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Chapitre 2 ;;;: La mise en scTne de l’interface

3. Face-à-face

3.2. La rencontre voyageurs (STIF)

J’appelle « promoteur du projet » le rôle endossé par les professionnel et « cible » celui endossé par les voyageurs.

Illustration 17 : Photos de la rencontre voyageurs observée le 7 mars 2016 en gare de Poissy dans le cadre de la concertation complémentaire pour le projet Tangentielle Ouest phase 2. Photos de l’auteur.

Les équipes du STIF, de la SNCF et de leurs prestataires (une agence de communication, et le bureau de conseil en concertation auquel appartenait la consultante engagée pour être « modératrice » de la réunion de concertation) metent en scTne l’événement ;;;: ils installent deux « desks », l’un dans le hall central de la gare, l’autre à l’extérieur, au niveau de la gare routiTre. Un parcours féché est mis en place dans la gare pour indiquer la position des desks. Au niveau des desks sont disposés les supports de communication (afches, tracts), des formulaires pour donner son avis et l’urne destinée à les recevoir une fois remplis. Les agents endossent des chasubles qui constituent leur « costume » pour leur rôle de « promoteur » du projet. Cete mise en scTne est destinée à provoquer des interactions entre les agents et les voyageurs déambulant dans la gare, et à enrôler ces derniers pour en faire des « cibles » des « promoteurs ». Les interactions prennent la forme de courtes saynTtes interindividuelles, entre « promoteurs » et « cibles » (Illustration 17).

J’adopte dans cete situation un rôle fou, sans endosser de chasuble, mais en m’insérant discrTtement dans les diférentes saynTtes qui se déroulent en parallTle et en discutant avec des « promoteurs » lorsqu’ils n’échangent pas avec des voyageurs. J’ai donc la possibilité de voir que la mise en scTne laisse libre cours à une diversité d’interactions et à une déclinaison des rôles de « promoteur » et de « cible » et que le cadrage de la situation a la particularité d’être trTs ouvert. Il y a des cas où c’est le « promoteur » qui aborde un voyageur et cherche à l’enrôler grâce à une question d’accroche comme « vous habitez Poissy ;;;? » ou « vous en avez entendu parler ;;;? ». Dans d’autres cas, ce sont les voyageurs qui sautent sur l’occasion d’avoir des agents à leur disposition pour leur donner leur avis. Parfois, l’accroche laisse place à un long échange (qui prend diférentes formes ;;;: le « promoteur » présente le projet, répond aux questions de la « cible » ou au contraire écoute ses remarques, ou alors les deux protagonistes se lancent dans un débat) ;;;; parfois au contraire les voyageurs n’interrompent pas leur marche et atrapent au vol le tract tendu par le « promoteur », sans vraiment quiter leur rôle de voyageur. Dans les cas où le « promoteur » réussit à entamer un dialogue avec une « cible », il peut dans un deuxiTme temps l’inviter à déposer son avis dans l’urne prévu à cet efet en lui présentant un formulaire à remplir. Ces diverses saynTtes metent en scTne deux interlocuteurs, mais parfois plus, lorsqu’un ou plusieurs agents discutent avec un ou plusieurs voyageurs. La fexibilité laissée aux voyageurs est volontaire de la part des agents. L’un deux explique en aparté que le desk est positionné de maniTre à ne pas

Dans ce cadre fexible, il n’y a pas de défnition claire de ce qui entre dans le scénario et de ce qui constitue un débordement ;;;: les agents ne recadrent pas les voyageurs mais adaptent plutôt leur propre rôle au comportement des voyageurs. L’ouverture à ce qui n’entre pas strictement dans le cadre est une dimension de leur rôle. Par exemple, lorsqu’un adolescent s’amuse à déconcentrer une chargée de concertation pendant qu’elle est interviewée par un journaliste, elle se contente de prendre un air amusé. Peu aprTs, l’adolescent pose des questions sur le projet. Son air mi-moqueur mi-intéressé laisse présumer qu’il modalise25 la situation de rencontre voyageurs en la transformant en jeu. Les agents entrent dans son jeu et répondent à ses questions en souriant. Ainsi dans ce cadre fexible, les débordements ne sont pas vraiment perçus comme des débordements. Ils sont atendus et sont doucement recadrés ou banalisés par les agents qui font eux-mêmes évoluer leur rôle pour correspondre à celui induit par le voyageur. Il est intéressant de noter toutefois que comme lors de la réunion de concertation, certains sujets évoqués par les voyageurs sont considérés comme des débordements au cadre. Par exemple, beaucoup de voyageurs viennent auprTs des agents pour obtenir des informations sur la grTve en cours sans se soucier du fait que ces agents ne sont pas impliqués dans l’exploitation des lignes actuelles. Les agents ne se formalisent pas de la confusion ;;;: l’un deux précise qu’il faut s’atendre à avoir ce type d’interpellations ;;;: « on n’aura que ça ». Mais ils ne répondent pas non plus aux sollicitations des voyageurs qui, d’aprTs eux, relTvent d’un autre champ d’action du STIF. La chargée d’étude de l’AMO concertation se demande alors « vers quoi on peut les renvoyer ». Une chargée de mission du pôle concertation ajoute que « quand les usagers nous disent que le RER A ne marche pas, c’est pas à nous qu’il faudrait le dire ».

Ainsi, la rencontre voyageurs illustre un autre type de face-à-face que la réunion de concertation, au cours duquel les voyageurs sont invités à endosser le rôle de « cible » ;;;: les professionnels les laissent trTs libres dans leur interprétation du rôle de « cible ». Leur but n’est pas, comme lors de la réunion de concertation, d’amener toutes les personnes présentes à endosser strictement le même rôle de « membre du public », mais de toucher le maximum de passants et de s’adapter au niveau d’information qu’ils sont prêts à recevoir. L’ambiance conviviale, malgré le froid, entre les coéquipiers, montre la maîtrise

25 « Par mode j’entends un ensemble de conventions par lequel une activité donnée, déjà pourvue d’un sens par l’application d’un cadre primaire, se transforme en une autre activité qui prend la premiTre pour modTle mais que les participants considTrent comme sensiblement diférente. On peut appeler

qu’ils ont de la situation. Cete maîtrise leur permet de s’adapter facilement à la tournure que prend chaque saynTte.

Ces deux exemples de situations de face-à-face, la réunion de concertation et la rencontre voyageurs, sont trTs diférents ;;;: d’un côté il s’agit d’une interaction unique, entre des intervenants et un public ;;;; de l’autre côté, il s’agit d’une succession de courtes saynTtes entre des « promoteurs » et leurs « cibles ». Dans le premier cas, le cadre est explicite et est rappelé sans cesse par la « modératrice » ;;;; dans le deuxiTme cas au contraire, les coéquipiers s’adaptent en permanence à la diversité des interprétations du rôle de « cible » jouées par les voyageurs. Dans les deux cas, les professionnels emploient leur pouvoir discrétionnaire pour maintenir le cadre de la situation malgré des débordements de la part des usagers.

Je propose maintenant de prendre trois exemples tirés du cas d’étude de la startup ecov pour analyser comment ce pouvoir discrétionnaire se déploie dans un cas où les professionnels n’ont pas la même maîtrise de leurs rôles. Dans ces trois exemples la startup fait appel aux bonnes volontés pour renforcer l’équipe au cours de ses « opérations de terrain » ;;;: j’endosse moi-même les rôles de « distributeur de tracts », d’« enquêteur » et de « testeur ». Dans les trois cas, c’est la premiTre fois que j’endosse ce rôle ;;;; mais ma situation de novice n’est pas trTs diférente de celle de mes coéquipiers qui, eux aussi, prennent leurs marques dans leur mission de dialogue avec les habitants du territoire de l’expérimentation. Il ne m’était pas possible d’endosser ces rôles au STIF parce que mon manque de maîtrise du rôle à jouer aurait été fagrant à côté de celle des agents.