• Aucun résultat trouvé

Entre la reconstitution des répertoires des principes d'action des parents et des instituteurs et la saisie des liens que peuvent établir les enfants entre leurs écoles et leurs foyers, il nous a paru indispensable de s'arrêter à un niveau intermédiaire pour rendre compte des adaptations réciproques entre les écoles, leurs publics et leurs enseignants. Ces phénomènes favorisent l'établissement de divers liens entre les deux instances par les enfants et à ce titre, ne peuvent être ignorés dans cette investigation. Cette situation n'est vraisemblablement ni exceptionnelle, ni représentative de toutes les écoles maternelles ; elle constitue un cas de figure dont la fréquence reste à déterminer par d'autres recherches.

Pour chacun des deux établissements étudiés, une impression d'homogénéité sociale des élèves et un sentiment d'adéquation entre familles utilisatrices et personnel enseignant devaient être explorés. Sont-ils fondés? De quelle manière cela serait possible dans une école dont l’organisation est centralisée, dont les affectations des institutrices dépendent de l’administration, dont une carte scolaire évite les choix du public? Ce sont ces questions auxquelles s'attachent ce premier chapitre, en préalable à une approche plus microsociale de l'articulation des socialisations familiale et scolaire.

Bien sûr, la proximité sociale des familles usagers d'un établissement résulte largement de la structuration sociale de l'espace urbain. Ce phénomène est connu et ne fera pas l'objet de développement dans cette recherche. Ce qui a retenu notre attention est la force de cette homogénéité dans les deux écoles observées : la distribution de la population dans la ville, et plus précisément la composition sociale des deux quartiers, ne suffit pas à expliquer la concentration d'ouvriers dans l'une, la sur-représentation de cadres dans

190

l'autre. Quels autres mécanismes amplifient l'effet de la répartition géographique? C'est à cette question que s'attache la première partie de ce chapitre.

De plus, ces deux écoles maternelles ne diffèrent pas seulement pas leurs publics, mais aussi par leurs personnels enseignants. A ce niveau d'analyse, on est frappé de l'ajustement de l'un à l'autre. Non pas que l'harmonie soit totale dans chacun des établissements, mais une congruence existe entre les institutrices et les familles. La deuxième partie de ce chapitre explore les ressorts de cette situation.

Le fait que les enseignantes s'installent dans des établissements dont les collègues et le public leur conviennent se combine à l'installation des parents dans des écoles dont les autres familles et les institutrices les satisfont.

Mais ce rapprochement enseignants-familles n'aboutit pas au monolithisme pédagogique au sein de chaque établissement. La dernière partie de ce chapitre montre au contraire des adaptations pédagogiques diverses selon les enseignantes.

Une homogénéisation du public

Les deux écoles retenues pour leur implantation dans des quartiers socialement différents présentent chacune une très forte homogénéité sociale : l’une ouvrière à 70% avec 1/3 d’étrangers, l’autre composée de cadres et professions intellectuelles supérieures à 70% (et 2 enfants étrangers sur 83 inscrits en 91). Ce qui, dans les deux cas, amplifie très fortement les caractéristiques du quartier.

Le quartier Landrel a une image de quartier ouvrier car il en comporte 26,4 % dans une ville qui n'en compte que 16,4 % -et le quartier Duchesse-Anne 6 %. Mais l'on est encore très loin d'atteindre la proportion d'ouvriers parmi les parents de l'école Landrel (70 %).

Le quartier Duchesse-Anne est vu comme quartier chic avec ses 28 % de cadres et professions de catégorie A, dans une ville qui en présente une moyenne de 14 % -et le quartier Landrel 7 % (voir les tableaux ci-dessous). Là aussi, l'école maternelle Duchesse Anne "concentre" plus encore que le quartier les professions supérieures.

En vue de saisir les mécanismes de ces sur-concentrations, notre investigation a porté sur les processus d'homogénéisation du public de l'établissement Landrel.

Le quartier périphérique où est implantée l’école maternelle Landrel est une zone d’habitat social caractérisé par la cohabitation de catégories diverses, du fait d’une politique de mélange de petits immeubles en accession à la propriété, d’habitations à loyer modéré, de petits pavillons. Toutefois, cette hétérogénéité s’atténue largement dans les groupes scolaires, comme en témoignent les compositions des trois écoles maternelles (l’école Landrel et les deux plus proches).

192

Activités professionnelles Quartier L. (%) Quartier D. (%) Ville entière (%) Étudiants/élèves 12 26 17 Retraités 6 15 13 Autres inactifs 30 20 23 Actifs occupés 44 35 42 Chômeurs et militaires 8 4 5

Composition par activité de la population des quartiers Landrel et Duchesse-Anne.en 1990 (Source INSEE)

Position professionnelle Quartier L. (%) Quartier D.(%) Ville entière (%) non renseigné 18,6 20,7 19,5

ouvrier 26,4 6,0 16,4 agent de maîtrise 4 2,7 3,9 Technicien. Prof. interm. 12,5 12,1 14,2 Ingénieur. Cadre. 4,2 14,7 7,7 Prof. cat. A 3,8 14,8 7 Employé 26,3 12,7 23,7 Indépendant, employeur 2,6 12,9 5,6 Aide familial 1,4 3,3 2 Total 100 100 100

Répartition de la population active ayant un emploi (“actifs occupés”) dans les quartiers Landrel et Duchesse-Anne en 1990 (Source INSEE)

Pères école L. Pères école G. Pères école W. Activité indiquée Français Etrangers

(37,2%) Français Etranger s (14,8%) Français et étrangers(6,4%) Sans indication 0,3 7,6 0,4 9 1 Etudiant 0,7 1,9 0,6 0,3 3 Chômeur 5,8 11,5 7 22,7 4 Ouvrier 69,3 57,6 29 68 38 Employé 7,2 6 11,8 - 20 Prof. intermédiaire 8,7 5,9 35,4 - 19 Cadre et pr.int.sup 5 5,7 15,2 - 11 Artisan, commerç. 3 3,8 0,6 - 4 Total 100 100 100 100 100

Répartition des pères des élèves en 1990 (d’après l’indication portée par eux sur la fiche scolaire)

Activité déclarée Mères école L.(%) Mères école G.(%) Mères école W.(%) Etudiante - 2,8 1,3 Chômeuse 6,4 3,8 2,7 Ouvrière 8 5,7 2,7 Employée 67,7 48 56,7 Prof. intermédiaire 11,2 28,8 23 Cadres et pr.int.sup 6,4 10,5 13,5 Répartition des mères actives (selon leur indication sur la fiche scolaire)

194

Cette homogénéisation du public des écoles maternelles du quartier découle certes pour une part des variations de la composition sociale dans les îlots intérieurs du quartier. En l’absence de données sur ces "sous-quartiers", on ne peut que supposer cette différenciation sociale dans l’espace en considérant l’habitat (petits pavillons, immeubles en accession à la propriété, HLM). Ces disparités sont cependant limitées par la politique de brassage social voulu lors de la construction et sont insuffisantes pour rendre compte des écarts de composition des écoles.

L’homogénéisation des publics de chaque école résulte aussi conjointement des stratégies des directeurs des écoles concernées et des stratégies des parents.

En voici une illustration. Les parents d’Amélie, que l'on retrouvera plus loin, ont voulu l’inscrire dans l’école W. parce qu'elle est la plus proche de chez eux et parce qu’une puéricultrice leur en a dit du bien, m'ont-ils expliqué. Le directeur de l'école G. a argué du périmètre scolaire pour leur refuser cette inscription. En fait, il s'agit, au moment des faits, d'un découpage officieux : en l’absence de périmètre scolaire établi par la municipalité, les directeurs du secteur Landrel s’accordent entre eux sur un découpage du quartier. Ils acceptent les familles qui y résident, certains élèves qui n'y habitent pas (des enfants de secteurs plus éloignés y sont admis (cette école publique “attire” grâce à sa pédagogie Freinet) et renvoient les parents résidants hors de leur territoire et qu'ils ne souhaitent pas accueillir vers la mairie pour une demande de dérogation. Ce que les parents d'Amélie, par exemple, n’ont pas fait. Ainsi ce périmètre officieux permet aux directeurs d'écoles peu attractives de garder un effectif stable, c'est l'objectif premier, et aux directeurs des écoles attractives de trier les enfants candidats résidant en dehors de leur territoire, sur des critères qui restent flous.

C'est l'un des phénomènes engendrant une différenciation des écoles entre elles et une homogénéisation de chacune d'elles.

En face des actions des directeurs qui contribuent ici à différencier la composition sociale des écoles prennent place les actions des parents. En enquêtant à partir de l’école maternelle Landrel, les parents qui l’ont évitée n’ont bien sûr pas été rencontrés mais des

parents et des enseignants rencontrés en ont témoignés. La formation d’un public massivement ouvrier (70%) et pour 1/3 étrangers dans un quartier plus disparate (26% d’ouvriers et 22% d’étrangers) résulte aussi de choix des parents. Les motifs, les caractéristiques et les méthodes des parents qui évitent l’école maternelle étudiée sont certainement proches de ceux que révèlent d’autres études172. Sans pouvoir préciser les caractéristiques des familles concernées, il est néanmoins certain que les stratégies des parents s'ajoutent à celles des directeurs pour aboutir à contraster fortement la population des trois écoles maternelles du secteur Landrel, et à homogénéiser chacune d’elle.

Les mêmes mécanismes sont vraisemblablement à l'oeuvre dans l'école du quartier central, un quartier de demeures anciennes, de maisons récentes, de quelques petits immeubles privés, dont les résidents sont plutôt du haut de la hiérarchie sociale. Au moment de l'enquête, le périmètre officieux conduit la directrice à accepter les enfants de son territoire et à trier les candidats extérieurs, sans qu'elle n'ait à justifier de cette sélection ni à en présenter les critères. Certains parents du périmètre évitent cette "école de riches". D'autres, résidant en dehors du territoire de l'école, usent de tous les moyens pour s'y faire accepter (relations avec la directrice, demandes de dérogation à la mairie, interventions d'autorités locales). Dans l'école Duchesse-Anne, ces actions conjointes de la directrice et des parents homogénéisent "vers le haut" : l'école Duchesse-Anne, contrairement à l'école Landrel est une école que les parents choisissent pour sa bonne réputation, en tant qu'école "bien fréquentée" et en tant qu’ancienne école annexe de l’école normale.

L'homogénéisation sociale des deux écoles étudiées, "vers le haut" pour l'une, "vers le bas" pour l'autre comparativement à leur quartier d'implantation, résulte des admissions et des refus des directeurs, des évitements et des choix des parents.

172D’après Pinçon-Charlot et Rendu, les stratégies d’évitement de l’école qui a une mauvaise image du fait de sa composition sociale et ethnique seraient plutôt le fait des fractions intellectuelles des classes moyennes, qui opéreraient par fausses adresses, demandes officielles de dérogation, ou choix de l’école privée. Léger et Tripier172 constatent ces pratiques chez des familles populaires pour des élèves de CP, Français, d’un niveau socio-économique légèrement supérieur à celui du quartier et ayant de bons résultats scolaires.

196

Un autre phénomène s'ajoute à celui-ci pour aboutir à la constitution de deux établissements très contrastés : la congruence entre parents et enseignants.

L’adaptation du personnel enseignant de l’école à son public

Ce qui nous semble être de prime abord une adaptation de l’école à son public dans les deux établissements enquêtés évoque l’étude de Pinçon et Pinçon-Charlot173. Ceux-ci montrent l’adaptation de l’école de Neuilly aux familles qui la fréquentent, adaptation dans laquelle ils analysent essentiellement le rôle et l’action des parents, parlant d’”appropriation quasi privée d’un espace public”. L'adaptation de l’école à son public s’observe cependant pour des établissements moins particuliers, tels que ceux observés dans notre étude et on avancera l’hypothèse que l’ adaptation entre les familles utilisatrices et les enseignants résulte d’ajustements réciproques et non d’une manipulation des uns par les autres. A l’école de Neuilly, Pinçon et Pinçon-Charlot omettent que les enseignants participent de l'accord, en acceptant d’être disponibles, d’effectuer des cours particuliers, en assurant des activités extra-scolaires. On suppose que ceux qui refusent ces services évitent cette école ou demandent leur mutation. Les demandes de poste et de mutation de la part des enseignants, les choix d’école de la part des parents, les choix d’installation ou de changements des uns et des autres, aboutissent à une certaine harmonisation. Parents et enseignants restent dans une école qui leur convient et quittent celle qui leur déplaît, et ce sentiment résulte largement des caractéristiques des parents pour les enseignants et de celles des enseignants pour les parents. Cette interprétation rend une part active aux enseignants dans l'ajustement de l’école à son public.174

173Pinçon M. et Pinçon-Charlot M., Dans les beaux quartiers, Paris, Ed. Seuil, 1989.

174A un autre niveau d'enseignement, l'enquête de Monique de Saint Martin de l'école Notre-Dame des Oiseaux montre également l'homogénéisation sociale des élèves et des enseignantes, et l'action des familles dans la production de ce phénomène : "Une 'bonne' éducation", Ethnologie française, n°1, janvier-mars 1990, pp.62-70.

Entre les deux écoles retenues, l’une en quartier périphérique populaire, l’autre dans le secteur le plus privilégié du centre ville, les familles utilisatrices diffèrent. Mais les institutrices qui restent dans chacune de ces écoles, diffèrent également.

En fait, les enseignantes rencontrées reflètent l’hétérogénéité de cette catégorie du point de vue de la formation suivie et de l’appartenance sociale175. Pour ce qui est des modes d’entrée dans la profession, (Mmes Lemoux (PS école L) et Foy (PS école L) ont été recrutées au niveau 3 ème; Mmes Dano (MS école Landrel), Guerroua (GS école Landrel), Le Mouët (GS école Landrel) après le baccalauréat ; Mme Olliaro et Le Bars (MS et GS de l’école Duchesse-Anne.) après un diplôme universitaire. Les observateurs ont parlé du lent embourgeoisement de cette catégorie professionnelle ; il s’observe si l’on prend en compte les pères et conjoints des institutrices rencontrées. Cette hétérogénéité de diplôme et de position sociale correspond à la cohabitation de différentes générations d’institutrices : les plus anciennes sont aussi les moins diplômées et d’origine et d’alliance les moins élevées socialement.

Dans l’école du quartier populaire, les enseignantes observées sont âgées entre 40 et 50 ans, ont le niveau du baccalauréat (acquis à l’école normale pour celles qui sont entrées après la 3ème) et sont dans cet établissement depuis 15, 16 voire 17 ans. Par ailleurs, leurs parents et leurs époux sont de situation modeste ou moyenne (employé, ouvrier, technicien, contremaître). Cela peut expliquer leur adaptation au public. En effet, pour Zimmerman, les instituteurs opèrent une catégorisation hiérarchisée des enfants à partir de critères qui sont moins des acquisitions et des productions scolaires que de celui d’une connivence affective176. De manière globale, celle-ci favoriserait les enfants élevés socialement177, mais elle serait aussi liée à l’appartenance sociale des enseignants (mesurée par les catégories socio-professionnelles des parents et des conjoints). Ainsi, les enseignants de parents ouvriers, employés ou personnel de service, trouvent les enfants

175Ce qui n'est pas spécifique aux instituteurs d'école maternelle : Monique Hirschhorn souligne le recrutement hétérogène et l' "unité introuvable" des enseignants, Hirschhorn M., L'ère des enseignants, Paris, PUF, 1993.

176Zimmermann D., La sélection non verbale à l’école, Paris, Ed. E.S.F., 1986.

177L'incidence de critères sociaux dans les évaluations scolaires a été montré à d'autres niveaux d'enseignement. Bourdieu P., Saint-Martin M., "Les catégories de l'entendement professoral", A.R.S.S., n°3, mai 1975, pp. 4-22.

198

de même caractéristiques plus sympathiques que leurs collègues enseignants d’autre origine 178.

Les institutrices rencontrées restent à l’école Landrel grâce à une certaine familiarisation, une compréhension d’une population modeste et parce qu’elles apprécient le rapport avec les familles : elles expriment le sentiment d’être valorisées et respectées en tant qu’institutrice dans ce quartier, ce qui ne serait pas le cas, disent-elles, dans les quartiers privilégiés. Dans d’autres recherches, les parents de milieu populaire sont décrits par les enseignants comme mal à l’aise dans les relations d’interaction quand ils ne sont pas absents 179. Cette attitude est plutôt considérée et appréciée par les institutrices rencontrées comme l'expression d'une distance respectueuse.

Les enseignantes observées dans l’école du centre sont plus jeunes (entre trente et quarante ans), plus diplômées (les deux préparent une maîtrise d’histoire). Elles entretiennent des relations que l'on peut qualifier d'égalitaires avec les parents qui sont pour la plupart ici pourvus d’un fort bagage scolaire et culturel 180. Elles disent apprécier globalement de travailler avec ces familles ; elles ont le sentiment que leur démarche est comprise et reconnue. En cotoyant certains parents aux fonctions plus prestigieuses que la leur, elles peuvent se sentir valorisées.

Dans chaque école s’installent des institutrices à qui conviennent les familles utilisatrices. Dès 1951, Becker soulignait les déplacements des institutrices de Chicago dans les années 1940 des écoles populaires multi-ethniques des centres villes vers les

178Zimmermann D., op. cit., p.117.

179Pacaud-Breton J., “Les parents et l’école maternelle. Contribution à l’étude de la différenciation scolaire”, Paris, Université René Descartes, 1981 (thèse de 3è cycle) ; Anderson-Levitt K., “Degrees of distance between teachers and parents in urban France”, Anthropology and Education Quarterly, n°20 (2), 1989, pp. 97-117 ; Reed-Danahay D. et Anderson-Levitt K., “Backwards countryside, troubled city : French teachers ‘images of rural and working-class families”, American Ethnologist, n°18 (3), 1991, pp. 546-564.

180Les parents des classes supérieures sont souvent perçus par les enseignants comme “trop interventionnistes” ou “trop désinvoltes”. Cf. Pacaud-Breton J., op. cit., 1981; Lareau A., “Social-class differences in family -school relationships : The importance of cultural capital”, Sociology of Education, n°60 (2), 1987, pp. 73-85 ; Pinçon et Pinçon-Charlot, op. cit., 1989.

Les parents des classes moyennes entretiennent de bonnes relations avec les instituteurs , ils tiennent le rôle du “bon parent” pour échanger les informations et produire une bonne impression sur les enseignants, Sirota R., L’école primaire au quotidien, Paris, PUF, 1988.

écoles de banlieues aisées181. Chapoulie en 1973 envisage pour carrière des instituteurs cette “mobilité horizontale” qui consiste à changer d’établissement jusqu’à trouver un lieu idéal d’exercice182. Cette quête de l’établissement qui convienne se rapproche des parcours des enseignants décrits par Léger183 (les enseignants de lycée les plus gradés quittent les lycées populaires pour des lycées bourgeois), par Hamon et Rotman 184 (plus l'enseignant est diplômé, plus il a de l’ancienneté et plus il s’achemine du nord au sud, des bourgs vers les villes, de la province vers la capitale), et par M. Hirschhorn (les enseignants se référant au modèle du magister recherchent un "bon" public).

A travers les choix des enseignantes, nos deux écoles maternelles s’adaptent à la population qu’elles recrutent. Les moins diplomées et les moins élevées socialement se disent valorisées et satisfaites dans une situation de relatif contraste vis-à-vis des familles, elles s'y sentent rassurées. Les plus diplômées et d'origine et/ou d'alliance plus élevées apprécient une situation de rapprochement vis-à-vis des familles. 185

Notre observation très localisée fournit une hypothèse à valider à travers d’autres études : l’articulation entre socialisation familiale et scolaire est facilitée par les stratégies des institutrices et des parents qui se choisissent en partie, malgré les barrages institutionnels.

Il ne faudrait pas en conclure que les institutrices de chaque établissement, proches entre elles par l'âge, le parcours et la situation sociale, traitent de la même manière leur public. Parallèlement aux phénomènes d’adaptations réciproques entre enseignants et publics, pouvant être perçus comme “effets établissements”, d’autres phénomènes se jouent au

181Becker H., Role and Career Problems of the Chicago Public School Teacher, Doctoral dissertation, University of Chicago, 1951 (édité New York, Arno Press, 1980).

182Chapoulie J.M., “Sur l’analyse sociologique des groupes professionnels”, Revue Française de Sociologie, n°14 (1), pp. 86-114.

183Léger A., “Les déterminants sociaux des carrières enseignantes”, Revue Française de Sociologie, n°22 (4), 1981, pp. 549-574.

184Hamon H. et Rotman P., Tant qu’il y aura des profs, Paris, Seuil, 1984.

185Les phénomènes de congruence ont été étudiés finement entre les enseignants et les étudiants. Cf. Bourdieu P., Passeron J.-C. et de Saint Martin M., "Rapport pédagogique et communication", Cahiers de Sociologie Européenne, Paris, Mouton/Bordas, 1965 ; Bourdieu P. et Passeron J.-C., Les héritiers, Paris, Minuit, 1964.