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Les sources internationales et européennes de la protection des droits des minorités religieuses : un apport limité

B) La possibilité d'acquérir une personnalité juridique par les minorités religieuses

2) L’accès à un statut juridique

Il est déjà signalé que la Convention européenne des droits de l'Homme n'a pas reconnu la dimension collective de liberté de la religion, en tant que liberté des minorités religieuses. La

254 Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, « Concept de ''nation'' », Recommandation 1735 (2006), texte adopté par l’Assemblée le 26 janvier 2006 (7e séance), § 10.

255 Op. cit., Gaetano PENTASSUGLIA, « Minorités en droit international », p. 48.

256 Emmanuel TAWIL, « Les relations entre l'État et les confessions religieuses en Italie », dans Cahier de la Recherche sur les droits fondamentaux, « Quel avenir pour la laïcité cent ans après la loi de 1905 ? », p. 150,

op. cit..

257 « La jurisprudence constitutionnelle en matière de liberté confessionnelle et le régime juridique des cultes et de la liberté confessionnelle en France », Rapport du Conseil constitutionnel français, éléments rassemblés par Madame le Professeur Brigitte GAUDEMET-BASDEVANT, Université Paris Sud, Jean MONNET, novembre 1998, p. 30, disponible à l'adresse : http://www.kirchenrecht.net/fr/libreg.pdf, page consultée le 9 juin 2010.

reconnaissance de l'aspect collectif de ce dispositif est le résultat d'une évolution progressive de la jurisprudence notamment celle de la Commission et de la Cour européenne des droits de l'Homme258.

Au début, le groupe n'avait pas d'existence juridique comme tel. La reconnaissance des droits collectifs qui permet aux minorités d'acquérir la personnalité juridique était inconcevable. C'est seulement les individus qui étaient reconnus capables de saisir la justice comme titulaires de droits reconnus à l'article 9§1 de la Convention EDH. A cet égard, la Commission EDH a refusé de reconnaître la personnalité juridique à une Église pour être requérante au nom de ses adeptes259. Dans l'affaire Église X c. Royaume-Uni, les autorités publiques britanniques ont interdit le fonctionnement d'un collège qui appartient à l'Église de Scientologie sur le territoire du Royaume-Uni. L'Église a porté plainte pour violation des droits collectifs reconnus à ses membres selon l'article 9§1 de la Convention. La Commission EDH a considéré la requête irrecevable considérant que l'Église de Scientologie ne pouvait pas représenter juridiquement ses membres.

Toutefois, la Commission EDH a commencé à changer sa position à partir de sa décision du 8 mars 1976 dans l'affaire X. contre Danemark. Elle a reconnu pour la première fois, qu'une Église a le droit d'exercer au nom de ses fidèles les droits reconnus par l'article 9 de la Convention EDH260.

Dans cette affaire, le requérant, qui est un prêtre, a porté plainte contre l'Église dont il est membre261. Dans sa décision, la Commission EDH a donné une interprétation large du terme « Église » qui a été considérée comme « une communauté religieuse organisée, fondée sur une identité ou sur une substantielle similitude de conviction ». Elle a considéré que les droits reconnus aux membres de cette Église selon l'article 9 de la Convention EDH, permettent à l'Église, en tant que telle, de « bénéficier d'une protection dans sa liberté de manifester sa religion, d'organiser et de célébrer son culte »262.

258 Op. cit., Julie RINGELHEIM, « Diversité culturelle et droits de l'Homme : la protection des minorités par la Convention européenne des droits de l'Homme », p. 99.

259 Commission EDH, requête n° E 3798/68 , « Église X. c. Royaume-Uni », décision du 17 décembre 1968, Recueil 29, p. 70.

260 Jean-François RENUCCI, « L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme : la liberté de pensée, de conscience et de religion », éditions du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 2004, p. 21.

261 Op. cit., Commission EDH, requête n° 7374/76, « X. c. Danemark », décision du 8 mars 1976, D.R. 5, p. 157.

La Commission a continué le changement de sa position avec sa décision du 5 mai 1979263. Elle a décidé qu’un organe ecclésial peut posséder et exercer des droits énoncés à l’article 9 de la Convention, mais à titre personnel en tant que représentant des fidèles : « Lorsqu’un organe ecclésial introduit une requête en vertu de la Convention, il le fait en réalité au nom des fidèles ». A ce titre, les minorités religieuses peuvent invoquer une ingérence dans l’ensemble des droits garantis par l’article 9.

En effet, cette décision a réfuté l'idée de la distinction entre l'Église et ses membres et elle a souligné qu'il « faut admettre qu’un tel organe, ou en l’espèce une association à but religieux et philosophique, est capable de posséder et d’exercer à titre personnel en tant que représentant des fidèles, les droits énoncés à l’article 9, paragraphe 1 »264.

La Commission EDH a, d'ailleurs, affirmé dans son rapport sur l'affaire de l'Église catholique de la Canée, la présence d’un lien entre la liberté de religion et la nécessité pour un groupe religieux d’avoir une personnalité juridique notamment pour le représenter devant les juridictions compétentes265.

Dans cette affaire, l'Église requérante a saisi la Commission EDH le 2 août 1994. Il se plaignait du refus des juridictions grecques de reconnaître, à l'Église catholique de la Vierge Marie de la Canée, la personnalité juridique qui lui permet d’ester en justice, au motif qu'elle n’avait pas rempli les démarches nécessaires prévues par la loi grecque pour bénéficier d'une protection juridique adéquate en tant que personne morale. Elle a souligné que les autres églises en Grèce comme l'Église orthodoxe ou la communauté juive peuvent profiter de cette protection sans aucune formalité ou modalité. C'est pourquoi, elle a considéré que ce refus est une atteinte discriminatoire à son droit d’accès à un tribunal, à son droit au respect de sa liberté de religion et à son droit au respect de ses biens reconnus dans les articles 6§1, 9 et 14 de la Convention EDH et l’article 1 du Protocole n° 1.

La Commission EDH a déclaré que l'un des moyens de l'exercice du droit à la liberté religieuse annoncé par l'article 9 de la Convention EDH est la protection juridictionnelle des biens meubles et immeubles qui sont utilisés par les adeptes pour la manifestation de ce

263 Commission EDH, requête n° 7805/77, « Pasteur X et Église de Scientologie c. Suède » décision du 5 mai 1979, D.R., 16, p. 68.

264 Op. cit., Jean DUFFAR, « La protection internationale des minorités religieuses », Revue de droit public et de la science politique (RDP), p. 1511.

265 Commission EDH, requête n° 25528/94, « Église catholique de la Canée c. Grèce », Rapport (31) du 3 septembre 1996.

culte266. La Commission a signalé qu'il n'y a lieu d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article 9. Cependant, elle a constaté l'existence d'une discrimination à l'encontre de l'Église requérante selon l'article 14 combiné avec l'article 9§1 de la Convention EDH267.

De son côté, la Cour EDH a considéré, à la différence de la Commission, que la plainte du requérant concerne une restriction à l'exercice de son droit d'accès à un tribunal et doit être fondée sur l'article 6§1 et non sur l'article 9268. La Cour a justifié sa position en disant que l'église requérante avait une reconnaissance indirecte de sa personnalité juridique qui n'était jamais contestée auparavant. La Cour a signalé à ce sujet qu' « une jurisprudence et une pratique administrative constantes avaient créé, au fil des années, une sécurité juridique, tant en matière patrimoniale qu'en ce qui concerne la question de la représentation en justice des différentes églises paroissiales catholiques, et à laquelle l'église requérante pouvait légitimement se fier »269.

A ce titre, la Cour a estimé qu'il y a eu violation de l'article 14 combiné avec l'article 6§1, car il n'existe aucune justification objective et raisonnable pour une différence de traitement par rapport aux autres églises270.

La Cour EDH a, d'ailleurs, confirmé dans une affaire contre la Moldavie que, le refus de reconnaissance de l'Église métropolitaine de Bessarabie au motif qu'il existait déjà une Église orthodoxe est une atteinte à sa liberté de religion271.

Dans cette affaire, l'église requérante alléguait que seuls les cultes reconnus par le gouvernement peuvent être pratiqués sur le territoire moldave. Tandis qu'elle ne pouvait pas bénéficier de la protection juridictionnelle de son patrimoine car elle est dépourvue de personnalité morale.

La Cour a remarqué qu'à défaut de reconnaissance, l'église requérante n'est pas seulement privée de la personnalité morale et ne peut pas ester en justice, mais en outre, les membres de cette église ne peuvent pas se réunir pour pratiquer effectivement leur liberté de religion sans

266 Idem, § 48. 267 Idem, § 66.

268 Cour EDH, requête n° 143/1996/762/963, « Église catholique de la Canée c. Grèce », arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, § 33.

269 Idem, § 40. 270 Idem, § 47.

271 Cour EDH, requête n° 45701/99, « Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldavie », arrêt du 13 décembre 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-XII.

violer la loi moldave sur les cultes272. La Cour a ajouté que « l’un des moyens d’exercer le droit de manifester sa religion, surtout pour une communauté religieuse, dans sa dimension collective, passe par la possibilité d’assurer la protection juridictionnelle de la communauté, de ses membres et de ses biens, de sorte que l’article 9 doit s'envisager non seulement à la lumière de l’article 11, mais également à la lumière de l’article 6 »273.

La Cour EDH a également affirmé, dans une autre affaire du 27 juin 2000, le principe que non seulement les personnes physiques et les Églises, peuvent défendre leur liberté religieuse, mais également les associations cultuelles274. La saisine est donc possible pour une association sans but lucratif dotée de la personnalité juridique275. Ce même principe a été confirmé par la Cour EDH dans son arrêt Leela Forderkreis et autres contre Allemagne de 2008 à condition que soient en cause les intérêts propres de la personne morale qu'est l'association276.

La Cour EDH a affirmé, d'ailleurs, que compte tenu de l'importance du droit à la liberté de religion, et en l'absence des raisons pertinentes et suffisantes, l'État a l'obligation de répondre rapidement et dans un court délai, à la demande de l'octroi de la personnalité juridique à un groupe religieux. Cette réponse ne doit pas être liée à l'exigence d'une présence de longue durée, de ce groupe, dans un territoire donné afin d'obtenir la personnalité juridique en tant qu'organisation religieuse. La Cour a estimé que l'existence d'une telle condition est une violation de l'article 9 de la Convention EDH277.

La Commission et la Cour EDH ont, par conséquent, reconnu au fur et à mesure, le droit de n’importe quel groupe ou minorité religieuse à obtenir, mais pas de manière inconditionnelle, la personnalité juridique nécessaire pour défendre les droits et les intérêts de leurs adeptes.

272 Idem, § 105.

273 Cour EDH, requête n° 40825/98, « Religionsgemeinschaft der ZeugenJehovas et autres c. Autriche », arrêt

du 31 juillet 2008, § 63.

274 Cour EDH, requête no 27417/95, « Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France », arrêt du 27 juin 2000, § 72, Recueil des arrêts et décisions 2000-VII.

275 Op. cit., Jean DUFFAR, « La protection internationale des minorités religieuses », p. 1511.

276 Cour EDH, requête n° 58911/00, « Leela Forderkreis et autres c. Allemagne », arrêt du 6 novembre 2008, § 79.

277 Cour EDH, requêtes n° 76836/01 ; 32782/03, « Kimlya et autres c. Russie », arrêt du 1er octobre 2009, § 99.

Deuxième paragraphe : Les lacunes de protection des droits des minorités, notamment religieuses

Le système actuel de protection des minorités a confirmé son déficit à garantir une protection optimale des droits des groupes minoritaires en tant que tels. Ce déficit est le résultat d'un manque d'engagement satisfaisant des États en faveur de la protection des droits collectifs des minorités en raison de l'absence des mesures de discrimination positive au bénéfice des minorités dans la plupart des États (A). Mais il est aussi le résultat de la présence récente de certaines minorités comme les minorités musulmanes dans l'UE, qui sont mi nationales et mi étrangères (B).