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2.3 Mesures de quelques lasers

2.3.1 La variance d'Allan

Dans l'optique des mesures de fréquence absolue que nous voulions eectuer, il était im-portant de pouvoir évaluer la présence d'une éventuelle dérive très lente au sein de données aectées d'un bruit à "haute fréquence" (la cadence d'acquisition des compteurs, c'est-à-dire une seconde dans notre cas). Or il existe un outil privilégié pour séparer les composantes en fréquence du spectre de bruit d'un signal : la variance d'Allan σ(τ) [1]. Nous allons donc ici utiliser cette approche pour caractériser la stabilité des diérents lasers mesurés. Je me limiterai dans cette partie à rappeler le principe de la méthode et à donner les résultats qui nous serons utiles. L'intégralité du raisonnement est expliquée dans la référence [100].

Considérons, comme c'est la cas dans notre expérience, une série de N mesures de fréquence réalisées par un compteur à une cadence xe. La dispersion statistique de ces mesures peut être évaluée dans un premier temps via l'écart-type σ1s. L'idée de la variance d'Allan est que l'on peut a posteriori grouper par paquets successifs ces N mesures an de simuler un temps d'acquisition plus long (τ secondes) pour les compteurs de fréquence. La valeur de la fréquence mesurée lors de l'acquisition du ieme paquet est alors la valeur moyenne fi,τ de τ mesures consécutives réalisées à la cadence initiale d'une seconde. On va ensuite analyser les diérences de proche en proche de ces acquisitions successives :

yi,τ = fi+1,τ− fi,τ (2.31)

La variance d'Allan est proportionnelle à la moyenne du carré de ces écarts sur les N/(τ −1) mesures disponibles, dénie comme :

σ2(τ ) = 1 2hy

2

i,τi (2.32)

On trace enn habituellement log(σ(τ)) comme une fonction de log(τ). L'intérêt de ce procédé est que la pente de cette courbe renseigne sur la statistique des uctuations de fré-quence, c'est-à-dire sur la nature d'éventuelles corrélations. En eet, il existe une relation entre le spectre de bruit de ces uctuations et la forme de la variance d'Allan, qui devient bijective pour les uctuations sur les temps longs.

L'incertitude lors de la détermination d'une valeur particulière de σ(τ) est liée à la dis-persion des N/(τ − 1) valeurs de y2

i,τ, et évolue donc comme r

τ

N. Pour N=1, elle vaut σ1s N. Enn, l'existence de la notion même d'écart-type limite la valeur maximale de τ à N/3.

On peut ainsi identier la source de bruit majoritaire aux diérentes échelles de temps. Nous allons expliciter simplement le calcul dans les quelques cas qui nous intéressent.

Bruit blanc

Tout d'abord, considérons des bruits blancs de fréquence, qui présentent donc une absence de corrélations dans leurs uctuations. On peut écrire la fréquence f(t) comme suit :

f (t) = f0+ x(t) (2.33)

où f0 est la valeur moyenne de f et x(t) est une fonction aléatoire stationnaire. On peut donc poser :

hx(t)i = 0 (2.34)

hx21s(t)i = σ1s2 (2.35)

La dispersion des points est indépendante de l'intervalle de temps considéré. Quand le nombre de mesures N est grand devant τ, la distribution de la variable aléatoire associée à la valeur de x(t) moyennée sur τ secondes tend vers une distribution gaussienne, de largeur σ(τ) et de valeur moyenne nulle. On s'intéresse ensuite à la variance des moyennes par paquets

fi,τ. On sait que les valeurs d'origine obéissent à la distribution :

P (x1s) = 1 σ1sexp (− x21s 2 1s ) (2.36)

On en déduit pour les valeurs moyennes sur τ s, donc τ mesures, en utilisant les propriétés de l'estimateur valeur moyenne, la distribution suivante :

P (x1s) = τ σ1sexp −( τ x2 1s 2 1s ) (2.37)

La variance des fi,τ est donc de σ1s/τ, τ étant ici pris comme un nombre sans dimension. Quant aux yi,τ, leur variance est donnée par :

hy2i,τi = h(fi+1,τ − fi,τ)2i = 2hfi,τ2 i (2.38) On en déduit l'expression de la variance d'Allan σ(τ) :

σ(τ ) = r 1 2hy2i,τi = q hf2 i,τi = σ1s τ (2.39)

On retrouve donc simplement dans ce cas la variance classique des moyennes par paquets. Cette forme de la variance se traduit par une pente −1/2 dans le graphe log(σ(τ)) = f(log(τ)).

Bruit blanc et dérive lente

Etudions maintenant la situation où l'on rajoute à ce bruit blanc une dérive de fréquence aux temps longs, qui s'identiera à une dérive linéaire au premier ordre. On comprend dès lors mieux l'intérêt de la dénition d'Allan. En eet, la variance classique ne converge plus lorsque le nombre de mesures N augmente. Par contre la diérence entre les fi,τ va elle tendre vers une valeur nie et constante, dès lors que le temps d'acquisition ctif τ atteint une valeur susante pour moyenner les uctuations aléatoires à un niveau inférieur à la dérive. On peut quantier ceci par la nouvelle fonction f(t) :

f (t) = f0+ x(t) + at (2.40) Pour le ieme paquet, la moyenne sur τ mesures donne :

fi,τ = hxi(t)iτ + ahtiτ + f0

= hxi(t)iτ +a τ Z (i+1)τ atdt + f0 = hxi(t)iτ + aτ (i + 1 2) + f0 (2.41)

On en déduit pour les écarts yi,τ :

yi,τ = fi+1,τ − fi,τ (2.42)

= hxi+1(t)iτ − hxi(t)iτ+ aτ

On obtient enn pour la variance d'Allan :

σ(τ )2 = hx2i(t)iτ+a2τ2 2 = σ21s τ + a2τ2 2

τ est un nombre dans le premier terme et un temps dans le second terme de l'équation. Quand τ est grand, on retrouve bien une augmentation linéaire de la variance d'Allan. Ceci se transpose sur le graphe logarithmique par une rupture d'une pente -1/2 à une pente +1. La transition entre le régime dominé par le bruit blanc et celui dominé par la dérive s'eectue donc pour un temps d'acquisition τd tel que :

τd3= 21s

2.3.2 Mesure du laser étalon stabilisé sur la transition 5S-5D du rubidium

Dès que notre peigne de fréquences optiques a été opérationnel, nous avons cherché à le tester. Nous avons utilisé pour cela le meilleur laser étalon de fréquence disponible au laboratoire. Il s'agit d'une diode laser stabilisée sur une transition à deux photons du Rb85. Le but était double : réétudier la stabilité de l'étalon (dont la variance d'Allan est connue) avec le peigne de fréquences et vérier la valeur absolue mesurée de la transition à deux photons.

Le laser Rb/2ν

Ce laser étalon a été développé vers 1995 [14] et a été comparé avec d'autres exemplaires au SYRTE [68]. Sa stabilité de fréquence est meilleure que celle d'un laser HeNe stabilisé sur l'iode, dont nous disposons également. Il est composé d'une diode laser à 778 nm montée en cavité étendue dans la conguration de Littrow, qui est asservie sur la transmission d'une cellule de Rb. La raie à deux photons choisie est la plus intense, 5S1/2(F=3)-5D5/2(F=5). Ainsi, la dernière mesure absolue de fréquence, eectuée à l'aide d'une chaîne de fréquence en 2000, a donné le résultat suivant pour le laser étalon du LKB [16] :

νRb/2ν(LKB) = 385 285 142 376, 68 ± 1, 00 kHz (2.44)

La stabilité observée se traduisait par une variance d'Allan égale à 4 × 10−13τ−1/2, et qui descendait jusqu'à environ 6 × 10−14 après 500 s.

En pratique, la fréquence du laser dépend de l'intensité envoyée dans la cellule de Rb, à cause du déplacement lumineux. La valeur donnée ci-dessus est obtenue par extrapolation à puissance nulle.

Mesure de la variance d'Allan du système Rb/2ν

On reporte ici les résultats obtenus lors de la mesure de l'étalon Rb/2ν grâce au dispositif de peigne référencé sur le signal à 100 MHz du SYRTE décrit dans les sections précédentes. Le nombre de mesures était de N=1000, espacées d'une seconde. Le temps d'intégration des compteurs est réglé sur 1 s, mais en réalité, le temps entre chaque mesure est de l'ordre de 1,2 s, principalement à cause du temps de lecture des compteurs et an d'assurer une bonne synchronisation. La variance d'Allan présentée ici est donc un peu sous-estimée, comme c'est généralement le cas dans ce genre de mesures. A cause de ces temps morts, il convient d'être attentif lors de la comparaison entre des données enregistrées avec des temps d'intégration de 1 s et de 10 s.

Un exemple d'enregistrement pour une puissance intra-cellule estimée à 18 mW est présenté ci-après (voir gure 2.23). On distingue sur cette série de données une dérive linéaire, qu'un ajustement donne égale à environ 40 Hz/100 s. En corrigeant cette dérive, on peut évaluer la répartition du bruit et la comparer à la distribution gaussienne attendue pour un bruit blanc. On peut calculer sur cette série de points la variance d'Allan relative, donnée par σ(τ)/fRb

7 8 9 10 11 12 13 0 200 400 600 800 1000 temps (s) fréquence (kHz)

Figure 2.23: A gauche, fRb/2ν+ 385 285 142 360kHz lors d'un enregistrement de 20 minutes (trait plein, estimation de la dérive). A droite, comparaison à la loi normale du bruit de fréquence (σ1s = 497Hz).

(voir g. 2.24). On trouve une variance en 1, 3 × 10−12τ−1/2 jusqu'à des temps d'intégration de 120 s. L'écart-type des points pour un temps d'intégration d'une seconde est de 500 Hz. Puis l'eet de la dérive linéaire prend le dessus. D'après l'équation (2.43), on attendait pour

τd une valeur de 144 s. La variance d'Allan suggère ici une valeur proche (τd ' 120 s). La stabilité est donc limitée ici à environ 8 × 10−14, soit 30 Hz.

On ne peut à ce stade vraiment discriminer dans cette variance d'Allan la contribution du laser étalon et celle du peigne de fréquences.

Nous pensons que nous n'avons pas retrouvé la stabilité obtenue en 1998 pour cause d'un réglage trop imprécis des diérents asservissements, qui aurait nécessité un investissement en temps relativement important. En eet, en ce qui concerne la dérive long terme, a et τdétaient directement liée au gain dans la boucle de rétroaction. Il aurait été surprenant que la valeur moyenne du signal fourni par la chaîne dérive autant. Néanmoins, il demeure possible que la valeur de 1, 3 × 10−12 sur une seconde soit due par exemple à un bruit de phase ajouté par la chaîne micro-onde au signal de référence du SYRTE. L'essentiel pour nous était de valider la viabilité du peigne de fréquences jusqu'à un niveau de précision inférieur à 10−13, susant pour ne pas constituer un obstacle lors de la comparaison de la transition 1S-3S et de l'horloge à césium à un niveau de 3 × 10−13.

Fréquence absolue du laser Rb/2ν

Nous avons proté de ces mesures pour vérier la capacité de notre peigne à déterminer la fréquence absolue du laser Rb/2ν. Nous avons donc eectué la mesure de fréquence pour diérentes valeurs de la puissance intra-cavité, an d'évaluer le déplacement lumineux et d'extrapoler la fréquence à puissance nulle pour comparaison avec les mesures antérieures (voir g. 2.25). Chaque point correspond à une intégration sur 1000 s. La puissance intra-cavité est

1,0E-14 1,0E-13 1,0E-12 1,0E-11 1 10 100 1000 temps (s) Variance d'Allan relative

Figure 2.24: En carrés, variance d'Allan relative du laser Rb/2ν. En traits pleins, variations en 1

τ puis en τ. En pointillés, variance d'Allan attendue, mesurée en 1998 pour le laser Rb/2ν.

-5 0 5 10 15 20 0 10 20 30 40 Icavité(mW) f-385 284 982 360 (kHz)

Figure 2.25: Déplacement lumineux en fonction de la puissance intra-cavité.

en pratique évaluée par la tension mesurée sur une photodiode placée en transmission de la cellule de rubidium. Nous avons conservé l'étalonnage en puissance de cette photodiode fait en 1997.

L'incertitude liée à l'ajustement par une droite de ces points est de 335 Hz. Le déplacement lumineux trouvé est de 453 Hz/mW, ce qui correspond à l'ordre de grandeur des déplacements mesurés sur d'autres lasers du même type [68], et sur notre modèle en 1996 (406 Hz/mW)[14]. On peut expliquer le sens de cette variation par le vieillissement de la cellule de Rb sur 10 ans : une baisse de la transmission de la cellule entraîne une sous-évaluation de la puissance intra-cavité pour un déplacement lumineux donné. La fréquence extrapolée à puissance nulle doit a priori s'aranchir de cet eet.

On a donc mesuré en juin 2004 :

νRb/2ν(LKB) = 385 285 142 376, 27 ± 1, 00 kHz (2.45)

puis en mai 2005 :

Ces valeurs sont en bon accord avec la fréquence mesurée en 2000 (cf eq.(2.44)). L'incerti-tude sur cette mesure est supérieure à 335 Hz : il a par exemple été montré que la répétabilité de l'étalon était de ± 500 Hz. Nous préférons donc donner une incertitude conservative, l'ob-jectif n'étant pas tant d'améliorer la connaissance de la fréquence de transition 5S1/2 (F=3)-5D5/2(F=5), limitée de toute façon par le déplacement engendré par les collisions, que de vérier l'exactitude de nos mesures absolues.

Par ailleurs, nous avons mesuré en 2005 la fréquence de l'étalon simultanément avec notre peigne et en utilisant le peigne du LNE-SYRTE, grâce au lien par bre optique.

Un comptage simultané sur 300 secondes a donné les résultats suivants :

νRb/2ν(LKB) = 385 285 142 376, 235 ± 0, 388 kHz (2.47)

νRb/2ν(SYRTE) = 385 285 142 376, 233 ± 0, 233 kHz (2.48)

où les barres d'erreurs représentent l'écart-type de la série de 300 mesures. On peut donc attribuer à cette mesure une incertitude de 388/300 ' 22, 4Hz, soit une incertitude relative de 6 × 10−14. L'écart des deux mesures est de 2 Hz.

Ces résultats permettent donc d'être conant dans les mesures de fréquences absolues réalisées par notre peigne à un niveau de précision susant pour le but xé.