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Section I- Éléments fondamentaux

1. Cadre conceptuel

1.4 La volonté

Si le concept de sentiment présente certaines difficultés, il n’a rien à envier au concept de « Volonté ». Arendt introduit comme suit sa réflexion sur le vouloir : « L’obstacle majeur, chaque fois qu’on discute de Volonté, c’est tout simplement qu’il n’est pas d’autre capacité de l’esprit dont l’existence même ait été mise en doute et contredite avec autant de persistance par une galerie aussi impressionnante de philosophes. » Pourtant, on trouve aussi des philosophes qui ont vu dans la volonté la faculté humaine la plus élevée, et parfois même, celle qui donne à l’Homme sa dignité. Comme le rapporte Arendt : « juste après Kant, il devint de mode de mettre Vouloir et Être sur le même plan » (Arendt 2007, p.299-300). Ainsi, Friedrich von Schiller écrivait : « il n’y a pas en l’homme d’autre pouvoir que sa volonté »

(Schiller 1992, p.261). Schopenhauer soutenait que « la volonté est la substance intime, le noyau de toute

chose particulière, comme de l’ensemble; c’est elle qui se manifeste dans la force naturelle aveugle; elle se retrouve dans la conduite raisonnée de l’homme; si toutes deux diffèrent si profondément, c’est en degré et non essence » (Schopenhauer 1978, p.152-153). Alors que F.W.J. von Schelling affirmait « en dernière et suprême instance, il n’y a pas d’autre Être que le Vouloir » (Arendt 2007, p.299-300). Chez Nietzsche aussi la volonté occupe une place centrale, de même que chez le pragmatiste William James, qui écrit : « La volonté détermine la vie, c’est son droit originel; elle aura donc aussi le droit d’exercer une influence sur les pensées » (cité dans Steiner 1991c, p.244).

Qu’est-ce alors que cette capacité de l’esprit si inégalement reconnue? « La volonté est-elle une faculté inventée par les métaphysiciens pour masquer leur ignorance, ou bien le véritable fondement de la dignité humaine? » (Poizat 2002, p.3) Si une telle question est possible, c’est que la volonté est difficile à saisir dans sa nature propre, difficile à identifier clairement et à définir. Après avoir analysé les différents contextes philosophiques dans lesquels le concept de volonté s’est inscrit, en partant d’Aristote, jusqu’à Hegel en passant par saint Augustin, Descartes et Kant, Paul Ricoeur se demande « s’il existe une signification stable qui permette de dire qu’il s’agit chaque fois du même phénomène » (Ricoeur 2014, p.8). En effet, plusieurs admettent l’existence de la volonté comme fait d’expérience, mais ils insistent sur la difficulté et même l’impossibilité de la connaître, ou du moins de connaître son fonctionnement. Ainsi, David Hume écrit-il : « Que leur mouvement suive le commandement de la volonté, c’est un fait

d’expérience commune, semblable aux autres évènements naturels. Mais le pouvoir ou l’énergie par laquelle cela se fait nous est inconnu et inconcevable, comme celle qui est à l’œuvre dans les autres évènements naturels » (Hume 2004, p.103).

Kant soutenait que le concept de volonté ne pouvait être que pratique et « jamais être converti en savoir » (Ricoeur 2014, p.5). Même Schopenhauer, pour qui la volonté, ou le vouloir, est « la seule chose qui nous soit connue immédiatement » et, de ce fait, « l’unique donnée susceptible de devenir la clé de toutes les autres connaissances », soutient qu’à la question de la nature véritable de la volonté, en elle- même — « abstraction du fait qu’elle se présente, ou plus généralement apparaît en tant que volonté, c’est- à-dire est connue en tant que volonté —, à cette question, il n’y aura jamais de réponse » (Schopenhauer 2009, p. 1456-1459).

Pour Arendt, le doute au sujet de la Volonté pourrait être attribuable à « un conflit fondamental entre ce que vivent le moi pensant et le moi voulant » (Arendt 2007, p.283). Conflit auquel sans doute personne

n’échappe et que saint Paul résumait ainsi : « ce que je veux je ne le pratique pas, mais ce que je hais, je le fais » (Arendt 2007, p.283). Pourtant, pour qu’il en soit ainsi, ne faudrait-il pas que nous sachions ce qu’il

en est véritablement de notre volonté, au-delà de ce que nous en pensons? C’est-à-dire que nous savons peut-être ce que nous pensons vouloir, mais peut-être pas ce que nous voulons vraiment. Le doute au sujet de la volonté, ou sa difficile définition pourrait être lié au fait qu’elle semble provenir d’une intériorité insaisissable, comme l’exprime bien le problème de Malebranche : « Comment expliquer que nous puissions remuer notre bras à volonté, lors même que nous ne savons pas ce qui fait que nous pouvons le remuer? » (tiré de Proust 2008, p.109). En effet, bien que nous puissions nous représenter le

geste de lever notre bras, connaître les lois physiques qui président à la levée d’un poids, et même si nous connaissons les muscles, tendons, nerfs, etc., qui entrent en action dans ce mouvement, nous n’avons aucune idée de ce qui préside effectivement à la réalisation de ce geste. Nous savons fort bien, cependant, qu’il ne suffit pas de nous dire « allez, je lève le bras » ni « je veux que mon bras se lève ». L’expression verbale d’une volonté n’est pas la volonté elle-même. Comme le dit si bien Schopenhauer, « il nous est impossible de l’anticiper dans le cas particulier » (Schopenhauer 2009, p.1456). Nous ne

connaissons notre volonté qu’à postériori, alors que l’action par laquelle elle se manifeste a déjà eu lieu, mais encore là, son processus nous demeure inconnu.

Face à ce mystère, devant la difficulté de saisir la nature de la volonté, certains ont voulu passer outre et se concentrer sur les seules manifestations véritablement observables, objectives et susceptibles d’être

étudiées scientifiquement. La psychologie expérimentale, par exemple, considère que l’étude du comportement est suffisante pour connaître l’humain. Dans cet esprit, certains, comme Skinner, estiment que la référence à la volonté est « source de confusions » dans la mesure où elle n’apporte « aucune information supplémentaire » par rapport à l’action comme telle et qui aurait permis d’en connaître les causes (Skinner 1972, p.60). Du côté de la philosophie également, on semble s’être tourné vers un questionnement relatif à l’action elle-même, à sa nature, à ses causes, à son caractère intentionnel, notamment depuis que Wittgenstein a dénoncé l’idée qu’une action soit l’effet d’une volonté intérieure, soutenant que « l’acte volontaire n’est pas la cause de l’action, mais l’action même » (tiré de Petit 1991, p.16). Ainsi, la philosophie de l’action cherche à expliquer l’action humaine à partir de

l’analyse logique du langage. Les points de vue sont partagés entre ceux qui estiment, dans la lignée de Wittgenstein, qu’« il n’est point de connexion logique entre la volonté et le monde », qu’il n’y a donc pas de lien de causalité entre les raisons d’agir et l’action humaine, et ceux qui considèrent qu’une telle causalité existe (Petit 1991, p.17). Pour ces derniers, c’est le caractère intentionnel de l’action qui la distingue de l’évènement impersonnel. Cependant l’intention dont il est question n’est pas celle des phénoménologues, qui établissent une référence consciente du sujet à l’objet dans un mouvement vers l’avenir, elle réfère plutôt à des entités linguistiques. En effet, Ricoeur fait remarquer l’usage, par Donald Davidson, d’une version adverbiale de l’intention « (X a fait A intentionnellement) » à laquelle il subordonne le substantif « (A a l’intention de faire X dans les circonstances Y), l’intention-dans-laquelle étant tenue pour une simple extension discursive de l’adverbe “intentionnellement” » (Ricoeur 1990, p.94). Selon cette définition, l’intention réfère à un évènement passé et peut être intégrée à une description d’une action qui prend alors valeur d’explication, ceci en évitant toute référence à une mystérieuse volonté. On cherche, en quelque sorte, la source de l’action dans l’énoncé. Comme le souligne Ricoeur, « décrire une action comme ayant été faite intentionnellement, c’est l’expliquer par la raison que l’agent a eue de faire ce qu’il a fait […] c’est donner une explication en forme de rationalisation; c’est dire que la raison alléguée “rationalise” l’action » (Ricoeur 1990, p.95). Davidson poursuit en démontrant que cette représentation des raisons de l’action peut être considérée comme une explication causale. Cependant, ce qui pose problème selon Ricoeur, c’est la mise à l’écart de l’agent, qu’il relie d’une certaine façon à la temporalité de l’intention adverbiale, tournée vers le passé, dans la mesure où le caractère projectif et anticipatif de l’intention qui engage l’agent se trouve éludé. Ainsi, « dans son usage adverbial, l’intention apparaît comme une simple modification de l’action, laquelle peut être traitée comme une sous-classe d’évènements impersonnels » (Ricoeur 1990, p.103). Il est par ailleurs à noter que l’explication causale issue de la rationalisation de l’action ne constitue qu’un « aspect de l’évènement mental-cérébral » dont il est question (Proust 2008, p.109). L’autre aspect relevant de la dimension proprement physique de

l’évènement, à savoir les propriétés physiques des états cérébraux dont Davidson estime qu’ils sont seuls « causalement pertinents » (tiré de Laurier 2008, p.119). Ce qui laisse comprendre que les propriétés

mentales n’ont véritablement aucune relation causale avec l’action et leur donne un air d’épiphénomènes.

Dans l’analyse entreprise par la philosophie de l’action, on peut observer un transfert de sens à partir d’un questionnement sur la volonté ou le vouloir comme substantif vers des considérations sur le vouloir en tant que verbe. Ainsi, le vouloir qu’on explorait en tant que phénomène situé en amont de l’agir, a été remplacé par un questionnement sur « vouloir » comme verbe d’action et sur son sens : que veut dire vouloir? Tel agent veut-il vraiment? Le problème avec ce transfert, c’est qu’il introduit un aspect « rationnel » qui n’est pas forcément présent dans le concept de volonté, mais qui est nécessairement présent dans le verbe vouloir. Il n’est donc plus vraiment question de volonté dans le sens d’impulsion à l’agir, de phénomène insaisissable à partir duquel l’expression du vouloir se traduit dans le passage à l’acte. Comme le souligne Joelle Proust, ces théories « ne disent rien du déclenchement ni du contrôle de l’action » (Proust 2008, p.111). C’est pourquoi elle tente de défendre une théorie volitionniste, qui selon elle pourrait pallier à ce problème. Le volitionnisme repose sur l’hypothèse « qu’on ne peut agir sans former une volition » et que l’essentiel dans l’agir ne relève pas, comme dans les théories issues de la philosophie de l’action, des raisons invoquées pour agir ni du caractère intentionnel de l’action, mais bien de « l’opération volontaire qui préside à l’exécution de l’action » (Proust 2008, p.112). Elle défend l’idée que la volition repose sur une « structure téléologique […] circulaire régie par le principe de l’action-effet », que les conditions présidant à toute volition sont issues de « l’analyse mathématique des systèmes de contrôle adaptatif, et disposent de ce fait d’une parfaite généralité » et qu’à ce titre, « elles s’appliquent à un agent quelconque, animal, robot, dès qu’il vise un résultat et en lance l’exécution » (Proust 2008, p.112-114). En fait, ce qui distingue la proposition de Proust,

c’est qu’elle attribue aux mécanismes observés dans le cerveau la responsabilité du déclenchement d’une volition, alors que traditionnellement la volonté était considérée comme un phénomène psychique. Il s’agit donc essentiellement d’une tentative de régler un problème de l’âme par une observation de ses manifestations dans la matière. Cependant, comme le souligne Jean-Luc Petit, « tout ce qui est attribué comme prédicats d’actions conserve un caractère métaphorique inéliminable tant que c’est attribué à des neurones, qui ne sont pas des agents au sens propre » (Petit 1997, p.2).

Les approches actuelles tentent d’expliquer l’action ou la volition en évitant le plus possible la question de l’agent parce qu’il ne semble pas toujours maîtriser son agir ni l’orienter selon son vouloir. Ce problème nous ramène toujours au mystère de la volonté et au risque d’être confronté à la « théorie de l’homoncule et avec elle, à la théorie de l’Égo spirituel » que Stéphane Chauvier présente comme suit : « si une volition est une action de l’âme, alors cette action semble appeler un sujet-auteur qui, ne

pouvant être le grand agent corporel lui-même, est fatalement un petit agent dans le gros, un Égo spirituel » (Chauvier 2008, 131). Cette préoccupation est aussi perceptible chez les tenants de l’approche

phénoménologique. C’est le cas, notamment, de Ricoeur qui voyait d’un bon œil l’idée de combiner l’approche analytique à la phénoménologie pour justement « sauver l’objectivité noématique du sens des actions contre la double tentation du mentalisme introspectionniste et de l’intuition des essences à même les exemples » tout en permettant à l’approche analytique de s’ancrer dans l’existence et ainsi « contrebalancer sa tendance à l’éparpillement du sens des actions dans la contingence des habitudes linguistiques » (Petit 2013). Pourtant, les phénoménologues ancrent leur questionnement dans le vécu de

l’agent, mais ils pensent la volonté dans sa dimension corporelle, incarnée. Comme le souligne Agata Zielinski, « Le sujet pratique est d’abord un sujet corporel. L’intentionnalité, pour se déployer sous une forme éthique dans la volonté, est d’abord intentionnalité corporelle, selon l’accent mis par les héritiers de Husserl sur le corps propre » (Zielinski 2002, p.264). S’il est clair que la volonté s’exprime par le corps, il semble que le concept de corps propre n’offre pas de prise évidente pour expliquer le déclenchement de l’action.

L’étude de la volonté est compliquée parce qu’elle n’est pas perceptible extérieurement autrement que par son aboutissement dans l’action. Or, avant qu’apparaisse le souci d’une explication objective de la volonté, on la percevait comme une faculté de l’âme, au même titre que la pensée et le sentiment. Il semble, en effet que la première référence à la volonté dans le sens où nous l’entendons, c’est-à-dire comme une forme d’impulsion à agir, viendrait de la philosophie stoïcienne (Gourinat 2002, p.49). Les

stoïciens voyaient dans la volonté une « inclination raisonnable » de la forme de « l’impulsion » ou de la « tendance » ou comme une « impulsion rationnelle vers quelque chose d’agréable autant qu’il le faut »

(Gourinat 2002, p.50). L’impulsion était vue comme une « faculté de l’âme » qu’on retrouve également chez les animaux, mais qui n’est « rationnelle » que chez les humains (Gourinat 2002, p.50). Ainsi, « dans l’impulsion rationnelle, l’âme commande au corps et entraîne l’action » (Gourinat 2002, p.52). Cette conception de la volonté comme une faculté de l’âme n’a certes pas fait l’objet d’un consensus philosophique tout au long de l’histoire, mais on peut néanmoins situer son abandon progressif à partir de la moitié du XIXe siècle, alors que la psychologie scientifique privilégiera le terme de fonction à celui de faculté et s’appliquera à les localiser dans le cerveau (Nicolas 2005, p.5 à 10).

Pour Steiner, la nature spirituelle de l’Homme est un fait vérifiable, comme nous avons pu le voir dans l’expérience d’observation de la pensée, et pour lui, la volonté, comme la pensée et le sentiment, est une expression du Je dans l’âme humaine. C’est par cette reconnaissance que Steiner se distingue le plus, car, contrairement aux autres penseurs, il n’a pas à chercher à échapper à l’idée d’un « Égo supérieur »,

et il peut aborder de front le mystère de la volonté. L’autre aspect caractéristique de sa conception concerne la relation qu’il établit entre les trois facultés de l’âme, insistant sur le fait qu’« on ne peut pas dissocier systématiquement les facultés de l’âme en penser, ressentir, vouloir, car dans la réalité vivante de l’âme chacune d’elles vient constamment se muer en l’autre » (Steiner 2004c, p.94). Cependant, il estime nécessaire de distinguer conceptuellement ces trois facultés.

En accord avec Hume, Schoppenhauer et bien d’autres, Steiner écrit : « La volonté est quelque chose que tout homme connaît par observation directe, mais qui ne peut jamais être saisie au moyen de la pensée » (Steiner 1986b, p.127). Par conséquent, pour définir le concept de volonté, nous tenterons donc de

procéder comme pour la pensée et le sentiment, et d’observer le vécu de la volonté, mais nous le ferons cette fois en établissant des liens et des comparaisons avec les autres facultés de l’âme. Il apparaît d’abord, comme nous l’avons constaté plus haut, que si la pensée exige un éveil de la conscience et si le sentiment nous voile une partie de son être, la volonté se présente de façon assez mystérieuse. En effet, si la volonté se manifeste de façon claire dans le mouvement entrepris pour réaliser quelque chose, nous sommes néanmoins tout à fait ignorants et inconscients des processus mis en branle pour déclencher ce mouvement et pour qu’il se produise. Pour nous rendre du point A au point B, par exemple, nous n’avons pas conscience de tous les muscles, nerfs, tendons, ligaments, qui seront sollicités, nous ne contrôlons pas consciemment la façon de les mouvoir et nous ne connaissons pas la quantité d’énergie dont notre corps aura besoin pour le faire, ni son équivalent en nourriture; nous ne pensons même pas au fait que nous devons mettre un pied devant l’autre, à moins d’être affecté par un handicap; nous ne songeons pas non plus au fait que nous devons garder notre équilibre, confrontés comme nous sommes à la gravité. C’est pourquoi Steiner dit que la volonté vit dans l’inconscient (Steiner 2004c, p.111).

Bien que cette inconscience de la volonté semble largement reconnue, plusieurs auteurs associent la volonté à la liberté; une liberté qui s’exprime dans le choix de l’action entreprise et qu’on peut aussi voir exprimée dans des motifs. Cependant, s’il y a choix et motifs, il doit aussi y avoir une certaine conscience et cela suppose que la pensée est alors associée à la volonté. En fait, il est très difficile de dissocier la volonté et la pensée, car, dès qu’on n’agit pas de façon instinctive, comme des animaux, la pensée est présente. Pourtant, même si dans la réalité les deux sont généralement liées, il est important de distinguer la pensée et la volonté d’un point de vue conceptuel et nous pouvons le faire, car nous savons, d’expérience, que l’existence d’un motif, d’un élément intellectuel qui nous pousse à agir, ne suffit jamais, qu’il faut l’impulsion volontaire. Dans la réalité, nous pouvons nous représenter, par la pensée, ce que nous voulons, et cette représentation peut être accompagnée d’un sentiment favorable

de façon à fournir une impulsion au vouloir, mais par la suite, « l’expérience psychique se perd dans les profondeurs, seul le résultat est accessible à la conscience » (Steiner 1984a, p.120-121).

Ernst-Michael Kranich souligne que ce qui distingue la volonté de la pensée et du sentiment, c’est qu’elle « ne se forme pas dans le rapport avec le monde. Elle agit certes en se confrontant à des résistances, mais celles-ci ne déterminent pas son contenu comme les choses déterminent les représentations et les sentiments » (Kranich 2006a, p.34). Si le sol sous mes pieds, la tempête qui sévit, le

vent glacial me forçant à courber le dos pour me protéger affectent ma façon de marcher et la vitesse de mon déplacement, l’impulsion toujours renouvelée qui me fait avancer ne leur doit rien. « La volonté est essentiellement créatrice, car elle produit constamment elle-même son action » (Kranich 2006a, p.34).

Cela signifie que la cause de la volonté ne peut être réduite à une réaction à un phénomène extérieur. S’il est clair que c’est grâce à l’agir du corps que le vouloir se réalise, s’il semble aussi évident que le vouloir lui-même se forme à partir de représentations que nous nous faisons, il demeure que « ce vouloir ne saurait être cerné par des lois psychologiques » (Steiner 1984a, p.121). Comme plusieurs l’ont

souligné, à la suite de la psychanalyse, il n’est pas évident que l’être humain soit toujours conscient des véritables motivations de son vouloir. Ce dont l’Homme est conscient, c’est de ses propres convictions, et non de ce qui les détermine. Le vouloir n’est donc ni déterminé par les objets extérieurs, ni simplement par la pensée consciente. Selon Steiner, « ce vouloir qui se déroule exclusivement à l’intérieur de l’âme et se traduit par des convictions fondées sur la logique, fait apparaître l’âme comme