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considérations méthodologiques 2.1 Objectifs

5.3 Revisiter le langage adressé aux enfants : aspects du langage maternel « dirigés » par l'enfant

5.3.1 Considérations pour l'intervention

Les résultats de la thèse ont également des implications pour les programmes d'intervention visant à améliorer les habiletés langagières des enfants. En effet, ils indiquent que des comportements verbaux maternels présents dès 5 mois prédisent l'étendue du vocabulaire des enfants, et ce, à long terme. Ce que les mères disent et comment elles le disent à des enfants qui ne parlent pas encore contribuent déjà au développement langagier. Et certains de ces comportements verbaux, notamment la quantité totale de stimulation verbale et la sensibilité des interactions verbales, sont davantage tributaires des caractéristiques de la mère. Cela suggère qu'il peut être possible d'intervenir auprès des mères pour les sensibiliser à adopter des conduites verbales mieux adaptées. Améliorer ces facettes du langage maternel implique donc de viser ces caractéristiques, notamment la connaissance du développement de l'enfant (Rowe, 2008) et la dépression maternelle (Rowe et al., 2005). Par exemple, Clark, Tluczek et Brown (2008) ont montré qu'en traitant la dépression post-partum à l'aide de rencontres d'intervention visant la relation mère-enfant on pouvait améliorer la qualité du langage des mères. Ainsi, cibler des caractéristiques maternelles permet de modifier leur langage.

Par ailleurs, les interventions devraient également favoriser un volet où l'impact des caractéristiques de l'enfant sur l'intrusion verbale est abordé. Ainsi, il importe de sensibiliser les mères à leurs réactions évoquées par des comportements de l'enfant. On

pourrait donc viser à minimiser la fréquence des verbalisations intrusives et ainsi prévenir leur impact négatif sur le langage de l'enfant. De façon générale, les études proposent des programmes d'intervention visant à augmenter les comportements sensibles de la mère, et par extension, diminuer l'intrusion. Ainsi, Jaffee (2007) a montré qu'une amélioration des conduites parentales par l'augmentation des comportements sensibles et une stimulation cognitive plus fréquente était associée à de meilleures habiletés langagières chez des enfants issus de familles référées aux services sociaux américains. De même, Landry, Smith, Swank et Guttentag (2008) ont montré une augmentation des comportements maternels sensibles suite à une intervention parentale. Cependant, seule la richesse du discours maternel était en lien avec le développement du langage chez les enfants dans cette étude, alors que la sensibilité maternelle était davantage associée aux comportements de l'enfant. Il est à noter que cette étude ne prenait pas spécifiquement en considération le rôle de l'enfant sur les comportements maternels. Il est possible qu'inclure une telle composante, soit de sensibiliser les mères à leurs réactions face aux comportements ou au tempérament de l'enfant, puisse favoriser également le développement langagier spécifiquement.

Enfin, les résultats de la thèse suggèrent qu'une intervention précoce est de mise, puisque des facettes du langage de la mère présentes dès que les nourrissons sont âgés de 5 mois sont associées au vocabulaire de l'enfant. D'autres études avaient également montré des contributions du langage maternel dès 9-10 mois (Paavola et al., 2005; Rosenthal Rollins, 2003), ce qui indique que la période prélinguistique revêt une importance notable pour le développement langagier. Une intervention tôt dans le cours du développement de l'enfant apparaît donc de mise pour limiter l'impact à long terme des comportements verbaux intrusifs, entre autres.

5.4 Limites

Bien qu'elle apporte des contributions novatrices et significatives, la thèse présente certaines limites. Dans un premier temps, l'étude du langage maternel auprès d'un échantillon de jumeaux peut limiter la généralisation des résultats. Il faut toutefois noter que le patron de relations observé est tout à fait compatible avec les résultats obtenus lors

d'études antérieures effectuées auprès de singletons (e.g. Huttenlocher et al., 1991; Tamis- LeMonda, Bornstein & Baumwell, 2001). Néanmoins, une certaine prudence devrait être exercée avant de généraliser les résultats à tous les enfants.

Par ailleurs, le langage maternel a été appréhendé au cours d'une situation de jeux libres en laboratoire durant une courte période de 5 minutes. L'échantillon langagier obtenu est donc très restreint et ne constitue qu'une fraction de la stimulation verbale maternelle reçue par l'enfant. Mesurer le langage maternel en laboratoire limite également la représentativité du discours maternel, puisqu'il est possible que les mères aient réagi au fait d'être dans un milieu étranger, mais aussi au fait d'être filmées en interaction avec leur enfant. Ces aspects peuvent donc entraîner une inflation des erreurs de mesure, c'est-à-dire une différence entre le comportement tel qu'il se produit réellement et la mesure obtenue. Néanmoins, et nonobstant ces sources éventuelles d'erreurs, des associations significatives sont tout de même observées entre le langage des mères et l'acquisition du langage chez l'enfant. Il semble donc que la situation de jeux libres arrive à mettre en évidence des comportements verbaux maternels significatifs pour le développement langagier qui ne sont pas simplement provoqués par la mise en situation spécifique à l'étude. De même, les résultats obtenus sont compatibles avec les études antérieures ayant évalué le langage maternel en milieu naturel (Bornstein et al., 2008; Hart & Risley, 1992; Huttenlocher et al.,

1991; Landry et al., 1997; Masur, Flynn & Eichorst, 2005).

Toutefois, la situation de jeux libres impliquait d'étudier le langage maternel alors que la mère est en compagnie d'un seul jumeau et sans autre contrainte. Ce type de situation constitue une partie seulement des interactions langagières auxquelles sont exposés les jumeaux. Ces derniers sont probablement plus souvent exposés à un contexte de triade, soit la mère avec ses deux enfants, ou encore à un contexte où la mère doit partager son attention, comme par exemple lorsqu'il y a présence d'autres enfants ou lorsqu'elle doit prodiguer des soins. Ces contextes pourraient avoir des répercussions sur la quantité de verbalisations adressées à chaque enfant, mais également sur la qualité des échanges langagiers (Jones & Adamson, 1987). Les comportements verbaux maternels étudiés dans la thèse gagneraient à être évalués dans des situations d'interactions triadiques ou plus naturelles pour préciser la nature de l'environnement langagier des jumeaux.

Une autre limite peut être associée à l'utilisation d'un échantillon de mères québécoises francophones. Les relations obtenues pourraient être différentes pour les dyades mère-enfant non francophones ou d'une culture différente. Bornstein et collaborateurs (1992) ont en ce sens démontré des différences dans le discours des mères françaises, comparativement à celui de mères provenant d'autres nationalités. Par exemple, les mères françaises, comparativement aux mères américaines, japonaises et celles provenant d'Argentine, n'augmenteraient pas la quantité de stimulations qu'elles adressent à l'enfant en fonction de son âge et pourraient présenter moins de sensibilité verbale. Cette étude ne renseigne toutefois pas sur le langage des mères québécoises qui pourrait présenter des différences comparativement au langage des mères françaises. Ici encore, généraliser les résultats appelle à la prudence. Cependant, comme mentionné précédemment, les relations observées dans le cadre de la thèse sont similaires à celles retrouvées auprès d'échantillons anglophones (Huttenlocher et al, 1991; Tamis-LeMonda et al., 2001). Ceci indique que les résultats peuvent probablement être valides auprès de populations autres que québécoises.

Enfin, une des prémisses de la thèse, et la base de l'interprétation faite des résultats du premier article, repose sur une certaine stabilité des comportements verbaux maternels pour expliquer l'association à long terme qui est montrée entre le langage des mères et le vocabulaire de l'enfant. L'étude longitudinale du langage maternel serait toutefois nécessaire pour tester cette hypothèse et observer ce qui demeure stable dans le temps chez une même mère et ce qui varie dans le temps et en fonction de quoi. On pourrait ainsi observer dans quelle mesure les mères adaptent leur niveau de langage aux compétences de leur enfant et quelles caractéristiques de l'enfant influent sur le langage parental à différentes périodes du développement.

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