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Le complot communiste : l’AIT au banc des accusés

Dans le document Discours et imaginaires de la Commune (Page 83-86)

28 La trame la plus structurante est toutefois celle du complot et

notamment du complot de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT). Dans sa circulaire déjà citée du 6 juin, Jules Favre en jouait : « À côté des jacobins parodistes qui ont eu la prétention d’établir un système politique, il faut placer les chefs d’une société maintenant tristement célèbre, qu’on appelle l’INTERNATIONALE, et dont l’action a peut-être été plus puissante que celle de leurs complices, parce qu’elle s’est appuyée sur le nombre, la discipline et

le cosmopolitisme. » Le caractère fictif de la dénonciation est là aussi établi  : si les membres parisiens de l’AIT ont joué un rôle certain dans le conseil de la Commune ou dans l’encadrement de la garde nationale, ils ont toujours mobilisé d’autres appartenances et identités. Par ailleurs l’AIT n’a jamais été secrète et le conseil général a longtemps hésité avant d’intervenir, faute d’information mais aussi par prudence. En aucun cas donc, la Commune ne peut sembler l’émanation de la branche française de l’AIT. Thiers lui-même avait parlé à ce sujet d’exagération lors de l’enquête parlementaire sur le 18 mars 49 .

29 Mais la collusion des images s’impose un peu partout. « L’AIT, qui est

aujourd’hui la préoccupation du monde entier se confond avec la Commune. Donc ce que nous disons de l’un vaut pour l’autre  », résume El Monitor republican 50 . La confusion est même plus

générale  : le conseil général de l’AIT à Londres et l’Alliance internationale de la démocratie socialiste de Bakounine, pourtant en conflit, sont souvent considérés ensemble 51 , mais se trouvent

associées aussi la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes des années 1850 comme la Marianne. Ces liens ne sont pas toujours dépourvus de fondements : les francs-maçons sont bien intervenus en faveur de la Commune le 29 avril. Mais ils fonctionnent le plus souvent de manière analogique : pour Paul de Saint-Victor, auteur d’un des pamphlets les plus virulents, la Commune est tout simplement la «  franc-maçonnerie du crime 52   ». En France, la

période d’activité des sociétés secrètes et des conspirations politiques est achevée, mais pas celle de l’imaginaire qui leur est associé 53 . Les fonctions de ce dernier sont bien connues (en

rappelant qu’existent parfois de réels complots) : le complot opère un partage dans la complexité du réel en désignant un ennemi commun, qui invite en retour à promouvoir une forme d’unité, fût-

elle temporaire. Il permet ainsi d’« excuser » le peuple après coup, de rendre intelligible l’évènement et de le faire facilement partager

54 .

30 La liste des comploteurs désignés recoupe généralement celle des

ennemis (le criminel, l’étranger…), exception faite des femmes. Mais le plus souvent il est censé être ourdi par les socialistes ou les « communistes ». « Die Roten », « The Reds » font partie des fréquents titres dans la presse internationale. Ces meneurs retrouvent alors des traits déjà utilisés pour disqualifier les insurgés de 1793, 1830 ou 1848 : ils sont des « partageux » et voleurs qui trompent le peuple avec de belles paroles. Reprenant des arguments éculés, hommes politiques et journalistes insistent sur le fait que ces « rouges » ne respectent pas la propriété et que, sous couvert d’égalité absolue, ils menacent le revenu du travailleur consciencieux. Tout un travail de réévaluation des mots accompagne cette dénonciation, notamment autour de celui de « liberté » : « Leur liberté est le vol et le meurtre, leur égalité dans le vice, et leur fraternité celle de démons », résume le canadien New Westminster Mainland Guardian 55 . Cette

réaffirmation de la «  véritable liberté  » s’oppose bien sûr à la « fausse », celle de la république démocratique et sociale et qui était précisément pour ses promoteurs la seule « vraie » parce que jugée réellement émancipatrice. La lutte sur le sens des mots identifiée par Michèle Riot-Sarcey joue aussi à cette échelle 56 .

31 Point là un imaginaire qu’on ne peut qualifier autrement que de

bourgeois et de libéral, au sens où il est attaché au respect de la propriété, de la transparence, de la modération des élans, du droit et des libertés politiques et économiques. Il couvre un large spectre puisque si des voix discordantes s’expriment, cet imaginaire apparaît sous une grande variété de formes et d’effets de prudence dans la presse monarchiste et religieuse, dans les journaux libéraux,

républicains, radicaux, et même parfois dans les titres ouvriers et socialistes, soucieux de se démarquer de la Commune (du moins de cet aspect) pour manifester leur sérieux. Il s’affirme en cette occasion comme une référence minimale et opératoire à cette grande échelle.

32 Ce faisant, ces débats reprennent bien des éléments des précédentes

révolutions et contre-révolutions. Deux traits toutefois les distinguent. Leur dimension consensuelle d’abord. Les grandes révolutions et insurrections précédentes ont fait naître des débats plus clivés. Ce caractère est sans doute lié ici à la dimension plus sociale de la Commune ainsi qu’aux effets médiatiques mentionnés. L’autre particularité est cette idée d’un caractère organisé et international du mouvement révolutionnaire  : elle indique au sein de ces sociétés une conscience accrue de la globalité et la peur devant ce qui semblent de nouveaux types de menaces. S’amusant du fait, les historiens du mouvement ouvrier ont même noté que cet imaginaire précédait la plus grande structuration des mouvements dans les années 1880 et qu’il en a sans doute été un acteur, certes involontaire 57 .

Dans le document Discours et imaginaires de la Commune (Page 83-86)