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7 1 Langue ethnique : langue d’identité culturelle

CHAPITRE IV. REPRESENTATIONS DES LUSHOIS VIS-A-VIS DU FRANÇAIS ET DES LANGUES EN PRESENCE A

IV. 7 1 Langue ethnique : langue d’identité culturelle

L’appartenance ethnique est parfois à l’origine de stigmatisation. Les clichés rattachés à une langue ethnique véhiculent des considérations stéréotypées qui peuvent pousser un locuteur à ne pas pratiquer sa langue ethnique publiquement de peur d’être rattaché à son ethnie considérée socialement comme « barbare ». L5 n’aime pas publiquement pratiquer sa langue parce qu’elle est considérée, à Lubumbashi, comme la langue du « village » et des « sauvages ».

Q1. Parlez-vous votre langue maternelle ? Non

Q2. Est-elle utile dans votre vie ? Oui

Q3. Quel sentiment éprouvez-vous de ne pas parler votre langue maternelle? Bon je n’éprouve aucun sentiment hein aucun de parler ma langue ciluba Q4. Que pensez-vous de votre langue maternelle ?

Oui je ne la connais pas d’abord je ne la connais pas on dit qu’elle est elle est sauvage je ne peux pas parler ça devant tout le monde.

Cet extrait permet de comprendre que cet enquêté présente un raisonnement illogique à propos de sa langue maternelle. Ce locuteur ne parle pas sa langue maternelle, néanmoins, il affirme que cette langue est utile dans sa vie. Ce qui est illogique. Il n’éprouve aucun sentiment de ne pas parler sa langue. En elle-même, la langue n’est pas stigmatisée, mais c’est le regard que la société lushoise porte sur le ciluba. Comme nous l’avons montré ci- haut, les représentations et les stéréotypes que les Lushois portent sur cette langue est le

résultat de leur passé tourmenté par la haine tribale. Une des implications de cette pratique sociale est pour le locuteur une certaine honte, une gêne à pratiquer sa langue en cas de conflits linguistiques. En effet, c’est avant tout avec les grands parents que l’on parle en langue ethnique surtout s’ils vivent au village. Ces langues sont utilisées par les anciens et plus souvent au village. Les enquêtés ont développé et ont montré l’utilité de ces langues dans le rapport avec la génération des grands parents et avec les personnes âgées en général :

Elle est utile parce qu’elle me donne la chance de communiquer avec les gens de mon coin hein les oncles les tantes grand-père tout et tout (L1).

Euh bon quand je trouve quelqu’un qui parle sa langue maternelle pour moi je vois il est villageois parce qu’ici on parle beaucoup en swahili + si on voit quelqu’un qui parle kikasaï on le considère comme si c’est quelqu’un qui est venu fraîchement du Kasaï signe du village ici chez nous kwakuwaona mafaçon yakusema tu verras que

ni village tu (par leur manière de s’exprimer tu verras que ce sont des villageois)

(L6).

Certains enquêtés pensent que les langues ethniques ne peuvent être pratiquées que dans certaines circonstances et pas dans d’autres. Leur champ de pratique est limité. La gestion des situations plurilingues conduit souvent à des choix douloureux et exige un effort réel et un coût communicationnel important. Dans le cas d’un pays plurilingue, il se pose souvent le problème de choix d’une langue nationale ou officielle ou encore une langue de contact intercommunautaire dans une entité politique plurilingue. Or, tous les choix ne se valent pas. Le recours à une langue qui a la plus grande extension sociale facilite des échanges intercommunautaires .On peut soit exiger que les sujets se dotent tous de compétences bilingues, soit exiger que l’administration soit bilingue

Ceci est paraphrasé par les propos suivants :

Euh les personnes qui parlent les langues maternelles c’est bien mais d’autre part il faut voir où parler cette langue maternelle c’est pas n’importe où qu’on peut se présenter on commence à parler la langue maternelle non il faut voir où le parler et où ne pas la parler (L9).

Euh bon si ça ne dépendait que de moi j’aurais voulu que ça soit la langue la plus parlée hein parce que dans ma province elle est quand même parlée euh par plusieurs territoires+ elle est parlée dans plusieurs territoires de ma province euh bon elle est

aussi divulguée + ça me fait aussi du bien quand j’entends dans certaines émissions utiliser ma langue maternelle + Je ne dis pas que ma langue maternelle est la meilleure (L1).

Au contraire, certains locuteurs pensent qu’il faut promouvoir les langues ethniques. Leur pratique doit être effective pour que les jeunes puissent apprendre ces langues. Dans la situation actuelle, les jeunes natifs de Lubumbashi ignorent leur langue ethnique sous prétexte qu’ils vivent en ville. L’apprentissage de ces langues demeure impossible. Aucun établissement ne le prévoit. Les associations socioculturelles qui sont censées jouer ce rôle, sont politisées. Elles sont devenues des lieux où les hommes et les femmes vont à la quête du pouvoir. Parler sa langue ethnique, dans un espace francophone comme le Congo, relève avant tout d'une appropriation affective, puisque d'un point de vue fonctionnel, il est possible de poursuivre sa vie sans langue ethnique. Ne pas parler sa langue revient à perdre une aptitude langagière, ce qui est ressenti comme regrettable par le locuteur ci-dessous. L’incapacité d'utiliser sa langue confrontée aux attentes du groupe immerge les individus dans des comportements humiliants.

Toutefois même quand ici à Lubumbashi euh quand je parle même français en terminant français si je n’utilise pas le quoi le quoi même un mot de ma langue maternelle je me sens toujours coincé + Suite a quoi c’est suite à notre culture que nous sommes abonnés depuis l’enfance + on a grandi avec ça jusqu’à nos jours alors c’est cela qui m’excite toujours de parler dans ma langue maternelle jusqu’à n’importe où je vais parler (L3).