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considérations méthodologiques 2.1 Objectifs

5.2 Le langage maternel adressé à des nourrissons : relations prédictives et étiologie

5.2.1 La quantité de stimulation verbale maternelle

En premier lieu, les résultats de la thèse montrent que la quantité de verbalisations maternelles prédit l'étendue du vocabulaire expressif chez l'enfant, mais à 60 mois seulement. Cette association à très long terme, soit 55 mois après l'observation des comportements verbaux maternels, suggère la présence d'une certaine stabilité dans la quantité totale de stimulation verbale maternelle adressée aux enfants. Les mères qui parlent beaucoup à leur nourrisson de 5 mois continuent sans doute à le faire durant le développement de l'enfant, ce qui s'avère profitable pour les phases subséquentes de l'apprentissage du langage.

Par ailleurs, cette association ne peut être expliquée par le niveau d'éducation de la mère. En effet, une possibilité est que les mères plus éduquées ont des enfants qui développent plus rapidement leurs compétences langagières. Cependant, des effets directs de l'éducation maternelle et de la quantité de verbalisations maternelles ont plutôt été observés ce qui indique qu'être plus éduquée contribue au développement langagier de l'enfant, mais que parler davantage au bébé prédit également le développement du vocabulaire de l'enfant. Les mères qui parlent plus ont donc des enfants qui ont des vocabulaires plus étendus à 60 mois, et ce, nonobstant leur niveau d'éducation. L'association entre la quantité de verbalisations des mères et le vocabulaire à 60 mois ne s'explique pas non plus par le sexe de l'enfant, les facteurs de risque périnataux ou l'âge de l'enfant à la passation des épreuves de vocabulaire. Il en résulte donc que la quantité totale de stimulation verbale maternelle apporte une contribution significative et directe au vocabulaire de l'enfant avant l'entrée à l'école.

Cependant, l'absence de relation entre la quantité de verbalisations de la mère et le langage de l'enfant avant 5 ans est un résultat inattendu compte tenu des études antérieures (Hart & Risley, 1992; Huttenlocher et al., 1991). Néanmoins, la contribution de la quantité de stimulation verbale maternelle demeure controversée, puisque plusieurs études n'observent pas non plus cette association (notamment Pan, Rowe, Singer & Snow, 2005; Hoff & Naigles, 2002). De fait, il semble que cette relation s'exprime davantage par une fréquence plus élevée de comportements verbaux spécifiques, comme les verbalisations sensibles (Rosenthal Rollins, 2003), la longueur moyenne des énoncés maternels (Hoff &

Naigles, 2002) et la diversité des mots employés par la mère (Pan et al., 2005). Par ailleurs, pour les phases précoces du développement langagier, notamment l'acquisition des premiers mots, il se peut que la redondance dans la stimulation verbale soit plus importante que la fréquence de cette stimulation. Effectivement, compte tenu des stratégies d'apprentissage statistique favorisées par les bébés (Graf Estes, 2009), les répétitions présentes dans le langage des mères pourraient jouer un rôle essentiel dans les premiers apprentissages langagiers. Cette caractéristique du langage maternel pourrait également s'avérer aidante à plus long terme, notamment en proposant des structures syntaxiques invariables qui favorisent l'apparition et l'apprentissage des combinaisons de mots lors de la troisième année des enfants.

Comment expliquer que la contribution de la quantité de stimulation verbale ne s'observe qu'à 60 mois? Dans un premier temps, par définition, une quantité plus importante de verbalisations maternelles se traduit par une fréquence d'exposition supérieure au langage. Une fréquence plus élevée de stimulation verbale maternelle accroît les occasions d'apprentissage, notamment en offrant l'opportunité à l'enfant d'être exposé à plus de mots, aux mêmes mots de façon répétitive ou à plusieurs mots différents. À 60 mois, l'enfant est également plus apte à bénéficier des indices contextuels, sémantiques et syntaxiques présents dans les verbalisations des mères pour déduire de nouveaux mots (Hoff, 2005). En outre, il se peut que les enfants bénéficient d'une plus grande quantité de verbalisations maternelles plus tard au cours de leur développement compte tenu de leurs habiletés croissantes en mémoire phonologique (Gathercole & Baddeley, 1989). Ils sont alors en mesure d'encoder plus facilement l'information qui leur provient d'une stimulation maternelle fréquente, mais également d'aller la récupérer plus facilement en mémoire. Enfin, l'association entre la quantité de langage maternel et le vocabulaire de l'enfant à 60 mois pourrait également refléter une prédisposition génétique commune entre la mère et l'enfant qui se manifeste à cet âge. Une corrélation gène-environnement passive pourrait expliquer l'association observée : les mères qui parlent plus ont également des enfants qui possèdent un vocabulaire expressif plus étoffé sur la base d'un bagage génétique commun et cette ressemblance se concrétise vers 60 mois.

Ces différentes pistes d'interprétation sont suggérées par les résultats issus de la thèse, mais ne peuvent être départagées à la lumière de ceux-ci. Un examen de ces aspects particuliers permettrait certainement une meilleure compréhension des mécanismes enjeu, particulièrement pour l'apprentissage langagier à long terme.

Qu'en est-il de l'étiologie de la quantité de verbalisations maternelles? La thèse indique que ces comportements verbaux maternels sont probablement attribuables en majeure partie à des caractéristiques propres à la mère. En effet, des facteurs de l'environnement commun expliquent 77% de la variance de la quantité de discours maternel. Comme l'environnement commun est relié à ce qui rend les jumeaux d'une famille semblables sur un trait et qu'ici ce trait est un comportement maternel, on peut conclure que ce sont principalement des caractéristiques de la mère qui contribuent à la quantité de verbalisations qu'elle adresse à son enfant. Il se peut toutefois que le contexte explique aussi en partie une plus grande similarité dans les verbalisations que les mères adressent à leurs deux enfants. En effet, les situations d'interactions ont eu lieu le même jour pour chaque jumeau dans le contexte de la visite en laboratoire et parfois l'une à la suite de l'autre. Ceci peut donc avoir créé une certaine stabilité chez la mère attribuable à des effets situationnels.

Les proportions restantes de la variance entre mères pour la quantité de verbalisations sont expliquées par des facteurs de l'environnement unique, incluant l'erreur de mesure. Cette part de la variance est ce qui explique des différences entre enfants qu'on ne peut attribuer à leur similarité génétique. Il se peut donc que des facteurs ponctuels soient en cause, comme l'inconfort d'un enfant ou la fatigue. Mais en somme, il semble peu probable que des caractéristiques héritables de l'enfant jouent un rôle important à cet âge sur ces comportements verbaux maternels. Ce sont plutôt des facteurs reliés à l'environnement qui expliquent les différences entre mères dans la fréquence à laquelle elles parlent à leur enfant. Des caractéristiques des mères, qui leur sont propres ou qui sont évoquées par une situation spécifique d'interactions, sous-tendent donc la propension qu'elles ont à plus ou moins parler à leur nourrisson.

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