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considérations méthodologiques 2.1 Objectifs

5.2 Le langage maternel adressé à des nourrissons : relations prédictives et étiologie

5.2.3 L'intrusion verbale maternelle

Au contraire des verbalisations sensibles, les verbalisations intrusives se sont avérées négativement associées au vocabulaire de l'enfant. L'intrusion verbale représentait

en moyenne moins de 5% des verbalisations des mères, mais celles qui utilisaient davantage de verbalisations redirigeant l'attention de leur enfant ont eu des enfants dont le vocabulaire était moins étoffé aux plans réceptif et expressif à 30 mois et au plan réceptif à 60 mois. Cette contribution négative de l'intrusion verbale à 5 mois est cohérente avec ce qui a déjà été observé auprès d'enfants plus âgés (notamment, Murray & Hornbaker, 1997; Tomasello & Farrar, 1986).

L'intrusion verbale peut agir négativement sur le développement langagier de plusieurs façons. D'abord, une hypothèse évoquée dans la littérature pour expliquer la contribution négative de l'intrusion verbale est qu'elle impose une surtaxe cognitive à l'enfant lors de l'apprentissage de nouveaux mots. L'enfant doit changer son centre d'attention pour faire une association mot-objet appropriée, une tâche plus complexe que s'il porte déjà attention à l'objet de référence (Tomasello & Farrar, 1986). Cependant, cette hypothèse semble peu probable ici puisque la relation est observée avec le vocabulaire à 30 et à 60 mois : les enfants se situent alors à un stade plus avancé de leur développement cognitif, attentionnel et langagier.

Une deuxième hypothèse est que la mère qui redirige l'attention de l'enfant alors qu'il est déjà engagé ailleurs montre qu'elle décode mal les signaux de son enfant. Une telle mère est plus susceptible de rater les occasions de stimulation langagière alors que l'enfant y serait disposé. Les effets de cette attitude verbale chez la mère pourraient paraître davantage à long terme compte tenu des effets cumulatifs que peut avoir une telle attitude sur le développement des habiletés lexicales et, par extension, sur le développement des habiletés syntaxiques et social-pragmatiques. La première étape du développement langagier implique que l'enfant segmente les mots du flot continu de paroles entendues. Il est peu probable que l'intrusion verbale maternelle entrave ce processus qui semble davantage reposer sur les caractéristiques formelles du langage maternel, notamment la prosodie et les répétitions (Hoff & Naigles, 2002). Au contraire, l'intrusion verbale semble affecter les phases subséquentes de construction d'un lexique riche et varié, alors que l'enfant bâtit ses connaissances sémantiques relatives à l'emploi des mots. En redirigeant l'attention de l'enfant vers un nouvel objet ou une nouvelle activité, la mère rate plusieurs

occasions d'élaborer sur un sujet avec l'enfant et ainsi de l'aider à étoffer ses connaissances lexicales. Ceci semble se traduire par un vocabulaire moins étoffé à l'entrée à l'école.

Une autre explication possible serait plutôt que les mères sont plus intrusives en réponse à certaines caractéristiques des enfants qui, elles-mêmes, sont associées à un développement du langage plus lent. L'étiologie génétique de l'intrusion verbale maternelle semble appuyer cette hypothèse. En effet, les comportements verbaux intrusifs démontrent une héritabilité significative. Des facteurs génétiques de l'enfant expliquent jusqu'à 44% de la variance des verbalisations intrusives, alors que le reste de la variance s'expliquerait par des facteurs reliés à l'environnement unique. Des caractéristiques héritables de l'enfant jouent donc un rôle significatif dans l'étiologie de l'intrusion verbale maternelle avec des

enfants de 5 mois.

Parmi les caractéristiques de l'enfant qui pourraient évoquer des comportements verbaux intrusifs, mais également être négatives pour le développement langagier, les capacités attentionnelles de l'enfant semblent un candidat potentiel. Des enfants ayant plus de difficultés à contrôler leur attention pourraient provoquer plus de verbalisations intrusives de la part de leur mère qui viserait alors à susciter et maintenir l'intérêt de l'enfant. Ces limites attentionnelles chez l'enfant pourraient également affecter leur apprentissage langagier. On sait, par exemple, que les capacités attentionnelles sont associées à l'acquisition du vocabulaire (Karrass, Braungart-Rieker, Mullins & Burke Lefever, 2002). Par exemple, les nourrissons de 6-8 mois qui sont capables d'alterner leur focus visuel entre leur mère et l'objet nommé ont plus de facilité à apprendre l'association entre l'objet et son nom (Gogate, Bolzani & Betancourt, 2006). Il se pourrait donc que l'intrusion verbale maternelle survienne en réponse à des difficultés de contrôle attentionnel et, qu'en même temps, les difficultés de contrôle attentionnel soient associées à un apprentissage plus lent du langage.

Par ailleurs, les mères pourraient prendre un rôle plus directif dans l'interaction face à des enfants faisant preuve de peu de réciprocité. Les mères pourraient diriger davantage l'interaction en réponse à un enfant moins sociable, par exemple qui présente peu d'affects positifs comme des sourires ou qui vocalise moins. Ces enfants pourraient d'ailleurs, globalement, être exposés à moins de stimulation verbale de la part de leur environnement

et ainsi développer moins rapidement et efficacement leurs habiletés langagières (Slomkowki, Nelson, Dunn & Plomin, 1992).

Il se peut également qu'un discours maternel intrusif soit un élément d'un style parental globalement moins sensible, marqué aussi par des conduites hostiles-réactives. Comme pour les verbalisations intrusives, les comportements hostiles-réactifs auto- rapportés des mères seraient en partie'héritables (Boivin et al., 2005). L'utilisation de verbalisations intrusives pourrait alors s'inscrire dans un ensemble de conduites maternelles plus négatives émises en réponses à des caractéristiques de l'enfant. On sait par ailleurs que des conduites restrictives de la part des mères sont négativement associées au développement langagier, cognitif et social (Landry, Smith, Miller-Loncar & Swank,

1997). L'intrusion verbale maternelle pourrait donc s'inscrire dans un ensemble de conduites parentales néfastes pour le développement de l'enfant. Des études sont nécessaires pour améliorer notre compréhension de l'intrusion verbale maternelle compte tenu de son rôle négatif dans le développement de l'enfant.

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