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La restriction doit être proportionnée au but poursuivi

Les sources internationales et européennes de la protection des droits des minorités religieuses : un apport limité

B) Les restrictions à la liberté de manifestation de la religion

4) La restriction doit être proportionnée au but poursuivi

Une autre condition nécessaire pour l’applicabilité des restrictions mentionnées à l’article 9§2 de la Convention EDH est que la restriction doit être proportionnée au but poursuivi. Cette condition de proportionnalité implique la réalisation d'un équilibre entre les différents intérêts en présence409. A ce titre, le Conseil fédéral suisse a considéré que l'initiative populaire qui vise à interdire la construction des minarets de mosquées en suisse, est incompatible avec plusieurs droits fondamentaux consacrés par la Convention EDH et par le Pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques. Le Conseil a notamment mentionné la violation de la liberté religieuse des musulmans car une interdiction générale de construire des minarets ne permet pas un examen de la proportionnalité dans chaque cas410.

La Cour EDH s'est prononcée sur cette condition de proportionnalité à plusieurs reprises. Elle a notamment estimé que la sanction prise contre des officiers adeptes de l'Église pentecôtiste ayant utilisé leur autorité pour pratiquer le prosélytisme envers leurs soldats qui étaient obligés de se subordonner à leurs supérieurs, était proportionnée411.

407 Voir la thèse de Florence JACQUEMOT, « Le standard européen de société démocratique », Faculté de droit de Montpellier, Collection Thèses, n° 4, 2006.

408 Frédéric SUDRE, « L'interprétation dynamique de la Cour européenne des droits de l'Homme », Paris, Palais du Luxembourg les 29 et 30 septembre 2006, disponible à l'adresse :

http://www.senat.fr/colloques/office_du_juge/office_du_juge11.html#fnref306, page consultée le 1er février 2010.

409 Op. cit., Jean-François RENUCCI, « L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme : la liberté de pensée, de conscience et de religion », p. 49.

410 « Le Conseil fédéral s’oppose à l’interdiction de construire des minarets », Communiqués du Département fédéral de justice et police (DFJP), le 27 août 2008, disponible à l'adresse :

http://www.ejpd.admin.ch/ejpd/fr/home/dokumentation/mi/2008/2008-08-27.html, page consultée le 18 mars 2009 ; voir aussi au sujet du référendum sur les minarets, « Les Suisses s'opposent à la future construction de minarets dans le pays », le 29 novembre 2009, disponible à l'adresse :

http://www.aidh.org/Actualite/Act_2009/info_ch02.htm, page consultée le 12 février 2010.

411 Cour EDH, requêtes n° 23372/94 ; 26377/94 ; 26378/94, « Larissis et autres c. Grèce », arrêt du 24 février 1998, §§ 54-60, Recueil 1998-I.

La Cour EDH a toujours refusé l'ingérence de l'État dans l’organisation interne des églises et des lieux de culte. Toutefois, la Cour a validé cette intervention qu'elle considère comme proportionnée si elle vise de concilier les intérêts des différentes communautés religieuses pour leur permettre de pratiquer paisiblement leurs religions412.

La Cour EDH a confirmé, dans sa décision dans l'affaire Karaduman contre Turquie, sa position concernant l'interdiction de porter le voile islamique par une enseignante pendant le service413. La Cour a notamment souligné « l’importance du respect de la neutralité de l’enseignement dans les établissements d’enseignement public et de la marge d’appréciation laissée aux États contractants en ce qui concerne la réglementation des obligations des enseignants de l’enseignement public, suivant les niveaux de celui-ci »414. De son côté, la Commission EDH a considéré également comme proportionnée l’interdiction de porter le voile islamique sur une photo d’identité415.

Dans un autre arrêt, la Cour EDH a déclaré qu'il n'y avait pas de violation de l'article 9 de la Convention EDH lorsque les autorités étatiques refusent de dispenser des enfants d'assister à un enseignement intégrant l’éducation sexuelle416.

La Cour a également jugé que les règles d'organisation des établissements d'enseignement peuvent indirectement entraver la pratique d'une religion. A ce titre, le calendrier scolaire ne respecte pas toujours les obligations religieuses des enfants qui appartiennent aux religions minoritaires. Toutefois, la Cour a jugé que le refus des autorités luxembourgeoises d’accorder une dispense générale des cours tous les samedis pour un enfant à la demande de ses parents adeptes de l'Église adventiste, n’était pas disproportionné en raison de la nécessité de garder un rythme scolaire normal et de sauvegarder le droit à l’instruction de l’enfant. La Cour a déclaré que : « lorsqu’au lieu de le conforter, le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses entre en conflits avec le droit de l’enfant à l’instruction, les intérêts de

412 Op. cit., Cour EDH, requête n° 27417/95, « Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France », arrêt du 27 juin 2000, § 84.

413 Voir aussi au même sujet : Cour EDH, requête n° 42393/98, « Dahlab c. Suisse », décision du 15 février 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-V ; Cour EDH, requête n° 44774/98, « Leyla Şahin c. Turquie », arrêt du 10 novembre 2005, Recueil des arrêts et décisions 2005-XI, et Cour EDH, requête n° 26625/02, « Köse et autres c. Turquie », décision du 24 janvier 2006, Recueil des arrêts et décisions 2006-II.

414 Cour EDH, requête n° 41296/04, « Karaduman c. Turquie », décision du 3 avril 2007.

415 Op. cit., Commission EDH, requête n° 8810/03, « Karaduman c. Turquie », décision du 3 mai 1993, p. 93. 416 Cour EDH, requêtes n° 5095/71, 5920/72, 5926/72, « Kjeldsen, Madsen et Pedersen c. Danemark », arrêt du

l’enfant priment »417.

La Cour EDH a jugé, d'ailleurs, proportionnée la condamnation des pharmaciens pour refus de vente des pilules contraceptives alors qu’ils estiment qu’il s’agit là d’une manifestation de leur liberté de religion reconnue à l'article 9 de Convention EDH. La Cour a souligné que la manifestation de telles convictions pouvant s’exercer de multiples manières hors de la sphère professionnelle418.

Dès lors, malgré la place accordée à la liberté religieuse dans le droit européen, la protection des minorités religieuses en tant que telles reste insuffisante. Les pays de l'Union européenne ont essayé d'apporter plus de protection de ces minorités par l'introduction des droits des personnes appartenant à des minorités au sein du Traité de Lisbonne de 2007.

Deuxième paragraphe : Les apports du Traité de Lisbonne

L'adoption du traité par les pays de l'Union européenne le 13 décembre 2007 est apparue comme une solution pour sortir du blocage institutionnel suite au refus du Traité établissant une Constitution pour l’Europe de 2004, par la France et les Pays-Bas419. Ce nouveau traité a repris la plupart des dispositions du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, mais avec une simplification pour permettre son ratification. L'une de ces nouvelles dispositions est le respect des droits des personnes appartenant à des minorités.

Cependant, ce traité ne va pas abroger les traités antérieurs. Il va seulement apporter des modifications à la fois au Traité sur la Communauté européenne et au Traité sur l'Union européenne.

Ce traité marque, de l'avis général, un net progrès par rapport aux actuels traités et il engendre des conséquences considérables pour les citoyens de l’Union européenne comme pour les États membres. L'une de ces contributions est la Charte des droits fondamentaux qui doit acquérir une force juridique contraignante pour les Institutions de l'UE et pour les États membres sauf le Royaume-Uni et la Pologne qui vont bénéficier d'une dérogation à son

417 Cour EDH, requête n° 44888/98, « Martins Casimiro et L. Cerveira Ferreira c. Luxembourg », décision du 27 avril 1999.

418 Cour EDH, requête n° 49853/99, « Bruno Pichon et Marie-Line Sajous c. France », décision du 2 octobre 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-X.

419 Op. cit., « Traité de Lisbonne, version consolidée du Traité sur l'Union européenne ».

application par le Protocole n° 30 annexé au Traité de Lisbonne420. L'article 1§1 de ce protocole dispose que : « La Charte n'étend pas la faculté de la Cour de justice de l'Union européenne, ou de toute juridiction de la Pologne ou du Royaume-Uni, d'estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou action administratives de la Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu'elle réaffirme ». Le professeur PECHEUL pense que ce paragraphe signifie, a contrario que la Charte des droits fondamentaux s'étend bien aux autres États membres421.

Dans tous les cas, cette Charte fait désormais, incontestablement partie du droit européen. Elle devient juridiquement contraignante aussi bien pour les Institutions de l’Union européenne que pour les États membres422.

Une autre contribution du nouveau traité est l'acquisition de la personnalité juridique par l'Union européenne. A ce titre, l'Union européenne peut adhérer aux traités internationaux notamment à la Convention EDH ce qui donne, en conséquence, une valeur juridique aux libertés fondamentales annoncées dans la Convention y compris la liberté religieuse423. A cet égard, la Commission européenne a proposé en mars 2010, « des directives de négociation en vue de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme »424. La Commission a indiqué que cette adhésion « introduira un contrôle juridictionnel externe en matière de protection des droits fondamentaux dans l'Union européenne. Elle rendra la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg compétente pour réexaminer les actes des institutions, organes et agences de l’UE, y compris les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, afin de garantir le respect de la convention européenne des droits de l’Homme »425.

420 Protocole n° 30 sur l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni, dans l'annexe du Traité de Lisbonne, document 6655/1/08 REV 1, p. 399.

421 Armel PECHEUL, « Le Traité de Lisbonne, 13 décembre 2007 : la Constitution malgré nous ? », éditions Cujas, 2008, p. 104.

422 Voir les « Versions consolidées du Traité sur l'Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne », Conseil de l'Union européenne, Bruxelles, le 30 avril 2008, 6655/1/08 REV 1, article 6§1.

423 Idem, Conseil de l'Union européenne, « Versions consolidées du Traité sur l'Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne », article 6§2.

424 « Commission européenne renforce le système de protection des droits fondamentaux de l’UE », Bruxelles, le 17 mars 2010, réf. IP/10/291, disponible à l'adresse : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do? reference=IP/10/291&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en, page consultée le 24 mars 2010.

L'un des droits de l'Homme qui profite de la protection du nouveau traité est le respect des droits des personnes appartenant à des minorités (A). Mais les États membres ont refusé toute référence religieuse dans le texte du traité (B)