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CHAPITRE 4 – PROFILS BÉNÉVOLES

3. Portraits

3.8 Laure

Le bénévolat comme la liberté de faire ce qu’on aime, sans les contraintes du travail salarié

Le père de Laure, très âgé actuellement, est irakien. Il est arrivé en Suisse dans les années cinquante pour fuir les persécutions contre les juifs dans son pays natal. Il est horloger et tenait une petite bijouterie de quartier. Il s’est formé sur le tas et n’a pas fait d’études. Laure n’a jamais été très proche de son père, mais ils sont toujours restés en contact. Elle n’admire pas beaucoup cet homme, qui d’après elle, est toujours en décalage et qui a de la peine à suivre les discussions. La mère de Laure est décédée il y a quelques années, elle était suisse-allemande et travaillait comme libraire.

C’était une femme très dépressive. Laure, sa sœur de deux ans son aînée et leur mère étaient très soudées, souvent au détriment du père. Le couple parental s’entend très mal, Laure grandit dans un climat conflictuel. Elle décrit une enfance déséquilibrée, mais pas malheureuse. La famille est assez serrée financièrement et part peu en vacances. Laure a de la facilité à l’école, mais n’est que peu encouragée par ses parents. Sa mère était allergique aux universitaires, tandis que son père la poussait ainsi que sa sœur à aller loin. Les filles étant loyales envers leur mère et le père n’ayant que peu de place et d’influence au sein de la famille, elles n’ont pas fait d’études, ni l’une ni l’autre.

Lorsque Laure a 16 ans, l’ambiance familiale devient tellement lourde qu’elle et sa sœur prennent un appartement. Peu de temps après, sa mère quitte le domicile familial et les parents divorcent. La famille vole en éclat mais tout le monde reste dans le même quartier et continue de se côtoyer.

Plus tard, Laure aura une meilleure relation avec son père, car elle le verra avec des yeux d’adulte et non plus au travers du regard de sa mère. Ce rapprochement se fait surtout par le biais de la culture de son père et par sa famille. Laure est de confession juive. Petite, elle suit des cours de Talmud Torah, dont elle garde un très mauvais souvenir. Les autres enfants ont plus de moyens financiers et sont issus des familles « de la place », ce qui n’est pas son cas. Elle se sent donc en décalage. Par contre, à la fin de l’adolescence, elle éprouve le besoin de renouer avec cette tradition, plus qu’avec la religion. Elle s’investit dans une association d’étudiants juifs qui œuvre surtout au niveau culturel.

Elle noue des liens également avec toute la famille du côté de son père, en Israël et au Canada. Elle évoque cette période comme une quête identitaire.

Laure a tout juste 15 ans lorsqu’elle entreprend un apprentissage de droguiste. C’est une histoire particulière qui débute quand elle a 13 ans. A cette époque, elle trouve un petit job pour des livraisons dans la droguerie de son quartier. La patronne est très maternelle et lui propose une place d’apprentie deux ans plus tard. Sa formation se passe très bien, elle aime les matières enseignées, qui sont d’ordre scientifique ainsi que le côté relation commerciale et conseil avec la clientèle. Elle est très proche de sa patronne. Avec du recul, elle dira qu’elle était peut-être un substitut familial lorsqu’elle a quitté ses parents. A l’issue de sa formation, il n’y a pas de poste disponible à la pharmacie, elle trouve donc du travail ailleurs, mais c’est une mauvaise expérience. Après une courte période de chômage, ponctué de petits jobs, son ancienne patronne lui propose d’être droguiste responsable. Elle a alors 20 ans, elle est responsable de trois apprenties et de deux droguistes. C’est elle qui gère la pharmacie, la patronne étant souvent absente. L’atmosphère très familiale de la droguerie, où tout le monde était un peu amis et où on mélangeait un peu trop sa vie privée et professionnelle se dégrade. Une des droguistes est ultra-sensible et supporte mal la responsabilité hiérarchique qu’a prise Laure. Le conflit entre les deux s’amplifie et s’étend à tout le personnel.

L’ambiance de travail devient atroce. Laure demande alors à sa patronne de prendre position et de décider qui doit partir. La patronne tranche : elle choisit la sensibilité de la collègue plutôt que le professionnalisme de Laure. Laure quitte donc la droguerie. C’est un épisode très dur, car ce n’était pas seulement une expérience professionnelle, elle avait des liens très forts avec cette patronne.

Celle-ci l’a d’ailleurs rappelée trois mois plus tard pour s’excuser et lui a demandé récemment de revenir travailler à la droguerie. Durant cinq ans, Laure n’arrivera pas à remettre un pied dans cette droguerie, puis un jour elle y est allée et a vidé son sac.

La suite de sa vie professionnelle se passe d’abord chez un grossiste, où elle n’a pas de responsabilités dans un premier temps, ce qui lui convient très bien après son expérience difficile à droguerie. Elle s’ennuie au bout de 6 mois et son poste évolue, mais après 6 ans, elle sent le besoin de voir ailleurs. Elle retrouve un emploi en tant que déléguée pharmaceutique pour un grand groupe.

C’est nouveau, ça lui plaît.

Quelques années plus tard, après plusieurs fausse-couches, elle donne naissance à sa fille. Elle sent à ce moment qu’elle doit repenser ses priorités. Au niveau professionnel, elle est moins motivée par son job de déléguée car il s’agit beaucoup de vente. Elle se rend compte que ça fait des années qu’elle n’est pas satisfaite professionnellement. Elle effectue un bilan de compétences qui lui donne confiance et qui lui permet de penser qu’elle peut faire autre chose. Elle entrevoit deux options à ce moment : partir dans les RH et se former dans le domaine ou entrer à l’université en psychologie.

Découragée par les obstacles pour entrer à l’université – elle n’a pas de maturité et devait passer des examens assez exigeants -, elle se lance dans un certificat RH. Se diriger vers les RH n’est pas venu par hasard. Depuis plusieurs années, elle s’intéresse à cette fonction qu’elle a pu observer dans ses différents postes. Elle démissionne pour se consacrer à sa réorientation professionnelle.

Durant quelques temps, elle cumule sa formation en RH, d’autres formations continues, en anglais notamment, et le soutien qu’elle porte auprès de sa mère malade. Elle essaie également d’avoir un deuxième enfant. En l’espace d’un mois, sa mère décède, Laure fait une nouvelle fausse-couche et elle passe ses examens du certificat RH.

Son certificat en poche, elle ne trouve pas de poste dans le domaine. Elle se tourne alors vers une plateforme de bénévolat pour voir ce qu’elle pourrait faire en lien avec les RH. C’est là qu’elle tombe sur une association qui aide des personnes en recherche d’emploi, souvent en situation précaire, à

rédiger leurs CV, leurs lettres de motivation ainsi que d’autres tâches administratives. Elle devient donc conseillère à cet endroit. Après quelques temps, elle intègre le comité de l’association et est ensuite rapidement nommée présidente.

Laure prend son rôle très à cœur, elle sait qu’elle est utile. Son profil complète bien les profils mixtes que l’on trouve dans les milieux associatifs. Cette activité bénévole lui permet de joindre l’utile à l’agréable. C’est d’ailleurs une dimension sur laquelle elle ne transige pas : il faut que le bénévolat plaise. Actuellement, elle est très satisfaite de son rythme de vie qu’elle trouve agréable, c’est un confort de vie. Elle a trouvé un bel équilibre, en travaillant dans un domaine qui lui plait et qui fait sens, mais sans avoir les contraintes de la vie salariée. Elle est très consciente qu’elle a la possibilité, la liberté de ne pas travailler car le revenu du ménage est suffisant et qu’elle a également une toute petite activité salariée pour gérer l’administration du cabinet de son mari qui est médecin.

Son entourage comprend majoritairement son choix et l’envie. Cependant, elle sent que certaines personnes commencent à s’interroger : ils comprenaient tout à fait une pause professionnelle, mais pas cet investissement conséquent qui se prolonge… Actuellement elle se définit comme « active dans le bénévolat » et non plus comme une droguiste ou déléguée médicale. Elle n’a pas besoin d’une reconnaissance professionnelle pour avoir une reconnaissance sociale, et c’est en partant dans le bénévolat qu’elle s’est rendue compte que l’on peut se détacher de la reconnaissance professionnelle. Elle est cependant consciente qu’elle a un statut au sein de son activité bénévole, étant présidente de l’association. Elle se projette soit complètement dans le bénévolat, soit dans les RH, mais dans une entreprise qui fait sens pour elle. Elle est enceinte de cinq mois, sa vie familiale ainsi qu’un rythme agréable sont ses priorités.

Pour elle, le bénévolat signifie liberté, et c’est également la liberté qu’elle évoque en parlant du pouvoir d’agir : c’est la liberté de pouvoir vraiment faire des choses, même si cette liberté a un certain cadre aussi.