinoise et la philosophie occidentale ont des directions différentes. Dans le respect des idées éthiques qui caractérisent la philosophie chinoise, le centre du confucianisme est « la bienveillance ». Mencius élève cette idée, au niveau philosophique et écrit : « ce qui différencie l’homme de l’animal est infime. Le commun

des gens le délaisse, l’homme de bien le préserve. Shun comprenait clairement les principes de toutes les choses et discernait à fond les règles des relations humaines. Ses actes provenaient de sa bienveillance et de son sens du devoir : ils n’étaient pas une mise en pratique de ces vertus ».32 (“人之所以异于禽兽者几希?庶民去之,君子

存之。舜明于庶物,察於人伦,由仁义行,非行仁义也。”(《孟子 离娄下》)

Selon Mencius, « l’homme a la loi naturelle gravée dans son cœur, mais s’il est bien

nourri, bien vêtu et bien logé, s’il demeure dans l’oisiveté et ne reçoit aucune instruction, il se rapproche de la bête. Les très sages empereurs (Yao et Shun) ont eu à cœur l’instruction du peuple. Ils ont nommé Qi, ministre de l’instruction et l’ont chargé d’enseigner les devoirs mutuels, afin qu’il y eût affection entre le père et le fils, justice entre le prince et le sujet, distinction entre le mari et la femme, gradation entre les personnes de différents âges, fidélité entre les amis ». 33 (Le mari s’occupe des affaires

extérieures, la femme, des affaires domestiques, le mari commande, la femme obéit. Les plus jeunes témoignent leur respect à ceux qui sont plus âgés qu’eux et leur cèdent les premières places). (“人之有道也,饱食,暖衣,逸居而无教,则近於禽兽。圣人

有忧之,使契为司徒,教人以人伦,父子有亲,君臣有义,夫妇有别,长幼有序, 朋友有信。”(《孟子 滕文公上》)

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Cf. Du Si shu da quan shuo IX, Mengzi, Lilou xia 14, p. 1023

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Op.cit., Les quatre livres. IV Œuvres de Meng tzeu, trad.Séraphin COUVREUR, Teng wen

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Evidemment, les philosophes chinois attachent de l’importance à la relation entre les hommes, la société est leur élément principal, mais la nature est une partie adjuvante de leur philosophie. Par contre, la philosophie occidentale est axée sur la relation entre les hommes et la nature. En plus de l’existence humaine, l’interrogation approfondie et la méditation sur la nature, les recherches sur l’essence de toutes les choses sont l’âme de la philosophie occidentale. Les jésuites ont introduit cette caractéristique de la philosophie occidentale, en Chine, en présentant la théorie des quatre causes. Cette théorie a beaucoup choqué les penseurs chinois. En effet, la théorie de la causalité qui touche à la nature, sans le facteur humain, il s’agit-là d’un point de vue qui n’existe pas dans la culture confucianiste traditionnelle, en Chine.

La théorie des quatre causalités se caractérise par la recherche des origines de toutes les choses dans l’univers. Elle est tout à fait différente de la culture chinoise qui met un accent particulier sur les relations humaines et l’éthique. Cette théorie est la première ontologie, en Occident.

Comme les jésuites se sont bien acculturés, en Chine, ils y ont introduit la philosophie occidentale en y ajoutant de la culture chinoise afin que les lettrés chinois puissent mieux la comprendre et l’accepter. Quand, par exemple, Ferdinand Verbiest présente son œuvre Qiong li xue à l’empereur Kangxi, il précise : « les connaissances du

calendrier et de la philosophie sont les bases nécessaires pour apprendre les autres disciplines ». Mais il apprécie également la doctrine de Confucius et de Mencius. Il

écrit : « la doctrine de Confucius et de Mencius ne s’effacera jamais. Il faut avoir de

l’estime pour cette théorie, car les bonnes conduites éthiques sont les principes de l’humanité. Elles sont gravées dans le cœur des humains… ». 34

Les jésuites ont essayé de diffuser leurs idées en rapprochant deux cultures différentes pour permettre à de

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Jin cheng qiong li xue shu zou, voir Xu Zongze, Ming qing jian ye su hui shi ti yao (Catalogue des œuvres traduites par les Jésuites pendant les Ming et les Qing), Shanghai, shiji chuban jituan,

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nombreux intellectuels chinois de mieux découvrir et d’apprendre la philosophie occidentale.