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La transmission technologique à l’épreuve de l’intégrité

Dans le document La preuve par métadonnées (Page 72-75)

Section 1 La preuve de la transmission des documents technologiques par les

I) La transmission technologique à l’épreuve de l’intégrité

Échanger des courriels entre personnes physiques ou morales, conclure des contrats à distance, partager du contenu sur les réseaux sociaux, transmettre des documents technologiques de toute nature, entraînent des conséquences juridiques contractuelles et extracontractuelles205. La Loi a consacré plusieurs articles relativement à la question de la transmission des documents technologiques (articles 28 à 37). Certains d’entre eux feront l’objet d’une analyse dans l’esprit des principes fondateurs de la Loi206. C’est un fait, les communications sont essentiellement électroniques entre les individus, mais qu’arrive-t-il quand vient le temps de prouver la transmission des documents technologiques ? Quelles règles de preuve s’appliquent, par quels moyens la preuve peut être établie ? Qu’entend-on par transmission ?

Les Professeurs Vincent Gautrais et Pierre Trudel définissent la transmission de la façon suivante :

Transmettre un document, c’est l’expédier d’un point d’expédition à un point de réception. C’est le faire passer techniquement d’un point à l’autre. En d’autres mots, et pour reprendre une image préalablement évoquée, la transmission est au « support » ce que la communication est à l’ « information ». « Support » et « information » : les deux composantes essentielles du document que l’on retrouve clairement identifiées dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information207.

La Loi n’ayant pas de parti pris envers une technologique spécifique sauf exception208, l’article 28209 de la Loi dispose que tout individu peut transmettre un document technologique                                                                                                                

205 Patrick GINGRAS et Jean-François DE RICO, « La transmission des documents technologiques », XXe

conférence des juristes de l’État, Atelier 12 Droit des technologies de l'information, Québec, les 9 et 10 avril 2013.

206 Nous entendons par là, les principes de neutralité technologique et équivalence fonctionnelle. 207 V. GAUTRAIS et P. TRUDEL, préc., note 5, p. 106.

208 À cet égard, voir par exemple l’article 109 de la Loi sur la publicité légale des entreprises, R.L.R.Q., c. P-

44.1 : « Malgré toute disposition législative inconciliable, la forme et les modalités de transmission des documents qui doivent être produits au registraire ou lui être transférés sont déterminées par le ministre en fonction du support ou de la technologie utilisé. »

209 L.c.c.j.t.i., Art 28 : « Un document peut être transmis, envoyé ou expédié par tout mode de transmission

approprié à son support, à moins que la loi n'exige l'emploi exclusif d'un mode spécifique de transmission. Lorsque la loi prévoit l'utilisation des services de la poste ou du courrier, cette exigence peut être satisfaite en

selon la technologie de son choix, et ce, en conformité avec les principes de neutralité technologique et d’équivalence fonctionnelle. Selon les auteurs Gingras et De Rico, cet article constitue « la pierre angulaire de la LCCJTI à l’égard de la transmission des documents technologiques »210. Mais il doit être lu de façon concomitante avec l’article 30(1) de la Loi relativement à la notion d’intégrité :

Pour que le document technologique reçu ait la même valeur que le document transmis, le mode de transmission choisi doit permettre de préserver l'intégrité des deux documents. La documentation établissant la capacité d'un mode de transmission d'en préserver l'intégrité doit être disponible pour production en preuve, le cas échéant211. (Nos soulignés)

Cette règle réaffirme le besoin d’assurer l’intégrité des documents lors de la transmission, faisant écho à la règle générale posée par l’article 6 al. 2 de la Loi :

L'intégrité du document doit être maintenue au cours de son cycle de vie, soit depuis sa création, en passant par son transfert, sa consultation et sa transmission, jusqu'à sa conservation, y compris son archivage ou sa destruction. (Nos soulignés)

Dès lors, l’intégrité d’un document doit être assurée durant tout son cycle de vie, que ce soit pour sa confection sa transmission, son transfert, et sa destruction. Dans le cas contraire, si le support ou la technologie ne satisfont pas aux exigences de l’intégrité, à la lecture combinée des articles, 5, 6, 30 de la Loi, le document technologique perdra sa qualification d’écrit, et pourra seulement être admis à titre de témoignage, commencement de preuve ou d’élément matériel.212

Selon les auteurs Patrick Gingras et Jean-François De Rico213, si une partie désirait                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            

faisant appel à la technologie appropriée au support du document devant être transmis. De même, lorsque la loi prévoit l'utilisation de la poste certifiée ou recommandée, cette exigence peut être satisfaite, dans le cas d'un document technologique, au moyen d'un accusé de réception sur le support approprié signé par le destinataire ou par un autre moyen convenu. Lorsque la loi prévoit l'envoi ou la réception d'un document à une adresse spécifique, celle-ci se compose, dans le cas d'un document technologique, d'un identifiant propre à l'emplacement où le destinataire peut recevoir communication d'un tel document ».

210 P. GINGRAS et J.-F. DE RICO, préc., note 205, 424.

212 Stéphane CAÏDI, La preuve et la conservation de l’écrit dans la société de l’information, Mémoire présenté à

la faculté des cycles supérieures, Université de Montréal, 2002, p. 106.

mettre en preuve un courriel différent de celui envoyé par l’expéditeur, ce dernier pourrait en contester l’intégrité par le biais de l’article 89 (4) C.p.c214. La partie réfutant l’intégrité décrira la façon dont l’altération a affecté la transmission du document, ou expliquera oralement par son témoignage les circonstances entourant la transmission du document au destinataire. Essentiellement, c’est une preuve par témoignage, l’affidavit lui-même contenant les déclarations sous serment de la personne tentant de prouver que l’intégrité de la transmission n’a pas été préservée. À cet égard, les métadonnées pourront le cas échéant appuyer soit la preuve de la partie en réponse à l’affidavit, ou la contre-preuve. En effet, les métadonnées du document technologique permettent de vérifier si l’intégrité du mode de transmission choisi par l’utilisateur a été assurée durant la transmission. Dès lors, elles deviennent un procédé de vérification de l’intégrité tel qu’exigé par l’article 30 (1) de la Loi. Dans l’affaire Demian c. Teesdale215, la défenderesse niait l’authenticité du courriel introduit en preuve, insistant sur la nécessité de produire l’original. La demanderesse n’a été en mesure que de fournir des copies papier du courriel. La preuve fut rejetée, car de sérieux doutes quant à l’intégrité du document ont été soulevée, la cour ajoute :

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il comporte des incongruités manifestes à sa face même. [23] D'un côté, il est clair qu'il comporte deux types de typographie. L'adresse du destinataire, address-o-data@bellnet.ca, n'est pas du même caractère que le reste du document. De l'autre côté, deux versions différentes du courriel sont déposées au dossier. Enfin, le courriel renvoie à un montant global de 230 000 $ que ni la preuve ni la logique ne peuvent expliquer. (Nos soulignés)

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Protection de la jeunesse — 112213, 2011 QCCQ 10222, par 70 : «En effet, ce n'est pas la première fois que la

mère procède à de fausses allégations à l'endroit de celui qui est toujours son mari. Elle lui a déjà reproché de lui avoir transmis des menaces dans des courriels en 2009. Or, la preuve a établi que les propos menaçants que l'on retrouve dans les courriels des 26 et 27 février 2009 (pièce M-1) n'étaient pas présents dans les courriels que monsieur E lui a transmis (pièce PY-1) et donc qu'ils ont été trafiqués. Au moyen d'une expertise, il a été clairement démontré comment les courriels d'origine (pièce PY-1) ont pu être manipulés (pièce PY-2). Cette preuve d'expert n'a pas été contredite sinon par les propos de la mère. » ; Deslauriers Jeansonne, s.e.n.c. c.

Panther Publications inc., 2011 QCCQ 4293, par. 4 : « Lisa Peters appuie son témoignage particulièrement sur

un courriel du 21 décembre 2005 qu'elle envoya à Me Martinez dans lequel elle fait état de l'entente intervenue

pour un total d'honoraires de 500 $. Me Martinez affirme avec certitude que le paragraphe de ce courriel

n'apparaissait pas au document original et a probablement été ajouté par sa cliente. Il produit à ce sujet le courriel qu'il a véritablement reçu et qui confirme sa position ».

214 Si tel était le cas, ce serait à la partie voulant introduire en preuve le courriel de prouver l’intégrité de celui-ci. 215 2011 QCCS 4686.

Dans la prochaine partie, nous allons nous intéresser davantage à ce que constitue en droit une transmission électronique et les possibilités offertes de prouver celle-ci au moyen des métadonnées.

Dans le document La preuve par métadonnées (Page 72-75)