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7 2 Langue ethnique : langue à tradition orale

CHAPITRE IV. REPRESENTATIONS DES LUSHOIS VIS-A-VIS DU FRANÇAIS ET DES LANGUES EN PRESENCE A

IV. 7 2 Langue ethnique : langue à tradition orale

Si le français est la langue de l’écrit et de l’oral, les langues ethniques sont essentiellement des langues à tradition orale au Congo. Il va de soi que la langue orale précède de la langue écrite, car l’oral existe avant l’écrit dans la communication entre les êtres humains. Selon Benveniste C-B et Jeanjean, (1997 : 22-43) « toutes les langues ont des formes orales, mais elles n’ont pas toutes des formes écrites : on peut parler des sociétés de l’ « oralité » ou des langues dites « sans écriture ». L’écrit et l’oral ne sont pas tout à fait identiques ; on peut dire que l’écrit est plus stable, autrement dit moins flexible et moins perméable aux changements linguistiques ». L’oral, pour sa part, change plus ; quelques-uns de ces changements sont temporaires, ce sont des formes « à la mode » qui disparaissent assez vite. Bref, l’oral joue le rôle d’un facteur évolutif dans le développement linguistique.

Il semble évident que la langue parlée et la langue écrite présentent de nombreuses différences syntaxiques et grammaticales. Ceci se vérifie par le fait que la syntaxe de l’oral est moins structurée (par comparaison à la norme linguistique); elle comporte notamment moins de subordonnées et plus de phrases incomplètes, tandis qu’à l’écrit, il est facile de trouver les formes déictiques ou d’organisateurs pragmatiques, des marqueurs métalinguistiques entre les énoncés et des phrases nominales lourdes des compléments. La langue parlée manifeste facilement plus d’hésitations, de répétitions, d’ellipses, de pauses et des faux départs, tandis que la langue écrite donne l’impression d’une précision plus poussée. Une phrase énoncée à l’oral peut avoir sa signification par le destinataire, mais à l’écrit, en revanche, il existe une exigence de « contextualisation de la référence en français écrit » qui découle « de la règle sociolinguistique plus générale de coopération » (Reichler- Béguelin et al. 1988 : 21-22).

Il est important de préciser qu’à Lubumbashi certains enfants apprennent simultanément le français et la langue ethnique de leurs parents.

La question posée à ce sujet est : Savez-vous écrire la langue de votre père ou de votre mère ? Les résultats sont partagés.

-variable sexe :

Réponses Femmes Hommes %

Oui 55 (14%) 100 (26%) 155 (40%)

Non 100 (26%) 132 (34%) 232 (60%)

Total 155 (40%) 232 (60%) 387 (100%)

Tableau 7 : la pratique des langues ethniques

Les enquêtés, constitués des élèves, sont peu nombreux à avoir déclaré pouvoir écrire leur langue ethnique. Il apparaît clairement dans le tableau que 40% des élèves savent écrire leur langue contre 60% qui ne le savent pas dont 14% des femmes et 26% des hommes savent écrire la langue de leurs parents, 26% des femmes contre 34% des hommes ne savent pas l’écrire.

On peut donc observer que les langues ethniques ne sont pas situées dans la culture de l’écrit comme peut l’être le français. L’absence de code orthographique établi rend difficile l’écriture des langues ethniques. Ecrire les langues ethniques reste rare voire impossible à Lubumbashi. Il n’existe, du reste, que peu de textes écrits. Les langues ethniques sont réputées présentes à l’oral dans l’environnement familial. Ces langues sont parlées par des vieux et rarement par des jeunes.

L’apprentissage du français a longtemps été dominé par l’écrit et la prévalence de l’écrit est typique au français. La différence qui pourrait exister entre l’écrit et l’oral va au-delà de la norme. La langue écrite et la langue orale s’opposent bien sur le plan syntaxique que morphologique et lexical à tel point qu’on peut aboutir à deux codes indépendants. Ils peuvent s’influencer mutuellement, mais la chose qui les différencie c’est qu’ils ont chacun leurs règles et leurs systèmes de fonctionnement. Le problème que pose l’oral est complexe. Il n’a pas été codifié comme l’écrit, tandis que l’écrit est codifié depuis longtemps à travers la grammaire. Cette grammaire est prescriptive et normative. Les variantes sont saisies comme des écarts qui sont tolérés, au pire considérés comme des fautes. La norme de l’écrit est circonscriptible, tandis que la norme de l’oral est plus complexe. Pour établir une véritable norme orale, il faudrait codifier non seulement la syntaxe, la morphologie et le lexique de l’oral mais aussi la prononciation. En se fondant sur l’argument de Girard et Lyche (2004) « la norme orale ne dispose pas de support objectif si ce ne sont les enregistrements, les

enquêtes, mais elle passe alors obligatoirement par le filtre auditif de l’enquêteur-auditeur. » Bref, si l’on reconnait à l’écrit une grande stabilité, la construction d’un corpus à l’oral s’avère bien plus problématique du fait de la constante évolution de l’objet étudié.

IV. 8. REPRÉSENTATIONS ET COMPORTEMENTS

Par « comportement », nous entendons non seulement la production du discours ou des textes parlés ou écrits, mais tout usage de la langue y compris la lecture et l’écoute.

La dynamique d’une langue en tant que comportement dépend de son utilisation. Plus une langue est pratiquée, plus elle devient utile, une langue non pratiquée devient inutile et également désuète selon Mackey (2000). Pour être pratiquée, il faut qu’une langue soit utilisable. Le fait qu’une langue soit utilisable dans un domaine ne veut pas dire qu’elle soit également utilisable dans d’autres domaines. Le comportement langagier n’est pas univoque. Certaines personnes parlent une langue qu’elles ne peuvent pas écrire et vice versa (Mackey, 2000).

En ce qui concerne les élèves, par exemple, le comportement linguistique en milieu scolaire est complexe. A l’école, on utilise la langue pour la langue, parfois avec l’espoir lointain de pouvoir s’en servir comme comportement extra-scolaire pourvu que l’on ait réussi à supporter de longues heures de pratique parfois ennuyeuse. En milieu extra-scolaire le comportement linguistique a souvent un effet social. En apprenant ce comportement linguistique dans ce milieu, on apprend ce qu’il faut dire dans une situation donnée et comment il faut le dire ; et on apprend tout cela ensemble comme unité de comportement social (Mackey, 2000 : 385).

Dans cette perspective, il est important de signaler l’impact de la conscience plurilingue sur le comportement langagier des élèves. Selon Kilanga (2010 : 83)

« un élève a appris le kihemba comme première langue en famille dans son village. A son entrée à l’école à l’âge de six ans, il apprend le kiswahili dans un centre rural à l’école primaire; à partir de la troisième année primaire, il apprend quelques rudiments de français; après sa sixième primaire, il se déplace pour le chef-lieu de sa province où il entre en contact avec les langues des autres groupes ethniques (le kibemba, le kiluba, le kisanga, le Ciluba). Au secondaire, il apprend le latin, le grec, l’anglais en plus du français ».

Le profil linguistique de cet élève est complexe et le plurilinguisme a un impact réel sur son comportement linguistique. Nous remarquons que cet élève a la maîtrise à la fin de ses études secondaires du français, kiswahili, kihemba, comprend l’anglais, le kibemba et partiellement le kiluba et le kisanga et maîtrise la culture gréco-latine. L’intéressé est conscient d’être le siège de plusieurs langues.

CONCLUSION PARTIELLE

Notre objectif dans la présente étude était de décrire les déclarations représentationnelles à travers les données fournies par les questionnaires et les entretiens des locuteurs lushois. Ces derniers valorisent ou stigmatisent leur langues ou la langue des autres et affirment qu’ils ne communiquent pas exclusivement en français ou en kiswahili, en public et dans la famille, et leurs pratiques sont bilingues. Dans ce sens, les réalisations langagières représentées par les Lushois sont issues d’un mélange des langues en présence. Dans le chapitre suivant les locuteurs lushois évalueront leurs pratiques langagières.

CHAPITRE V : ÉVALUATIONS DES PRATIQUES LANGAGIÈRES: