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Distinguer les services des biens : l’interactivité à la source de l’innovation de service

I. L’affirmation des services face à l’industrie

II.1. La multiplicité des définitions du service

À l’évidence, le service ne se définit pas simplement, puisqu’il s’avère difficile d’englober les activités disparates qui relèvent de ce terme dans une seule définition. Frédéric Jallat (1992) a déjà effectué un important travail d’énumération des définitions proposées par la littérature. La présente étude se limite à préciser les grands axes de définitions et les critiques qu’elles ont pu recevoir.

Les deux premiers types de définition sont distingués par Faridah Djellal, Camal Gallouj et Faïz Gallouj (2001). Ceux-ci différencient la représentation fonctionnelle du service du triptyque des critères techniques : la première est davantage propre aux économistes des services qui cherchent à « dénombrer » les activités de service ; le second relève plutôt du management des services qui cherche à distinguer les spécificités des services pour proposer d’autres modèles de management. Un troisième et dernier type de définition existe, celui issu du marketing des services, qui mérite d’être pris en compte : il cherche à définir la prestation de service en fonction de ses composantes marketing.

II.1.1. Une définition à partir de l’activité

La première définition qui relève d’une approche fonctionnelle du service et qui est largement reprise aujourd’hui dans la littérature est celle de Peter Hill (1977) : un service peut être défini comme « la transformation de la condition d’un individu, ou d’un bien appartenant à un agent économique quelconque, résultant de l’activité d’un autre agent économique, à la demande ou avec l’agrément du premier agent. » [Traduction de Gadrey (1992), p.18] Jean Gadrey (1992) reprend cette première définition de Peter Hill et l’affine en proposant son triangle des services : une activité de service est une opération, visant à une transformation d’état d’une réalité C, possédée ou utilisée par un consommateur (ou client, ou usager) B, réalisée par un prestataire A à la demande de B, et souvent en relation avec lui, mais n’aboutissant pas à la production d’un bien susceptible de circuler économiquement indépendamment du support C. Jean Gadrey accentue la part de la relation de service comme mode de coordination entre A et B, et, surtout, il insiste sur le résultat et sa relative intangibilité ou immatérialité, même si ces deux mots ne recouvrent pas totalement sa définition. Cela permet notamment de relever l’une des faiblesses de la définition de Peter Hill, à savoir l’impossibilité d’y différencier les biens des services.

Jean Gadrey [Gadrey et Zarifian (2002)], en approfondissant sa première définition, y inclut plus de services, et notamment l’hôtellerie ou la restauration. Il identifie une production économique de services, dans les systèmes capitalistes développés, dans les deux cas suivants.

Dans le premier cas, lorsqu’une organisation A, qui possède ou contrôle une capacité technique et humaine vend (ou propose à titre gratuit, s’il s’agit de services non marchands) à un agent économique B le droit d’usage de cette capacité et de ces compétences pour une certaine période, pour produire des effets utiles sur l’agent B lui-même, ou sur des biens C qu’il possède ou dont il a la responsabilité.

Dans le second cas, lorsqu’un ménage ou un consommateur final emploie lui-même un salarié pour s’occuper de ses biens ou de sa personne.

Faridah Djellal, Camal Gallouj et Faïz Gallouj (2002) précisent la définition de Jean Gadrey en transformant le triangle en pentagone des services. Ils y ajoutent des éléments environnementaux qui influent sur la prestation : l’organisation prestataire et les institutions de régulation. Ils prennent notamment l’exemple de l’hôpital dans lequel les institutions réglementaires sont fortes,

et dans lequel le médecin traitant ou la famille peut se voir accorder un rôle dans la réalisation ou la prescription de la prestation.

Toutefois, les deux définitions initiales de Peter Hill (1977) et de Jean Gadrey (1992) ne résistent pas aux critiques de Philippe Zarifian (2000) qui les trouve trop économiques et pas assez sociologiques. Il formule trois remarques principales :

1. la définition de Peter Hill prend le prestataire et le destinataire comme des agents économiques individuels, isolés, et oublie qu’ils sont eux-mêmes des produits de ce processus de socialisation, et qu’il n’est pas possible de comprendre leur comportement si on les appréhende de manière isolée et ponctuelle ; la relation de service et les interactions informationnelles entre A et B dans la définition de Jean Gadrey (1992) n’atténuent que légèrement cette critique ;

2. la définition de Peter Hill fait comme si le prestataire et le destinataire étaient des individus ;

3. ces deux définitions font l’impasse sur la valeur ; le service est pour Philippe Zarifian (2000) une création de valeur.

Philippe Zarifian (2000) insiste notamment sur la valeur de service, que ce soit la valeur des effets (le résultat) ou l’efficience dans l’utilisation des ressources. Il va plus loin que des économistes comme Faridah Djellal, Camal Gallouj et Faïz Gallouj (2001) qui se limitent, comme Jean Gadrey et Peter Hill, à une définition qui n’intègre aucune notion de résultat, de qualité, d’efficience, de valeur : « Rendre un service c’est organiser la réponse à un problème (générer des caractéristiques de service nouvelles ou améliorées) en mettant à la disposition du client un ensemble de capacités et de compétences (humaines, technologiques, méthodologique, organisationnelles). » [Djellal et al. (2001), p.16]

II.1.2. Une définition selon ses composantes intrinsèques

La deuxième définition est principalement basée sur les caractéristiques techniques et sur les spécificités du service : immatérialité, interactivité, immédiateté, périssabilité, simultanéité et hétérogénéité. La comptabilité nationale est certainement à l’origine de ces définitions dans la mesure où elle distingue les biens des services, comme outputs de l’activité de production, essentiellement sur le critère de la matérialité. D’ailleurs, dans la définition originelle de la comptabilité nationale, les services sont les activités dont le résultat de la production n’est ni un bien physique ni un bâtiment.

La question de l’intangibilité est reprise par Lynn Shostack (1982) pour qui les services sont des actes ou des processus qui n’existent que dans le temps. Elle est la première à insister sur les éléments intangibles du service. Elle propose un modèle moléculaire pour mettre en évidence les interactions entre les éléments intangibles et tangibles d’un service.

Mais les services se caractérisent tout autant par leur immatérialité que par leur interactivité et leur immédiateté. C’est la combinaison de ces trois caractéristiques qui permet de définir le service. Christian Grönroos (1990) attache d’ailleurs une importance notable à l’intangibilité et l’interactivité du service : « A service is an activity or series of activities of more or less intangible nature that normally, but not necessarily, take place in interactions between the customer and service employees and/or physical resources or goods and/or systems of the service provider. »9[Grönroos (1990), p.27] L’interactivité entre le

9« Un service est une activité ou une succession d’activités de nature plus ou moins intangible qui naît normalement,

mais pas nécessairement, dans l’interaction entre le client et le personnel de l’entreprise de service ou les biens et ressources physiques ou les systèmes du prestataire de service. »

client et le prestataire est incontournable, que l’interface de la prestation soit physique ou humaine.

Deux de ces trois caractéristiques sont reprises en détail dans la définition de Jean Gadrey (1992) : « On trouve, dans les travaux portant sur les services, divers critères visant à caractériser plus précisément ces activités, mais il est largement admis qu’aucun ne suffit, à lui seul, à rendre compte de la diversité des situations rencontrées. Cela peut conduire à penser que “les services” sont une addition d’activités n’ayant au fond rien en commun. (…) Les services seraient ainsi successivement caractérisés par le fait que :

1. leur “produit” final ne serait pas stockable, ni transportable (…) ;

2. leur “produit” serait “immatériel”, (…) il périrait à l’instant même de sa production (…) ; 3. leur processus de production, ou prestation, supposerait une proximité et une interaction

étroites entre prestataire et client ou usager, pouvant aller jusqu’à la co-production du résultat. » [Gadrey (1992), p.17-18]

Cette définition met en avant l’immatérialité et l’interactivité du service : elle introduit également la périssabilité du service en raison de sa nature non stockable et non transportable. Certes, Jean Gadrey omet de mentionner dans ce texte l’immédiateté du service, mais il l’avait déjà mentionnée par ailleurs [Gadrey (1991)]. L’immédiateté ne doit pourtant pas être ignorée. Comme Faïz Gallouj, Jean Gadrey et Edwige Ghillebaert (1999) l’expliquent, il importe de faire la distinction entre le produit direct (immédiat), qui correspond à la prestation de service en actes, et le produit indirect (médiat), le résultat dans le temps. Le produit médiat prend justement en compte les effets éventuels du service dans la durée ainsi que d’autres facteurs d’environnement. D’ailleurs, Jean Gadrey (1991) estime que le résultat est encore moins susceptible d’être présenté comme produit que le service immédiat.

Du reste, une caractéristique fondamentale du service, sous-entendue dans l’immatérialité, ne saurait être laissée dans l’ombre : la simultanéité de la consommation et de la production. « Dans le cas de la production industrielle, la vente du bien est postérieure à sa production et antérieure à sa consommation. L’objet est donc vendu et promu parce qu’il existe. Dans le cas d’une prestation de service, ce rapport est inversé : le service est vendu avant d’être produit et consommé. » [Téboul (1999), p.35] C’est un des arguments qui sous tend le point de vue selon lequel, dans le cas des services, l’on ne peut pas séparer la conception, la production et la distribution du service.

Une dernière spécificité du service est également souvent mise en avant pour le définir : son hétérogénéité. Elle apparaît à plusieurs reprises dans la littérature et est notamment reprise dans le modèle « IHIP » utilisé par Giuseppe Catenazzo et Emmanuel Fragnière (2008) pour définir un service. Les deux « I » représentent l’immatérialité et l’instantanéité déjà mentionnées, le « P » la périssabilité et le « H » l’hétérogénéité. L’hétérogénéité du service signifie la difficulté de standardiser complètement la prestation en raison d’une clientèle et d’un personnel non homogènes. Si Jean Gadrey (1992) ne la mentionne pas dans sa définition, c’est certainement parce que l’hétérogénéité de la prestation peut être interprétée comme la conséquence des autres propriétés.

Est-ce l’ensemble de ces caractéristiques techniques – immatérialité, interactivité, immédiateté, périssabilité, simultanéité, hétérogénéité – qui entretiendrait un mythe de la spécificité des services ? Le service est difficilement standardisable en raison de son interactivité et de son intangibilité ; le service est à la fois médiat et immédiat ; le service ne se distingue pas de son processus de production dans la mesure où il est immatériel. Ce n’est donc pas un mythe : les services ont bien des spécificités par rapport aux biens matériels.

II.1.3. Une définition en termes d’offre marketing

Reste à aborder la dernière définition, celle issue du marketing des services. Le service y est pensé de manière plus globale, comme un ensemble marketing à vendre, à positionner, à « packager », à « merchandiser ». Richard Normann (1994) propose de définir le service à partir des cinq éléments qu’il considère essentiels dans un système de prestation : le segment de marché, le concept de service (base, périphérique), le système de prestation (personnel, client, support physique), l’image, la culture et la philosophie. Richard Normann ne se limite donc pas aux caractéristiques intrinsèques du service, il élargit la compréhension du service à son environnement dans la mesure où cet environnement le positionne sur le marché. Non seulement la réussite d’une prestation sera fonction de sa valeur intrinsèque, mais elle sera aussi fonction du personnel qui l’aura vendu, de l’image et de la culture que l’entreprise véhiculera, tant en interne que vis-à-vis de l’extérieur.

Cette approche est similaire à celle adoptée par Bernard Booms et Mary Bitner (1981) qui proposent de définir le produit « service » en utilisant un marketing mix contenant sept éléments.

1. Le produit : les moyens de production, la gamme de services, les heures d’affaires, la reproduction et la fiabilité constituent les caractéristiques importantes du produit.

2. Le point de vente.

3. Le prix : notamment la valeur du service perçue par le client. 4. La promotion.

5. Les intervenants : les membres du personnel qui participent directement au processus de service.

6. Les caractéristiques physiques, l’environnement du service.

7. Le processus de production et notamment la gestion de la participation du client.

Si l’ensemble de ces définitions ne permet pas d’avoir une vision simplifiée et synthétique du service, elle permet toutefois de clarifier certains concepts. La définition par les composantes intrinsèques met en évidence les spécificités du service – immatérialité, interactivité, immédiateté, simultanéité – qui rendent non pertinente la séparation hermétique entre les processus de conception, de production, de distribution et de consommation. Cela distinguerait ainsi les services de l’industrie.

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