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Ce chapitre s’appuie en grande partie sur les apports du cours « Analyse de données en compréhension : interactions discursives et construction d’une démarche de recherche » (MA752704) de Charmillot (2014) ainsi que sur le « Séminaire de préparation au mémoire » (MA7524DA/DB), d’Étienne Bourgeois et Janette Friedrich (2014).

1. P

OSTURES ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE

1.1 U

NE POSTURE COMPRÉHENSIVE

J’adopte une posture compréhensive pour ce travail de recherche. Cette posture accompagne ma démarche et ne se limite pas à des aspects méthodologiques. La compréhension, en sciences sociales, n’est ni une théorie, ni un concept. Il s’agit d’une posture ou d’une démarche que le chercheur va adopter pour appréhender le réel, c’est-à-dire ce qu’il y a à saisir, à comprendre.

La posture compréhensive est issue des théories de l’action qui considèrent l’individu en tant qu’acteur et agent. « L’humain est indissociablement agent et acteur, dans la mesure où il est tout à la fois produit et producteur du social » (Schurmans, 2001, p. 164). L’individu a un pouvoir d’action sur la réalité, mais il est également contraint par des structures ou des déterminants sociaux. Dans une perspective compréhensive, la réalité sociale est construite en permanence mais les déterminants sociaux sont également pris en compte. Le réel est donc issu de constructions socio-historiques.

Du point de vue épistémologique, on peut distinguer perspective compréhensive et perspective explicative, ou inductive et déductive. La manière d’aborder une recherche, et ceci à toutes les étapes, va être foncièrement différente en fonction de la posture choisie. Ainsi, comme mentionné plus haut, l’approche compréhensive n’est pas qu’une facette du travail d’analyse de données, mais une posture accompagnant toute la démarche de recherche.

La théorie ancrée est également associée à la compréhension. Il s’agit de partir du terrain et des données, et non d’hypothèses a priori à vérifier (logique de la preuve de la démarche explicative) et de produire une théorie à partir du terrain. En compréhension, on ne pose pas d’hypothèses a priori, il s’agit d’aller à la découverte de la réalité. La théorie aide à interpréter, à comprendre le réel, mais elle ne va pas le valider ou l’expliquer. En résumé, dans une perspective compréhensive, la théorie n’est pas appliquée aux données. J’aimerais ici reprendre ce que dit Becker (2002) à propos de celle-ci : « je me suis efforcé de dompter la théorie en la considérant comme un ensemble de ficelles, comme une collection de processus intellectuels qui aident les chercheurs à progresser lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes de recherche concrets » (p. 25). En résumé, la théorie n’explique pas le réel, elle peut par contre aider à le saisir et à lui donner du sens.

1.2 T

YPE DE RECHERCHE

Ma recherche est de type qualitatif41. Elle est basée sur huit entretiens semi-directifs. L’objet de recherche est orienté sur l’expérience bénévole des acteurs et surtout sur les significations que ces derniers attribuent à leur engagement, plutôt que sur leurs activités et pratiques mêmes. Au sein de cette expérience – que j’ai nommée parcours – je cherche à saisir le pouvoir d’agir. Selon la typologie de John Creswell (2007), ma recherche s’apparente à un type « phénoménologique »42. Je vais chercher à comprendre un phénomène (le pouvoir d’agir chez les bénévoles), mais je ne vais pas viser une quelconque représentativité ou généralisation, démarche inaccessible avec huit entretiens.

Cependant, je cherche à dégager des tendances, sans toutefois proposer de typologies des formes d’engagement ou de développement du pouvoir d’agir43.

1.3 D

IMENSION BIOGRAPHIQUE

La dimension biographique est également présente, dans le sens où il ne s’agit pas d’étudier un moment t d’un parcours, mais le développement des personnes interrogées sur le temps. À l’exception d’une approche longitudinale, seule une approche biographique permet d’appréhender – à mon avis – ce développement du pouvoir d’agir. L’approche proposée par Zimmermann (2008) va dans le même sens44 :

Centrer l’enquête sur les parcours biographiques et les moments de mise à l’épreuve des capacités en croisant dimensions institutionnelles, organisationnelles et biographiques. […]

Une telle perspective biographique décentre l’analyse par rapport au strict cadre de l’entreprise45. Elle donne accès aux préférences des personnes à un moment particulier de leur vie et à la façon dont elles identifient l’impact des données institutionnelles, organisationnelles et biographiques sur leur propre parcours. (p. 131)

Cette réflexion sur la prise en compte de la temporalité est aussi appuyée par Claude Dubar (2002), qui rappelle que les parcours homogènes sont de plus en plus rares, et que

les sphères d’activités, et donc les appartenances, sont multiples et que la définition de soi implique des choix entre ces sphères (professionnelles, domestiques, locales, militantes…) qui sont de moins en moins univoques. Toutes ces raisons impliquent qu’on prenne en compte la pluralité des temporalités impliquées dans les trajets personnels.

41 Qualitatif dans le sens où je ne me base pas sur des données statistiques. Mais comme le soulignent Maryvonne Charmillot et Caroline Dayer (2007), il ne faut pas prendre pour synonymes recherche qualitative et recherche compréhensive. Il est ainsi tout à fait possible de mener une recherche qualitative de type explicatif (voir à ce sujet les travaux de Lionel-Henri Groulx, 1999) mais ce n’est pas le cas de ce travail.

42 À ne pas confondre avec la phénoménologie, courant philosophique notamment porté par Edmund Husserl (1859-1938).

43Si je ne crée pas de typologie dans ce travail, je me base cependant sur certaines existantes comme celle de Fortin et al. (2007) ou de Simonet-Cusset (2004), pour m’aider à interpréter mes données.

44 L’enquête à laquelle fait référence Zimmermann comprend également un volet quantitatif et a une envergure qui dépasse largement ce qui est possible de réaliser dans le cadre d’un mémoire. Je n’investiguerai donc pas les aspects institutionnels ou organisationnels des associations, même si au travers de ce que les acteurs vont me dire, j’aurai également accès à certaines informations de ce type.

45 Dans cette citation, on peut aisément remplacer « entreprise » par « association », dans l’optique de ce mémoire.

Fillieule (2001) met aussi en avant une perspective biographique,

pour rendre compte du réseau continu d’interprétations subjectives qui guident la conduite des individus, pour autant que les raisons d’agir sont d’abord analysées en tant qu’elles nous renseignent sur le travail d’ajustement, à chaque étape de la carrière46, entre une décision subjective et les contraintes objectives. (p. 205)

1.3.1 INTERROGER LA NOTION DE PARCOURS

Quel terme utiliser pour évoquer le cheminement d’une personne, qui rende compte à la fois de sa composante biographique, mais également contextuelle ? J’ai oscillé entre « trajectoire » au début de ma démarche de recherche, puis ensuite « carrière », en m’inspirant de sa définition sociologique et de son emploi par Simonet-Cusset (2004, 2010), pour finalement arrêter mon choix à « parcours ».

Après ces allers et retours, c’est en définitive la notion qui me parait la plus juste pour exprimer les différentes dimensions de ces « chemins bénévoles ». C’est à partir de la conceptualisation de Zimmermann (2013, 2014) sur la notion de parcours que j’ai fait ce choix.

Zimmermann confronte la notion de parcours (mais en ne l’opposant pas) aux notions de trajectoire, de carrière et d’itinéraire. De manière très rapide, on peut résumer (i) la trajectoire au modèle balistique impliquant un chemin prédéterminé47 ; (ii) la carrière à une idée de construction, suivant des étapes hiérarchisées et pensées pour une pratique sociale comme le travail, le sport, mais aussi la délinquance (voir les travaux de Becker, 1985) et (iii) l’itinéraire comme différents points marquant un cheminement. Pour Zimmermann (2013), qui a abondamment exploré l’étymologie de ce terme48, le parcours est une notion « trait d’union » qui contient une « idée de continuité [qui] n’implique [cependant] ni linéarité, ni direction prédéterminée » (p. 53). Le parcours articule des enjeux de pouvoir (d’agir) et de vouloir (ou d’intentionnalité), il est

tributaire des ressources – personnelles, familiales et collectives – mobilisables dans [un] espace. De ce point de vue, il engage le pouvoir [d’agir] au sens de ce que chacun peut dans la position et la situation qui sont les siennes dans un espace donné. Enfin, il est tributaire de l’intention et de la volonté d’une personne singulière. De ce point de vue, il engage le vouloir. (p. 53)

Sur ce dernier point, il serait toutefois abusif de réduire un parcours à des choix personnels : les non-choix, mais aussi les hasards et les bricolages avec les moyens du bord en font aussi partie (p. 53).

Zimmermann souligne donc la dimension interactive du parcours : « C’est dans l’interaction entre des données personnelles [et subjectives] et un environnement, susceptible d’opposer résistances et contraintes ou au contraire d’offrir des ressources et supports collectifs, que se dessine un parcours » (pp. 53-54).

À cette dimension interactive s’ajoute une dimension réflexive, qui « englobe le travail de production de sens, de mise en cohérence et de justification qui scelle l’appropriation personnelle d’un parcours

46 Carrière au sens sociologique selon les travaux de Becker (1985).

47 « La notion de trajectoire, inspirée par le modèle balistique, renvoie dans la tradition sociologique, à une perspective déterministe » indique Jean-Claude Passeron (1990, p. 21, cité par Corteel & Zimmermann, 2007, p. 27).

48 Pour le développement étymologique, voir Zimmermann (2013, pp. 52-54 ; 2014, pp. 85-86).

et sa mise en forme pour soi-même et les autres » (p. 54). Ce travail réflexif engendre une reconstruction a posteriori qui renvoie aux travaux de Ricœur (1990) sur le récit.

À la différence de la notion de trajectoire, le parcours prend en compte les chemins transversaux et les changements de direction (choisis ou subis) (Zimmermann, 2013, p. 54). La carrière renvoie à la mobilité au sein d’un espace social défini, alors que le parcours met « l’accent sur une pluralité de rôles et d’identités possibles, sur les éventuels passages entre différents mondes » et « prend en compte la totalité de la personne et des espaces qu’elle traverse » (p. 55).

Si le parcours ne se limite pas à une succession d’évènements, mais intègre leurs interstices et la production de continuité, son analyse peut adéquatement mobiliser les outils d’une sociologie de l’expérience qui articule différentes temporalités – professionnelles, familiales, sociales… – dans le temps du récit biographique. (p. 56)

Ainsi, s’intéresser aux parcours, revient à prendre en compte les intentions d’une personne, les ressources et les contraintes de son environnement, mais aussi le sens donné par ces personnes à leur vécu. Les notions de trajectoire, de carrière, voire d’itinéraire ne s’excluent pas de la notion de parcours, mais peuvent y être intégrés, c’est en cela notamment que le terme parcours est un

« concept trait d’union » (p. 52).

2. P

RODUCTION DE DONNÉES

Dans le déroulement chronologique de mon processus de recherche, la production de données se situe au début. En effet, je voulais privilégier une démarche empirique avant de m’atteler sérieusement au cadre conceptuel. Dans la perspective de la théorie ancrée que je souhaite adopter, la théorie éclaire les données empiriques et permet de mieux les saisir, les comprendre, les interpréter. J’ai eu quelques craintes qu’en scellant trop vite mon cadre théorique, je risquais d’appliquer des concepts à ma base empirique et de m’éloigner ainsi d’une perspective compréhensive en privilégiant une démarche explicative.

2.1 E

NTRETIENS DE RECHERCHE

J’ai constitué mon corpus à partir d’entretiens. Ceux-ci sont de type « biographiques thématiques », c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de récits de vie à proprement parler. Ces entretiens sont concentrés autour de l’engagement bénévole et du développement du pouvoir d’agir. S’agissant de développement, le récit de la personne doit se déployer sur une certaine période. Le récit peut partir du monde associatif, mais des incursions sont fréquentes, et souhaitées dans d’autres sphères de la vie telles que le travail professionnel ou la famille. Je souhaite analyser comment se développe et se déploie le pouvoir d’agir en milieu bénévole, mais ce pouvoir d’agir ne doit pas ensuite rester cloisonné à ce contexte. Enfin, si je me concentre sur la période « engagement associatif », je reste ouverte à des retours antérieurs dans la vie de la personne. Si ces moments sont évoqués, c’est qu’ils font sens et qu’il faut les considérer. C’est aussi à ce titre que je peux convoquer cette perspective biographique, qui tient compte des parcours des personnes et qui permet de saisir en partie les orientations qu’elles ont suivies et ce qu’elles vivent hic et nunc.

Le chapitre 4 « Profils bénévoles » dresse le profil de mes informateurs. Dans ce qui suit directement,