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1 2 Attitudes et representations

CHAPITRE II : CONSIDERATIONS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES

II. 1 2 Attitudes et representations

Les chercheurs sont unanimes pour considérer que les concepts d’ « attitude » et de « représentation » appartiennent à la psychologie sociale. Ces notions ont, seulement par la suite, été empruntées par les sociologues (où elles sont utilisées pour étudier et comprendre les sociétés traditionnelles), puis par les sociolinguistes et didacticiens de langues.

Nous nous proposons donc de passer en revue, dans un premier temps, les définitions offertes par les dictionnaires littéraires et généraux, et dans un second temps, les définitions des ouvrages et articles de psychologie sociale, de sociologie et enfin de linguistique.

II. 1. 2. 1. Attitudes

Cette notion a été introduite en psychologie sociale par Thomas et Znaniecki (1918)58 qui firent l’analyse de contenu de lettres et de récits de vie d’immigrants polonais arrivant aux États-Unis et en Europe. Ils relient valeurs sociales et attitudes psychologiques. Ils estiment que les conduites d’immigrants sont sous-tendues par des orientations communes envers certains objets clés de leurs vies (l’avenir, la famille …). Les premières sont considérées comme des éléments objectifs propres au mode de vie collectif et social d’un groupe et les secondes comme des tendances ou disposition à agir, mais propres aux individus membres de ce groupe.

La notion d’attitude est actuellement utilisée lors d’un sondage d’opinion, lors de recherches sociométriques ou lors d’expériences de laboratoire ou de terrain, pour ne citer que quelques contextes dans lesquels des attitudes sont étudiées.

Pour situer les recherches sur les représentations sociales, Doise (2007 : 241) a utilisé les grandes phases décrites par MC Guire (1985, 1986) comme point de repère. Car celui-ci a réussi à distinguer trois grandes périodes dans l’histoire des recherches sur les attitudes. Une première période (1920 et 1930) consacrée à la mesure des attitudes, une deuxième (1950-

1960) étudiant les processus de leur changement et une troisième utilisée actuellement pour développer une approche structurale et systémique des attitudes. L’attitude, en sciences sociales, est l’une des notions les plus importantes parmi celles qui sont examinées dans le champ de la psychologie sociale. Les définitions sont multiples en ce qui concerne ce concept. Selon les cas, c’est (plutôt) telle ou telle caractéristique qui a été plus spécialement mise en évidence. Dans ce contexte, et au terme de nos lectures qui y font référence, il nous est apparu que les différentes définitions, passées en revue, étaient insatisfaisantes.

Nous n’avons pas la prétention, dans les lignes qui suivent, de proposer une liste exhaustive des définitions mentionnées, depuis les premiers travaux jusqu’aux très récents, mais plutôt nous ferons référence à plusieurs d’entre elles afin d’approcher la notion dans toute sa complexité. Ainsi, ne faut-il pas voir dans les définitions qui seront proposées successivement une démarche d’inventaire, mais bien de construction progressive du sens autour de ce concept dont chaque propriété apparaît successivement dans différentes études. La diversité des points de vue nous apparait toujours comme une approche très utile pour mieux cerner la complexité de la réalité.

Thomas et Znaniecki (1918 : 23)59 estiment que « l’attitude est un mécanisme psychologique étudié principalement dans son déroulement par rapport au monde social et en conjonction avec les valeurs sociales ». Leur définition associe d’entrée « attitude » et « valeur » et fait référence, en filigrane, à un processus intrinsèque d’évaluation qui semble bien être central dans l’attitude. Mucchielli (2001 : 15) propose une définition qui nous paraît précise. Il définit l’attitude comme « un état d’esprit ou une prédisposition générale psychologique envers quelque chose ; cette prédisposition oriente dans un certain sens toutes les interactions avec l’objet en question. Les attitudes organisent des conduites et des comportements plus ou moins stables, mais ne peuvent pas être directement observées. Elles sont généralement associées et évaluées par rapport aux comportements qu’elles génèrent ».

Notre démarche dans cette recherche appliquée à la langue n’est pas éloignée de cette préoccupation. Nous nous efforçons de comprendre quelle attitude les Lushois ont par rapport à la langue française, à leurs langues et à celles des autres, afin de mieux discerner les raisons de leur choix, souvent fondé sur les représentations sociales par rapport à leur apprentissage.

II. 1. 2. 2. Représentations

La notion de représentation est au cœur de nombreuses recherches aujourd’hui, notamment en sociologie, en psychologie, en anthropologie et en histoire. Les chercheurs lui accordent différentes significations selon leurs attachements disciplinaires. C’est pourquoi toutes les sciences humaines ont recours à elle. Alors que la théorie de l’attribution devenait une pierre angulaire de la psychologie sociale américaine, un certain nombre de psychologues européens s’intéressent au sens commun, utilisant la notion de représentation sociale, un terme introduit en psychologie sociale par Moscovici (1961, 1976). Celui-ci s’est inspiré des représentations collectives de Durkheim (1895) pour parler à son tour des représentations sociales. Il définit les représentations comme étant une activité de connaissance grâce à laquelle se construisent le sens, le savoir et la vision du monde.

Dans cette perspective, on conçoit que les représentations sont acquises au sein de l’environnement social par l’influence de ce dernier sur le comportement d’un individu ou d’un groupe d’individus. La notion de représentation ayant été introduite dans le champ des sciences sociales. Les linguistes se sont naturellement emparés de cet instrument pour le tester dans leur champ. En linguistique et en didactique des langues, également, plusieurs courants ont recours à la notion de représentation.

Les sociolinguistes, en particulier, ont mené de nombreux travaux sur les attitudes et les représentations des sujets vis-à-vis des langues, de leur nature, de leur statut ou de leurs usages. L’emprunt de cette notion par les linguistes, les didacticiens, constitue en fait une véritable appropriation qui est aussi attesté par Boyer (2003 : 9), qui pense que « la notion de représentation, issue pour l’essentiel de la sociologie et de la psychologie sociale, est désormais devenue un concept transversal, que l’on retrouve dans plusieurs domaines des sciences de l’homme et de la société et qui a acquis, en particulier en (socio)linguistique et en didactique des langues-cultures (pour ce qui concerne plus précisément la démarche intellectuelle), un statut théorique de première importance ». La grande question qu’il faut se poser est celle de savoir pourquoi la représentation est sociale ?

Pour Guimelli (1994 : 12-13)60, la représentation est sociale parce qu’elle est d’abord, « le résultat d’un ensemble d’interactions sociales spécifiques, et ensuite, parce qu’elle est

60Cité par Castellotti et Moore (2002 : 9).

partagée par les individus du même groupe, et enfin parce qu’elle marque la spécificité de ce groupe ». Par ailleurs, les représentations se caractérisent, par leur caractère dynamique : « elles circulent, se croisent et se cristallisent à travers une parole, un geste une rencontre de notre univers quotidien » (Moscovici, 1972 : 12-13). Moscovici a classé les représentations sociales en trois piliers, comme suit : « une dimension structurale (la représentation est un ensemble organisé) ; une dimension attitudinale (position évaluative vis-à-vis de l’objet de représentation) et un niveau d’information détenu par l’individu à l’intérieur de son (ou ses) groupe(s) d’appartenance à propos d’un objet donné » (1961).

Nous considérons cette réflexion sur les représentations sociales comme un fondement pour notre recherche. Tel qu’il est étudié traditionnellement, le contenu de représentations sociales est varié. Quand un individu s’exprime, il a recours à des idées, des opinions, des images ou des croyances qui ont une ample diffusion dans la société. En effet, ce n’est qu’à travers les entretiens que les représentations sociales des locuteurs sont mises en avant.

Qu’est-ce que la « représentation linguistique »? Comment s’articule- t-elle dans le champ linguistique ? La représentation est un terme en usage chez les sociolinguistes et ne couvre pas la même réalité que celui d’attitude. Lafontaine (1986) l’a circonscrit aux évaluations positives et négatives du locuteur, ce que Canut (1998) appelle discours épilinguistique. Par attitude linguistiques, il faut entendre l’ensemble des manifestations

subjectives vis-à-vis des langues et des pratiques langagières (représentation, mimiques, intonation, gestuelle, … . Et par représentation linguistique, notion qu’elle oppose aux attitudes, il faut entendre « une construction plus ou moins autonome, plus ou moins indépendante, selon les cas de la réalité observée (Canut, 1996). Toujours est-il que: « les

recherches, notamment en milieu scolaire, lient depuis longtemps les attitudes et les représentations au désir d’apprendre les langues, et à la réussite ou à l’échec de cet apprentissage. Différentes pistes d’analyse, ainsi que diverses démarches didactiques centrent leur réflexion à la fois sur l’élucidation et l’analyse des représentations attachées aux langues, dans la perspective de faciliter la mise en place de repositionnement plus favorable pour l’apprentissage » (Casttelloti et Moore, 2002:7).

II. 1. 2. 3. Attitudes et langue(es)

C’est à partir des années 1960 que les études portant sur les perceptions des locuteurs concernant leurs langues et leurs usages ont été principalement problématisées à travers la notion d’attitude, et ceci dans plusieurs directions. Les comportements linguistiques peuvent être expliqués par les images de langues, surtout si l’on s’intéresse aux valeurs subjectives accordées aux langues et à leurs variétés, et aux évaluations qu’elles suscitent chez les locuteurs. On peut retenir que l’attitude est généralement une disposition à réagir de manière favorable ou non à une classe d’objets, une prédisposition psychique latente, acquise, à réagir d’une certaine manière à un objet.

Les informations dont dispose un individu sur un objet particulier constituent ainsi son stock de croyances sur l’objet. Ces croyances peuvent être motivées par des informations objectives, comme elles peuvent s’appuyer sur des préjugés ou des stéréotypes. Elles peuvent aussi être modifiées et évoluer. Les attitudes organisent des conduites et des comportements plus ou moins stables, mais ne peuvent pas être directement observées. Elles sont généralement associées et évaluées par rapport aux comportements qu’elles génèrent.

Dominique Lafontaine (1986) 61 dans son analyse des attitudes linguistiques d’adolescents et enseignants belges distingue les attitudes des représentations : « pour elle, il y a d’abord les représentations, l’image mentale de la langue, puis les attitudes, les jugements qui en découlent. Elle affirme que les représentations sont des « savoirs naïfs », « ne constituent pas un simple reflet du comportement linguistique, mais une construction, plus ou moins autonome, plus ou moins indépendante, selon les cas, de la réalité observée » (1986 :14). Elle soutient que les attitudes comportent essentiellement une valeur évaluative et sont donc uniquement associées aux jugements sur les langues (1986 :19). Cet avis est aussi partagé par Gueunier (1997 : 247-248), qui affirme que « si représentations et attitudes linguistiques ont en commun le trait épilinguistique qui les différencie des pratiques linguistiques et des analyses métalinguistiques, elles se distinguent théoriquement par le caractère moins actif (moins orienté vers un comportement), plus discursif et plus figuratif des représentations, et, méthodologiquement par des techniques d’enquêtes différentes [i.e des interactions aussi naturelles que possible] ».

« Les représentations que les locuteurs se font de leurs langues, de leurs caractéristiques, de leurs normes ou de leurs statuts des langues au regard des autres langues influencent les procédures et les stratégies qu’ils développent et mettent en œuvre pour les apprendre et les utiliser (Castellotti et Moore, 2002 : 7) ». Certains chercheurs, en l’occurrence Calvet, vont aussi dans ce sens en affirmant que « les représentations jouent un rôle central » (1999 :73). Herzlich (1972)62 abonde aussi dans le même sens et considère que « l’attitude est la part la plus primitive du contenu d’une représentation puisqu’elle peut exister même si l’individu dispose d’une information réduite à propos de l’objet, et d’un champ d’éléments peu organisé ». La notion d’attitude, insuffisamment dégagée de ses origines théoriques, reste encore soumise à controverse.

En outre, signalons la confusion qui règne autour des notions « attitudes » et « représentations » linguistiques. Les auteurs sont unanimes pour reconnaître que le terme d’attitude linguistique est employé parallèlement et sans véritable nuance de sens, à représentation, norme subjective, évaluation subjective, jugement, opinion, pour désigner tout phénomène à caractère épilinguistique qui a rapport à la langue (Lafontaine, 1997 : 56).

Pour Castellotti et Moore (2002 :8), les deux notions présentent de nombreux points de rencontre et sont parfois utilisées l’une à la place de l’autre. Pour leur part, Billiez et Millet (2001 : 37) estiment que c’est l’imbrication de ces deux notions qui peut être à la base de cette confusion. Toutefois, il y a des chercheurs comme Boyer (2003 : 42), par exemple, qui pensent que « la notion d’ « attitude » est incluse dans celle de « représentation »: pour lui,

toute représentation implique une évaluation, donc un contenu normatif qui oriente cette représentation soit dans le sens d’une stigmatisation, d’un rejet et s’agissant d’un individu ou d’un groupe, en fin de compte d’une discrimination. Les représentations sociales sont des

outils de compréhension et d’interprétation du monde parce qu’elles permettent d’identifier, d’expliquer, de comprendre et de maîtriser l’environnement. Qu’en est-il de leurs fonctions ?

62Cité par Roussiau et Bonardi (2003 : 16).